Nous avons quitté la Hollande en 1951 pour nous installer au Canada, à Toronto. Nous avons mis plusieurs mois avant de trouver une demeure capable d’abriter toute notre famille (10 enfants…) et, au début, la communauté juive nous a permis d’occuper une maison abandonnée destinée à être transformée en Mikvé. C’était gratuit mais c’était primitif : il n’y avait aucun confort et surtout pas d’eau chaude ; ma mère était obligée de faire bouillir de l’eau pour procéder à la lessive.

Un jour alors qu’elle venait de déposer avec peine une grande bassine d’eau bouillante dans la salle de bains à l’étage et était redescendue pour en apporter une autre, elle s’aperçut avec horreur qu’Amina, ma petite sœur qui n’avait même pas deux ans, était tombée dans la bassine !

Paniquée, elle l’en avait sortie alors que sa peau se détachait… Elle l’enveloppa d’un drap et se précipita à l’hôpital des Enfants Malades. J’ignore comment elle y était parvenue puisqu’elle ne parlait pas anglais mais elle avait couru dans la rue en hurlant et des gens l’avaient aidée.

Le soir-même – jeudi 22 novembre 1951 – on m’envoya à l’hôpital pour parler avec les médecins puisque j’étais la seule dans la famille à me débrouiller en anglais. Le pronostic était pessimiste : « Expliquez à vos parents qu’il n’y a aucun espoir ! Cette enfant va mourir, elle ne survivra même pas un jour ! »

Je n’eus pas le cœur de traduire cela et je me contentai d’annoncer : « Elle est très, très malade et les médecins agiront de leur mieux ».

Effectivement, ils se dévouèrent à fond. Ils placèrent ma petite sœur dans un plâtre pour minimiser l’exposition de la peau à l’air et pour que les tissus retiennent autant de fluide que possible. Mais, à l’évidence, ils étaient très pessimistes. Réalisant la gravité de la situation et ne sachant vers qui d’autre se tourner, mon père Rav Dov Yehouda Schochet téléphona à son beau-frère, Rav ‘Haïm Morde’haï Aizik Hodakov, le secrétaire principal du Rabbi, pour qu’il demande une bénédiction. Le Rabbi assura qu’Amina irait bien et demanda que mon père offre le Kiddouch à la synagogue ce Chabbat ; il spécifia que ma mère devait s’investir dans les préparatifs.

Cela nous semblait étrange (nous n’avions aucune raison de nous réjouir…) mais mes parents – qui, à l’époque n’étaient pas des ‘Hassidim de Loubavitch – obéirent. D’une manière ou d’une autre, nombre de personnes apprirent qu’il y aurait un Kiddouch spécial suite à une directive du Rabbi et les ‘Hassidim se déplacèrent en nombre. Ils mangèrent, burent de la vodka, échangèrent des mots de Torah et même dansèrent, s’impliquant totalement à réjouir l’assistance et à faire prendre conscience de l’importance d’une parole du Rabbi. A la fin de Chabbat, on constata que la bénédiction s’accomplissait : Amina était encore vivante… Nous commencions à réaliser la puissance de cette bénédiction et nous avons repris espoir.

Heureusement, nous ignorions les détails : une brûlure si importante peut avoir des conséquences désastreuses sur les organes internes d’un bébé. Les médecins étaient particulièrement inquiets pour les reins mais ceci s’arrangea également. Cependant, il était évident qu’elle restait en danger.

Le Chabbat suivant, 1er décembre, elle « fêtait » son deuxième anniversaire. Nous avions l’intention d’aller la voir le dimanche pour lui offrir de petits présents. Mais la police frappa à notre porte : comme nous n’avions pas de téléphone et que l’hôpital ne parvenait pas à nous joindre, on venait nous informer qu’Amina était mourante. Quand nous sommes arrivés, ce fut terrible, son visage surtout faisait de la peine ; je tentais d’empêcher ma mère de la regarder mais elle s’obstina : « C’est mon enfant, je dois la voir… ».

Mon père téléphona à nouveau au Rabbi qui répondit encore une fois que tout s’arrangerait. Mon frère David se souvient qu’à cette occasion, mon père parla directement au téléphone avec le Rabbi qui insista : « Vous êtes un rabbin ! Il vous appartient de veiller à ce que l’éducation juive de votre ville soit la meilleure possible, que la cacherout de votre ville respecte les meilleurs critères… Faites votre job et D.ieu fera le sien ! »

Tandis que les médecins nous préparaient constamment au pire, le Rabbi continuait à nous encourager alors qu’Amina restait en état d’urgence absolue. Les mois passèrent, la fièvre montait puis descendait, elle vomissait sans raison… Contacté, le Rabbi demanda : « Informez l’hôpital pour qu’on vérifie ce qui se passe ; ce n’est pas normal… ». Il est difficile pour n’importe quel patient de remettre en cause le personnel hospitalier ; à plus forte raison pour un étranger qui ne parle pas correctement la langue. Mais comme le Rabbi l’avait demandé, mon père trouva le courage de protester et il s’avéra qu’effectivement, on administrait à Amina un mauvais médicament. On procéda immédiatement à une correction du traitement. Amina resta à l’hôpital jusqu’en mars puis rentra à la maison. Ses blessures étaient profondes, il fallait changer ses pansements très souvent. Elle ne savait plus marcher ni même s’assoir ou se lever parce qu’elle était restée si longtemps dans le plâtre. La rééducation a été très longue mais finalement, comme le Rabbi l’avait prédit, elle récupéra toutes ses fonctions.

Un jour, le Rabbi donna à Amina un rouble en or en spécifiant qu’elle devrait le remettre à la Tsedaka (charité) le jour de son mariage. Effectivement, elle l’échangea probablement contre de l’argent qu’elle glissa dans la Tsedaka le grand jour venu et elle garde jusqu’à présent cette pièce que le Rabbi lui avait donnée.

Quand elle se fiança avec Its’hak Newman, il était un peu inquiet : les blessures qu’elle avait subies l’empêcheraient peut-être de mettre des enfants au monde… Il en parla au Rabbi qui l’assura qu’il n’y avait pas de soucis à avoir.

Elle mit au monde seize enfants – ce qui est déjà inhabituel pour une femme « normale ». Maintenant ses enfants élèvent leurs propres enfants et c’est donc toute une tribu qui a vu le jour grâce à ce miracle.

Choulamit Bechhoffer - JEM

Traduit par Feiga Lubecki

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