Samedi, 12 mars 2022

  • Vayikra
Editorial

 Avancer dans l’histoire

Bruits de guerre. Le monde, en particulier dans ces régions, s’est brusquement réveillé d’une sorte de long rêve. Tout ce qu’il croyait pouvoir oublier est tout à coup réapparu, démultiplié par la technique militaire et par l’écho médiatique : le choc des explosions, le grondement des chars d’assaut, les déclarations parallèles des belligérants… Comme tout cela a vite retrouvé son ancienne place... Et, au milieu des tragédies que, de loin, on ne peut qu’imaginer, chacun de retrouver des habitudes presque effacées : s’interroger sur la suite, s’inquiéter de ce qui se passera demain, se demander que faire et où échapper à la folie des hommes. Mais le passé contient de nombreuses leçons et c’est là aussi un des rôles qu’il remplit : nous apprendre à vivre au présent.

Revenons quelques années en arrière. 1990 : c’est la première guerre du golfe. Les puissances s’affrontent et, comme souvent, Israël est au cœur d’une région qui semble au bord de l’explosion. Déjà, nul ne sait de quoi le lendemain sera fait. Alors, le Rabbi intervient, citant longuement un texte du célèbre et classique Midrach « Yalkout Chimoni », et celui-ci résonne comme s’il avait été écrit pour l’occasion : « Le roi de Perse et celui d’Aram se lancent un défi et les enfants d’Israël en sont effrayés… C’est alors que D.ieu dit à Israël : ‘Mes enfants, ne soyez pas soucieux, car tout ceci est uniquement pour vous !… Machia’h se tiendra sur le toit du Temple et, aux yeux de tous, il proclamera : ‘Le temps de votre Délivrance est arrivé !’ » Ainsi, au cœur d’événements dont on sait combien de dangers ils portaient et à quel point ils semblaient loin d’être maîtrisables, c’est comme un chemin de lumière qui nous était alors indiqué. Avec une fin annoncée pour Pourim, ce qui arriva effectivement.

Certes, le conflit d’aujourd’hui ne concerne pas les mêmes régions mais, comme pour le précédent, chacun est légitime à en être inquiet. Sachons-le : ce même chemin nous conduit à présent. Les bruits de bottes sont puissants mais plus encore notre conscience. Et celle-ci, rien ni personne ne peut la contraindre. Fidèle à nous-mêmes, confiants dans la parole de D.ieu transmise par la Torah et dans notre attachement à Lui, nous avançons sur les routes du monde avec la perception claire que leur aboutissement est à chaque instant plus proche et que l’écume de l’histoire ne bouleverse jamais durablement les courants de fond.

Etincelles de Machiah

 Tous prophètes !

Le Talmud de Jérusalem (traité Méguila 1 : 5) enseigne à propos des temps de Machia’h : « Tous les livres des prophètes disparaîtront sauf le Livre d’Esther ». Cela signifie que la Lumière Divine révélée par la prophétie sera si faible comparée à la Lumière intense de ce nouveau temps qu’elle paraîtra aussi insignifiante qu’un rayon de soleil devant l’astre qui en est la source.

Toutefois, cela ne signifie en aucune façon que la prophétie n’existera plus en Israël. Au contraire, D.ieu promet pour ces temps futurs : « Je déverserai Mon esprit sur toute chair et vos fils et vos filles prophétiseront ».

(d’après Chaarei Orah, p. 57)

Vivre avec la Paracha

 VAYIKRA

D.ieu appelle Moché depuis la Tente d’Assignation et lui enseigne les lois des Korbanot, offrandes animales et alimentaires apportées dans le Sanctuaire.

Elles incluent :

. « L’holocauste » (Ola), entièrement consacré à D.ieu, par un feu, en haut de l’autel.

. Cinq variétés d’« offrandes alimentaires » (Min’ha), préparées avec de la farine fine, de l’huile d’olive et des encens.

 « L’offrande de paix » (Chelamim) dont la viande est consommée par celui qui apporte l’offrande, une fois que certaines parties en ont été brûlées sur l’autel et d’autres données aux Cohanim (Prêtres).

 Les différents types de « sacrifices expiatoires » (‘Hatat), apportés pour expier les transgressions commises de façon accidentelle par le Grand-Prêtre, toute la communauté, le roi ou un Juif ordinaire.

 « L’offrande de culpabilité » (Acham) apportée par celui qui s’est approprié, de façon indue, d’un bien du Sanctuaire, qui a un doute d’avoir transgressé une interdiction divine ou qui a commis une « trahison contre D.ieu » par un faux serment pour escroquer un autre homme.

La Galout (l’exil)

Dans la prière de Moussaf, récitée lors des Fêtes, nous déclarons : « A cause de nos péchés nous fûmes exilés de notre terre et renvoyés de notre sol. Nous ne pouvons plus monter, apparaître et nous prosterner devant Toi, et accomplir nos obligations dans la Maison de Ton choix, dans l’extraordinaire et sainte Maison sur laquelle est appelé Ton nom. »

Les 613 commandements (Mitsvot) de la Torah sont un pont entre le fini et l’infini, les moyens grâce auxquels un être humain peut parvenir à une relation avec son Créateur et sa Source.

En revanche, aujourd’hui, nous ne sommes aptes à n’accomplir qu’un accomplissement limité des Mitsvot. Des centaines d’entre elles ne peuvent être observées que lorsque le Saint Temple réside à Jérusalem et que toute la communauté d’Israël est regroupée en Terre Sainte. En fait, la Torah va même jusqu’à en interdire l’observance dans les circonstances présentes.

Ainsi, notre état actuel de la Galout est-il bien plus qu’un déplacement géographique. Avant que nous soyons chassés de notre terre et que la Maison de D.ieu nous fût arrachée, tous les Juifs accomplissaient un pèlerinage au Saint Temple, trois fois par an, lors des fêtes de Pessa’h, Chavouot et Souccot, « pour voir et être vus par la Face de D.ieu (Chemot 34 :23-24), dans l’endroit que D.ieu avait choisi pour Se rendre entièrement accessible à nous. Là, nous observions les commandements associés au service du Temple, expérimentant et concrétisant les aspects de notre relation avec D.ieu qui s’incorporaient dans ces Mitsvot. Et chaque jour de l’année, les Cohanim (les Prêtres) accomplissaient le service du Temple et offraient les sacrifices communautaires au nom du peuple entier.

Mais depuis la destruction du Temple et notre exil de la Terre Sainte, ces voies de communication avec D.ieu nous sont fermées.

Cela ne signifie pas pour autant que ces Mitsvot ont été abolies ou ont « expiré ». Un principe fondamental de la foi juive affirme que « quelque chose, clairement spécifié par la Torah comme étant une Mitsva, dure à tout jamais et ne sera jamais changé, abrogé ni augmenté. » Les commandements gardent toute leur force ; c’est simplement que nous sommes empêchés de les accomplir à cause des circonstances de la Galout. En réalité, c’est précisément ici que s’incarne la frustration ultime de notre exil : le fait que ces voies de communication avec D.ieu existent mais que nous ne pouvons y accéder.

La poésie de la prière

Le Talmud édicte une règle de conduite intéressante concernant les relations entre les hôtes et leurs invités : « Tout ce que l’hôte ordonne, tu dois l’accomplir, sauf s’il te dit ‘pars’. » (Talmud, Pessa’him 86b)

Les enseignements ‘hassidiques appliquent ce principe à notre relation avec D.ieu. En tant qu’invités dans le monde de D.ieu, nous devons obéir à toutes Ses instructions, sauf quand Il nous dit : « Sortez ! » Quand D.ieu nous bannit de Sa présence, nous ne devons pas obéir mais persister dans nos efforts pour nous rapprocher de Lui.

C’est dire que quand bien même nous nous soumettons à Ses décrets, nous ne nous réconcilions pas avec le phénomène de la Galout. Quand D.ieu ordonne : « Fais ceci » ou « ne fais pas cela », nous obéissons mais cependant, nous refusons d’accepter la Galout en elle-même, nous refusons d’accepter cette obstruction dans notre relation avec D.ieu.

Et c’est de cette incessante lutte, de cette tension sans relâche entre notre acceptation des obstacles de la Galout et notre aspiration à nous en libérer que naissent nos accomplissements les plus créatifs dans notre relation avec le Divin.

Empêchés de pratiquer de nombreuses Mitsvot dans leur aspect matériel, nous dirigeons notre énergie et notre créativité vers leur essence spirituelle qui, elle, reste inaffectée par les circonstances de la Galout.

Citons un exemple : le sens profond des offrandes animales que nous apportons sur l’autel du Saint Temple est que cela sublimera « l’âme animale » qui se trouve en nous, raffinant nos penchants et nos désirs égocentristes. Aujourd’hui, nous parvenons à cet effet grâce à la prière : trois fois par jour, nous contemplons la Majesté de D.ieu, inspirant et réorientant notre égo naturel vers l’aspiration à des fins plus élevées, plus transcendantes que la satisfaction de nos instincts animaux. Selon les mots du prophète : « Nos lèvres accomplissent [ce qui a été accompli par] les bœufs (ndt : des sacrifices) ».

Cela va encore plus loin. Nous ne nous satisfaisons pas des versions exclusivement spirituelles de ces Mitsvot. Nous recherchons constamment les occasions de les faire grandir par des actes concrets qui évoquent et commémorent la manière dont elles étaient originellement et parfaitement exécutées. Ainsi, en commémoration de Sim’hat Beth Hashoéva (« les festivités qui accompagnaient le puisage de l’eau »), nous célébrons les festivités nocturnes de Souccot en dansant, en jouant de la musique, comme cela se passait dans le Temple, même si le cœur et l’essence de l’événement, le fait de puiser de l’eau d’une source pour en asperger l’autel, sont absents de nos célébrations.

En même temps, nous veillons à assurer que nos actions ne suggèrent en aucun cas que nous accomplissons réellement la Mitsva, ce qui serait une violation de la loi l’interdisant dans un environnement de Galout.

Repousser l’enveloppe extérieure

Chaque jour, nous prions et attendons le jour où notre vie sera libérée du joug de la Galout. Et pourtant, il y a quelque chose de très spécial dans nos combats quotidiens et les accomplissements extraordinaires qu’ils tirent de notre âme.

Desserrer les chaînes de la Galout tout en prenant soin de ne pas les dépasser, accepter la Volonté de D.ieu et s’y conformer, tout en appréciant que D.ieu désire que nous contestions Sa volonté quand elle nous dicte de ne pas chercher à nous rapprocher de Lui, ce sont toutes ces confrontations qui ont permis que voient le jour les accomplissements les plus novateurs dans l’art Divin de la vie.

Le Coin de la Halacha

 Que fait-on à Pourim (cette année mercredi soir 16 mars et jeudi 17 mars 2022) ?

Mercredi 16 mars, c’est le jeûne d’Esther qui débute à 5h 28 et s’achève à 19h 36 (en Ile-de-France). Dans l’après-midi, avant la prière de Min’ha, on donne le Ma’hatsit Hachékel, trois pièces de 50 centimes à la Tsedaka ; on ajoute le passage Anénou dans la Amida.

Mercredi soir 16 mars, on écoute attentivement la lecture de la Méguila. On n’est pas quitte avec une lecture entendue par téléphone, magnétophone, Internet ou à travers un poste de radio.

Jeudi 17 mars, dans la journée, on écoute encore une fois la lecture de la Méguila. Quand le ‘Hazane (lecteur) prononce les bénédictions, on pense à se rendre quitte également des autres Mitsvot du jour.

Michloa’h Manot : on distribue à au moins une personne deux mets comestibles cachères, si possible en passant par un intermédiaire.

Matanot Laévionim : on distribue à au moins deux pauvres une pièce (ou un billet ou plusieurs billets…).

Michté : on prend un bon repas, le festin de Pourim.

Les enfants se déguisent dans l’esprit de la fête. Les adultes mettent les vêtements de Chabbat pour écouter la Méguila.

On ajoute le passage « Véal Hanissim » dans la Amida et le Birkat Hamazone.

(d’après Cheva’h Hamoadim)

Le Recit de la Semaine

 Du pain pumpernickel

Le premier Pourim dont je me souviens commença dans la tristesse et se conclut dans la joie.

La guerre venait de s’achever en 1946. Ma famille avait pu revenir de Sibérie où nous avions dû passer la plupart des années de guerre et où ma mère était décédée. Nous habitions dans une seule chambre à Moscou et mon frère aîné voulait m’apprendre à jouer aux échecs : c’est-à-dire qu’il m’indiquait comment je devais bouger les figurines, ce qui ne m’intéressait nullement. Nous attendions notre père quand la porte s’ouvrit. Un soldat de haute taille entra en uniforme : c’était notre oncle Itche Mordche qui revenait du champ de bataille.

Sa femme, Rivka, était la sœur de ma mère : elle et son bébé avaient été tués par les Nazis. Et lui, le soldat parti à la guerre, avait survécu et venait chercher de leurs nouvelles.

Le soldat examina l’assiette sur la table : elle ne contenait que quelques miettes. Le garde-manger était vide et notre petit espace cachère privé - dans la cuisine que nous devions partager avec d’autres locataires non-juifs - aussi. Il n’y avait absolument rien à manger pour nous, trois enfants et mon père.

Le soldat quitta l’appartement puis revint dans l’après-midi. Il tenait la plus grande miche de pain pumpernickel que mes frères et moi aient jamais vue.

- Joyeux Pourim ! s’exclama-t-il en posant cérémonieusement le pain sur la table.

Il enleva sa vareuse verte, saisit le couteau et commenta :

- Michloa’h Manot, les portions de Pourim, joyeux Pourim !

Il trancha soigneusement le pain tandis que trois paires d’yeux suivaient tous ses mouvements en contemplant ce trésor.

(Le lendemain, après son départ, mes frères et moi-même discutèrent comment notre oncle avait pu se procurer ce pain. Il était sans doute descendu devant la boulangerie : une longue file de gens attendaient de pouvoir se procurer à manger - faire la queue pour les denrées de base était un sport national dans les pays communistes… Habitué à se frayer un chemin par la force, Itche Mordche avait sans doute donné un bon coup de coude à droite, un autre à gauche et un troisième devant tout en clamant : « Daetee, daetee, golodniyae daetee – des enfants, des enfants, des enfants affamés… ». Certainement, c’était ainsi qu’il avait pu couper la file d’attente si rapidement).

Après nous avoir donné à chacun une bonne tranche de pain, notre oncle alla se laver les mains dans la cuisine et prononça les bénédictions pour la nourriture : il remerciait D.ieu qui lui avait permis d’obtenir ce pain que D.ieu avait fait sortir de la terre en cette période de famine puis il s’assit à table avec nous. Tous les quatre, nous avons dégusté cérémonieusement ce délicieux festin de Pourim - en laissant de quoi manger plus tard à notre père à son retour du travail. Je n’ai plus jamais mangé un pain aussi sublime !

Puis mon oncle joua aux échecs avec mon frère, à mon grand soulagement…

Quand Papa rentra, tous deux se saluèrent avec effusion et nous avons mangé ce deuxième repas de Pourim. Papa murmura quelques mots à l’oreille de son beau-frère, tous deux soupirèrent lourdement : tous deux étaient veufs et avaient subi trop d’épreuves. Itche Mordche pleura et demanda la date qu’il devrait observer pour le Yorsaït de sa femme et de leur bébé.

Le lendemain, Itche Mordche quitta Moscou. Cette année, il réussit à quitter l’Union Soviétique, il arriva en Angleterre, se remaria, fonda une nouvelle famille. Je ne l’ai plus jamais revu.

Des années plus tard, arrivée aux États-Unis, j’ai moi aussi fondé une famille et, chaque Pourim, nous distribuons et recevons toutes sortes de friandises, nous dégustons un véritable repas de fête pour célébrer la victoire du peuple juif sur les forces du mal.

Je laisse mes pensées vagabonder et je revois mon oncle Itche Mordche relever ses manches, s’écrier : « Joyeux Pourim ! Que tous les Haman connaissent leur chute et puissions-nous tous ensemble fêter Pourim dans la joie et l’abondance ! ». Et dans mon esprit, je rêve d’une farandole d’enfants dansant autour d’Itche Mordche dans la joie la plus complète.

Myriam Paltiel Nevel - chabad.org

Traduite par Feiga Lubecki