Semaine 11

  • Vayikra
Editorial

Question de sens

Faire sens. Si l’on devait trouver un caractère particulier du judaïsme, il faudrait sans doute dire que c’est là sa recherche constante. Le monde ne peut jamais se lire au premier degré. Les événements rencontrés, les actes mêmes du quotidien ne peuvent être envisagés – voire vécus – que comme l’expression d’une réalité profonde, toujours présente, affleurant à la surface mais qu’on peine éternellement à saisir. Et il y a des moments privilégiés, comme des temps forts sur le déroulé de l’année. Ce sont comme des accents toniques sur un phrasé trop régulier et ils sont bien précieux. Voici que commence le joli mois de Nissan – celui du printemps, celui surtout de notre liberté. Le grand appel retentit et chacun sait que nous saurons l’entendre. La fête de Pessa’h en sera la pure expression. On dit parfois que la liberté n’attend pas. Si la formule exprime une certaine réalité, elle implique que s’y préparer ne doit souffrir également d’aucun retard. Mais la préparation prend parfois des formes étonnantes. Alors que les festivités de Pourim, certes enracinées spirituellement en nous, s’effacent de l’actualité matérielle, les maisons juives commencent à connaître ce regain d’activité spécifique à la période. Le nettoyage, la recherche du ‘Hamets – ces produits contenant des céréales levées qui doivent avoir disparu avant la fête à venir – tout cela est déjà en cours. Quel rapport entre l’avènement de la liberté et l’effort ménager ? Faire sens – justement, tout est là. Car qu’est-ce que le ‘Hamets sinon ces éléments matériels qui gonflent sans que rien d’autre que l’air ne soit le support de leur enflure ? Qu’est-ce d’autre sinon la figure même de l’homme qui croit remplir le monde de sa petite existence, oubliant qu’il est et reste une simple – et complexe – créature de D.ieu ? Alors, le ‘Hamets chassé de la maison avec entrain évoque sans surprise celui que l’on chasse du cœur avec toute l’énergie de l’espoir. Cet espoir-là n’est jamais démenti car il repose sur la conscience claire que l’acte porte loin, haut et fort. Ici, il veut dire que la liberté est au bout du chemin, au point culminant de l’œuvre accomplie par chacun. Tant il est vrai que la Délivrance collective est, d’une certaine façon, la somme des libérations individuelles. Faire sens, disait-on...

Haim Nisenbaum

Etincelles de Machiah

Tous prophètes !

Le Talmud de Jérusalem (traité Méguila 1 : 5) enseigne à propos des temps de Machia’h : «Tous les livres des prophètes disparaîtront sauf le Livre d’Esther». Cela signifie que la Lumière Divine révélée par la prophétie sera si faible comparée à la Lumière intense de ce nouveau temps qu’elle paraîtra aussi insignifiante qu’un rayon de soleil devant l’astre qui en est la source. Toutefois, cela ne signifie en aucune façon que la prophétie n’existera plus en Israël. Au contraire, D.ieu promet pour ces temps futurs : «Je déverserai Mon esprit sur toute chair et vos fils et vos filles prophétiseront». (d’après Chaarei Orah, p. 57) H.N.

Vivre avec la Paracha

Vaykra : De sincères excuses

La plupart d’entre nous nous sommes déjà trouvés dans des situations où nous avons souffert, peu ou beaucoup, à cause d’autrui. Nous avons été parfois en colère. Et à d’autres occasions, nous avons trouvé en nous la force de nous élever au-dessus de notre souffrance, par l’acceptation et le pardon. Mais malheureusement, la plupart d’entre nous nous sommes aussi retrouvés de l’autre côté de la barrière. Nous n’étions plus les victimes mais les responsables d’une forme de souffrance infligée à l’autre. Quand nous avons pris conscience, avec un certain sentiment de culpabilité, que nous avions véritablement fait du mal, qu’avons-nous alors ressenti ? Peut-être de la honte, au début, mais bien trop souvent, elle a laissé doucement la place à un sentiment de suffisance. Le monde continue, notre vie reprend son cours normal et nous laissons notre ami nourrir sa blessure et stagner dans son ressentiment. Lequel de nous deux doit encore grandir ? Si un individu pèche et commet une faute contre D.ieu, qu’il trompe son ami à propos d’un engagement, d’un prêt ou d’un vol ; ou s’il lèse son camarade ; ou s’il trouve un objet perdu et qu’il le nie ; et qu’il commet un faux serment… il remboursera le capital et un cinquième ; il le donnera à qui il appartient, dès le jour où il admet sa faute (Vayikra 5 : 21-24) A propos des mots «à qui il appartient», Rachi commente : «à celui à qui appartient l’argent». Apparemment, l’interprétation de Rachi semble évidente, voire redondante. A qui penseriez-vous que l’argent doive être restitué si ce n’est à celui à qui il appartient ! Et c’est précisément sur cette question que s’attarde Rachi. Pourquoi le verset trouve-t-il nécessaire d’ajouter les mots : «à qui il appartient» ? Il est possible d’arguer que le «cinquième» en question est une amende imposée au voleur pour le punir de son délit et que donc, selon la stricte justice, elle ne doit pas être payée à la victime. Le voleur devrait alors la payer à la cour ou bien la donner à la charité. C’est donc bien pour préciser que cet argent doit être remis à la victime que le verset met l’accent sur : «à qui il appartient». Mais en réalité, ce verset, apparemment simple, évoque des perspectives très profondes à propos des relations humaines. La mystique juive développe un concept qui veut que lorsque quelqu’un subit une perte ou un dommage, à cause d’un autre être humain, il ne doit pas lui en vouloir car cette perte a été décrétée contre lui d’En-Haut. Même si le coupable avait choisi de ne pas lui faire de mal, D.ieu aurait pu lui faire subir cette expérience négative par d’autres moyens. Dans cette perspective, un voleur peut s’abstraire du devoir de donner une compensation à sa victime. Il pourrait prétendre que le vol n’est un problème qu’entre la victime et D.ieu : « J’ai une foi absolue en la justice divine. Mon problème ne concerne que D.ieu et moi. La perte de mon prochain n’ébranle pas particulièrement mes cordes sensibles, car après tout, D.ieu l’a décrétée à son endroit. Ce qui me préoccupe réellement est la brèche dans ma relation de confiance avec D.ieu. J’ai violé Son commandement et j’ai prononcé Son Nom en vain. Je vais donc prendre sur moi de me repentir et de supplier D.ieu pour qu’Il restaure notre relation. Je vais scrupuleusement accomplir les obligations bibliques qui m’incombent pour réparer cette perte et je vais même m’acquitter de la pénalité. Mais le tort qui a été infligé à la victime ne me concerne pas. Je ne ressens aucun devoir de restaurer ma confiance en Lui ; ce n’est pas de mon ressort.» Une vision si pervertie des relations humaines témoigne d’un grave manquement dans les relations avec D.ieu. Si nous devions avoir de la civilité dans nos relations sociales simplement pour plaire à D.ieu, cela indiquerait la présence d’un extrême égocentrisme. Nous voulons nous sentir bien et ne pas ressentir de culpabilité. Nous n’aimons pas être déstabilisés par le sentiment de mal agir et éprouvons donc le besoin de nous amender. Notre acceptation du commandement divin d’apaiser notre prochain vient essentiellement de notre propre besoin d’une disculpation personnelle. Et pourtant, une véritable relation avec D.ieu implique d’être profondément imprégné de compassion et de sensibilité divines. Nous devons être attentifs aux sentiments d’autrui, pas tant pour remplir nos propres obligations, mais par véritable intérêt pour les besoins d’une autre personne. En réalisant ou en regrettant le mal que j’ai commis à l’égard de mon camarade, mon seul souci doit être d’alléger sa peine, de le soulager de son fardeau. Ce que je me dois à moi-même et à D.ieu est secondaire. Ce qui doit être essentiel pour moi est que la perte de mon ami et sa tranquillité d’esprit lui soient restaurées. Je ne veux pas seulement rendre ce qui a été volé mais même y ajouter un montant supplémentaire, pour me faire pardonner la détresse émotionnelle que j’ai occasionnée et tout profit qu’il n’aurait pu faire pendant que j’étais en possession de son bien. Les commandements régissant les relations personnelles, comme ceux qui concernent la calomnie, l’honnêteté dans le commerce, les obligations de charité, tombent dans la catégorie des michpatim ou lois qui s’appuient sur une base rationnelle. Bien qu’elles soient en accord avec la raison humaine, nous avons néanmoins l’obligation de les accomplir dans un sens de kabalat ol, acceptation de l’autorité divine. D.ieu est conscient de la tendance très humaine à tout rationaliser et à justifier les transgressions. C’est la raison pour laquelle la Torah institue un code de conduite qui n’est pas sujet aux règles de la raison humaine, et ce, afin d’empêcher la personne de se soustraire au blâme quand il devrait être à l’ordre du jour. Et cependant l’intention de D.ieu n’est absolument pas que nous accomplissions nos obligations à l’égard de notre prochain, incités par le sens du devoir à l’égard de D.ieu et que nous oubliions la dimension humaine. L’expression ultime du kabalat ol se révèle quand il s’enracine dans tous les niveaux de la personnalité. Une personne habitée par la Divinité s’abstient de commérages et de paroles méchantes. Elle est scrupuleuse dans ses actions commerciales et évite au maximum de ses possibilités de prendre possession de ce qui ne lui appartient pas. Mais pourquoi ? Se soucie-t-elle tant des sentiments et des besoins de son ami ou essaie-t-elle de gagner des points dans le ciel ? L’intention des michpatim est de modeler le caractère humain et de guider l’homme pour qu’il devienne plus humain, plus sensible et plus aimant. Nous nous soumettons à la volonté de D.ieu pour pouvoir transcender notre nature égoïste et devenir ainsi des individus animés d’amour et possédant réellement en eux la Divinité.

Le Coin de la Halacha

Quelles sont les Mitsvot essentielles du Séder ?

Le lundi 25 et le mardi 26 mars 2013, on organise le repas du Séder pour célébrer la sortie d’Egypte. On ne pourra commencer qu’après la nuit tombée (19h 50 lundi soir et 20h mardi soir - heure de Paris). Tous les Juifs doivent participer au Séder, hommes, femmes et enfants. Il faut : • Raconter la sortie d’Egypte On le fait en lisant la Haggadah. Il faut raconter à tous les participants et en particulier aux enfants, selon ce qu’ils peuvent comprendre. • Manger de la Matsa On mange de la Matsa en étant (pour les hommes) accoudé les deux soirs du Séder après avoir dit la bénédiction : «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al A’hilat Matsa», en plus de la bénédiction habituelle «Hamotsi». La Matsa du Séder sera «Chemourah», c’est-à-dire qu’on aura surveillé depuis la moisson, que les grains de blé, et plus tard la farine, n’auront pas été en contact avec de l’eau, ce qui aurait risqué de les rendre ‘Hamets. Il faut manger au moins 30 grammes de Matsa. • Manger des herbes amères (Maror) On mange des herbes amères en souvenir de l’amertume de l’esclavage en Egypte. On prépare pour chacun des convives au moins 19 grammes de «Maror», c’est-à-dire de salade romaine avec un peu de raifort râpé, trempé dans le «Harosset» (compote de pommes, poire et noix, avec un peu de vin) après avoir prononcé la bénédiction : «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al A’hilat Maror». • Boire 4 verres de vin On doit boire au cours du Séder au moins quatre verres de vin ou de jus de raisin cachère pour Pessa’h. Le verre doit contenir au moins 8,6 centilitres et sera bu en étant (pour les hommes) accoudé. F. L.

De Recit de la Semaine

Le mariage dans la forêt

A l’âge de quatorze ans, je m’enfuis à Moscou afin de ne pas être rattrapée par le KGB. Mon père avait déjà été emprisonné et nous ignorions même s’il était encore vivant (de fait, il était mort quelques mois après son arrestation mais nous ne l’apprîmes que soixante-dix ans plus tard !) Ma mère, la Rabbanite Maryasha Shagalov était restée seule pour élever ses six jeunes enfants. Je fus forcée de travailler très durement, en portant de lourds sacs de tissu. J’acceptai n’importe quel travail pourvu que je puisse respecter le repos du Chabbat et manger cachère, quelles que soient les circonstances. A l’âge de dix-sept ans, je fus présentée à Zalman Katzenelenbogen : sa mère, Sarah, était très impliquée dans toutes les activités de bienfaisance malgré les risques énormes que cela comportait (après la fin de la guerre, elle falsifia de nombreux passeports afin de permettre à des Juifs de quitter l’Union Soviétique et vivre ainsi leur judaïsme librement ; dénoncée, elle fut elle-même arrêtée et mourut en détention – que son souvenir soit béni). J’appris par la suite que notre Chidou’h (rencontre en vue d’un mariage) avait été programmé bien des années auparavant. Après l’arrestation de mon père, Maman s’était rendue à Leningrad pour demander de l’aide. Des amis l’avaient mise en rapport avec Sarah qui lui avait procuré un peu d’argent pour nourrir sa famille. Un jour, Sarah avait murmuré : «Mon pauvre fils Zalman ! Comment pourra-t-il se marier ? C’est un adolescent maintenant mais il n’y a plus de jeune fille pratiquante en Russie !». Ma mère avait répliqué : «Moi, j’ai une fille !». Toutes deux avaient alors échafaudé des projets pour le mariage de leurs enfants mais tout ceci fut oublié. Le fait est que, lors de mon séjour à Moscou, je me liai d’amitié avec Moussia, la sœur de Zalman et c’est elle, avec son mari Chimon, qui arrangea les rencontres… Nous nous sommes mariés le 12 Elloul 1940. Ce n’était pas un mariage où la mariée porte une longue robe blanche en pure soie, avec une traîne et des demoiselles d’honneur, où toute la communauté vient réjouir les mariés avec de la musique et des danses. Je n’avais même pas une robe correcte ou une paire de chaussures neuves. Durant toutes les années où j’avais travaillé dur, j’avais donné presque tout mon argent à Maman pour qu’elle puisse subvenir aux besoins de mes frères et sœurs. Ma belle-mère m’avait acheté une paire de sandales ; une de mes amies m’avait cousu une petite robe blanche, toute simple avec du tissu de mauvaise qualité ainsi qu’un petit voile. C’était blanc, c’était neuf et cela suffisait à mon bonheur. Vendredi matin, le jour du mariage, ma sœur Ra’hel m’accompagna au cœur d’une épaisse forêt, à une demi-heure de Moscou. La ‘Houpa aurait lieu dans la cour d’une petite maison, dans le silence et la discrétion des arbres hauts et touffus. Nous espérions que, dans cet endroit connu seulement des quelques ‘Hassidim invités par nos mères, nous ne serions pas repérés. Je sentais mon cœur battre et ce n’était pas seulement l’émotion normale d’une jeune mariée. Organiser un mariage religieux était un crime passible de mort et il était fort possible que ce qui devait être un jour joyeux se termine en tragédie. Toutes les cérémonies juives étaient strictement interdites. Mais le «crime» était encore plus grave s’il y avait des preuves, en l’occurrence une Ketouba, un contrat de mariage en hébreu. Tandis que nous traversions le pré menant à la forêt, des garçons se mirent à nous suivre. Nous avons couru : ils avaient réalisé que nous étions juives et ils nous injurièrent avec toutes sortes de quolibets antisémites. Ils nous ont même lancé des pierres. Heureusement, ils se lassèrent vite de leur jeu et nous sommes arrivées en haletant à la petite maison. Petit à petit, les hommes commencèrent à arriver. Il fallait dix Juifs adultes et ils durent venir séparément pour ne pas éveiller les soupçons du KGB ou d’un quelconque dénonciateur. Dès que trois personnes étaient aperçues ensemble dans un espace public, elles étaient automatiquement soupçonnées de conspirer contre le gouvernement. Même si rien de juif n’était impliqué ! La cérémonie fut rapidement expédiée : il n’y avait que dix hommes, ma mère, ma belle-mère, ma belle-sœur et l’amie qui avait cousu ma robe. Le rabbin fut le regretté Rav Nissan Nemanov qui, par la suite, devint le Roch Yechiva de Brunoy. Je ne reçus pas de bague en or. Un morceau de métal tordu fut placé sur mon doigt pour symboliser le lien éternel qui se forgeait entre Zalman et moi (une semaine plus tard, la «bague» reprit une forme droite et je la perdis définitivement ; ce n’est que des dizaines d’années plus tard que j’en acquis une autre, aux États-Unis). Mes amies avaient préparé des cakes, un luxe inimaginable qui nous réchauffa le cœur ; quelqu’un avait apporté un peu de vodka pour trinquer Le’haïm (à la vie !) et ce fut tout notre repas de noces. Malgré nos craintes, ce fut un beau mariage, l’épilogue d’une enfance caractérisée par la méfiance envers un gouvernement qui nous avait volé nos pères, notre subsistance, notre liberté. Mais ce gouvernement n’avait pas réussi à nous dérober notre détermination à rester juifs. Et c’est sur cette décision que Zalman et moi avons fondé notre foyer. Après des dizaines d’années passées à Cleveland comme émissaire du Rabbi, la Rabbanite Shula Kazen (son nom a été abrégé) habite maintenant à Crown Heights (Brooklyn) : ses nombreux descendants répandent le message de la Torah et de la ‘Hassidout dans le monde entier. Rabbanit Shula Kazen – Binah Magazine Traduite par Feiga Lubecki

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