Il ne serait pas excessif de dire que les deux mots qui ouvrent la Paracha et lui donnent son nom, Lé’h le’ha, sont les mots les plus importants proférés dans l’histoire. C’est par ces mots que D.ieu met Avraham sur une voie qui allait inverser le processus de dégénération dans lequel l’humanité se trouvait enfermée depuis l’expulsion du Gan Eden, une voie qui mènerait finalement au Don de la Torah sur le Mont Sinaï.

Il y eut des justes qui précédèrent Avraham mais aucun d’entre eux ne réussit à enrayer le courant d’éloignement de D.ieu qui inondait la terre. Au mieux, ils préservaient les anciennes traditions en cachette, à l’abri d’un monde hostile à la Divinité. Ces justes manquaient du courage nécessaire pour résister à cette corruption et tenter de combler le fossé entre le ciel et la terre. Pour Avraham, au contraire, c’est justement la dépravation du monde qui l’incita à devenir un activiste. Comme nous l’avons vu, à la fin de la Paracha précédente, il circulait parmi ses contemporains et les encourageait à le rejoindre dans son entreprise de résurrection du monothéisme.
Et pourtant, malgré ses accomplissements impressionnants, les efforts d’Avraham restaient limités par le fait qu’il ne parlait que par la force de son propre raisonnement. Aux gens auxquels il s’adressait, il présentait simplement une version d’eux-mêmes plus honnête intellectuellement et plus vertueuse moralement. Il est vrai que ses contemporains et lui-même avaient assisté à l’intervention miraculeuse de D.ieu qui l’avait sauvé de la fournaise de Nimrod. Ils avaient donc été exposés à l’existence d’un D.ieu transcendant, détaché des limites de la nature et de la raison humaine. Mais Avraham n’avait pas encore atteint l’étape supérieure, la conscience que ce D.ieu au-dessus de la nature pouvait être également rencontré dans la vie profane. L’intellect humain ne pouvait concevoir la possibilité que ce D.ieu transcendant puisse aussi se rencontrer dans la nature et dans la vie quotidienne. C’est pourquoi, à cette époque, le monothéisme était simplement une reconnaissance que D.ieu avait créé le monde et avait mis en route le mécanisme de la nature.
Tout cela changea quand D.ieu dit les mots «Lé’h Le’ha» à Avraham. Tout d’abord, le fait même que D.ieu réponde ouvertement aux efforts d’un être humain pour dédier sa vie à la vérité changea les règles, à tout jamais. D.ieu démontrait qu’Il est véritablement accessible à ceux qui Le recherchent sincèrement. D’autre part, par ces mots, D.ieu faisait d’Avraham Son émissaire. Il n’allait plus agir en visionnaire inspiré : il pourrait désormais parler avec une autorité lui venant d’au-dessus de lui et rendant son message incomparablement plus efficace qu’auparavant. C’est ainsi que la Présence Divine commença Sa véritable descente sur terre.
Enfin, et c’est le plus important, en lui disant d’ «aller», D.ieu faisait d’Avraham un homme nouveau qui pouvait désormais progresser au-delà de ses propres possibilités. «Va vers toi» signifie «va vers ton être véritable et le plus haut, l’être que tu ne pourrais atteindre tout seul». La définition d’un homme divin n’était plus celle d’une personne qui se lie avec D.ieu autant que ses capacités humaines le lui permettent. C’était désormais celle d’ «un homme qui se lie à D.ieu en progressant infiniment au-delà des limites de la capacité humaine».
Dans ce contexte, D.ieu, dans la Paracha Lé’h Le’la, fait passer la dynamique déclenchée avec la Parachat Noa’h au niveau supérieur. Dans Noa’h, D.ieu avait introduit la notion de Techouvah dans le monde, la possibilité de corriger ses erreurs et de refaire sa vie. Ici, dans la Paracha Lé’h Le’ha, D.ieu nous donne la possibilité de «revenir» à notre moi authentique, fondamental, le moi dont nous ignorions jusqu’à l’existence même, découvrant constamment de nouvelles perspectives de notre personnalité divine innée et de notre lien avec D.ieu.
A partir de cette ouverture, nous pourrions nous attendre à ce que le reste de la Paracha relate les succès d’Avraham dans l’accomplissement de sa mission divine. Pourtant, le premier incident majeur relaté est la famine qui s’abattit dès son arrivée en Terre d’Israël, l’obligeant à fuir en Egypte. Cette famine menaçait de ruiner toute son entreprise. Elle aurait pu être interprétée par la population locale comme une vengeance contre ses activités missionnaires. De plus, au lieu de lui permettre de poursuivre sa résurrection du monothéisme sur la Terre Promise par D.ieu, Avraham se trouvait jeté au cœur du monde païen. Combien ironique a dû paraître alors son sort, lui qui n’avait pas plus tôt commencé sa grande entreprise en Terre Promise qu’il avait soudain été réduit à rechercher la miséricorde d’un environnement culturel qui se moquait de son idéal. Mais, par un retour de situation miraculeux, Avraham vit bientôt les Egyptiens le supplier d’être miséricordieux et il retourna en Terre d’Israël encore mieux équipé pour atteindre son but : avec plus de richesse et de renommée et accompagné de la princesse égyptienne qui, en son temps, deviendrait la mère de son premier enfant.
Il devient rétroactivement clair que cette régression apparente n’était en fait qu’une étape nouvelle dans la progression d’Avraham dans sa mission, une partie intégrante d’ «aller».
Les leçons de la Paracha Lé’h Le’ha sont tout d’abord de ne pas se laisser intimider par le monde, que ce soit celui qui nous entoure ou le «monde» de nos désirs, de nos craintes ou de nos préjugés personnels. Avraham et Sarah n’étaient que deux individus mais parce qu’ils dédièrent leur vie à la vérité, D.ieu devint leur Partenaire et en fit Ses émissaires. De plus, une fois que nous avons répondu à l’appel de D.ieu : «Va en toi-même, pour toi-même», nous ne sommes plus contraints par les limites de nos propres capacités : même les régressions apparentes s’avéreront plus tard être parties intégrantes d’un processus qui mène à des niveaux supérieurs de conscience divine.