Choses qui ne sont pas du passé
Il y a bien longtemps, Nabuchodonosor, l’envahisseur venu de Babylone, se dirigea vers la Terre d’Israël. Conquérant pays après pays, soumettant peuple après peuple, il s’avança vers Jérusalem. Ce fut un 10 du mois de Tévèt qu’il établit le siège de la ville et on sait le dénouement tragique qui mit alors fin au royaume d’Israël. Nous le commémorons d’année en année le 17 Tamouz et le 9 Av. Le 10 Tévèt tombe cette semaine et, toute dramatique que soit l’histoire qu’il nous raconte, il est facile d’y voir un événement passé. Après tout, ne s’agit-il pas là d’une bien antique affaire ? Babylone n’existe plus que sous forme de ruines rêveuses. Quant au premier royaume d’Israël, l’histoire a bien avancé depuis lors et, peut-être, les enjeux sont-ils bien différents aujourd’hui.
Comment faut-il donc traiter l’événement et surtout cette sensation d’actualité que lui confère sa ritualisation ? C’est qu’il est possible d’y voir un fait d’une profonde ambivalence. Le mot hébreu pour «faire le siège» s’apparente aussi, étymologiquement, au terme qui se traduit par « s’approcher, soutenir ». Ainsi une même action accomplie par Nabuchodonosor et ses troupes peut être interprétée de manière négative – le début du siège de Jérusalem – ou positive – le soutien à Jérusalem. Est-ce seulement possible ? C’est précisément là que tient, plus qu’un enseignement, une manière de considérer le monde. Le destin d’un peuple, le sort de l’homme ne sont pas dirigés par une force aveugle, par une sorte de puissante mécanique qui écraserait les faibles et grandirait les forts jusqu’à ce que ceux-ci, à leur tour, perdent leur superbe et finissent dans les oubliettes de l’Histoire. L’avenir est fait de ce que chacun tisse, jour après jour, par ses actions quotidiennes.
A propos de l’invasion babylonienne, les commentateurs déduisent de l’ambivalence du mot cité que, si les Juifs étaient alors revenus à D.ieu de tout leur cœur, la menace serait devenue soutien. Si elle est restée menace, c’est donc par une certaine défaillance des hommes qui auraient pu, par l’esprit et par l’âme, s’y opposer. Parfois, en notre temps, des menaces paraissent encore peser sur notre peuple et, plus largement, sur tout ce qui est cher au cœur du monde civilisé. De nouvelles barbaries se mettent en marche et leurs pas résonnent bien lourdement aux oreilles de tous ceux qui ont une plus longue mémoire. Pourtant, cela dépend d’abord de chacun. C’est de nos actes de chaque jour que peut naître la lumière et c’est avec eux qu’il est possible de façonner un monde nouveau, où il fera bon vivre. Un monde nouveau ? Celui sur lequel le soleil se lève dès à présent si nous le voulons : le monde de Machia’h.
La Délivrance est la vraie vie !
Lorsque Jacob, sur l’ordre de D.ieu, descendit s’installer en Egypte avec sa famille, il se présenta devant le Pharaon. Celui-ci l’interrogea : «Quel âge as-tu ?» Et Jacob lui répondit : «130 ans ; les années de ma vie ont été peu nombreuses et mauvaises…» (Gen. 47 : 8-9).
A l’évidence, une question se pose : comment peut-on dire que 130 ans constituent un petit nombre d’années alors même que, depuis le déluge, la durée de vie d’un homme est, au maximum, de 120 ans ? C’est que Jacob, troisième de nos Patriarches, est profondément, essentiellement lié au troisième Temple, celui qui apparaîtra avec la venue de Machia’h. C’est pourquoi, durant toute son existence, il n’aspira qu’à cette sérénité éternelle que seule apportera la Délivrance. Aussi, alors qu’elle n’était pas encore concrètement arrivée, Jacob ne pouvait percevoir sa vie que comme incomplète, faite qualitativement d’années «peu nombreuses et mauvaises».
(D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch –
Chabbat Parachat Mikèts 5752)
Vaye’hi
La Paracha de cette semaine commence ainsi : «Et Yaacov vécut en terre d’Egypte». Le Baal Hatourim, célèbre commentateur de la Torah, explique que Yaacov passa ses meilleures années en terre d’Egypte.
Une explication est ici nécessaire. Tout au long de sa vie, Yaacov dut faire face à des problèmes et à des difficultés. En Egypte, il put enfin vivre dans la richesse et la prospérité et passer les dernières années de sa vie à partager son savoir avec ses fils. Ce furent donc bien ses meilleures années.
Cependant, l’on pourrait se demander pourquoi les meilleures années de sa vie durent-elles se passer en Egypte ? L’Egypte était un pays dépravé, un lieu d’obscurité spirituelle. Pourquoi Yaacov ne put-il plutôt s’accomplir en Erets Israël, notre Terre Sainte ? Pourquoi D.ieu choisit-Il ce déroulement particulier des événements ?
Les commentateurs affirment que cela renvoie à un thème évoqué dans le Zohar. A propos du verset : «Je vois un avantage de la lumière sur l’obscurité», le Zohar explique que c’est par l’obscurité qu’il est possible de parvenir à une meilleure qualité de lumière.
L’existence de chaque entité du monde est maintenue par une force vitale Divine. Ces objets qui paraissent vides de spiritualité possèdent des étincelles divines. En fait, dans une certaine perspective, l’énergie divine qu’ils contiennent est plus grande encore que celle qui se manifeste dans des situations où la sainteté se révèle ouvertement.
Comment la Divinité de ces entités peut-elle être rendue manifeste ? En s’inspirant de l’exemple de Yaacov. Yaacov ne vit aucune différence entre la vie en Egypte et la vie en Erets Israël. Il est évident que ce qui apparaissait extérieurement était différent. En Israël, il vivait en sécurité et ne devait pas combattre des ennemis pervers. Dans l’un de ces lieux, la terre était sainte et dans l’autre, corrompue. Mais intrinsèquement, il ne voyait aucun changement. Dans les deux endroits, sa vie se caractérisait par un engagement immuable et incessant dans la Torah. Même en Egypte, c’était là le centre de son existence. Malgré la décadence de la société égyptienne, lui et ses descendants restèrent concentrés sur la spiritualité.
C’est par ces efforts qu’il put libérer le potentiel spirituel présent en Egypte, permettant à une lumière d’une qualité bien meilleure de faire surface. Et en agissant ainsi, il généra le potentiel de la sortie d’Egypte, lorsque ses descendants se mettraient en route, quittant l’exil pour la rédemption.
Dans Vaye’hi, il nous est également relaté que Yaacov bénit les fils de Yossef, Ephraïm et Ménaché, en ces termes : «Par vous, Israël sera béni, ce qui veut dire ‘que D.ieu fasse de vous (des hommes) comme Ephraïm et Ménaché’». C’est là la bénédiction que chaque père donne à ses fils le vendredi soir, la veille de Yom Kippour et lors d’autres occasions.
Cela implique donc qu’Ephraïm et Ménaché sont des prototypes. Ils représentent tous deux les enfants juifs nés en exil, loin de la Terre Sainte. Mais chacun souligne un aspect différent.
Le nom «Ménaché» lui fut donné parce que «D.ieu m’a fait oublié… la maison de mon père». Cela signifie que un «Juif Ménaché» est préoccupé par le fait de perdre son lien avec la maisonnée de son père. Il réalise qu’il vit en Egypte, en exil, et n’a pas la conscience de l’immanence de D.ieu que possède celui qui vit en Terre Sainte. Cela le préoccupe. Il craint l’oubli et son nom lui permet de se souvenir. Bien qu’il vive en exil, il regarde en arrière, quand ses ancêtres vivaient en Israël. Cela lui permet donc de rester connecté à son héritage juif.
Ephraïm reçut ce nom parce que «D.ieu m’a fait fructifié dans la terre de mon oppression». Ephraïm ne regarde pas en arrière. Il prend l’exil, «la terre de mon oppression» et la fait fructifier, la transforme en moyen d’exprimer l’intention de D.ieu. Il est sûr que vivre en exil est différent de vivre en Erets Israël. Mais il y a également un but divin à cette situation. Quand une personne est en exil, elle n’a pas besoin de déployer tous ses efforts pour essayer de se rappeler Erets Israël. Mais elle doit faire ce qu’elle peut pour disséminer la Divinité dans son environnement et démontrer qu’il n’existe aucun lieu et aucune situation en dehors de Lui.
C’est pour cette raison qu’Ephraïm reçut la plus grande bénédiction. Car la voie du Service Divin connotée par son nom est plus exhaustive et nous permet d’apprécier combien Sa présence imprègne chaque aspect de l’existence.
La Paracha raconte qu’avant de quitter ce monde, Yaacov dit à ses fils : «Rassemblez-vous et je vous dirai ce qui vous arrivera à la fin des jours». Nos Sages rapportent que Yaacov désirait ainsi annoncer à ses enfants quand viendrait le Machia’h. Cependant, D.ieu ne désirait pas qu’il révèle cette information et Il lui retira alors le don de prophétie. Quand il en prit conscience, Yaacov évoqua alors d’autres sujets avec ses fils.
Ce récit nous apporte plusieurs enseignements dont le plus évident est que D.ieu ne veut pas que l’on connaisse le moment de la venue du Machia’h. Certains expliquent que la raison en est que cela risque de nous conduire à désespérer. Si les gens savent qu’ils doivent attendre pour la venue du Machia’h, ils risquent de perdre espoir.
D’autres expliquent qu’ils peuvent être tentés de se laisser aller. S’ils savent que le Machia’h ne viendra pas jusqu’à un moment précis, ils risquent d’être moins enclins à s’investir dans leur Service Divin.
Maïmonide dit : «J’attends sa venue (celle du Machia’h) chaque jour», ce qui signifie que chaque jour, n’importe quel jour, le Machia’h peut venir et c’est véritablement ce à quoi nous nous attendons.
Aucune date n’est précisée pour la venue du Machia’h. Cependant, il existe un état du monde propice. Quand le monde atteindra cette conscience et ce niveau de conduite, le Machia’h viendra, à coup sûr.
C’est la raison pour laquelle il n’y a aucune raison de désespérer. Tout est entre nos mains. Si nous faisons des efforts, la venue du Machia’h peut devenir une réalité. Et il n’y a donc aucune raison de nous laisser aller. Il nous faut, au contraire, nous investir pour que le monde soit prêt et que le Machia’h arrive sans retard.
Le récit biblique nous donne également une perspective concernant les étapes préparatoires. Yaacov dit à ses fils : «Rassemblez-vous». L’unité est l’une des caractéristiques fondamentales qu’introduira le Machia’h. En anticipant cette unicité et en l’intégrant dès à présent à notre vie, nous avons la possibilité de précipiter la diffusion de cette idée de par le monde et d’accélérer la venue réelle de Machia’h.
Quelques conseils pour les couples qui n’ont pas d’enfants
Voici plusieurs conseils donnés par le Rabbi à des couples qui n’avaient pas encore d’enfants :
- Consulter des médecins tout en se renforçant dans la pratique des Mitsvot et en restant confiant dans la bénédiction du Tout Puissant qui s’occupe de chacun.
- Demander pardon à des personnes qu’on aurait pu blesser involontairement dans la période des Chidou’him (rencontres en vue du mariage).
- Vérifier les Téfilines et les Mezouzot.
- Donner des pièces à la Tsedaka (charité) avant d’allumer les bougies de Chabbat et des fêtes.
- Recevoir des invités avec joie et empressement et montrer ainsi qu’on souhaite voir la maison pleine de vie.
- Se renforcer dans l’amour du prochain et le don à la Tsedaka, en particulier avant la prière du matin ; si possible donner la Tsedaka pour des enfants pauvres qui n’ont pas de quoi manger à leur faim ou pour des institutions scolaires qui les accueillent.
- Etudier régulièrement et chaque jour la Torah et, en particulier, ‘HiTaT c’est-à-dire le ‘Houmach, les Tehilim et le Tanya.
- Se renforcer dans l’étude et l’application des lois de la Pureté Familiale dans tous leurs détails et participer à la construction et l’entretien de Mikvaot (bains rituels).
d’après Rav Yossef Hartman – (Kétsad Ne’haneh eth Yaldénou)
Une dernière chance…
Le lendemain de Yom Kippour, en 1982, le professeur Michaël Benarroch se trouvait à Toronto où il avait officié pour une des synagogues séfarades. Le lendemain, il se hâta de faire sa prière puis se rendit à la gare routière, afin de passer les fêtes de Souccot à New York, auprès du Rabbi de Loubavitch.
Son hôte lui avait réservé un billet dans un autocar touristique très confortable où ce long voyage se passerait de la façon la plus agréable possible. Ce car devait partir à 8 heures du matin mais, à cause de la circulation, le professeur et son hôte arrivèrent avec dix minutes de retard.
M. Benarroch prit congé de son hôte et se dirigea vers le comptoir, espérant vaguement que le car ne serait pas encore parti mais ce n’était pas le cas. Cependant, l’employée le consola en lui annonçant qu’il pourrait prendre un car jusqu’à Buffalo et, de là, prendre un petit avion pour New York. Ceci représentait un double avantage : le voyage serait plus court et même moins cher !
En attendant, M. Benarroch profita de ce temps «perdu» pour mettre les Téfilines de Rabbénou Tam qu’il n’avait pas eu le temps de mettre le matin. Il sortit le sac en velours de sa mallette et commença à enrouler les lanières autour de son bras.
Sur un banc en face de lui était assis un couple âgé. L’homme ne cessait de le regarder.
D’autres passagers entraient et sortaient. Un homme coiffé d’une Kippa regarda lui aussi M. Benarroch et lui reprocha tout de go de ne pas se cacher dans un coin discret, en lui reprochant d’activer ainsi l’antisémitisme. Mais un Israélien, de plus ‘Hassid ‘Habad, ne se laisse pas convaincre aussi facilement et Michaël continua sa prière avec les Téfilines au bras et sur la tête. Quand il termina – sans que personne ne l’ait dérangé et sans que cela semble affecter qui que ce soit – il enleva les Téfilines, les embrassa selon la coutume et les remit dans leur pochette en velours.
C’est alors que le vieil homme en face lui fit signe de s’approcher : Michaël alla à sa rencontre, pencha la tête vers lui pour tenter de le comprendre mais l’homme ne parlait que yiddish ou espagnol, deux langues qu’il ne maîtrisait pas du tout !
Il eut soudain une idée et demanda à l’homme qui l’avait apostrophé auparavant s’il pouvait par hasard servir d’interprète ! Effectivement, cet homme parlait le yiddish, lui aussi. Il accepta bien volontiers de traduire les propos du vieil homme. Celui-ci était un survivant de la Shoah. Sa famille était pratiquante et il avait vécu heureux dans la chaude atmosphère du village juif traditionnel. Mais à Auschwitz, il avait perdu toute sa famille et était resté le seul rescapé.
Amer et abandonné de tous, il avait perdu la foi : furieux contre D.ieu, il ne voulait plus aucun lien avec le judaïsme. Il avait épousé une femme non-juive et s’était installé en Argentine, dans une ville perdue où ne vivait aucun Juif. Il avait ainsi passé des dizaines d’années puis le vieux couple s’était installé au Canada.
En voyant ce Juif mettre les Téfilines dans la gare routière, tout était revenu dans son esprit : il se souvenait de sa Bar Mitsva, des fêtes juives qu’on célébrait avec faste dans sa famille et, soudain, il éprouvait de la nostalgie pour les Téfilines, la prière, son Créateur… L’étincelle juive continuait de brûler dans un coin de son âme. Oui, il aurait tellement voulu qu’on l’aide à mettre les Téfilines !
Bien entendu, Michaël remercia l’interprète improvisé et, presqu’en tremblant, il mit les Téfilines autour du bras gauche de l’ancien déporté, sur le numéro tatoué par les Nazis à l’entrée du camp de la mort. Il demanda à l’homme de réciter le Chema Israël mais même cela, l’homme ne s’en souvenait pas : il avait instinctivement mis la main sur les yeux mais il fallut lui dicter chaque mot.
Quand Michaël enleva les Téfilines, l’homme rayonnait de joie tout en essuyant ses larmes : il remercia chaleureusement Michaël et lui tendit sa carte de visite avant qu’ils ne partent chacun de son côté.
Michaël arriva à New York et passa les fêtes de Souccot dans l’ambiance survoltée des ‘Hassidim, oubliant cet incident. Après la fête, alors qu’il préparait ses bagages, il retrouva tout à coup la carte de visite. Durant quelques minutes, il hésita puis décida finalement de téléphoner. Une fois qu’il eut composé le numéro, il se souvint qu’il n’avait pas de langue commune avec son interlocuteur mais il tenta sa chance.
Ce fut une femme qui lui répondit et il commença à tout hasard :
- Chalom !
A sa grande surprise, la femme répondit aussitôt en hébreu !
Michaël se présenta et la femme raconta qu’elle venait de la ville israélienne de Re’hovot ; elle était le seul membre de la famille de ce vieil homme. Elle raconta que, trois jours après Yom Kippour, la femme de son oncle lui avait téléphoné pour lui annoncer son décès. Avant de mourir, il lui avait demandé de lui promettre qu’elle contacterait sa nièce en Israël afin qu’elle le fasse enterrer selon la tradition juive, dans un cimetière juif. C’était pour cela que cette nièce se trouvait au Canada et achevait de mettre de l’ordre dans ses papiers.
Michaël était triste d’entendre cette nouvelle et raconta qu’il l’avait justement rencontré deux jours avant sa mort et lui avait mis les Téfilines dans la gare routière.
- C’est donc vous ! s’écria-t-elle. C’est donc vous qui lui avez causé une si grande émotion et une si grande joie ! Je dois vous raconter comment mon oncle a passé les deux derniers jours de sa vie – ainsi que me l’a raconté sa femme : le matin, il avait aperçu un Juif qui mettait les Téfilines et avait demandé à les mettre lui aussi. Pendant le voyage, il avait expliqué à sa femme que c’était le plus beau jour de sa vie. Pendant le repas, il n’avait accepté de manger que du pain et des légumes et avait refusé la viande. D’ailleurs avant de manger, il s’était lavé les mains et avait murmuré des prières.
Après manger, il était parti faire la sieste et avait auparavant demandé à sa femme qu’elle le fasse enterrer dans un cimetière juif.
Quand sa femme était venue le réveiller, elle découvrit qu’il avait rendu son âme – dans la pureté et la sérénité – à son Créateur.
Michaël Benarroch – Sichat Hachavoua N° 1458
Traduit par Feiga Lubecki