Editorial
A la conquête de la libertéLe mois de Nissan nous fait toujours vivre à son propre rythme. Chacun de ses chants résonne, avec une incomparable puissance, dans le cœur et l’âme de chacun. Les jours qui s’y écoulent sont ceux de la grandeur et de la liberté : deux mots pour dire la fidélité à soi-même.
Cette semaine, le 11 Nissan, nous célébrons le 102ème anniversaire de la naissance de Rabbi Menahem Mendel Schneerson, le Rabbi de Loubavitch, celui que, dans le monde entier, des centaines de milliers de personnes appellent simplement “le Rabbi”. L’anniversaire d’une naissance pourrait sembler une occasion étonnante de célébration. Quelle que soit l’importance de la personne concernée, cela a-t-il vraiment un sens pour chacun ?
Précisément, ce qui est un jeu ici n’est pas qu’une manifestation de respect même si cette attitude est indissociable d’un judaïsme pleinement vécu. Un tel jour, c’est aussi celui qui marque la présence d’une âme au sein d’une action constante. Cette notion a profondément modifié tout ce qu’elle touchait et elle continue de le faire. Le 11 Nissan en scande les progrès. Ils sont autant d’étapes sur cette route de la liberté qui est, de génération en génération, le chemin audacieux du peuple juif.
Justement, la liberté est, à présent, avec Pessa’h, l’événement du jour. C’est une véritable découverte et chacun en perçoit le prix infini : l’homme peut toujours choisir d’être libre. Il peut laisser loin derrière lui les miasmes de l’exil, même si celui-ci paraît s’accrocher à lui. Il peut sans retour, briser ses chaînes et se diriger vers le rendez-vous éternel avec D.ieu. Et même s’il est conscient que les embûches peuvent encore être nombreuses sur le chemin, il sait qu’il aura la force de les surmonter. C’est ainsi que, d’année en année nous racontons la Sortie d’Egypte et c’est ainsi que, de jour en jour, nous la vivons. La liberté est une conquête. Dans notre avancée vers la venue de Machia’h, nous sommes tous des conquérants
Etincelles de Machiah
Mesure pour mesureLe Tanya explique, dans son chapitre 36, que toutes les révélations dont nous jouirons lorsque Machia’h sera venu, dépendent de l’œuvre que nous accomplissons pendant le temps de l’exil. Si ce principe général est connu, son application concrète demande à être précisée.
En effet, c’est l’ensemble des actions que nous menons dans le domaine de la Torah et de ses commandements qui nous conduit à la Délivrance. Cependant, le concept de “mesure pour mesure” est très présent au cœur du judaïsme. Il implique que chaque acte entraîne une conséquence spécifique. Dans cette optique, quelle est l’œuvre qui peut être à l’origine de la résurrection des morts ?
Cette interrogation appelle deux réponses :
- d’une part, la pratique des commandements de D.ieu a pour but général de transformer le monde matériel, dont le caractère éphémère renvoie à l’idée de “mort”, en un lieu de résidence pour la Divinité qui représente l’éternité,
- d’autre part, l’œuvre spirituelle accomplie par l’homme est celle d’élévation des parcelles de spiritualité “exilées” dans la matière. La libération qui leur est ainsi apportée équivaut à une authentique résurrection.
(d’après Likouteï Si’hot vol. III, p. 1011)
Vivre avec la Paracha
Tsav Pessa’hIci, là-bas et nulle part
La discussion de la Torah à propos du dialogue du Séder (Chemot 12-13, Bamidbar 6) révèle plusieurs versions des questions des enfants et des réponses du père. La Haggadah explique que «la Torah s’adresse à quatre fils: le sage, l’impie, le simple et celui qui ne sait pas poser de questions». Selon la façon dont l’enfant articule sa question (et s’il l’articule), la Torah propose quatre approches différentes pour expliquer le message de la fête et le sens de notre liberté.
L’enfant sage pose des questions intelligentes, détaillées et bien structurées qui reflètent la justesse de ses observations et son désir de savoir, d’apprécier et de participer. Le père, fier, répond par une explication détaillée des observances du Séder, depuis son commencement jusqu’à sa fin, jusqu’à la loi qui stipule que « l’on ne doit servir aucun dessert après la viande du sacrifice pascal » de sorte que son goût reste dans notre bouche longtemps après la fin du Séder. (Aujourd’hui, la même loi s’applique à la fin du repas qui commémore le sacrifice pascal, puisqu’on ne prend aucun dessert après l’Afikomane).
Le fils impie, observant les efforts et les dépenses investis dans le Séder demande: «Mais qu’est-ce que c’est que ce travail qui est le vôtre?» (Chemot 12:26). «Ce travail qui est le vôtre», note la Haggadah, c’est une expérience à laquelle il ne veut pas participer lui-même. «C’est pour ce que fit D.ieu pour moi, réplique le père sur le même ton, quand je suis sorti d’Egypte» ( ibid 13 :8). «Pour moi…quand je suis sorti d’Egypte» impliquant par là, poursuit la Haggadah, que «s’il (( l’impie) s’y était trouvé, il n’aurait pas été sauvé».
Au fils simple, qui ne peut exprimer qu’une seule question: «Qu’est-ce que c’est?» le père répond par une explication également élémentaire de la signification de cette nuit.
Et au père du fils qui «ne sait pas poser de questions», la Torah recommande: «et tu diras à ton enfant». C’est toi qui prends l’initiative de la discussion, qui l’entraînes dans la conversation et la participation.
Parler à l’impie
Parmi les réponses que l’on vient d’évoquer, il en est une qui demande des éclaircissements : c’est la réponse que l’on adresse à l’impie. Pourquoi lui dit-on qu’il aurait été laissé en arrière, en Egypte, à l’époque de l’Exode ?
En fait, c’est bien ce qui fut le cas. Nos Sages (s’appuyant sur Chemot 13 :18) expliquent que seul un cinquième des Juifs quittèrent l’Egypte. Les autres quatre cinquièmes refusèrent de partir, préférant l’esclavage du Pharaon à l’engagement pour D.ieu. Ces Juifs ne furent pas sauvés. Car bien que D.ieu acceptât les Juifs en Egypte comme ils étaient, malgré leur dégradation spirituelle, après deux cents ans d’esclavage dans la nation la plus dépravée de la terre, il restait une condition : il fallait désirer la liberté pour la mériter.
Malgré tout cela, quel intérêt y a-t-il à dire au fils impie que s’il s’était trouvé là-bas, il n’aurait pas été libéré? Avons-nous le désir d’éloigner encore davantage un enfant qui se sent déjà étranger parmi nous?
Le Rabbi offre l’explication suivante : En réalité, notre réponse à l’impie n’est pas un message de bannissement et de rejet, mais celui de l’acceptation et de la promesse. L’accent est mis sur le mot «là-bas» dans notre réponse. S’il s’était trouvé là-bas, disons-nous à cet enfant, il n’aurait pas été sauvé. La sortie d’Egypte eut lieu avant le Don de la Torah au Sinaï, avant que D.ieu ne fasse Son choix ultime du peuple d’Israël. Là-bas, en Egypte, la rédemption dépendait du choix et du consentement du Juif. S’il s’était trouvé là-bas, il y serait toujours. Mais il n’était pas là-bas, il est ici.
Ici, c’est après le Sinaï. Ici, être libre est ce que nous sommes plutôt qu’un état que l’on peut choisir ou décliner. Il est vrai que nous sommes encore en exil, mais «en ce jour », prophétise Yichayahou, « vous serez rassemblés un par un, O enfants d’Israël!». Quand D.ieu reviendra nous sauver, pas un seul Juif ne sera laissé en arrière.
Le cinquième fils
Aussi différents qu’ils puissent être, les quatre fils de la Haggadah ont quelque chose en commun : quelle que soit leur implication, qu’ils soient motivés, défiants, incapables ou indifférents, ils sont tous présents à la table du Séder. Ils ont tous un lien, bien que chacun à sa manière bien particulière, avec notre expérience renouvelée chaque année de la sortie d’Egypte et de notre naissance en tant que nation. La possibilité de communication est ouverte; l’enfant sage qui réside en chaque enfant Juif peut être approché.
Pourtant, aujourd’hui, dans notre exil spirituel, existe aussi un cinquième fils : le Juif qui est absent de la table du Séder. Il ne pose aucune question, ne lance aucun défi, ne témoigne aucun intérêt. Car il ne sait rien du Séder, rien de la signification de l’Exode d’Egypte, rien de la Révélation au Mont Sinaï lors de laquelle nous reçûmes notre mission et notre rôle en tant que Juifs.
A ces enfants de D.ieu nous devons nous dévouer longtemps avant la première nuit de Pessa’h. Nous ne devons pas oublier un seul enfant Juif ; nous devons investir toute notre énergie et nos aptitudes à amener chaque cinquième fils à la table du Séder de la vie juive.
Le Coin de la Halacha
Quelles sont les Mitsvot essentielles de la nuit du Séder ?Le lundi 5 avril et le mardi 6 avril 2004, on organise le Séder pour célébrer la sortie d’Egypte. On ne pourra commencer qu’après la nuit tombée (21 h 17, heure de Paris). Tous les Juifs doivent participer au Séder, hommes, femmes et enfants. Il faut :
Raconter la sortie d’Egypte
On le fait en lisant la Haggadah. Il faut raconter à tous les participants et en particulier aux enfants, selon ce qu’ils peuvent comprendre. Pour éviter qu’ils ne s’endorment, on aura pris soin de les faire dormir l’après-midi et on leur fera chanter certains paragraphes de la Haggadah.
Manger de la Matsa
On mange de la Matsa les deux soirs du Séder après avoir dit la bénédiction : « Barou’h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al A’hilat Matsa », en plus de la bénédiction habituelle « Hamotsi ». La Matsa du Séder sera « Chemourah », c’est-à-dire qu’on aura surveillé depuis la moisson, que les grains de blé, et plus tard la farine, n’auront pas été en contact avec de l’eau, ce qui aurait risqué de les rendre ‘Hamets. Nombreux sont ceux qui préfèrent consommer les Matsot rondes cuites à la main (et non à la machine) comme au temps de la sortie d’Egypte. Il faut manger au moins 30 grammes de Matsa, et il est préférable de les manger en moins de 4 minutes. Il faudra manger trois fois cette quantité de Matsa : pour le « Motsi », pour le « Kore’h » (le « sandwich » aux herbes amères), et pour le « Afikoman », à la fin du repas, en souvenir du sacrifice de Pessa’h qui était mangé après le repas.
Manger des herbes amères (Maror)
On mange des herbes amères en souvenir de l’amertume de l’esclavage en Egypte. On achètera de la salade romaine qu’on nettoiera feuille par feuille devant une lumière pour être sûr qu’il n’y a pas d’insecte, après l’avoir fait tremper dans de l’eau. On prépare pour chacun des convives au moins 19 grammes de « Maror », c’est-à-dire de salade romaine avec un peu de raifort râpé, trempé dans le « ‘Harosset » (compote de pommes, poire et noix, avec un peu de vin) après avoir prononcé la bénédiction : « Barou’h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al A’hilat Maror ». On consomme encore 19 grammes de Maror bien séché entouré de Matsa pour le « sandwich de Kore’h ».
Boire 4 verres de vin
On doit boire au cours du Séder au moins quatre verres de vin ou de jus de raisin cachère pour Pessa’h. Le verre doit contenir au moins 8,6 centilitres, et on doit en boire à chaque fois au moins la moitié, en une fois.
Accoudé
Les hommes et les garçons doivent s’accouder sur le côté gauche, sur un coussin, pour manger la Matsa et boire les quatre verres de vin.
De Recit de la Semaine
La Matsa des invitésEn 1976, après plusieurs années de mariage, ma femme et moi avons pris notre courage à deux mains : nous allions organiser pour la première fois le Séder, le repas du soir de Pessa’h, chez nous. Au moins pour le second soir de la fête. Dès que nous avons pris cette décision audacieuse, je me suis mis à inviter des gens qui ne savaient pas où passer le Séder. Au fur et à mesure que la fête approchait, la liste des invités s’allongeait et s’allongeait. La veille de la fête, nous étions assurés d’avoir seize invités !
Après avoir brûlé le ‘Hamets la veille de Pessa’h au matin, je me sentis surexcité : je savais que dans l’après-midi, le Rabbi distribuait devant la porte de son bureau de la Matsa Chmoura (cuite le jour-même !) à toute personne qui organisait le Séder chez soi ou pour une communauté. Je décidais que moi aussi, je pouvais me présenter cette année : d’ailleurs j’en profiterais pour dire au Rabbi combien d’invités nous attendions et, certainement, cela ferait tant plaisir au Rabbi qu’il me donnerait davantage de Matsa.
Très enthousiastes mais toujours aussi peu organisés (comme d’habitude !), nous avions sous-estimé la quantité de travail à effectuer cet après-midi, pour accueillir tant d’invités. Quand je réussis finalement à me rendre à la synagogue du Rabbi, c’était trop tard, il était déjà retourné dans son bureau et se préparait pour Maariv, la prière du soir. « Oh non, pensai-je, j’espérai un morceau de Matsa, et même plusieurs morceaux et maintenant… rien du tout ! Que dira mon épouse ? »
« Ne t’inquiète pas, me dit un vieux ‘Hassid qui, apparemment, connaissait les usages, le Rabbi distribue encore de la Matsa après Maariv ! »
« Oh, D.ieu soit loué ! » m’écriai-je spontanément.
Et dès le dernier « Amen » (ou peut-être même avant, je l’avoue…), je quittai la grande salle de la synagogue et me précipitai devant le bureau du Rabbi. Je n’étais pas le premier de la queue, mais je n’avais pas à m’inquiéter : j’en aurai, j’en étais sûr !
J’arrivai devant le Rabbi. Il me regarda droit dans les yeux et me demanda : « Pour le premier Séder ou pour le second ? »
Très étonné par la question (que le Rabbi n’avait posée à personne d’autre avant), je murmurai :
« Le second ! »
« Alors je ne peux pas vous donner de la Matsa maintenant ! » déclara le Rabbi.
Mon visage devait sans doute refléter mon immense déception. Tous ces efforts pour… rien ? Le Rabbi avait dû sentir que j’étais sur le point de m’évanouir et il m’expliqua (en anglais ! car il savait que, fraîchement revenu à la pratique religieuse, je ne comprenais pas bien le yiddish) : « Nous sommes aujourd’hui déjà le premier jour de la fête. Nous n’avons pas le droit de préparer le premier jour pour le second jour de fête. Vous comprenez ? »
Je hochai la tête, en essayant de cacher ma tristesse. Mais le Rabbi continua : « Revenez demain soir, après la prière de Maariv. Ce sera déjà le second jour de fête et je vous donnerai alors de la Matsa. Bonne fête, puissiez-vous avoir un Pessa’h cachère et joyeux ! »
Une bonne fête ! Et quelle fête ! Je courus à la maison pour raconter tout ce qui m’était arrivé.
Immédiatement après Maariv le second soir, je me précipitai vers la porte du bureau du Rabbi. Mais son secrétaire (qu’il vive longtemps et en bonne santé !) refusa de me laisser entrer. « Le Rabbi ne distribue pas de Matsa le second soir, seulement le premier soir ! » me dit-il en me faisant signe de partir.
« Mais le Rabbi m’a dit de venir ! », dis-je, paniqué.
Il était clair qu’il ne me croyait pas. Désespéré, je lui racontai toute l’histoire. Je voyais qu’il était encore sceptique. Il pouvait voir que j’allais soit exploser soit m’écrouler, ou peut-être les deux. Finalement il accepta d’en parler au Rabbi. Je me glissais derrière lui et vis que le Rabbi acquiesçait.
Comment le Rabbi avait-il su qu’il devait me demander pour quelle nuit j’avais besoin de la Matsa ? Franchement je n’en sais rien. Il n’avait posé cette question à personne d’autre : j’en étais sûr puisque j’avais mené mon enquête auprès de toutes les personnes qui avaient attendu avec moi le premier soir. Tout ce que je sais, c’est que je suis éternellement reconnaissant au Rabbi d’avoir fait une exception pour moi, les deux nuits.
Au fait : oui, le Rabbi m’a donné une grosse quantité de Matsa que très content, je distribuais à tous nos convives. J’ignore ce qu’il en est de ces seize personnes mais moi, plus de vingt-cinq ans plus tard, je me souviens toujours de la Matsa du Rabbi !
Rav Yera’hmiel Tiles – Safed
traduit par Feiga Lubecki