Samedi, 13 avril 2019

  • Metsorah
Editorial

De quoi inaugurer !

Nous revivons en ce moment des temps qui peuvent sembler bien anciens au premier regard. Nous nous souvenons en effet quotidiennement, par la lecture d’un texte, qu’au début du mois de Nissan et jusqu’à la veille de Pessa’h, les chefs de tribu apportèrent leurs offrandes jour après jour, chacun à son tour, pour l’inauguration du Sanctuaire dans le désert. Il n’est guère besoin de souligner la très réelle importance de l’événement. Le Sanctuaire était la demeure de D.ieu dans le monde. Il S’y révélait et, de là, parlait à Moïse. Le fait qu’il ait été construit, achevé et enfin inauguré constitue une authentique révolution dans l’histoire de la création. Toutefois, on ne peut manquer de se dire que, si de tels rites sont hautement signifiants, ils paraissent bien éloignés de nos préoccupations, de ce qui fait le tissu concret de notre vie. Serions-nous donc condamnés à vivre sur deux plans à la fois, comme s’il n’y avait aucun lien possible entre ces niveaux si différents ?

Il est clair qu’accepter une telle idée serait en soi une grave erreur dans la mesure où elle relèguerait les textes à un simple rappel historique. Plus encore, elle constituerait un manque immense dans notre propre vision des choses. Car, faut-il le dire, la Torah nous donne un message éternel. Et si les rites le soulignent, ce n’est pas seulement pour nous en pénétrer dans une sorte de volonté pédagogique. S’ils le font, c’est d’abord parce que ces messages sont d’une actualité essentielle. La période que nous traversons ne fait pas exception à cette règle. Alors que la fête de Pessa’h et la sortie d’Egypte forment déjà l’horizon de notre conscience, inaugurer le Sanctuaire est aussi l’entreprise de chacun. Certes, le Sanctuaire – et son successeur, le Temple – a disparu matériellement mais, d’une certaine façon, c’est en nous que nous le portons. Il existe spirituellement dans l’âme de chacun et, là, sa gloire ne peut jamais s’effacer.

On a l’habitude  de rappeler à quel point le mot « liberté », au moment de Pessa’h, prend une tonalité plus puissante, comme victorieuse par nature. Un chemin sûr y mène et il passe par l’inauguration de notre « Sanctuaire intérieur ». Il est vrai qu’aujourd’hui une telle recherche peut paraître quelque peu en décalage par rapport à la réalité qui nous entoure. Il est pourtant nécessaire de s’y rattacher car elle est une clé pour celui qui entend faire de sa vie quelque chose de plus significatif que la simple succession des jours. La liberté est à notre portée, sachons nous y préparer pour, demain, en être digne et la vivre avec tout l’enthousiasme de la conscience.

Etincelles de Machiah

Un avant-goût du monde futur

L’occupation principale au temps de Machia’h sera la connaissance du Créateur, comme l’écrit Maïmonide (Michné Torah, lois des rois chap. 12, loi 5) : « Et l’occupation du monde entier ne sera que de connaître D.ieu. »

A la fin du temps de l’exil, en préparation à la venue de Machia’h, on nous donne un « avant-goût » de la révélation des secrets de la Torah qui interviendra dans le monde futur.

(D’après Likoutei Si’hot vol. 15 p. 282)

Vivre avec la Paracha

Métsora, Remonter à la cause

La lecture de la Paracha de cette semaine expose les lois de Tsaraat (la « lèpre » biblique). Pourquoi cette maladie de peau était-elle si importante au point d’être l’objet de lois particulières de la Torah ?

Le Midrach enseigne qu’il arrivait que des affections physiques soient les conséquences des actions de l’homme et que cette « lèpre » très spéciale était un résultat de la médisance.

La maison, les habits et la peau

La « lèpre » pouvait apparaître sur la peau, sur les habits voire même sur les murs de la maison. Le Midrach enseigne que la « lèpre » sur les murs était le premier signe d’une faute. Si l’on ignorait ce signe et que l’on continuait à pécher, la « lèpre » gagnait les vêtements. Et en cas d’occultation de ce second symptôme, la « lèpre » devenait alors une maladie dermatologique.

Une question de choix

Un examen attentif de la Paracha met à jour un point intéressant. Alors qu’elle évoque l’apparition de la « lèpre » sur les murs, la Torah dit : « Il se rendra chez le Cohen ». L’implication en est que, lorsqu’un malaise spirituel est négligé et qu’on le laisse s’envenimer, l’on peut s’y habituer et on finit par l’ignorer. C’est par leur propre volonté que ces « patients » ne se rendaient pas chez le Cohen. Il fallait que des amis attentionnés les y conduisent.

Quand apparaissait la « lèpre », un Juif devait rechercher le Cohen et non un dermatologue. Il est vrai que les médecins sont exercés à avoir accès aux forces curatives de D.ieu et peuvent guérir l’affection de la peau. Mais il s’agit pour eux de soigner les symptômes. Ils ne peuvent soigner la cause. Le Cohen conseillait et guidait selon les enseignements de la Torah. La cause était traitée et automatiquement une guérison totale en résultait.

Pour réfléchir

Aujourd’hui, nous n’observons plus les lois de cette « lèpre » puisque nous ne possédons plus le Temple ni la prêtrise. Les symptômes de la « lèpre » ne sont plus fréquents mais sa cause reste toujours présente. Encourager son ami à ne pas proférer de médisance et accepter un tel conseil de nos propres amis est une tâche délicate. Et pourtant le but en vaut la peine, la cause est cruciale et nous ne devons pas la négliger.

Les mots et les pierres

A Médziboch, la ville natale de Rabbi Israël Baal Chem Tov (fondateur du ‘hassidisme, 1698-1760), deux hommes se prirent d’une violente querelle. Un jour, alors qu’ils criaient avec colère l’un contre l’autre, l’un des deux s’écria : « Je vais te couper en pièces de mes propres mains ! »

Le Baal Chem Tov, qui était à la synagogue à ce moment-là, demanda à ses disciples de former un cercle, chacun tenant la main de son voisin, et de fermer les yeux. Rabbi Israël en fit de même et plaça ses mains sur les épaules de ses deux voisins, à sa gauche et à sa droite. Soudain, les disciples poussèrent un cri de terreur : derrière leurs yeux fermés ils voyaient l’homme en colère déchirer réellement en morceaux celui qu’il avait menacé de ces mots.

« Les mots sont comme des flèches », dit le Psalmiste, « et comme des charbons ardents. » Comme des flèches, explique le Midrach, car l’homme reste au même endroit et ses mots dévastent la vie de quelqu’un d’autre, à des milliers de kilomètres. Et comme un charbon ardent dont la surface extérieure est à demi éteinte mais dont l’extérieur reste enflammé. Ainsi les mots malveillants continuent-ils à endommager bien après que l’effet extérieur s’est éteint.

Les mots tuent de plusieurs manières. Parfois, ils mettent en marche une chaîne d’événements qui peuvent se réaliser comme une véritable prophétie. Parfois ils dévient de la cible du venin pour frapper un témoin innocent. Et parfois, ils reviennent, comme un boomerang, et s’abattent sur celui qui les a prononcés. Mais quelle que soit la route qu’ils empruntent, les mots de haine débouchent inévitablement sur des actions détestables, quelquefois des années voire des générations après qu’ils aient été prononcés. La nature humaine est telle que les pensées luttent pour s’exprimer verbalement et les mots cherchent leur réalisation dans des actions, souvent empruntant des chemins complexes que celui qui les a proférés n’aurait pas désirés ni anticipés.

Mais la force des mots va plus loin que son potentiel à les traduire en actions. Même si ce potentiel ne se réalise jamais, même si les mots prononcés ne se matérialisent pas dans ce « monde de l’action », ils continuent quand même à exister dans le plus spirituel « monde de la parole ». Car l’homme n’est pas un simple corps, il possède également une âme ; il n’est pas seulement un être physique, il est également une créature spirituelle. Au plan physique, les mots prononcés ne peuvent signifier que des actions potentielles, virtuelles. Mais dans la réalité de l’âme, elles sont réelles.

C’était ce que le Baal Chem Tov désirait montrer à ses disciples en leur permettant un regard furtif jeté dans le monde des mots habité par les âmes des deux protagonistes. Il voulait qu’ils comprennent que chaque mot que nous prononçons est réel, qu’il s’accomplisse ou non dans le « monde de l’action » où réside notre être physique. A un plan plus élevé, plus spirituel de la réalité, une réalité aussi vraie que l’est pour notre corps la réalité physique, chacune de nos paroles, bonne ou mauvaise, se réalise.

Il en va de même, bien sûr, au sens positif : une parole de louange, une parole d’encouragement est aussi bonne que si elle était réalisée, dans la réalité spirituelle de l’âme. Avant même qu’une bonne parole ait donné lieu à une bonne action, elle a déjà opéré un effet profond et durable sur l’intériorité de notre être et de notre monde.

Le Coin de la Halacha

Qu’est-ce que la Matsa Chmourah ?

En hébreu, « Chmourah » signifie « gardée » et ce terme décrit parfaitement ce qu’est cette Matsa. La farine utilisée pour sa fabrication est gardée, protégée de tout contact avec de l’eau, depuis le moment de la moisson. En effet, si elle venait à être mouillée, elle pourrait lever et devenir impropre à la consommation pendant Pessa’h.

Ces Matsot sont rondes, pétries à la main et ressemblent à celles que les enfants d’Israël consommèrent lorsqu’ils quittèrent l’Egypte. Elles sont cuites en moins de dix-huit minutes sous stricte surveillance rabbinique, afin de s’assurer qu’elles ne puissent en aucune façon augmenter de volume et devenir levain pendant la fabrication. La Matsa Chmourah doit être utilisée pendant les deux nuits du Séder, c’est-à-dire vendredi soir 19 avril et samedi soir 20 avril 2019, en particulier pour les trois Matsot posées sur le plateau. Chaque convive à la table du Séder mangera de la Matsa Chmourah (au moins 30g). Certains ont la coutume d’en consommer pendant toute la fête.

Le Zohar appelle la Matsa Chmourah : l’aliment de la Foi et l’aliment de la Guérison.

Il n’est pas nécessaire d’avoir terminé son ménage de Pessa’h pour acheter les Matsot ; il suffira de les stocker à l’abri de tout ‘Hamets et de toute humidité.

(d’après Chéva’h Hamoadim – Rav Shmuel Hurwitz)

 

Le Recit de la Semaine

L’explosion et la Matsa

L’explosion fut aussi soudaine qu’effrayante. Sans aucun signe annonciateur, des avions lâchèrent des bombes sur la gare proche du camp de concentration de Mildorf en Allemagne.

Alors que les gardes allemands regardaient avec angoisse les colonnes de fumée et les ruines qui s’amoncelaient autour de la gare, les déportés comprenaient avec soulagement que la fin de la guerre approchait, que l’armée de l’air américaine avait repéré leur camp et que l’espoir renaissait. Cependant, ils savaient aussi que, tels des bêtes acculées, les Nazis seraient plus nerveux et cruels que jamais et leur rendraient la vie encore plus amère maintenant que la fin arrivait.

On était quelques jours avant la fête de Pessa’h (1945). Alors que les détenus étaient obsédés par la faim et ne pensaient qu’à trouver encore un morceau de pain, trois personnes s’inquiétaient pour tout autre chose : comment se procurer des Matsot pour le Séder ? Il s’agissait du Rabbi de Klausenburg, de Rav Moché Goldstein, le gendre du Rabbi de Skolié et de Rav Yaakov Friedman, qui raconta plus tard ce récit à ses enfants.

Penser aux Matsot dans cet enfer pouvait sembler de la folie mais le Rabbi de Klausenburg était confiant : cette année, contrairement aux années précédentes, ils réussiraient à manger de la Matsa le soir du Séder, il en était certain.

Après l’explosion, les Allemands cherchèrent en tout premier lieu à réparer les dégâts. La gare représentait un nœud ferroviaire important et il était urgent pour la suite de la guerre de la réparer le plus vite possible. Les rails étaient déformés, des trains étaient immobilisés et plus rien ne fonctionnait. Ils décidèrent d’envoyer un contingent de prisonniers pour réparer au plus vite la gare et déblayer les gravats. Yaakov Friedman, qui avait la permission de sortir du camp, se proposa dans l’espoir de trouver un peu de nourriture supplémentaire.

Quand les prisonniers arrivèrent sur place, ils constatèrent l’ampleur de la destruction. Yaakov erra parmi les wagons abandonnés et soudain s’arrêta, frappé de stupeur : tout un wagon rempli de blé ! Il sentit son cœur battre à tout rompre : la Main de D.ieu se révélait à lui au milieu de l’enfer !

Il échafaudait toutes sortes de plans pour imaginer comment rapporter au moins un petit chargement de blé au camp quand il entendit soudain des gémissements au bout du wagon. Il s’approcha avec précaution et découvrit un soldat nazi à demi enterré sous les sacs de blé : blessé à mort, le soldat délirait. Yaakov souleva un sac au-dessus des jambes du nazi et remarqua ses chaussures de bonne qualité : « Premièrement, je vais lui prendre ses chaussures afin de me sentir déjà un peu libre et pouvoir circuler plus aisément ! ». Après avoir enfilé ses nouvelles chaussures, Yaakov abandonna l’homme qui ne devait pas tarder à expier ses fautes monstrueuses.

Puis il eut une idée : dans un autre wagon, il découvrit un stock de pantalons, bien trop larges pour lui qui ne pesait plus qu’une trentaine de kilos. Il en revêtit deux, l’un sur l’autre et les accrocha en nouant des fils autour de sa taille. Entre les épaisseurs d’étoffe, il fourra autant de grains de blé que possible : il savait combien il était dangereux de se faire repérer par les gardiens du camp avec de la nourriture mais il décida de s’en remettre à D.ieu tout en murmurant des prières et des Psaumes.

Comme les gardiens étaient affolés par ce qu’ils pressentaient comme étant la fin de leur folie meurtrière, ils étaient peu intéressés par les allers et venues des déportés et ne prêtèrent guère attention à ce prisonnier bizarrement accoutré. Donc la première étape s’était bien passée. Ensuite Yaakov mit dans le secret Rav Sender Direnfeld, un ‘Hassid de Belz. Celui-ci fut chargé de surveiller le précieux butin et s’acquitta fidèlement de sa tâche. D’autres déportés réussirent (comment ?) à se procurer un vieux moulin à café et, la nuit quand tous les autres dormaient, ils moulurent le blé aussi fin que possible et le récupérèrent dans un morceau de tissu propre. Durant la journée, ils travaillaient dans les champs et chacun prit sur lui de ramasser des branches. Le gardien, soupçonneux, leur demanda à quoi cela pouvait bien leur servir mais ils répondirent qu’ainsi, ils pourraient mieux marcher. En fait, grâce à ces bâtons, ils purent aplatir les Matsot avant de les enfourner sur des braises incandescentes. Pendant toute cette opération, un détenu montait la garde pour prévenir de l’arrivée éventuelle d’un gardien. Tous les participants murmuraient les versets du Hallel selon la coutume ancestrale. Le détenu le plus capable et le plus adroit n’avait pas été pratiquant avant la guerre mais avait été arrêté et déporté à cause de son origine juive, ce qui l’avait fait réfléchir. C’était justement dans le camp qu’il était revenu à une pratique religieuse aussi rigoureuse que possible : il se montrait vigilant à l’extrême pour la cuisson des Matsot, soucieux d’assurer une cacherout irréprochable malgré ces conditions précaires… C’est ainsi que ce petit groupe réussit à cuire clandestinement 20 petites Matsot sans que les Nazis ne se doutent de rien.

Quand la nuit du Séder arriva, ces déportés se réunirent discrètement : ils disposaient de l’amertume du Maror en abondance. Les larmes aux yeux, ils mangèrent le « pain de misère » qu’ils avaient cuit dans ces circonstances héroïques comme leurs ancêtres avant leur sortie d’Égypte, plus de 3000 ans auparavant. Le Rabbi de Klausenburg récita par cœur des passages entiers de la Haggada et encouragea ses compagnons à garder espoir.

Rav Yaakov Friedman survécut à la guerre, parvint à s’installer aux États-Unis. Chaque année, entouré de sa famille, avant de commencer le Séder, il se levait et, avec émotion, racontait sa sortie d’Égypte personnelle, remerciait D.ieu de l’avoir sauvé de ces épreuves et seulement alors s’asseyait à la tête de la table pour transmettre le message de la liberté à ses enfants et petits-enfants.

« Tiferet Yaakov » - Sichat Hachavoua N° 1580

Traduit par Feiga Lubecki