Et Yossef tomba sur le cou de son frère Binyamin et pleura, et Binyamin pleura sur son cou (Beréchit 45:14)

L’histoire de Yossef et de ses frères,à laquelle la Torah consacre plus d’une douzaine de chapitres
détaillés (Beréchit 37-50) n’est pas simplement celle d’un drame familial.
Les douze fils de Yaacov sont les pères fondateurs des douze tribus d’Israël et leurs actions et leurs expériences, leurs conflits et leurs réconciliations, leurs séparations et leurs réunions donnent une empreinte définie à l’histoire juive. L’un de ces événements est la réunion noyée de pleurs entre Yossef et Binyamin, décrite dans le verset cité ci-dessus. Le Talmud interprète leurs pleurs, l’un sur l’épaule de l’autre, comme une expression de douleur et de chagrin sur les tragédies futures dans leur histoire respective: “(Yossef) pleura sur les deux sanctuaires qui devaient se tenir dans le territoire de Binyamin et étaient destinés à être détruits...et Binyamin, pleura sur le Sanctuaire de Chiloh qui serait érigé sur le territoire de Yossef et serait détruit”.
C’est là que réside la signification du fait que Yossef et Binyamin pleurèrent chacun sur le cou de l’autre:
dans la Torah, le cou est une métaphore courante pour le Beth Hamikdach (le Saint Temple). “D.ieu plane sur lui tout le jour et réside entre ses deux épaules” dit Moché de Binyamin, se référant au Beth Hamikdach sur ses terres. Et le Roi Salomon, dans le Cantique des Cantiques, chantant les louanges de “la fiancée Israël” et de sa relation avec le Tout Puissant proclame: “Ton cou est semblable à la tour de David”. 
Les Sanctuaires constituent des liens entre le ciel et la terre, des points de contact entre le Créateur et Sa création. “Les cieux et le ciel des cieux ne peuvent Te contenir ” proclame le Roi Salomon lors de l’inauguration du Beth Hamikdach.
“Comment alors cette maison peut elle être celle que j’ai construite pour Toi?” Et pourtant, D.ieu commande:
“Ils me feront un Sanctuaire et Je résiderai en eux”. D.ieu qui transcende le fini, transcende également l’infini et Il choisit de désigner un site physique comme siège de Sa présence manifeste dans le monde et comme point de focalisation du service de l’homme pour son Créateur. 
“C’est la Maison de D.ieu”, proclame Yaacov après une nuit sur le site du futur Temple et “c’est la porte du ciel” par laquelle les prières montent en haut. Trois fois par an, tout le Peuple d’Israël venait “voir et être vu par “la face de l’Eternel” ”au Sanctuaire de Jérusalem.
Le Sanctuaire est alors le “cou” du monde, la jonction qui relie son corps et sa tête. La tête d’un individu contient ses facultés les plus élevées et les plus vitales: l’esprit et les organes sensoriels, de même que les entrées pour l’alimentation, la boisson et l’oxygène mais c’est le cou qui joint la tête au corps et transporte le flot de conscience et de vitalité de l’un vers l’autre: la tête domine le corps grâce au cou. Par le même jeu, le Beth Hamikdach est ce qui relie le monde à sa source et sa force de vitalité célestes. C’est le canal par lequel D.ieu se lie à Sa création et l’imprègne de perception spirituelle et de subsistance matérielle.

Une jointure précaire 
“De même que l’âme emplit le corps, D.ieu emplit le monde”. Tout comme un “cou” joint le monde à sa Source Divine, le besoin existe également d’un Beth Hamikdach personnel dans la vie de chaque individu, un “cou” qui joigne sa tête spirituelle à son corps physique. 
L’âme de l’homme est une étincelle pure et parfaite de Son Créateur, la source de tout ce qui est bon et Divin dans l’homme. Mais pour qu’elle dirige sa vie, l’individu doit construire un “cou” qui joindra son âme et son moi physique. Il doit sanctifier son esprit, son coeur et son comportement pour qu’ils forment une conduite par laquelle son essence de D.ieu puisse contrôler, vitaliser et imprégner son être tout entier.
La destruction du Sanctuaire, que ce soit au niveau cosmique ou individuel est la rupture de la jointure entre la tête et le corps, entre le Créateur et la création, entre l’âme et le corps physique. Cela explique pourquoi Yossef et Binyamin pleurèrent l’un sur le cou de l’autre; l’état de la tête n’est jamais cause de détresse car elle ne peut jamais être compromise ou corrompue; mais ils eurent la prémonition des temps où le “cou” entre l’esprit et la matière serait endommagé, brisant le lien entre la terre et les cieux, entre le corps et l’âme. 

Le moi et le prochain
Mais pourquoi Yossef et Binyamin pleurèrent-ils chacun sur le cou de l’autre, Yossef sur la destruction des deux sanctuaires de Binyamin et Binyamin sur celui de Yossef? Pourquoi ne le firent-ils pas tous deux sur la destruction future de leur propre “cou”? Pour répondre à cette question, il nous faut tout d’abord nous interroger sur le sens des pleurs en général. A quoi aboutissent les larmes? Les larmes expriment les sentiments de détresse et de frustration qui accompagnent la connaissance que quelque chose n’est pas comme il devrait être. 
Après de “bons pleurs”, l’homme est quelque peu soulagé de ses sentiments, bien que la situation
n’ait pas évolué. Est-ce un phénomène efficace? A première vue, il semblerait que non. La détresse et la frustration sont ce qui pousse une personne à rectifier la réalité négative qui les a suscitées; les diminuer par d’autres moyens paraîtrait contredire
leur but et leur utilité. Mais qu’en est-il de quelqu’un qui a fait tout ce qu’il lui était possible pour rectifier cette situation?
Dans un tel cas, lorsque les pleurs ne peuvent servir d’excuse pour diminuer l’élan de l’action, l’on peut souligner leur utilité. Ils peuvent servir à communiquer notre sympathie avec les ennuis d’un ami. Et ils peuvent servir à alerter les autres sur la gravité de la situation, d’autres qui sont dans une position où ils peuvent entreprendre une action pour l’aider.
Citant le verset “Secoue-toi de la poussière... Ô Jérusalem” le Midrach explique: “Tout comme le coq qui remue la poussière de ses plumes”. Nos Sages expliquent: quand un coq s’est roulé dans la poussière, un millier de gens armés d’un millier de peignes ne peuvent l’en nettoyer; mais d’un seul coup vigoureux, le coq peut se débarrasser tout seul de chaque petite poussière. L’on peut éduquer, inspirer, diriger, conseiller et aider un ami à se développer et s’améliorer; mais en dernier ressort, le seul qui puisse réellement effectuer un véritable changement durable, c’est lui-même. 
C’est pourquoi Yossef et Binyamin se permirent-ils de pleurer l’un sur le sanctuaire de l’autre.
Finalement seul Yossef peut réparer le Sanctuaire détruit de Chiloh , la “dimension d’Israël dans son expression de Yossef”; Binyamin ne peut que l’encourager et l’assister. Après avoir contribué de toutes ses forces aux efforts de Yossef, il pleure son chagrin et sa préoccupation sur le cou de son frère. La même chose s’applique aux pleurs de Yossef sur les sanctuaires du domaine de Binyamin.
Toutefois, en ce qui concerne les manquements spirituels personnels, un tel principe - “tout ce qui était possible a été fait” - n’existe pas. D.ieu a accordé le libre-arbitre à l’homme et l’a pourvu des capacités et des ressources pour affronter son défi moral et spirituel. C’est pourquoi lorsqu’il s’agit de l’état négatif de la relation entre son propre corps et sa propre âme (et de ses répercussions cosmiques dans la relation entre D.ieu et la création), pleurer ne sert à rien, sinon à diminuer les forces intérieures qui nous poussent à rétablir cette relation. Au lieu de pleurer sur la destruction du Beth Hamikdach et l’exil qui devait en résulter, Yaacov récita le Chema, la proclamation juive de l’Unité de D.ieu et de l’impératif de traduire sa compréhension et sa conscience de cette unité en pensée dans son esprit, en sentiments dans son coeur, en paroles dans sa bouche et en actions concrètes dans sa vie. Au lieu de donner libre cours à sa douleur, Yaacov dirigea son tourment intérieur dans l’entreprise de reconstruire les “cous” endommagés d’Israël