Semaine 12

  • Vayikra
Editorial
Quelle liberté ?

Il a été souvent et abondamment dit que la construction la plus belle, à la fois la plus subtile, la plus nécessaire et la plus solide, réalisée par le peuple juif est son calendrier. Comment pourrait-il en être autrement ? S’il fallait le comparer à un instrument, sans doute est-ce le métier à tisser qui viendrait d’abord à l’esprit. Tant il est vrai que c’est du mode de production du tissu de la vie qu’il s’agit. Aussi, quand les jours passent, que le mois change, c’est un sens nouveau qui apparaît et qui modèle notre existence. « Vivre avec son temps » est alors plus qu’un impératif dicté par une certaine « sagesse populaire ». Cela devient une entreprise spirituelle précieuse, comme le départ attendu d’un voyage espéré. Cette semaine, c’est le mois de Nissan qui s’ouvre et nous entraîne.
Mois de Nissan, mois de libération : l’équation est connue. Elle paraît si naturelle : le mois de Nissan n’est-il pas celui de la sortie d’Egypte, du passage de l’obscurité à la lumière, de la servitude à la liberté ? Ces idées sont évidemment justes et il nous appartiendra de les revivre dans les semaines qui viennent. Cependant, il faut aujourd’hui se souvenir d’un point : le 1er Nissan, les Juifs, esclaves en Egypte, apprirent qu’ils devraient, dès le 10 du mois, préparer un agneau, qu’ils auraient à le garder chez eux pour le sacrifier le 14. Quand on se souvient que l’agneau était une des nombreuses idoles de l’Egypte antique, on ne peut que s’interroger sur cette attitude. Voilà un acte qui pouvait s’analyser comme une provocation pour les Egyptiens et, de ce fait, entraîner des conséquences graves. Pourtant, les Juifs, le moment venu, n’hésitèrent pas. Ils accomplirent ce que D.ieu demandait et la liberté fut finalement au rendez-vous.
Dans l’histoire d’un peuple, il existe des instants d’éternité. Il existe des moments qui modèlent ce qu’il sera dans la suite des siècles. Le choix de Nissan est de ceux-là. Malgré la dureté du temps, la cruauté de leurs maîtres, les Juifs ne renoncèrent pas. Ils surent entendre l’appel venu du Ciel. Ils n’oublièrent pas ce qu’ils étaient, assumèrent leur destin et, sans ostentation aucune, furent simplement fidèles à eux-mêmes. Pour cela, ils marchèrent vers la « Terre bonne et large », le but ultime, matériellement comme spirituellement. Le temps de l’Egypte est aujourd’hui bien lointain et le monde a bien changé depuis lors. La fidélité, le refus du renoncement et de l’oubli de soi sont toujours présents en chaque Juif. La liberté est toujours en marche.
Etincelles de Machiah
Toujours se préparer au «Chabbat»

« Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier» (Chemot 20:8). A propos de ce verset, Rachi commente : «Prenez garde à vous souvenir toujours du jour du Chabbat : si quelque chose de beau se présente à toi, garde-le pour le Chabbat.»
Il en est de même pour la Délivrance future. Même lorsqu’on se trouve dans les jours profanes du temps d’exil, il faut se souvenir toujours de la Délivrance et s’y préparer. Elle est «le jour qui est entièrement Chabbat et repos pour l’éternité.»
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch – 11 Sivan 5744)
Vivre avec la Paracha
Vayikra : l’art du Galout

Selon une idée commune, la créativité humaine et tout particulièrement la créativité artistique, ne peut s’épanouir que dans des conditions de liberté absolue. L’histoire des efforts de l’humanité pour créer de la beauté et du sens avec les matériaux de la vie a montré que c’est le contraire qui est vrai : ces circonstances d’ «oppression» ont donné naissance aux créations les plus profondes et les plus novatrices.
En fait, travailler à l’intérieur de limites est intrinsèque au processus et à la production de la création artistique. L’essence même de l’art, peut-on affirmer, découle de la tension entre l’esprit de l’artiste qui cherche à s’exprimer et les contraintes des moyens et des circonstances par lesquels il s’exprime.

Le Galout (L’exil)
Dans la prière de Moussaf que nous récitons pendant les fêtes, nous prononçons les paroles suivantes : «A cause de nos fautes, nous avons été exilés de notre terre et éconduits de notre sol. Nous ne pouvons plus monter et apparaître et nous incliner devant Toi, et accomplir nos obligations dans la Maison que Tu as choisie, dans la grande et belle Maison où Ton nom est invoqué.»
Les 613 Mitsvot (commandements) de la Torah constituent un pont entre le fini et l’infini, le moyen par lequel l’être mortel parvient à se lier avec son Créateur et sa Source. Néanmoins, aujourd’hui, nous ne pouvons accomplir qu’un nombre limité de Mitsvot : des centaines d’entre elles ne peuvent être observées que lorsque le Temple se dresse à Jérusalem et que toute la communauté d’Israël réside en Terre Sainte. En fait, la Torah va même jusqu’à interdire leur observance dans les circonstances présentes.
Ainsi, notre état présent de Galout est-il bien plus qu’un déplacement physique. Cela ne signifie pas pour autant que ces Mitsvot ont été abolies ou ont «expiré». L’un des principes fondamentaux de la foi juive (comme le statue Rambam) veut que «quelque chose qui est clairement spécifié par la Torah comme étant une Mitsva dure éternellement et ne sera jamais changé, abrogé ou ajouté.» Les commandements gardent toute leur force. C’est simplement que nous n’avons pas la possibilité de les accomplir, à cause des circonstances du Galout. En réalité, c’est là que réside la frustration la plus grande de notre exil : le fait que ces moyens d’accès à une relation avec D.ieu existent et que les limites présentes du Galout nous empêchent de les emprunter.

La poésie de la prière
Le Talmud (Pesa’him 86b) cite un intéressant principe de l’étiquette à observer en ce qui concerne les relations entre les hôtes et leurs invités : «tout ce que l’hôte (celui qui reçoit) dit, tu dois l’observer, sauf s’il t’ordonne : «sors de ma maison».
Les enseignements de la ‘Hassidout appliquent cela à nos relations avec D.ieu : en tant qu’ «invités» dans le monde de D.ieu, nous devons obéir à tout ce qu’Il nous commande, sauf quand Il nous dit «sortez». Quand Il nous bannit de Sa présence, nous ne devons pas obéir mais persister dans nos efforts à nous rapprocher de Lui.
Ainsi, même si nous nous soumettons à Ses décrets, nous ne nous réconcilions pas avec le phénomène du Galout. Quand D.ieu commande : «Fais ceci» ou «ne fais pas cela», nous nous plions. Et pourtant nous refusons d’accepter le Galout en soi, nous refusons d’accepter que soient fermés ces chemins dans notre relation avec D.ieu.
Et c’est de ce combat incessant, de cette tension sans rémission entre notre acceptation des détours du Galout et de notre aspiration à nous en libérer, que jaillissent nos accomplissements les plus «créatifs» dans notre relation avec D.ieu. Empêchés d’accomplir certaines Mitsvot dans leur réalisation concrète, nous dirigeons notre énergie et notre créativité vers leur essence spirituelle qui reste intouchée par les circonstances de l’exil.
Mais plus encore, nous ne satisfaisons pas d’une version exclusivement «spirituelle» de ces Mitsvot. Chaque fois que cela nous est possible, nous les accompagnons de réalisations physiques qui commémorent et évoquent la manière dont elles s’accomplissaient originellement. Ainsi, en commémoration de Sim’hat beth Hachoévah (les festivités accompagnant les libations d’eau) qui se tenait dans le Saint Temple, lors de la fête de Soukkot,, nous organisons nos propres célébrations de Soukkot, en chantant, dansant et jouant des instruments de musique, quand bien même le cœur et l’essence de la célébration en sont absents. Mais en même temps, nous prenons grand soin à nous assurer que nos actions ne suggèrent en aucun cas que nous accomplissons effectivement la Mitsva.

L’œuvre divine
Chaque jour nous prions, nous attendons le jour où nos vies seront libérées des limites du Galout. Et pourtant quelque chose de très spécial marque nos luttes présentes et le potentiel très particulier, les accomplissements qu’elles extraient de nos âmes.
Etirer les limites du Galout en veillant à ne pas les dépasser, accepter et se conformer à la volonté de D.ieu tout en ressentant que D.ieu désire Lui-même que nous contestions Sa volonté, quand Il nous dicte de ne plus emprunter les voies de communication qui nous mènent vers Lui, c’est tout cela qui a permis l’expression des accomplissements les plus profonds et novateurs dans l’art divin de la vie.
Le Coin de la Halacha
Quelles sont les Mitsvot essentielles du Séder ?

Le lundi 29 et le mardi 30 mars 2010, on organise le repas du Séder pour célébrer la sortie d’Egypte. On ne pourra commencer qu’après la nuit tombée (21h 06 - heure de Paris). Tous les Juifs doivent participer au Séder, hommes, femmes et enfants. Il faut :
• Raconter la sortie d’Egypte
On le fait en lisant la Haggadah. Il faut la raconter à tous les participants et en particulier aux enfants. Pour éviter qu’ils ne s’endorment, on aura pris soin de les faire dormir l’après-midi et on leur fera chanter certains paragraphes.
• Manger de la Matsa
On mange de la Matsa les deux soirs du Séder après avoir dit la bénédiction: «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al A’hilat Matsa», en plus de la bénédiction habituelle «Hamotsi». La Matsa du Séder sera «Chemourah», c’est-à-dire qu’on aura surveillé depuis la moisson, que les grains de blé, et plus tard la farine, n’auront pas été en contact avec de l’eau, ce qui aurait risqué de les rendre ‘Hamets. Nombreux sont ceux qui préfèrent consommer les Matsot rondes cuites à la main (et non à la machine). Il faut manger au moins 30 gr. de Matsa, et il est préférable de les manger en moins de 4 minutes. Il faudra manger trois fois cette quantité de Matsa : pour le «Motsi», pour le «Kore’h» (le «sandwich» aux herbes amères), et pour le «Afikoman», à la fin du repas, en souvenir du sacrifice de Pessa’h qui était mangé après le repas.
• Manger des herbes amères (Maror)
En souvenir de l’amertume de l’esclavage en Egypte. On mangera de la salade romaine qu’on nettoiera feuille par feuille devant une lumière pour être sûr qu’il n’y a pas d’insecte, après l’avoir fait tremper dans de l’eau. On prépare pour chacun des convives au moins 19 gr. de «Maror», c’est-à-dire de salade romaine avec un peu de raifort râpé, trempé dans le «Harosset» (compote de pommes, poire et noix, avec un peu de vin) après avoir prononcé la bénédiction : «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al A’hilat Maror». On consomme encore 19 gr. de Maror bien séché entouré de Matsa pour le «Sandwich de Kore’h».
• Boire 4 verres de vin
On doit boire au cours du Séder au moins quatre verres de vin ou de jus de raisin cachère pour Pessa’h. Le verre doit contenir au moins 8,6 centilitres, et on doit en boire à chaque fois au moins la moitié, en une fois. Les hommes et les garçons doivent s’accouder sur le côté gauche, sur un coussin, pour manger la Matsa et boire les quatre verres de vin.
F. L.
De Recit de la Semaine
Vendredi, le rabbin n’était pas là …

Quand Heshy arriva à la synagogue Beth Sim’ha ce vendredi soir, il trouva la porte fermée avec une pancarte collée : «Nous avons une urgence de dernière minute et ne pouvons être présents ce Chabbat. Avec toutes nos excuses. Rav Lévi».
Heshy sentit son estomac grogner : toute la journée, il avait fantasmé sur les ‘Hallot dorées et le poisson farci... dont la Rabbanite avait le secret. C’est alors qu’arriva Yossi qui se montra tout aussi déçu devant la triste réalité.
- Comment, ne pas être présents ce Chabbat ? C’est un scandale, le rabbin est toujours là le Chabbat. Moi je suis toujours présent à mon poste.
- Il dit qu’il s’excuse !
- Excuses ? Mais comment allons-nous prier sans le rabbin ?
Yossi se mit à frapper sur la porte de toutes ses forces. C’est alors qu’arriva Michael Fein… enfin Maître Fein, le président de la synagogue, suivi d’Avraham, le vieux responsable de la synagogue… avec son imposant trousseau de clés.
Mais aucune de ces clés n’accepta d’ouvrir la porte.
- Alors qu’allons-nous faire ? s’inquiéta Yossi.
- Nous allons prier dehors ! répondit Maître Fein.
- Mais qui sera l’officiant ?
- Moi ! s’avança Avraham. Mais quelqu’un ici a-t-il un Sidour, un livre de prières ?
Non, personne n’avait un Sidour !
Pendant ce temps, d’autres membres de la communauté arrivèrent, chacun se demandant pourquoi tous restaient en-dehors de la synagogue. Avi expliqua la situation. Yossi remarqua qu’il ne manquait qu’un homme pour compléter le Minyane de dix hommes.
Chacun y alla de son commentaire : ce qui avait commencé comme une catastrophe devenait soudain une manifestation évidente de la Main de D.ieu. On riait, on s’interpelait joyeusement. Et soudain une lumière aveuglante. C’était le gyrophare d’un car de police.
Un policier aux épaules aussi larges que celles d’un as de la musculation s’avança en faisant tournoyer sa matraque et en braquant une lampe torche sur le petit groupe de fidèles.
- Qu’est-ce qui se passe ici ?
- J’ai été appelé par les voisins pour cause de tapage nocturne ! Que se passe-t-il ? Tiens ! Je vous reconnais, vous là-bas !
- Je suis Michael Fein, Maître Michael Fein !
- Notre rabbin a dû faire face à une urgence et nous sommes enfermés en-dehors de la synagogue.
- Voulez-vous que j’ouvre cette porte pour vous?
- C’est… c’est possible ? Vraiment ?
- Pas de problème ! Et le géant appela son comparse Miguel.
Miguel arriva nonchalamment avec sa mallette et fit sauter le verrou. Huit hommes soulagés se précipitèrent à l’intérieur tout en remerciant Miguel. Mais Michael Fein resta devant la porte.
- Que puis-je faire d’autre pour vous, Maître Fein?
Michael jeta un coup d’œil sur le badge du policier: officier Jeff Miller.
- Oui ! répondit Michael. Etes-vous juif ?
- Euh… L’officier réfléchissait. Non ! Ma grand-mère a abandonné sa religion depuis longtemps et, pour mes parents, la religion n’avait pas d’importance.
- Ah bon ! Merci pour votre aide ! Mais au fait quelle est la religion que votre grand-mère a abandonnée ?
- On m’a dit qu’elle était juive !
- C’est votre grand-mère du côté paternel ?
- Maternel. Mais quelle différence, Maître Fein ?
- Voici la différence ! Selon la tradition juive, les enfants héritent de la religion de la mère !
Et donc vous êtes juif !
- Mais je n’ai aucune religion, Maître Fein !
- Nous estimons que vous n’avez pas le choix dans cette affaire, officier ! Cela coule tout simplement dans votre sang !
L’avocat observa chez le policier la surprise puis la curiosité puis autre chose…
Rav Levi et Rebecca revinrent à pied à la synagogue où l’office s’achevait. Rebecca se précipita vers sa maison derrière la synagogue afin de mettre la table et de servir le repas qu’elle avait préparé.
Rav Levy entra et aperçut Avraham qui récitait le Kaddich. Instinctivement, il compta les participants en prononçant un verset composé de dix mots.
- Chabbat Chalom tout le monde ! Désolé de n’avoir pas pu venir plus tôt, j’ai été appelé à l’hôpital pour assister des accidentés de la route.
Heshy sentait son estomac grogner - de plaisir cette fois à l’idée que Rebecca s’activait dans la cuisine…
- Mais dites-moi, Avraham, depuis quand prie-t-on avec un Minyane de neuf hommes seulement ?
- Mais non ! Nous étions dix ! Vous voyez ce grand policier au fond de la salle ?
- Lui ? Il est Juif ?
- Sa grand-mère du côté maternel ! remarqua Michael Fein avec un petit sourire.
L’office était terminé, Rav Levi raccompagna chacun à la porte – ce qui ne prit qu’une demi-heure – puis se tourna vers le policier qui, pourtant habitué à bien des situations violentes, semblait déstabilisé.
- Monsieur le rabbin… C’est la première fois… enfin la première fois que j’entre vraiment dans une synagogue.
- Vous êtes chez vous ! Soyez le bienvenu, officier Miller ! Surtout que vous avez contribué à compléter le Minyane ! C’est une très bonne action !
- Mes parents ne pratiquaient aucun religion, moi je n’avais jamais prié mais ce soir… j’ai prié, je ne savais pas trop comment alors j’ai couvert mes yeux et j’ai ouvert mon cœur.
- C’est un bon début ! commenta Rav Levi, attentif.
- Vous croyez ? J’arrive à un point dans ma vie où… j’ai besoin de croire ! Parfois les gens sont si décevants. J’ai besoin de croire que le bien existe, que le monde a un but, que l’homme peut être meilleur. Croyez-vous que je puisse revenir la semaine prochaine et prier quand j’en ressens le besoin ?
- Bien sûr, officier Miller ! Cette maison de prière est la vôtre.
L’officier Miller, visiblement ému et soulagé, tendit sa main à Rav Levi.
Et ce fut un très beau Chabbat, bien que le rabbin ne fût pas là au début et ce fut encore meilleur une fois qu’il fût revenu !

Zalman Velvel
www.chabad.org - Ki Tissa
traduit par Feiga Lubecki