Samedi, 25 février 2017

  • Michpatim
Editorial

 La joie, comme un nouveau temps

Nous vivons dans un monde bien chaotique, dans une société qui semble perdre ses repères un peu plus chaque jour. Il n’y a décidément rien là qui soit de nature à faire naître le moindre début d’une joie un peu sincère. L’atmosphère générale paraît d’ailleurs bien en phase avec cet état de fait, toute de tensions et de mélancolies diverses. Pourtant le calendrier paraît nous conduire sur d’autres chemins. Voici, en effet, que va commencer le mois d’Adar. Déjà son célèbre message retentit à nos oreilles sans doute surprises : « Quand Adar arrive, on multiplie la joie ! » On est en droit de se poser la question : où donc en trouver la source et la puissance ?

Le calendrier juif est une chose qui dépasse largement la catégorie d’outil commode pour mesurer le passage du temps. S’il est bien une véritable construction, à la fois belle et rigoureuse, c’est d’abord dans le spirituel qu’il a ses fondations et c’est lui qu’il exprime. C’est dire que, lorsqu’il annonce le début d’un nouveau mois, il ne fait pas que nous livrer une sorte de compte-rendu. Il suscite l’émergence d’émotions nouvelles, liées à la nature profonde de la période. La joie n’éclatait pas avec la puissance souhaitable jusqu’ici ? Adar s’ouvre et tout change. La place la plus grande lui est donné et elle brise toutes les barrières.

C’est très précisément ce qui va se produire à présent. Le début du mois d’Adar ne fait pas que nous rapprocher de la fête de Pourim, il modifie aussi bien les choses que la vision que nous portons sur elles. Voici que nous prenons conscience de la plus pure des joies. Voici qu’enfin nous discernons les sources de l’allégresse. En ce mois, nous sommes capables d’éprouver ce qui fait de notre vie un lieu de délice : le lien absolu avec D.ieu. Et les soucis du quotidien ? Et la vie qui ne va pas toujours comme on voudrait ? Laissons donc entrer Adar dans nos maisons. Laissons-le prendre en charge les difficultés coutumières et entrons dans son orbite. Il nous faut le savoir alors qu’il ne fait que commencer : rien ne peut vaincre le mois d’Adar. Sa joie est déjà un gage de victoire, il ne reste qu’à l’accompagner. Le chemin sera facile car c’est elle qui nous conduit.

D’ores et déjà, le monde est plus beau. Faisons en sorte que cette transformation devienne visible à tous.

Etincelles de Machiah

 Un temps de préparation

Chaque acte qu’un Juif fait, chaque jour où il se trouve encore en exil, éclaire une partie supplémentaire du monde matériel. De cette manière, nous parvenons peu à peu à l’absolue perfection du temps de Machia’h.

Puisqu’il en est ainsi, il nous faut considérer chaque instant que nous sommes contraints de vivre encore en exil non comme un moment de pur exil mais comme un temps de préparation et d’introduction à la Délivrance.

(D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch – 10 Chevat 5714) 

Vivre avec la Paracha

 Michpatim

Le nom de notre Paracha, Michpatim, signifie « lois ». La langue hébraïque propose plusieurs mots pour « lois », globalement équivalents mais avec des nuances de sens.

Michpatim fait référence à un type de lois que l’entendement humain comprend et juge nécessaires. On peut citer par exemple : ne pas tuer ou ne pas voler. Ce sont ces lois qui constituent la majorité de celles qui sont exposées dans cette Paracha.

Un autre terme, ‘Houkim ou « statuts », évoque des lois d’un tout ordre : il s’agit de préceptes totalement incompréhensibles pour un entendement humain ordinaire. Un exemple nous en est aussi fourni dans notre Paracha : il s’agit de l’interdiction de mélanger le lait et la viande. Bien souvent dans notre histoire, ce type de lois nous a valu la dérision et a nécessité de notre part de relever des défis. De nos jours encore où prévaut la rationalité, bon nombre de Juifs ne voient pas la raison d’être de ces lois. Elles sont pourtant essentielles dans notre relation avec D.ieu.

Une troisième catégorie de lois s’intitule Edout ou « témoignages ». Les lois de Pessa’h en font partie. Nous observons cette fête en commémoration du fait que D.ieu nous a sortis d’Egypte. Sans la Torah, nous n’aurions pas instauré cette loi mais désormais nous en comprenons la raison.

Il est intéressant d’observer que l’atmosphère totalement miraculeuse de la Paracha de la semaine passée, dans laquelle D.ieu s’était adressé à l’ensemble de la nation depuis le Mont Sinaï, est suivie de lois qui paraissent extrêmement « terre à terre » et concrètes. Dans la Paracha de cette semaine, on aurait pu s’attendre à une demande manifestant une relation plus intense avec D.ieu, comme celle qui s’exprime dans les lois supra rationnelles (’Houkim) ou tout au moins dans les Témoignages. Pourquoi donc l’accent est-il mis plutôt sur les lois simples régissant les relations entre l’homme et son prochain ?

La réponse réside en ce que ce fait lui-même aide à comprendre quelque chose à propos de la Torah et de son objectif. La vie comporte un élément matériel dans les affaires du quotidien. Mais il y existe également une dimension spirituelle, divine, un royaume d’infinies pureté et sainteté.

Le but de la Torah est de joindre ces deux dimensions. Grâce à l’observance de la Torah, notre vie quotidienne peut devenir l’expression du Divin.

Ce point est mis en valeur par la juxtaposition des deux Parachiot. La semaine dernière, la Paracha racontait la Révélation de D.ieu. Cette semaine, il s’agit de lois simples, quotidiennes, que quiconque peut comprendre. Grâce à la force de la Torah, l’inspiration du mont Sinaï devient compréhensible et pleine de sens au niveau de la vie de tous les jours. Et ainsi les deux royaumes se rejoignent.

Dans les détails pratiques du monde, vivre en accord avec la Torah nous permet de découvrir la Présence du Divin.

Créer la civilité

Quel est le but des commandements ? L’une des explications que l’on donne pour répondre à cette question est qu’ils servent à raffiner le Peuple Juif.

La ‘Hassidout explique que notre personnalité intérieure comporte deux facettes : d’une part, nous possédons une âme divine, une étincelle de spiritualité décrite comme une « portion de Divinité ». Elle vient au monde chargée d’une mission particulière dont les instructions sont consignées dans la Torah et les Mitsvot.

Pour comprendre la nature de cette tâche, il nous faut au préalable observer la seconde facette de notre monde intérieur : notre âme animale. C’est une force en nous qui nous pousse à vivre, à nous nourrir et à posséder. Guidés par la Torah, nous devons nous efforcer de purifier et de raffiner cette âme animale. Cela signifie en effet qu’il nous faut essayer de contrôler voire transformer les caractéristiques inhérentes à notre nature humaine (et parfois trop humaine).

Si une personne observe les directives de la Torah, elle suit un programme d’entraînement et d’amélioration de son propre caractère.

Observons par exemple les lois de la Cacherout, rencontrées dans la Paracha de cette semaine. Il y est également évoqué le fait que nous devons séparer le lait et la viande. C’est à juste titre qu’on a souvent affirmé que cette loi, ainsi que d’autres aspects de la Cacherout, développent la qualité de contrôle sur soi et également le fait de ne rien prendre comme acquis. « Est-ce cachère ? » est la question que nous nous posons avant de consommer quelque chose. Bien sûr l’effet de cette interrogation va bien au-delà d’une simple attitude face à la nourriture. Nous acquérons ainsi une approche par rapport à la vie et un large questionnement quant à la « Cacherout » de ce que nous absorbons en général.

La Cacherout est une loi qui se joue « entre l’homme et D.ieu ». Par contre, la majorité des enseignements de Michpatim sont des lois qui concernent les relations « entre l’homme et son prochain ».

Ici encore, et peut-être de manière plus évidente, nous voyons que les commandements ont un but précis. Ainsi, la Torah nous dit-elle que si nous observons que le bœuf de notre ennemi est perdu, il nous faut le ramener à son propriétaire. Si l’on observe que l’âne d’une personne que l’on exècre ploie sous sa charge, il ne nous faut pas nous détourner mais l’aider et le soulager.

Dans son œuvre magistrale, le Michné Torah, Maïmonide souligne que la Torah nous enjoint également d’aider notre ami : « tu ne verras pas l’âne ou le bœuf de ton ami, tombé sur le chemin, et t’en cacher, mais assurément, tu l’aideras à les relever. »

Ainsi donc si la Torah nous demande d’aider nos amis et nos ennemis, que faire si nous rencontrons en même temps notre ami et notre ennemi et que tous deux se trouvent dans une situation où ils ont besoin de notre aide ? Maïmonide répond : il nous faut d’abord aider notre ennemi ! La raison en est, affirme-t-il, qu’il nous faut courber notre mauvais penchant. C’est un accomplissement bien plus grand de briser notre nature pour aider un ennemi que d’aider un ami.

Suivre les instructions de la Torah nous aide à transformer notre propre caractère et à créer une véritable forme de civilisation.

La prochaine étape que D.ieu implantera sera une sorte de réaction en chaîne de transformations intérieures et qui, en dernier ressort, affecteront le monde entier.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que les « quatre Parachiot » ?

Nos Sages ont institué de lire, en plus de la Sidra hebdomadaire, une « Paracha » supplémentaire durant les semaines qui précèdent Pourim et Pessa’h.

• La première s’appelle « Chekalim ». Elle rappelle la nécessité pour chacun de donner chaque année un demi-chékel pour l’entretien du Temple et l’achat des sacrifices communautaires. Cette Paracha (Exode 30 – 11 à 16) est lue le Chabbat qui précède Roch ‘Hodech Adar (cette année le Chabbat Michpatim 25 février 2017). On sortira donc deux rouleaux de la Torah :

- un pour la Paracha de la Semaine : Michpatim (sept montées)

- un pour la Paracha Chekalim (un appelé qui lira aussi la Haftarah tirée du livre des Rois (11. 17 pour les Séfaradim ou 12. 1 à 17 pour les Achkenazim).

• La seconde s’appelle « Za’hor » et rappelle la nécessité de se souvenir d’Amalek. Elle est lue le Chabbat précédant Pourim, cette année Chabbat Tetsavé, le 11 mars 2017. La Haftara relate le combat du roi Chaoul contre Amalek (Samuel I – 15 1 à 34).

• La troisième s’appelle « Para » et rappelle la nécessité de se purifier avant la fête de Pessa’h. Elle est lue Chabbat Ki Tissa, 18 mars 2017. La Haftara rappelle la pureté du Temple (Ezékiel. 16 à 38).

• La quatrième s’appelle « Ha’hodech » et rappelle l’importance du mois de Nissan et le sacrifice pascal. Elle est lue le Chabbat Vayakhel-Pekoudé, le 25 mars 2017. On lira la Haftara dans Ezékiel de 45.15 à 46.18.

Le Recit de la Semaine

 Alyah et Airbus

Elevé dans une ambiance juive traditionnelle, je me suis progressivement rapproché de la pratique religieuse.

A l’âge de vingt ans, j’ai été accepté dans une école très sélective, l’Université d’ingénierie d’Aérospace à Toulouse. C’est là que je rencontrai Rav Yossef Matusof et son épouse Esther, les délégués Loubavitch de la ville chez qui j’approfondis mes liens avec le ‘hassidisme. Après l’obtention de mon diplôme et mon mariage en 1978, je me suis rendu avec ma femme et notre bébé à New York où nous avons eu droit à une entrevue privée avec le Rabbi. Ce fut pour moi un moment crucial qui m’inspira un grand respect qui ne fit que s’intensifier avec les années.

Quand je travaillais comme ingénieur pour Airbus à Toulouse, j’eus souvent l’occasion de voyager aux États-Unis et, à chaque fois, je m’arrangeai pour passer Chabbat auprès du Rabbi.

En 1982, je demandai au Rabbi si le moment était venu pour moi et ma famille de faire notre Alyah, de monter enfin en Israël et d’y investir mes compétences. Mais le Rabbi répondit : « Si le travail que vous occupez actuellement vous permet de respecter les lois du judaïsme, alors il est préférable pour vous de rester dans votre job actuel ». Je dois avouer que ce fut pour moi une immense déception mais je suivis le conseil du Rabbi et restai à Toulouse. Ma famille et moi-même avons certainement eu une influence positive sur les nombreux étudiants et la communauté locale en donnant l’exemple d’un judaïsme vécu dans la joie et l’inspiration.

Puis, en 1985, on me proposa un travail en Israël. A l’époque, l’état juif avait décidé de devenir indépendant dans le domaine de la technologie et avait lancé son propre programme d’avions de combat : le projet « Lavi ». Cette perspective me plaisait énormément, correspondait vraiment à mes compétences et je demandai à nouveau l’avis du Rabbi. Sa réponse me surprit à nouveau : « Comment pouvez-vous prendre une telle décision alors que la situation est si volatile en Israël ? Vous devez réfléchir environ une demi-année avant d’entreprendre votre Alyah ! ».

Je n’ai pas vraiment compris ce que le Rabbi voulait signifier par le mot « volatile ». Un prototype du Lavi avait déjà été testé et le projet semblait très prometteur, au point qu’on estimait qu’il serait capable de détrôner le célèbre chasseur F16 américain. Mais je décidai d’ « attendre et voir »…

Un an plus tard, avec ma famille nous sommes allés voir le Rabbi à l’occasion du 12 Tamouz, quand le mouvement Loubavitch célèbre la libération du Rabbi précédent des prisons soviétiques en 1927. Lors de l’entrevue que le Rabbi accorda à ses visiteurs, il déclara : « Chaque Juif a une mission dans ce monde. Il doit témoigner de l’Unité de D.ieu en respectant la Torah et ses commandements où qu’il se trouve. Et c’est la raison pour laquelle D.ieu trouve des raisons pour envoyer des Juifs au loin afin qu’ils puissent y remplir leur mission de la meilleure manière possible ». Jusqu’à ce jour, chaque fois que je pars en voyage pour mon travail, je me souviens de ces mots et je recherche une dimension intérieure à mon occupation professionnelle sur place.

Quelques mois plus tard, en 1987, je reçus soudain une proposition de travail dans l’industrie aéronautique « au loin », en Afrique du sud exactement. J’en parlai au Rabbi qui me répondit presqu’immédiatement : « Acceptez ! ».

Ce n’est qu’alors – soit deux ans plus tard – que je compris pourquoi le Rabbi avait qualifié la situation en Israël de « volatile ». C’est justement à l’époque où nous avons emménagé en Afrique du sud que le projet « Lavi » fut abandonné par le gouvernement israélien à cause des pressions américaines. Presque tous les ingénieurs qui s’étaient investis avec enthousiasme dans ce projet perdirent leur travail !

Le déménagement à Johannesburg s’avéra être la meilleure préparation à l’Alyah pour ma famille, aussi bien matériellement que spirituellement. Grâce à la florissante communauté Loubavitch sur place, nous avons renforcé nos connaissances des textes sacrés et, en particulier, de la ‘Hassidout. C’est depuis cette époque que j’ai commencé à traduire en français les œuvres de Rav Adin (Steinsaltz) Even Israël. Celui-ci remarqua un jour que les conseils que j’avais reçus du Rabbi représentaient ce que le Tanya appelle « la voie longue et courte » vers la Terre Sainte.

Nous avons vécu pendant cinq ans en Afrique du sud. En 1991, quand la mission pour laquelle j’avais été embauché s’acheva, je dus à nouveau prendre une décision. Je voulais tant m’établir enfin en Israël…

J’envoyai une lettre au Rabbi par l’intermédiaire du regretté Rav Yossef Wineberg. Le Rabbi répondit que je devais demander conseil à des amis et que je devais faire vérifier mes Mezouzot et mes Téfilines. Avant que j’aie eu le temps de répondre, le Rabbi demanda à Rav Wineberg : « Quand allez-vous m’informer de ce qui est arrivé quand il aura vérifié ses Mezouzot et Téfilines ? ».

J’étais stupéfait ! Le Rabbi recevait des milliers de lettres mais il s’occupait vraiment de chaque Juif et se souvenait des détails les plus minimes, comme un père qui connaît si bien son enfant qu’il s’inquiète de chaque chose. Cela m’a beaucoup ému et impressionné.

Je répondis immédiatement au Rabbi, en rapportant que tous mes amis m’avaient encouragé pour l’Alyah. Cette fois, la réponse du Rabbi fut des plus claires : « Bénédiction et Succès ! ». Effectivement, j’ai accepté une proposition de travail dans l’industrie aérospatiale israélienne. Avant de concrétiser mon Alyah, je me rendis pour la treizième fois auprès du Rabbi, pour simplement le remercier. J’arrivai à New York en février 1992, juste une semaine avant que le Rabbi ne subisse une attaque cérébrale. Je le remerciai pour toutes ses directives durant ces quatorze années et il répondit : « Puissiez-vous connaître le succès dans tout ce que vous entreprenez ! ».

Effectivement, nous sommes arrivés en Israël « environ une demi-année » (selon les mots exacts du Rabbi) après avoir pris notre décision de monter en Israël. Et jusqu’à ce jour, grâce à D.ieu, les bénédictions du Rabbi m’accompagnent dans toutes mes entreprises.

Michaël Allouche - Unmanned Aircraft Systems - JEM

Traduit par Feiga Lubecki