Un choix ouvert
Le temps est une donnée par nature mystérieuse. Hors de portée des hommes, s’imposant à eux comme le cadre incontournable de leur vie, il modèle, d’une certaine façon, leurs perception voire leur manière de vivre. C’est ainsi que cette semaine réunit deux dates, l’une au début et l’autre à la fin, qui paraissent, en première analyse, bien éloignées tant dans l’histoire que dans le contenu. De fait, dès son ouverture, c’est le 5 Tévet qui resplendit, le jour de la «victoire des livres». Cette date si chargée d’enthousiasme et de grandeur marque le retour de livres saints et précieux à leur endroit légitime, la bibliothèque du mouvement ‘Habad à New York, d’où certains avaient cru pouvoir les détourner. C’est là une véritable victoire de l’esprit car ces livres sont un trésor pour tous et, dans cette bibliothèque de référence, ils restent à la disposition des siècles. Quant au 10 Tévèt, un jeûne au sixième jour de la semaine, il fait monter les échos d’une tragédie annoncée ; c’est le début du siège de Jérusalem par les armées de Nabuchodonosor, venues de Babylone.
Tant de siècles séparent ces événements et ils résonnent de façons si différentes… Pourtant, leur proximité dans le calendrier nous interpelle, pourrait-il en être autrement ? Et si le 5 Tévèt était porteur d’un message d’une brûlante actualité ? Et s’il nous disait d’abord que les livres sont précieux car ce sont des textes vivants qui donnent au lecteur accès à la Sagesse transmise depuis le Sinaï ? Ils nous rappellent ainsi que personne n’en est le propriétaire mais qu’il revient à chacun d’en être le dépositaire par l’étude joyeuse et la réflexion active. Et si le 10 Tévet, au-delà des images de siège, nous parlait d’abord de nous-mêmes ? Les commentateurs relèvent que le mot utilisé, en hébreu, pour dire «mettre le siège» doit se traduire, plus littéralement, par « s’approcher » ou encore par «soutenir». Ce dernier terme est chargé d’implications ; il signifie que l’envahisseur aurait pu être celui qui venait «soutenir» Jérusalem et ce qu’elle représentait. S’il eut une démarche hostile, c’est également parce que les hommes du temps ne surent pas être à la dimension de la mission qui leur avait été confiée.
Des livres et l’étude – une victoire – un siège qui aurait pu être un soutien : aujourd’hui, c’est à nous de faire le bon choix.
H.Nisenbaum
La compréhension et la foi
Au temps de Machia’h, on saisira intellectuellement, par la compréhension, des choses qui sont aujourd’hui du domaine de la foi.
La foi s’attachera alors à des choses bien plus élevées dont aujourd’hui nous n’avons pas la moindre perception, même au travers de la foi.
D’après un commentaire du Rabbi – Chabbat Parachat Chemot 5723
Vaye’hi
la beauté des filles d’Acher
Avant de quitter ce monde, Moché bénit chacune des douze tribus. Il dota la tribu d’Acher de cette magnifique bénédiction : «Qu’Acher soit béni parmi les fils ; il sera bienvenu auprès de ses frères et trempera son pied dans l’huile…» (Devarim 33 : 24).
Cependant, il est intéressant de relever que dans le recensement entrepris par Moché, la tribu d’Acher ne s’avère pas être plus nombreuse que les autres tribus. Et dans les générations qui suivent, la population d’Acher n’augmente pas de façon disproportionnée, par rapport au reste de la nation.
Rachi, le grand commentateur biblique, propose, sur ce verset, un commentaire intéressant : «J’ai vu dans le Sifré (un Midrach) la chose suivante : ‘Parmi les tribus, vous n’en trouverez pas une seule bénie parmi les fils comme Acher’ mais je ne sais pas dans quel domaine.»
Puisque cette tribu n’était pas particulièrement peuplée, le Midrach estime que cette bénédiction concerne la qualité des enfants d’Acher plutôt que leur nombre. Rachi s’interroge alors sur cette qualité qui les rend si exceptionnels et s’exclame : «je ne sais pas dans quel domaine.»
Quant à la seconde partie de la bénédiction d’Acher : «il sera bienvenu auprès de ses frères et trempera son pied dans l’huile», Rachi propose de nombreuses d’explications et souligne également le lien entre cette juxtaposition : être bienvenu auprès de ses frères et tremper son pied dans l’huile : «parce que les femmes qui descendaient d’Acher étaient belles (et on les recherchait pour les épouser)… Ses filles épousèrent les Grands Prêtres, oints avec de l’huile d’olive.»
Cela fait écho à une association entre la tribu d’Acher et la Grande Prêtrise, qu’avait faite Yaakov, plus de deux cents ans auparavant et qu’on peut lire dans notre Paracha. Avant de quitter ce monde, Yaakov bénit également chacun de ses douze fils, individuellement, leur donnant des messages prophétiques sur le futur de leur tribu. A Acher, il dit : «D’Acher viendront des aliments riches et il fournira des mets royaux délicats.» Le Midrach découvre un autre sens derrière ce verset. Le mot hébreu utilisé ici pour «riches» est chménah. Les mêmes quatre lettres hébraïques sont aussi celles qui épellent le mot chmonéh, «huit». Acher élèvera des enfants qui porteront les huit habits, dit le Midrach, c’est-à-dire les huit habits portés par le Cohen Gadol (Grand Prêtre).
Bien que les Cohanim (Prêtres) soient issus de la tribu de Lévi, puisque les filles d’Acher épousèrent des Cohanim, les petits-enfants d’Acher étaient aptes à la fonction de Grand Prêtre et l’occupèrent.
Les filles d’Acher étaient apparemment si belles que les jeunes gens, originaires de toutes les tribus, voulaient les épouser. Et des hommes de la plus haute stature, les Grands Prêtres, recherchaient leur épouse parmi elles.
Cela semble étrange. Pourquoi un homme si saint aurait-il recherché une épouse dans une tribu avoisinante pour la seule raison qu’elle était belle ? S’il était saint, saint au point d’être Cohen Gadol, pourquoi aurait-il recherché la beauté ?
Il existe une beauté superficielle et une beauté qui reflète la maturité spirituelle et la dignité personnelle. Quand la Torah loue la beauté d’une femme juive, elle évoque presque toujours sa noblesse et sa pudeur. «Toute la gloire de la fille du roi est son intériorité», déclare le roi David à propos de la modestie des jeunes filles d’Israël. Sa conduite discrète la glorifie, lui donnant une sorte d’aura.
Il semble donc que les filles d’Acher étaient connues pour leur charme et leur raffinement, qualités que recherchait la famille des Prêtres. Ces femmes comprendraient mieux et encourageraient le travail de leur mari puisqu’elles reflétaient la nature profonde de ses responsabilités.
La mission du Cohen Gadol atteignait son apogée à Yom Kippour lorsqu’il pénétrait dans le lieu le plus spirituel du Temple, le Kodech HaKodachim, le Saint des Saints. C’est là qu’étaient déposées les Tables de la Loi originelles, que D.ieu avait données à Moché au Mont Sinaï. Les Dix Commandements (leur âme) étaient gravés dans la pierre (leur corps), ce qui assurait que jamais Ses mots ne seraient effacés des Tables. Le Cohen Gadol, lorsqu’il émergeait du Kodech HaKodachim, transmettait au Peuple le message des Tables : l’engagement à D.ieu peut être si authentique et si inconditionnel qu’il se grave dans votre être même ; le corps et l’esprit s’unissent sans heurt, le corps servant de véhicule parfait pour l’âme qui le vivifie.
Il recherchait une épouse qui comprendrait la nature de sa mission et il la trouvait parmi les filles d’Acher. Leur discrétion exquise prouvait un engagement intérieur à l’esprit sur la matière, et un immense respect pour un corps abritant l’âme. Elles témoignaient inconsciemment de leur engagement sincère, par leur apparence physique, car la beauté de l’âme resplendit naturellement dans un corps qui la reflète parfaitement. Elles étaient une représentation vivante des Tables de la Loi et c’est pourquoi les Cohanim voyaient en elles de parfaites partenaires.
Les filles d’Acher étaient également des mères remarquables. Grâce à leur discrétion et leur intégrité, elles transmettaient à leurs enfants un sens fort d’engagement : le message silencieux de celui qui valorise davantage les valeurs de D.ieu que celles de la société et la beauté de maintenir les limites appropriées. Ces enfants étaient sains, émotionnellement et spirituellement, chacun d’entre eux prêt à assumer la fonction de Cohen Gadol.
Ces qualités sont celles dont nous devons nous inspirer pour transmettre à nos enfants une éducation cohérente, saine et sainte et qui préparera nos enfants à accueillir le Machia’h.
Pourquoi lit-on le Chema avant de se coucher ?
Les Sages ont déclaré (Talmud – Bra’hot 4 : b) : « Bien qu’il ait déjà récité le Chema Israël à la synagogue durant l’office du soir, un Juif a la Mitsva de le réciter encore une fois avant de se coucher comme il est écrit (Tehilim – Psaumes 4 : 5) : « Craignez (D.ieu) et ne pêchez point, dites dans votre cœur (Rachi explique : il s’agit de ce qui est écrit (dans le Chema) : « Ces paroles seront sur votre cœur »), sur vos couches (comme il est écrit : « et quand tu te coucheras ») et taisez-vous » (en dormant après avoir récité le Chema Israël).
D’après ce passage, il apparait que cette récitation du Chema avant de dormir représente essentiellement une protection contre les mauvais esprits, physiques et spirituels, qui peuvent survenir durant le sommeil et la nuit. Les Sages ont aussi institué de réciter la bénédiction Hamapil (« Qui fait tomber les liens du sommeil sur mes yeux… ») en guise de louange et de demande de protection durant le sommeil. Certains ajoutent versets et prières évoquant eux aussi ce thème mais ceux-ci diffèrent selon les communautés.
On récite le Chema avec une intense concentration, surtout les deux premières lignes car on accepte sur soi la royauté divine. Après la bénédiction Hamapil, on ne mange plus, on ne boit plus et on ne parle plus.
Les Kabbalistes ont ajouté à cette prière le texte du Vidouï (la confession des fautes). En effet, nous terminons la journée et nous rendons notre âme à D.ieu qui nous l’avait laissée en gage pour ainsi dire durant la journée : il convient de la Lui rendre pure et dégagée de tout manquement. On procède donc à une introspection sincère et on prend de bonnes résolutions : ainsi on se prépare pour les tâches à effectuer le lendemain comme il est écrit (Tehilim – Psaumes 30 : 6) : « Le soir, il se couche en pleurant mais au matin, la joie règne ».
Les ‘Hassidim font remarquer : pour terminer la journée correctement, il faut que l’action, la parole et la pensée soient imprégnées de sainteté. L’action, c’est le fait de préparer au pied du lit une bassine avec un récipient d’eau pour se laver les mains dès le réveil ; la parole, c’est la récitation du Chema ; la pensée, c’est le fait de réfléchir à des paroles de Torah jusqu’à ce qu’on s’endorme. Par contre, au matin, l’ordre est inversé : la première pensée doit être : « Je place D.ieu devant moi constamment ». La première parole doit être : « Modé Ani… » et la première action sera de se laver les mains rituellement avec l’eau préparée au pied du lit.
F.L. (d’après Rav Yossef Ginsburgh – Sichat Hachavoua N° 1401)
Ah, les beignets !
Il y a dix ans, Rav Binyamin Scheiman, émissaire du Rabbi dans la ville de ‘Des Plaines’, dans le sud de l’Illinois, se rendit peu avant ‘Hanouccah dans la prison de haute sécurité de Chester.
Avant chaque fête juive, il visitait toutes les prisons de la région pour apporter aux prisonniers des journaux et fascicules d’explications : pour les détenus, c’était une bouffée d’air pur, d’air saint qu’ils attendaient à chaque fois avec impatience.
«Cette fois, je suis arrivé avec les guides de ‘Hanouccah, joliment décorés et remplis d’explications, de rappels historiques et de schémas permettant de comprendre comment allumer les bougies et comment célébrer la fête dans la joie. J’ai d’abord contacté l’aumônier de la prison, Mike Green, pour lui demander la permission de distribuer les fascicules. Mike a 43 ans et c’est un prêtre protestant. Mais il entretient des relations cordiales avec les détenus juifs. Un jour, il avait même écrit dans le journal de sa paroisse que, puisque D.ieu avait promis à Abraham dans la Genèse : «Je bénirai ceux qui te bénissent», il en résultait que ceux qui bénissaient les descendants d’Abraham seraient bénis : il convenait donc de bénir les Juifs.
Mike conservait même dans son bureau des Téfiline, au cas où l’un des prisonniers désirerait les mettre.
Je lui ai montré les fascicules avec l’histoire de ‘Hanouccah, les lois et coutumes de la fête, le guide précis de l’allumage. La dernière page était consacrée à la recette des beignets : à la confiture, au chocolat, au fromage… et aux pommes de terre, les fameux latkes frits à l’huile. Le prêtre regarda avec attention chaque page, surtout celle des recettes : cela ne m’étonna pas outre mesure car, à en juger par son gabarit impressionnant, il était évident que Mike s’y connaissait en gastronomie…
En me rendant le fascicule, il remarqua, comme s’il se parlait à lui-même : «Ils ressemblent tout à fait à ceux de ma grand-mère !».
Cette phrase éveilla bien sûr ma curiosité et je lui demandai – plus ou moins innocemment : «Votre grand-mère était-elle aussi une dévote protestante ?».
Il me répondit avec simplicité que sa grand-mère avait été juive mais elle et son mari (qui, lui, était un fervent protestant) avaient préféré cacher son identité juive ; ils étaient morts quand Mike était encore un enfant mais il se souvenait avoir visité avec elle des cimetières juifs et surtout il se souvenait de l’odeur des latkes qu’elle préparait à l’occasion de ‘Hanouccah. Il ajouta avec un certain humour : «J’ai toujours aimé raconter que j’étais un quart juif puisqu’à part ma grand-mère, mes trois autres grands-parents étaient d’origine irlandaise !»
En l’écoutant attentivement, j’ai réalisé que, de fait, l’aumônier que je connaissais si bien et avec qui j’entretenais d’excellentes relations, était juif. J’avalai ma salive et choisis avec soin mes mots pour lui faire réaliser qu’il était pleinement juif puisque la mère de sa mère était née juive et l’était restée - quels qu’aient été ses choix dans la vie. De plus, elle avait transmis cette identité juive à sa fille et aux enfants de celle-ci. Mike n’était donc pas un quart juif mais juif à part entière : en effet, il est bien connu que le judaïsme se transmet par la mère.
Effectivement, comme je m’y attendais, le prêtre resta bouche bée.
Mais je ne perdis pas de temps et lui proposai donc de mettre immédiatement les Téfiline. Il accepta volontiers et je nouai les lanières autour de son bras gauche et de sa tête en lui faisant répéter la bénédiction et le Chema Israël. Très ému de devenir ainsi Bar Mitsva, Mike s’inquiétait déjà de la contradiction criante entre son travail et sa nouvelle-vieille identité religieuse retrouvée.
Quant à moi, je décidai de m’assurer de la véracité de ses dires. Mike m’avait donné l’adresse d’une de ses tantes qui vivait dans la ville de Peoria, à l’autre bout de l’Illinois : je contactai le Chalia’h (émissaire du Rabbi) dans cette ville, le Rav Eli Langsam qui se rendit avec Mike chez cette tante. La vieille dame affirma qu’elle se souvenait très bien de la Brit Mila de Mike qui avait reçu à cette occasion les prénoms Mordé’haï Haïm ! Elle se hâta cependant de prévenir Mike de ne pas causer de choc à son père qui, certainement, se mettrait en colère. Mike répondit qu’il était maintenant un adulte et saurait comment révéler à ses parents qu’il se rapprochait du judaïsme.
Petit à petit, il observa de plus en plus de commandements de la Torah et les réactions dans sa famille étaient pour le moins contrastées. Ses anciens «collègues» ainsi que les prisonniers dont il avait l’habitude de s’occuper ne l’aidèrent évidemment pas à progresser dans sa nouvelle voie. Celle-ci était loin d’être évidente puisqu’il devait d’une part, apprendre de nouveaux concepts avec une nouvelle façon de vivre et, d’autre part, se débarrasser de ses croyances précédentes.
Et sa femme ? Quand elle apprit que son mari était, de fait, juif, elle déclara qu’elle comprenait maintenant pourquoi il adressait souvent des dons à d’importantes organisations juives.
Mike ne se contenta pas de retrouver le judaïsme mais il demanda à son supérieur hiérarchique la permission de continuer son travail mais, cette fois, en tant qu’aumônier juif ! Cela lui fut accordé après de multiples tractations.
Et tout ceci, grâce aux latkes d’une grand-mère !» conclut Rav Scheiman avec un grand sourire.
Nechemia Kaplun – Toratera Chaachouaye N° 626
Traduit par Feiga Lubecki