L’épisode de Yossef se révélant à ses frères après des décades d’amère séparation est l’un des plus dramatiques de la Torah. Vingt-deux ans auparavant, alors que Yossef n’avait que dix-sept ans, ses frères l’avaient enlevé, jeté dans un puits puis vendu comme esclave à des marchands égyptiens. En Egypte, Yossef passa douze ans en prison d’où il fut sauvé puis élevé au rang de vice-roi du pays. Maintenant enfin, le moment était à la réconciliation.
«Yossef ne put contenir ses émotions», raconte la Torah dans la Paracha de cette semaine. Il fit sortir tous ses assistants égyptiens de la pièce et «il commença à pleurer dans des sanglots si sonores que les Egyptiens pouvaient l’entendre de l’extérieur. Et Yossef dit à ses frères : «Je suis Yossef ! Mon père est-il toujours vivant?» Ses frères furent si bouleversés qu’ils ne purent répondre.»

Un sage pleure
Le Talmud relate que chaque fois que le grand talmudiste et Sage, Rabbi Eléazar arrivait à ce verset, «ses frères furent si bouleversés qu’ils ne purent répondre», il pleurait. Rabbi Eléazar disait: «si le reproche d’un homme de chair et de sang (Yossef) est si puissant qu’il suscite une telle consternation, le reproche de D.ieu (quand il a lieu) doit l’être d’autant plus, ayant causé tant de honte.»
Et pourtant, deux points semblent manquer dans les paroles de Rabbi Eleazar. Tout d’abord, le verset ne dit pas que les frères furent stupéfaits parce que Yossef leur avait adressé un reproche. Peut-être l’étaient-ils par la constatation que l’homme qui se tenait devant eux n’était pas moins que leur frère perdu depuis longtemps, Yossef ?
De plus, la comparaison entre le reproche de Yossef à ses frères et celui de D.ieu à l’humanité paraît excessive. Les frères avaient personnellement vendu Yossef comme esclave, l’assujettissant à la pire des formes d’abus de la personne. Il est donc logique qu’ils aient été plongés dans la consternation quand finalement ils lui firent face. Quiconque parmi nous ne s’est-il jamais rendu coupable d’un affront similaire à l’égard de D.ieu, pour en arriver à ressentir un tel effroi devant le reproche de D.ieu ?

Notre rêveur intérieur
Pour comprendre, nous devons nous souvenir d’une idée, exprimée à un certain nombre d’occasions, selon laquelle les personnages dépeints dans la Torah ne sont pas simplement des personnes physiques qui vécurent à une certaine période. Ils représentent également des forces particulières, psychologiques et spirituelles, qui existent continuellement à l’intérieur du cœur humain.
Yossef est décrit dans la Torah comme un jeune homme beau et gracieux, «beau dans sa constitution et beau dans son apparence», comme un «maître des rêves». Selon la Kabbale, Yossef symbolise l’âme de l’homme, pure et sacrée.
Aussi, pour comprendre l’histoire de Yossef, nous faut-il saisir la nature de notre propre âme.

Un portait de l’âme
A quoi ressemble l’âme ? Quels éléments de notre personnalité pouvons-nous attribuer à notre âme ?
Dans le Tanya, Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi définit l’âme comme une flamme qui cherche à partir de la mèche et à embrasser les cieux. «L’âme, écrit-il, constitue la quête dans l’homme pour transcender les paramètres de son égo et s’absorber dans la source de toute existence».
Le Kabbaliste du seizième siècle, Rabbi Eléazar Azkari, a écrit une prière qui décrit l’âme en ces termes : «Mon âme est malade d’amour pour toi, Ô D.ieu, je t’en supplie, s’il Te plaît, guéris-la en lui montrant la douceur de Ta splendeur ; alors elle reprendra de la force et sera guérie, expérimentant une joie éternelle».
En d’autres termes, l’âme est cette dimension de notre esprit qui n’a pas besoin de grandissement personnel, de domination ni de matérialisme excessif. Elle méprise la politique, la manipulation et la malhonnêteté. Elle est repoussée par le comportement immoral et par des apparences hypocrites.

Quelles sont ses aspirations ? L’âme a une aspiration unique : se fondre dans la vérité absolue de D.ieu.

L’âme abusée
Et pourtant, combien d’entre nous sont-ils conscients de l’existence d’une telle dimension dans leur personnalité ? Combien d’entre nous se soumettent-ils aux besoins de leur âme ? En réponse aux rêves jamais assouvis de notre âme et à ses aspirations qui confondent notre emploi du temps basé sur notre propre satisfaction et dérangent notre désir de gratification immédiate, nous prenons souvent le «Yossef» qui est à l’intérieur de nous et le plongeons dans un puits. Nous tentons de reléguer ses rêves et ses passions dans les greniers subconscients de notre esprit.
Et quand cela ne marche pas, parce que nous continuons à entendre ses plaintes silencieuses, nous vendons notre «Yossef» comme esclave à des étrangers, permettant à notre âme d’être soumise aux forces et aux instincts étrangers à sa propre identité.
Pouvez-vous imaginer à quel point vous seriez horrifié devant le spectacle de quelqu’un qui prendrait la petite main adorable d’un enfant et la mettrait dans un four brûlant ? Les maîtres ‘hassidiques décrivent chaque occasion où nous prononçons un mensonge, chaque occasion où nous humilions un autre être humain, chaque occasion où nous péchons, comme exactement cela : prendre l’innocente et précieuse spiritualité de notre âme et lui faire subir des sévices et des tortures.

Le moment de vérité
Et pourtant, à un moment de notre vie, pour chacun de nous, arrive le moment où notre «Yossef» intérieur, qui a été forcé de cacher la vérité pendant tant d’années, se brise et nous révèle sa réelle identité. A ce moment, nous venons à découvrir la resplendissante beauté et la profondeur de notre âme et nos cœurs s’emplissent de honte ;
L’humiliation que ressentirent ses frères quand Yossef se révéla à eux ne venait pas de son reproche pour l’avoir vendu comme esclave. Sa simple apparition constitua le reproche le plus puissant. Pour la première fois, ils réalisèrent qui était celui qu’ils avaient soumis un traitement si horrible et leurs cœurs fondirent de honte.
De la même façon, Rabbi Eléazar dit que quand le jour viendra où nous réaliserons la sainteté et la Divinité de notre propre personnalité, nous serons également abasourdis. Nous nous demanderons sans cesse comment nous avons pu nous permettre de jeter une âme si belle et si innocente dans un puits sombre et obscur.

D’après une note écrite par Rabbi Mena’hem Mendel, le Tséma’h Tsédek, et Séfer Hamaamarim du Rabbi (volume 5 page 261).

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