Regard sur le temps qui passe
La période électorale en cours et les débats qu’elle suscite nous rappellent à quel point la vie d’une démocratie est d’abord faite de l’engagement de ses citoyens et comme la communauté juive est, par nature, partie prenante de la vie de la cité. Il y a ici comme deux calendriers qui se superposent : celui de la société dans son ensemble, avec les enjeux forts du moment, et le mois de Nissan, le premier du calendrier dans le cycle de la Torah, le mois de notre rendez-vous avec la liberté au temps de la fête de Pessa’h. Le risque existe d’adopter, de ce fait, une démarche oscillante, qui nous ferait traverser cahin-caha des jours au double sens. Faudrait-il donc choisir entre la floraison spirituelle de Nissan et la vie qui continue dans un monde que chacun doit contribuer à édifier ?
Il est clair que nul ne peut se considérer comme constitué de deux parties distinctes qui vivraient indépendamment l’une de l’autre. L’homme est un être global et, particulièrement dans la vision du judaïsme, sa présence et son implication dans la cité sont autant des façons du service de D.ieu que la pratique des actes plus spécifiquement rituels. Et si, d’une certaine manière, tout était lié ? Si nous avions le pouvoir de vivre pleinement la liberté – celle de Pessa’h – et de transmettre cette expérience à tous ? Si nous pouvions choisir un monde plus beau ? De fait, c’est à présent un nouveau temps qui commence. C’est ce moment-là où le vent du printemps chasse toutes les grisailles de l’hiver, emporte limites et barrières et fait régner un air purifié. Alors, puisque tout est différent, s’ouvre le champ infini des possibles. Dans la cité comme en soi-même, tant de choses sont à construire.
Pour cela, peut-être faut-il d’abord regarder le monde comme un espace que D.ieu a confié à chacun afin qu’il en devienne l’acteur, comme Son véritable associé. Peut-être faut-il aussi considérer soi-même avec toute la passion de l’artisan qui contemple son œuvre inachevée et brûle du désir d’en faire ressortir toute la beauté. Finalement, tout est question certes de décision mais d’abord de regard. Portons le nôtre au loin car l’horizon est à sa portée. C’est de l’horizon de toute conscience qu’il s’agit : la Liberté, le nom aussi des temps messianiques.
Un avant-goût du monde futur
L’occupation principale au temps de Machia’h sera la connaissance du Créateur, comme l’écrit Maïmonide (Michné Torah, lois des rois chap. 12, loi 5) : «Et l’occupation du monde entier ne sera que de connaître D.ieu.»
A la fin du temps de l’exil, en préparation à la venue de Machia’h, on nous donne un «avant-goût» de la révélation des secrets de la Torah qui interviendra dans le monde futur.
(D’après Likoutei Si’hot vol. 15 p. 282) H.N.
METSORA
L’odyssée personnelle et l’odyssée collective
Le nom de la Paracha, Metsora, signifie : «une personne atteinte de Tsaraat».
«Tsaraat» était une affection de la peau qui transmettait une impureté rituelle empêchant la personne de pénétrer dans le Temple, de participer à ses rituels ainsi qu’à une vie sociale au sein de la communauté. Ainsi séparé du Temple, lieu de vie et de Divinité (qui est la source de vie) et de la communauté, le metsora est, selon les paroles de nos Sages, une métaphore de la mort.
Bien que le mot metsora soit effectivement l’un des premiers de la Paracha, le sujet réel du premier tiers évoque le processus par lequel le metsora est guéri de la Tsaraat, c’est-à-dire de la situation qui en fait un metsora. Le sujet du second tiers de la Paracha est la Tsaraat qui affecte une maison et le processus de sa purification. Enfin, la troisième partie de la Paracha traite de deux formes d’impureté totalement différentes et de leur purification.
Compte tenu de la nature dégradante de la Tsaraat, il semble étonnant qu’une Paracha consacrée aux moyens d’en guérir porte le nom de celui qui en est atteint.
Cependant, l’essentiel de la Paracha se concentre sur la manière de délivrer celui qui est touché parce que le processus de purification n’est rien de plus qu’une suite de l’affection elle-même. Cela veut dire que l’étape suivante du processus de réhabilitation commence avec la contraction de l’affection.
L’une des métaphores utilisées par les Prophètes pour décrire le processus de la Rédemption et même le Machia’h lui-même est celle de la «germination».
«Car tout comme la terre fait jaillir ses pousses et un jardin ses semis, D.ieu fera germer la justice et la louange en présence de toutes les nations» (Isaïe 6 :11).
«Voici, les jours arrivent, dit D.ieu, où Je ferai germer une juste semence de David ; un roi régnera et prospérera et il dirigera avec justice et droiture la terre» ( Jérémie 23 :5).
En outre, les Sages du Talmud disent (Sanhédrin 98b) que le qualificatif du Machia’h est «metsora de la Maison de Rabbi Yéhouda le Prince», citant le verset (Isaïe 53 :4) : «En réalité, ce fut ta maladie qu’il supporta et tes douleurs qu’il porta mais nous le considérions comme un metsora, frappé par D.ieu et affligé».
Le Talmud rappelle même un épisode dans lequel le Machia’h fut aperçu sous l’aspect d’un metsora.
Rabbi Yéhouda ben Lévi rencontra Eliyah le Prophète, se tenant à l’entrée de la cave de Rabbi Chimone bar Yo’haï. Il demanda à Eliyah :
- Quand le Machia’h viendra-t-il ?
- Va et demande lui toi-même, lui fut-il répondu.
- Où est-il ?
- A l’entrée de la ville.
- Et par quel signe pourrai-je le reconnaître ?
- Il est assis parmi les pauvres, affligé de Tsaraat. Mais alors que les autres commencent par desserrer leurs pansements et (après avoir soigné leurs plaies) les rattachent, il défait et remet ses pansements en une fois, pensant : «Peut-être que je peux être appelé (à tout moment pour me révéler comme le Machia’h et s’il en est ainsi) je ne peux être retardé (en devant panser à nouveau mes plaies)» (Sanhédrin 98a).
Dans ce contexte, nous pouvons comprendre la raison pour laquelle notre Paracha et la précédente, Tazrya, se réfèrent au processus de la Rédemption.
Tazrya, qui signifie «semer», se réfère au travail que nous devons effectuer pour faire en sorte que la Rédemption «germe». Metsora se réfère à Machia’h lui-même. C’est ainsi que la phrase Tazrya Metsora signifie «Sème les graines de la Rédemption messianique».
La plupart des années, les deux Parachiot sont lues ensemble. Dans le contexte allégorique que nous venons de mentionner, cela nous enseigne que nous devons considérer nos efforts pour raffiner le monde par l’étude de la Torah et l’accomplissement des Mitsvot, non comme une fin en soi, ce qu’ils constituent très certainement, mais également comme les moyens de hâter la venue du Machia’h. Nous ne devons pas dissocier notre Tazrya, notre ensemencement, de Metsora, son but messianique.
Plus encore, nous devons envisager nos efforts et leur but, vivre notre vie en accord avec les commandements de la Torah et la Rédemption messianique, non comme deux entités séparées mais comme une continuation.
Vivre une vie de Torah conduit par nature à la Rédemption. Et la Rédemption est tout simplement l’épanouissement absolu de la Torah et de ses commandements que nous avons connus au cours de notre exil. La Torah du futur messianique sera la même Torah que celle que nous possédons maintenant. La seule différence sera que ses dimensions les plus secrètes nous seront entièrement révélées. De la même façon, à l’Ere Messianique, nous continuerons à pratiquer les commandements de la Torah.
Mais nous les observerons dans toute leur portée, à la fois quantitativement, comme ceux que nous ne pouvons observer que lorsque le Temple est érigé et que toute la nation juive est installée dans son foyer, et qualitativement.
En effet, aujourd’hui, la réalité, le plus souvent faite de grossier matérialisme, nous empêche de voir les révélations divines qui résultent de notre pratique des mitsvot. Avec Machia’h, notre propre conscience sera sensible aux sublimes révélations divines.
En lisant l’odyssée du metsora et le processus de la rédemption de son isolation sociale, lui qui était «exilé» de la société, nous lisons en même temps l’histoire de notre odyssée personnelle, depuis notre crise spirituelle jusqu’à notre rédemption et celle de notre odyssée collective à travers l’exil, nous dirigeant tous ensemble vers la Rédemption ultime.
Quelles sont les lois et coutumes du mois de Nissan ?
- Le mois de Nissan commence cette année mardi 1er avril (Roch ‘Hodech).
- On évite de manger des Matsot jusqu’au soir du Séder (lundi soir 14 avril).
- Dans toutes les communautés, on a coutume de ramasser de l’argent afin de pourvoir aux besoins des familles nécessiteuses pendant la fête. Cela s’appelle Maot ‘Hitime, l’argent pour la farine (nécessaire à la confection des Matsot). Le Rabbi a institué que chaque responsable communautaire s’efforce d’envoyer à ses fidèles dans le besoin des Matsot Chmourot (rondes, cuites à la main, spécialement surveillées depuis la moisson du blé), au moins pour les deux soirs du Séder.
- Tout le mois de Nissan, on ne récite pas la prière du Ta’hanoune (supplications).
- On ne jeûne pas durant le mois de Nissan (excepté les mariés avant la cérémonie).
- Après la prière du matin, les treize premiers jours du mois, on lit le sacrifice apporté par le Nassi du jour, en souvenir des sacrifices apportés par les princes des 12 tribus les jours d’inauguration du Michkane, le sanctuaire portatif dans le désert (Bamidbar – Nombres chapitre 7 et début du chapitre 8). Après la lecture des versets, on ajoute la courte prière de Yehi Ratsone imprimée dans le Siddour, le livre de prières.
- La première fois en Nissan qu’on voit des arbres fruitiers en fleurs, on récite la bénédiction Barou’h... Chélo ‘Hissère Beolamo…
F.L. (d’après Chéva’h Hamoadim – Rav Shmuel Hurwitz)
Merci pour ta bénédiction
Tout en étudiant à la Yechiva de Tsfat (Safed) en 1984, je m’y occupais également des élèves plus jeunes que moi. Nous mettions au point de nombreux projets dans toute la ville : jardin d’enfants, cours de Torah…
A plusieurs occasions, le Rabbi avait demandé que ses ‘Hassidim lui envoient - si possible au début de chaque mois - un rapport de leurs activités concernant les autres Juifs. D’habitude, c’était moi qui écrivais ce rapport, au nom de l’administration de la Yechiva.
Ecrire un rapport au Rabbi n’est pas si simple. Plusieurs jours auparavant, je réfléchissais à ce qui était digne de figurer dans ce rapport et comment j’allais le rédiger. Et vous n’écrivez pas une lettre au Rabbi en quelques minutes : vous devez bloquer un créneau horaire pour vous préparer, écrire au calme, décider quoi écrire et quoi ne pas écrire. Bien entendu, je tapais à la machine à écrire puisque personne ne disposait d’ordinateur personnel à cette époque.
Le mois d’Adar avait débordé d’activités de toutes sortes. Soudain, nous nous retrouvions déjà en Nissan et je n’avais pas encore écrit le rapport d’Adar, avec toutes les fêtes et lectures de la Meguila ainsi que les préparatifs pour Pessa’h que nous avions organisés dans la région. Avant que je me rende compte de quoi que ce soit, nous étions le 11 Nissan, le jour de l’anniversaire du Rabbi et je n’avais toujours rien écrit !
« Assez ! me dis-je. Quoi qu’il arrive, je vais écrire ce rapport ce soir ! »
Cette nuit-là, je m’assis et écrivis, encore et encore. A trois heures du matin, j’avais fini : une lettre de huit pages !
J’avoue que j’étais fier de moi et fier de nous. Nous avions réalisé de si belles initiatives, nous avions contribué à répandre tant de judaïsme parmi les jeunes et les moins jeunes… C’était certainement un «cadeau d’anniversaire» que le Rabbi saurait apprécier.
Mais, à mon avis, il manquait quelque chose : je ne pouvais pas terminer cette lettre sans ajouter une bénédiction pour l’anniversaire du Rabbi…
Ce n’était pas évident : un étudiant de Yechiva ne peut se permettre de donner une bénédiction au Rabbi, c’est plutôt lui qui en demande! Il arrivait de temps en temps, lors d’occasions spéciales, qu’un vieux ‘Hassid, marqué par des années de détention en Sibérie ou ayant réalisé de remarquables projets dans le domaine de l’éducation juive se lève au cours d’une réunion ‘hassidique et bénisse le Rabbi au nom de toute la communauté, mais certainement pas un jeune étudiant de Yechiva !
- Et alors ? Peu importe qui je suis ! Je donnerai une bénédiction au Rabbi au nom de toute l’administration de la Yechiva.
Cependant, comment pouvais-je me permettre d’agir au nom de toute la Yechiva alors qu’en fait, j’agissais de mon propre chef ? Je devais demander la permission ! Oui, mais à qui ? Chacun aurait une opinion différente et le temps de prendre une décision, ce serait déjà Pessa’h et la lettre ne serait pas encore partie ! Devais-je signer le rapport au nom de l’administration, comme je le faisais habituellement et ajouter un autre feuillet avec une bénédiction signée de ma part ? J’hésitai encore. On était presque le matin quand je décidai d’ajouter au rapport une bénédiction vibrante de chaleur ‘hassidique que je signai courageusement : «L’administration» !
A la première heure, j’envoyai la lettre avant que quiconque puisse me demander de lire le rapport, comme certains le faisaient parfois. Toute la journée, je me dépêchai dans mes divers préparatifs de Pessa’h afin que personne n’envisage de me déranger.
Trois semaines passèrent. Un jour, une lettre arriva à la Yechiva, une lettre du Rabbi. C’était une nouvelle extraordinaire et tous accoururent pour voir la fine enveloppe encadrée de tirets bleus et rouges comme l’étaient à l’époque les lettres envoyées vers l’étranger avec, en haut, à gauche, le nom et l’adresse du Rabbi à Brooklyn.
Dans l’enveloppe se trouvaient deux lettres pliées séparément, ce qui était assez rare. Il arrivait qu’on reçoive une lettre constituée de deux feuillets mais deux lettres pliées séparément… ?
L’une était adressée à l’administration mais l’autre m’était adressée personnellement !
« J’ai bien reçu votre lettre… Merci beaucoup. Je vous adresse mes bénédictions pour la fête de Pessa’h : qu’elle vous apporte la liberté de tous les obstacles, spirituels aussi bien que physiques. Servez D.ieu dans la joie… »
Mais attendez ! A la fin de la lettre qui m’avait été adressée, il y avait deux autres lignes, écrites de la main même du Rabbi : «Merci pour vos bénédictions ! Quand on bénit quelqu’un, D.ieu à son tour vous bénit !»
C’était écrit noir sur blanc ! Je n’en croyais pas mes yeux. Je n’avais parlé à personne de ce que j’avais écrit. Mais le Rabbi avait lu dans mon cœur. Le Rabbi l’avait ressenti : c’était tout !
Rav Aharon Eliezer Ceitlin – Safed – interviewé par JEM
Traduit par Feiga Lubecki