Le choix d’un destin
Tous les hommes ont ce rêve : pouvoir recommencer, reconstruire les événements déjà vécus avec la connaissance que nous avons aujourd’hui. Ce serait vraiment une chose merveilleuse : revivre sa vie en effaçant les erreurs commises, faire ainsi de son existence un chemin de sereine perfection, de bonheur sans tache. Mais, inexorablement, le temps avance et il ne laisse guère à l’homme une telle possibilité… semble-t-il. Car la journée du 10 Tévet, cette semaine, nous en présente une illustration pleine de sens.
Ce jour de jeûne nous rappelle comment l’envahisseur venu de Babylone mit le siège devant Jérusalem. C’était déjà le début de la fin mais peu le savaient encore. Le terme hébraïque employé pour décrire ce début de siège est « sama’h » qui se traduit, très littéralement, par « s’approcher ». C’est l’ambiguïté du mot qui retient ici l’attention. « S’approcher » peut évidemment signifier « mettre le siège » mais les commentateurs y voient aussi le sens de « soutenir ». Il est pourtant bien question de Nabuchodonosor, l’oppresseur qui finira par détruire le premier Temple. Quel « soutien » pouvait-on attendre de lui ? Et le commentaire de répondre : « Si les Juifs l’avaient mérité, sa venue aurait été un ‘soutien’. » Alors que, tant que les temps messianiques ne se sont pas concrétisés, nous commémorons le drame naissant par une journée de jeûne, nous savons qu’ils ne le méritèrent pas et que ce fut bien le siège de Jérusalem qui commença alors. Cependant, comment ne pas voir que les Juifs furent, à ce moment dramatique, comme à une sorte de croisée des chemins ? Le même événement pouvait conduire au meilleur avenir ou à son contraire. C’est bien le choix des hommes qui produisit les effets que nous connaissons et non un illusoire destin aveugle ou un non moins illusoire caprice de l’histoire.
Chacun le sait, le judaïsme, par ses rites, n’entend pas se limiter à des commémorations stériles. Pour lui, la vie prime et, pour cela, l’histoire qu’il rappelle a toujours une résonnance présente ; le 10 Tévet ne fait pas exception à ce principe. Dans notre vie quotidienne, chaque jour, nous rencontrons aussi ces moments stratégiques où, individuellement ou collectivement, un choix se présente à nous. Il faut en être conscient : ce choix modifiera notre avenir. Par lui, l’événement se révélera positif… ou l’inverse. Car tout est entre nos mains. Alors le 10 Tévet prend tout son sens : si, en tant que tel, il appartient au passé, il peut devenir le guide de notre présent. Tout est à construire et tout est possible nous dit-il. Et la venue de Machia’h en est l’enjeu.
Moïse ou Machia’h ?
Un jour, on interrogea Rabbi Chnéour Zalman de Liady, le fondateur du ‘hassidisme ‘Habad : « Qui est plus grand ? Moïse ou Machia’h ? »
Le Rabbi répondit alors : « Machia’h est le plus grand de deux. Moïse est comparable à un médecin sans expérience tandis que Machia’h est comme un médecin ayant largement fait ses preuves. »
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch -
Chabbat Parchat Bamidbar 5739)
Vaye’hi
Yaakov passe les dix-sept dernières années de sa vie en Egypte. Avant de mourir, il demande à Yossef d’être enterré en Terre Sainte. Il bénit les deux fils de Yossef, Ménaché et Ephraïm, les élevant au même statut que ses propres fils : fondateurs des tribus de la nation d’Israël.
Il désire révéler la fin des temps à ses enfants mais il ne peut le faire.
Yaakov bénit ses fils, assignant à chacun son rôle en tant que tribu : Yehouda donnera naissance à des chefs, des législateurs et des rois. Les prêtres descendront de Lévi, des érudits d’Issa’har, des marins de Zevouloun, des enseignants de Chimon, des soldats de Gad, des juges de Dan, des producteurs d’olives d’Acher, etc.
Réouven est réprimandé pour avoir « dérangé la couche maritale de son père », Chimon et Lévi pour le massacre de Che’hem et le complot contre Yossef. A Naphtali est attribuée la rapidité d’un cerf, à Binyamin la férocité d’un loup et Yossef est béni de beauté et de fertilité.
Une grande procession, faite des descendants de Yaakov, des ministres du Pharaon, des notables d’Egypte et de la cavalerie égyptienne, accompagne Yaakov dans son dernier voyage vers la Terre Sainte où il est enseveli, à ‘Hevron, dans la cave de Ma’hpélah.
Yossef meurt, lui aussi en Egypte, à l’âge de 110 ans. Il a également donné des instructions pour être enterré en Terre Sainte, mais cela ne se produira que bien longtemps après, lors de l’Exode des Juifs d’Egypte. Avant de mourir, Yossef confie aux Enfants d’Israël le testament d’où ils tireront espoir et foi, pendant les difficiles années à venir : « Il est sûr que D.ieu Se rappellera de vous et vous sortira de cette terre (pour vous mener) vers la terre qu’Il a jurée, à Avraham, Its’hak et Yaakov ».
La beauté des filles d’Acher
Avant de quitter ce monde, Moché bénit chacune des douze tribus. Il dota la tribu d’Acher de cette magnifique bénédiction : « Qu’Acher soit béni parmi les fils ; il sera bienvenu auprès de ses frères et trempera son pied dans l’huile… » (Devarim 33 : 24).
Cependant, il est intéressant de relever que dans le recensement entrepris par Moché, la tribu d’Acher ne s’avère pas être plus nombreuse que les autres tribus. Et dans les générations qui suivent, la population d’Acher n’augmente pas de façon disproportionnée, par rapport au reste de la nation.
Rachi, le grand commentateur biblique, propose, sur ce verset, un commentaire intéressant : « J’ai vu dans le Sifré (un Midrach) la chose suivante : ‘Parmi les tribus, vous n’en trouverez pas une seule bénie parmi les fils comme Acher’ mais je ne sais pas dans quel domaine. »
Puisque cette tribu n’était pas particulièrement peuplée, le Midrach estime que cette bénédiction concerne la qualité des enfants d’Acher plutôt que leur nombre. Rachi s’interroge alors sur cette qualité qui les rend si exceptionnels et s’exclame : « je ne sais pas dans quel domaine. »
Quant à la seconde partie de la bénédiction d’Acher : « il sera bienvenu auprès de ses frères et trempera son pied dans l’huile », Rachi propose de nombreuses explications et souligne également le lien entre cette juxtaposition : être bienvenu auprès de ses frères et tremper son pied dans l’huile : « parce que les femmes qui descendaient d’Acher étaient belles (et on les recherchait pour les épouser). Ses filles épousèrent les Grands Prêtres, oints avec de l’huile d’olive. »
Cela fait écho à une association entre la tribu d’Acher et la Grande Prêtrise, qu’avait faite Yaakov, plus de deux cents ans auparavant et qu’on peut lire dans notre Paracha. Avant de quitter ce monde, Yaakov bénit également chacun de ses douze fils, individuellement, leur donnant des messages prophétiques sur le futur de leur tribu. A Acher, il dit : « D’Acher viendront des aliments riches et il fournira des mets royaux délicats. » Le Midrach découvre un autre sens derrière ce verset. Le mot hébreu utilisé ici pour « riches » est « Chménah ». Les mêmes quatre lettres hébraïques sont aussi celles qui épellent le mot « Chmoné », « huit ». Acher élèvera des enfants qui porteront les huit habits, dit le Midrach, c’est-à-dire les huit habits portés par le Cohen Gadol (Grand Prêtre).
Bien que les Cohanim (Prêtres) soient issus de la tribu de Lévi, puisque les filles d’Acher épousèrent des Cohanim, les petits-enfants d’Acher étaient aptes à la fonction de Grand Prêtre et l’occupèrent.
Les filles d’Acher étaient apparemment si belles que les jeunes gens, originaires de toutes les tribus, voulaient les épouser. Et des hommes de la plus haute stature, les Grands Prêtres, recherchaient leur épouse parmi elles.
Cela semble étrange. Pourquoi un homme si saint aurait-il recherché une épouse dans une tribu avoisinante pour la seule raison qu’elle était belle ? S’il était saint, au point d’être Cohen Gadol, pourquoi aurait-il recherché la beauté ?
Il existe une beauté superficielle et une beauté qui reflète la maturité spirituelle et la dignité personnelle. Quand la Torah loue la beauté d’une femme juive, elle évoque presque toujours sa noblesse et sa pudeur. « Toute la gloire de la fille du roi est son intériorité », déclare le roi David à propos de la modestie des jeunes filles d’Israël. Sa conduite discrète la glorifie, lui donnant une sorte d’aura.
Il semble donc que les filles d’Acher étaient connues pour leur charme et leur raffinement, qualités que recherchait la famille des Prêtres. Ces femmes comprendraient mieux et encourageraient le travail de leur mari puisqu’elles reflétaient la nature profonde de ses responsabilités.
La mission du Cohen Gadol atteignait son apogée à Yom Kippour lorsqu’il pénétrait dans le lieu le plus spirituel du Temple, le Kodech HaKodachim, le Saint des Saints. C’est là qu’étaient déposées les Tables de la Loi originelles, que D.ieu avait données à Moché au Mont Sinaï. Les Dix Commandements (leur âme) étaient gravés dans la pierre (leur corps), ce qui assurait que jamais Ses mots ne seraient effacés des Tables. Le Cohen Gadol, lorsqu’il émergeait du Kodech HaKodachim, transmettait au Peuple le message des Tables : l’engagement à D.ieu peut être si authentique et si inconditionnel qu’il se grave dans votre être même ; le corps et l’esprit s’unissent sans heurt, le corps servant de véhicule parfait pour l’âme qui le vivifie.
Le Cohen Gadol recherchait une épouse qui comprendrait la nature de sa mission et il la trouvait parmi les filles d’Acher. Leur discrétion exquise prouvait un engagement intérieur à l’esprit sur la matière, et un immense respect pour un corps abritant l’âme. Elles témoignaient inconsciemment de leur engagement sincère, par leur apparence physique, car la beauté de l’âme resplendit naturellement dans un corps qui la reflète parfaitement. Elles étaient une représentation vivante des Tables de la Loi et c’est pourquoi les Cohanim voyaient en elles de parfaites partenaires.
Les filles d’Acher étaient également des mères remarquables. Grâce à leur discrétion et leur intégrité, elles transmettaient à leurs enfants un sens fort d’engagement : le message silencieux de celui qui valorise davantage les valeurs de D.ieu que celles de la société et la beauté de maintenir les limites appropriées. Ces enfants étaient sains, émotionnellement et spirituellement, chacun d’entre eux prêt à assumer la fonction de Cohen Gadol.
Ces qualités sont celles dont nous devons nous inspirer pour transmettre à nos enfants une éducation cohérente, saine et sainte et qui préparera nos enfants à accueillir le Machia’h.
En quoi consiste l’hospitalité ?
L’hospitalité est une des caractéristiques proverbiales du Peuple juif, au point que le Talmud estime qu’est juif celui qui est « discret (pudique), compatissant et bienfaisant ». Ces trois qualités sont essentielles. L’hospitalité entre dans la catégorie de la bienfaisance - avec la Tsedaka (charité) et toutes les formes d’aide financière, sociale etc.
Il convient de rechercher des invités et de courir pour les accueillir. On s’efforcera de leur procurer tout ce dont ils ont besoin : repos après un voyage fatiguant, repas, lit. Dans ce domaine comme tant d’autres, il vaut mieux parler peu et agir beaucoup…
On éduquera les enfants à participer à la Mitsva afin que les invités se sentent à l’aise. On réservera les meilleures portions pour les invités et on se contentera de ce qui reste : si nous réjouissons les invités, D.ieu se réjouira avec nous.
Bien entendu, la Mitsva de l’hospitalité sera effectuée à titre gracieux, sans aucune demande de participation aux frais - sauf si cela avait été convenu à l’avance et si le séjour de l’invité se prolonge de façon exagérée ou que les invités sont nombreux. Il convient que l’invité exprime ses remerciements et bénisse le maître (et la maîtresse) de maison.
Selon les enseignements ‘hassidiques, celui qui héberge souvent des invités méritera la naissance d’enfants (selon une façon de traduire le Tehilim - Psaumes 119/9) : « Comment mériter un enfant ? Grâce à l’hospitalité ».
(d’après Rav Yossef Ginsburgh – Si’hat Hachavoua N° 1816)
« Et Yehouda s’approcha de lui »
Ceci s’est passé quelques mois après le décès de Rabbi Yossef Its’hak Schneerson, le précédent Rabbi, en 1950. Son gendre, le Rabbi n’avait pas encore accepté officiellement de prendre la succession mais nombreux étaient ceux qui avaient déjà remarqué ses immenses capacités.
Un Juif non-pratiquant, très éloigné de toute éducation juive, habitant le quartier de Williamsburg (à Brooklyn - New York) était confronté à un grand malheur : sa fille avait été hospitalisée en urgence et les médecins ne lui laissaient aucun espoir. L’épouse de cet homme avaient des liens de famille avec des ‘Hassidim et lui expliqua qu’elle avait entendu qu’il existe des Rabbis qui ont la possibilité de bénir et de voir leurs bénédictions se réaliser.
L’homme comprit qu’il existe des gens qui connaissent des formules magiques et qui, grâce à cela, s’enrichissent… Il se rendit donc auprès de plusieurs personnalités rabbiniques célèbres et promit de leur remettre dix mille dollars (une somme considérable à l’époque…) en échange d’une promesse claire que sa fille guérirait.
Comme cette somme était vraiment énorme, peu nombreux étaient ceux prêts à assumer une telle promesse. Bref, personne ne voulut s’engager.
Quand il arriva au 770 Eastern Parkway, la synagogue Loubavitch, c’était déjà la sortie du Chabbat. Il voulut entrer directement dans le bureau du Rabbi mais on lui expliqua qu’il devait d’abord passer par son secrétaire. L’homme s’approcha de Rav Hodakov, lui expliqua pourquoi il était très urgent qu’il parle au Rabbi et le secrétaire expliqua qu’après la Havdala, il en parlerait au Rabbi. Mais quand il ressortit du bureau, il transmit que le Rabbi avait demandé qu’il revienne le lendemain. L’homme protesta et s’indigna : d’ici le lendemain, tout serait peut-être déjà terminé, D.ieu nous en préserve !
Impassible, Rav Hodakov répliqua :
- Soit vous avez confiance dans la bénédiction du Rabbi et, s’il vous demande de revenir demain, vous pouvez vous appuyer sur lui. Et si vous n’avez pas confiance en lui, que faites-vous ici ?
Le lendemain, il parla avec les médecins à l’hôpital et ceux-ci lui dirent qu’il se passait quelque chose de très spécial : habituellement, dans ce genre de maladie, il n’y a pas de « situation stable ». Soit la maladie empire, soit elle régresse. Or, la situation de sa fille n’avait pas évolué depuis douze heures. Après un calcul rapide, il réalisa que cela correspondait exactement avec l’heure où il était arrivé au 770 et qu’il se passait donc quelque chose…
Il retourna au 770 et entra dans le bureau du Rabbi qui lui apprit que dans le Ciel, on l’attendait et que tout dépendait de lui : s’il voulait que sa fille guérisse, il devait prendre sur lui trois Mitsvot : respecter Chabbat, mettre les Téfilines et respecter la cacherout. Il balbutia que cela lui était impossible mais qu’il était prêt à donner une forte somme d’argent à la place de cela.
Le Rabbi rétorqua :
- Cela ne dépend pas de moi. Je vous explique simplement la situation telle qu’elle se présente.
Finalement, l’homme accepta mais signala qu’il ne savait plus comment mettre les Téfilines. Le Rabbi le rassura : les jeunes gens présents sur place l’aideraient pour cela.
Effectivement, l’homme revint chaque jour et Rav Berel Junik lui mettait les Téfilines jusqu’à ce qu’il apprenne à les mettre tout seul.
Pendant ce temps, le Rabbi avait intimé l’ordre à toutes les institutions Loubavitch de ne pas accepter même un dollar de cet homme : il ne voulait pas que l’homme puisse penser que la guérison de sa fille était due à son argent mais qu’il sache que tout dépendait de son observance de ces trois conditions.
Cette histoire se déroula en hiver 1951. Le Chabbat Vayigach, l’homme offrit le Kiddouch au 770 pour fêter la guérison de sa fille qui était sortie de l’hôpital. Même le Rabbi assista en partie au Kiddouch. L’homme s’appelait Yehouda Leib et je me souviens que le Rabbi s’était tourné vers lui et avait cité les premiers mots de la Paracha : « Et Yehouda s’approcha de lui… »
Rav Yoel Kahn (zal) - (Kfar Chabad N° 1918)
Traduit par Feiga Lubecki