A la rencontre du 11 Nissan
Il existe des jours qui, pour être pleinement vécus, demandent préparation. La loi juive l’enseigne en une formule appliquée aux jours de fête, dont les règles doivent toujours être revues pour être convenablement appliquées : « trente jours avant la fête » dit-elle. Cependant, même quand il ne s’agit pas de jours de fête au sens strict et que, par conséquent, leurs règles ne nécessitent pas une attention aussi grande, certains moment appellent une véritable réflexion spirituelle préalable, comme un effort profond et personnel. Sans doute est-ce ainsi qu’il faut considérer, à l’orée de Pessa’h, la journée du 11 Nissan. Elle interviendra en début de semaine prochaine mais c’est dès à présent qu’elle nous apporte sa lumière et, d’une certaine manière, requière notre présence consciente.
11 Nissan : anniversaire de la naissance du Rabbi de Loubavitch. Que dire d’une date qui émerge comme une évidence ? D’année en année, dans le monde entier, des milliers d’hommes et de femmes ressentent toute l’énergie dont elle est porteuse. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : avec le Rabbi, au lendemain des événements les plus tragiques de l’histoire juive, c’est le bonheur d’être juif qui allait être redécouvert par chacun. C’est un nouveau maillon de la chaîne ancienne qui allait être forgé pour que jamais le message du judaïsme ne vienne à disparaître et notre vie à perdre tout sens. Sans doute ne le mesura-t-on pas immédiatement. Mais aujourd’hui nous le savons. C’est alors que tout se mit en place pour ce changement essentiel. Et cette puissance-là est de celles qui ne s’effacent pas mais grandissent avec le temps qui passe.
Il faut donc bien s’en saisir. Reste à comprendre comment. Comment s’enracine-t-on dans un échange spirituel, comment établit-on un tel lien ? En ce qui concerne le 11 Nissan, le Rabbi a indiqué un double chemin : celui de l’étude et de l’action. Il nous a donné un enseignement qui détient des clés – pour la compréhension, le savoir et la capacité de définir les choses avec justesse. Il nous a aussi montré que l’unique approche intellectuelle ne saurait suffire car, dans notre monde matériel, l’action est déterminante, capable seule d’ouvrir à des temps meilleurs. Agir en soi et autour de soi, partager conscience et connaissance. Un défi ? Plus que cela : une victoire !
Il nous montrera des merveilles
Machia’h éveillera en chaque Juif la capacité de voir la Divinité. C’est ce qu’exprime le verset (Miché 7:15) : «Comme aux jours de ta sortie d’Egypte, Il nous fera voir des merveilles.»
Moïse voulut aussi faire descendre ce degré en chacun mais il ne put y parvenir, comme l’indique le verset (Deut. 4:1) : «Et maintenant Israël, écoute…» Ce que Moïse n’a pu réussir, c’est Machia’h qui le fera.
(D’après Likoutei Torah, Vayikra 17b)
Metsora
Résumé
La Paracha de la semaine dernière décrivait les signes du Metsora (personne frappée par une maladie de la peau), terme désignant une personne affligée d’une maladie spirituelle qui la mettait en état d’impureté rituelle. La lecture de cette semaine commence par donner les détails de la manière dont le Metsora guéri est purifié par le Cohen (prêtre), selon une procédure particulière utilisant deux oiseaux, de l’eau de source dans un ustensile en terre, un morceau de bois de cèdre, un fil écarlate et une branche d’hysope.
Une maison peut être également atteinte de cette maladie dénommée « Tsaraat », lors de l’apparition de taches vertes ou rouge foncé sur les murs. Dans un processus s’étendant sur dix-neuf jours, un Cohen détermine si la maison peut être purifiée ou si elle doit être démolie.
L’impureté rituelle est aussi engendrée par des pertes masculines ou féminines, ce qui nécessite l’immersion dans un Mikvé.
Une grande partie de la Paracha Metsora se concentre sur la maladie de Tsaraat. En général, ce terme est rendu par «lèpre» mais il s’agit là d’une traduction erronée. Puisque, comme le relate la Torah cette semaine, tsaraat n’affecte pas uniquement la peau d’une personne mais peut également toucher ses habits et les murs de sa maison, ce n’est pas la lèpre ni aucune autre maladie connue. Comme l’écrit Maïmonide, «ce n’est pas un événement fortuit ; c’est un signe et un miracle fréquents chez le Peuple juif pour mettre en garde contre le Lachone Hara-paroles indésirables.» En effet, l’aptitude à la parole est un potentiel exclusivement humain, reflétant nos tendances les plus profondes. Quand nous proférons des paroles de commérage ou de calomnie, nous ne faisons pas que blesser la personne dont nous parlons mais nous nous faisons également du mal à nous-mêmes et, dans un sens plus large, nous discréditons l’essence spirituelle du Peuple juif dans son ensemble.
La parole ne tire pas son origine du vide. Elle révèle au contraire ce qui est caché dans le cœur de l’homme. Quand un individu parle de façon inadéquate, cela révèle des traits de caractère inappropriés. Les afflictions de Tsaraat ont pour but d’attirer son attention sur ces défauts de son caractère et de le pousser à les corriger.
Pour aider la personne dans ce travail, la Torah ordonne que lorsqu’un homme trouvait une tache de tsaraat, il devait se présenter devant un Cohen pour qu’il l’examine et finalement le déclare pur.
Les Cohanim se caractérisent par un désir d’unité et d’amour pour leur prochain. C’est pour cette raison qu’ils ont été choisis pour bénir le peuple. En fait, la bénédiction qu’ils énoncent avant de prononcer la Birkat Cohanim, «Bénédiction des Prêtres», met l’accent sur cette qualité puisqu’elle affirme qu’ils ont été «enjoints de bénir Son peuple Israël, avec amour».
Quand une personne atteinte d’une tache de tsaraat se présentait devant le Cohen, une démarche à deux niveaux avait lieu. D’une part, le Cohen observait le processus interne de purification. Et à un niveau plus profond, il le suscitait. Chaque fois qu’il regardait la tache, il insufflait une énergie spirituelle, de l’amour et de l’attention, à la personne touchée. Et cette énergie lui permettait de guérir ses défauts de caractère et d’être finalement guérie de son affliction.
Perspectives
Nos Sages affirment que Machia’h lui-même sera marqué de blessures comparables au Tsaraat et pour illustrer ces propos, ils racontent l’histoire suivante :
Rabbi Yehochoua ben Lévi rencontra le prophète Elie… et lui demanda :
- Quand Machia’h viendra-t-il ?
Le prophète répondit :
- Va lui demander…
- Et comment le reconnaîtrai-je ?
- Il est assis parmi les pauvres marqués par des blessures. Les autres découvrent toutes leurs blessures d’un coup et les recouvrent à nouveau. Mais lui, il découvre une blessure à la fois et immédiatement la recouvre. Car il dit : «Peut-être vais-je être appelé (pour apparaître en tant que Machia’h) et je ne devrai pas être retardé !».
Ainsi (Rabbi Yehochoua ben Lévi) se rendit auprès de lui et dit :
- Paix sur toi, mon Seigneur et mon Maître !
Il lui répondit :
- Paix sur toi, fils de Lévi !
Puis il lui demanda :
- Maître, quand viendras-tu ?
Il répondit :
- Aujourd’hui !
Rabbi Yehochoua revint chez Elie… et lui dit :
- Il m’a trompé ! Il m’a dit qu’il viendrait aujourd’hui et il n’est pas venu !
Elie dit :
- Ce qu’avait en tête Machia’h est ce (verset) : «Aujourd’hui… Si seulement vous écoutiez Sa voix !»
Que faut-il pour faire venir Machia’h ? Un changement de direction chez l’homme. Tout ce que les hommes ont à faire est de se tourner vers D.ieu et d’écouter Sa voix. Par le bienfait de cette initiative elle-même, la face de D.ieu ne sera plus cachée.
Quelles sont les Mitsvots essentielles du Séder ?
Le vendredi 22 et le samedi 23 avril 2016, on organise le repas du Séder pour célébrer la sortie d’Egypte. On ne pourra commencer qu’après la nuit tombée (21h 36 vendredi soir et 21h 47 samedi soir - heure de Paris). Tous les Juifs doivent participer au Séder, hommes, femmes et enfants. Il faut :
Raconter la sortie d’Egypte
On le fait en lisant la Haggadah. Il faut raconter à tous les participants et en particulier aux enfants, selon ce qu’ils peuvent comprendre. Pour éviter qu’ils ne s’endorment, on aura pris soin de les faire dormir l’après-midi et on leur fera chanter certains paragraphes de la Haggadah.
Manger de la Matsa
On mange de la Matsa les deux soirs du Séder après avoir dit la bénédiction : «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al A’hilat Matsa», en plus de la bénédiction habituelle «Hamotsi». La Matsa du Séder sera «Chemourah», c’est-à-dire qu’on aura surveillé depuis la moisson, que les grains de blé, et plus tard la farine, n’auront pas été en contact avec de l’eau, ce qui aurait risqué de les rendre ‘Hamets. Nombreux sont ceux qui préfèrent consommer les Matsot rondes cuites à la main (et non à la machine) comme au temps de la sortie d’Egypte. Il faut manger au moins 30 grammes de Matsa, et il est préférable de les manger en moins de quatre minutes. Il faudra manger trois fois cette quantité de Matsa : pour le «Motsi», pour le «Kore’h» (le «sandwich» aux herbes amères), et pour l’ «Afikoman», à la fin du repas, en souvenir du sacrifice de Pessa’h qui était mangé après le repas.
Manger des herbes amères (Maror)
On mange des herbes amères en souvenir de l’amertume de l’esclavage en Egypte. On achètera de la salade romaine qu’on nettoiera feuille par feuille devant une lumière pour être sûr qu’il n’y a pas d’insectes, après l’avoir fait tremper dans de l’eau. On prépare pour chacun des convives au moins 19 grammes de «Maror», c’est-à-dire de salade romaine avec un peu de raifort râpé, trempé dans le «Harosset» (compote de pommes, poire et noix, avec un peu de vin) après avoir prononcé la bénédiction : «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al A’hilat Maror». On consomme encore 19 grammes de Maror bien séché entouré de Matsa pour le «Sandwich de Kore’h».
Boire 4 verres de vin
On doit boire au cours du Séder au moins quatre verres de vin ou de jus de raisin cachère pour Pessa’h. Le verre doit contenir au moins 8,6 centilitres, et on doit en boire à chaque fois au moins la moitié, en une fois. Les hommes et les garçons doivent s’accouder sur le côté gauche, sur un coussin, pour manger la Matsa et boire les quatre verres de vin.
La Matsa Chemourah de Samarkand
Le régime soviétique avait tout confisqué : les champs et les moulins entre autres, ce qui nous compliquait singulièrement la tâche pour fabriquer des Matsot Chemourot, ces Matsot rondes, faites à la main. En effet, la farine utilisée pour ces Matsot doit provenir de grains de blé qui ne sont pas entrés en contact avec de l’eau depuis la moisson et il était très difficile, sinon impossible de se procurer une farine de cette qualité.
Durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux réfugiés avaient afflué de Pologne et d’autres régions de Russie. La famine était telle que nous ne pouvions même pas rêver de nous procurer des Matsot Chemourot : nous remercions D.ieu de disposer de Matsot simples que des Juifs de Boukhara nous aidaient à préparer, avec autant de soin que nous pouvions nous permettre.
Avec la fin de la guerre, les réfugiés de Pologne retournèrent dans leur pays, «accompagnés» par nombre de ‘Hassidim de Russie qui avaient profité de faux papiers polonais. Nous nous retrouvions soudain privés de l’encadrement ‘hassidique auquel nous confions tous nos besoins cultuels. Faute de mieux, avec les étudiants les plus âgés de la Yechiva, nous avons dû prendre en main la situation. Et, en particulier, la production de Matsot.
Il fallait d’abord acheter du blé : or les paysans ouzbeks avaient la coutume de laver les épis de blé avant de les vendre. Nous avons donc recherché attentivement des épis qui n’avaient pas été lavés et que nous avons ensuite examinés pour enlever tous ceux qui étaient attaqués par les vers et autres parasites. Comme il n’y avait pas d’électricité, nous les examinions à la lumière d’une lampe à kérosène, en nous souvenant que le Talmud évoquait les femmes vertueuses qui vérifiaient les épis de blé à la lumière des torches allumées pour les réjouissances de Sim’hat Beth Hachoéva, la fête du puisement de l’eau qui s’effectuait dans une grande joie…
Après cette première étape, nous apportions ce blé soigneusement trié dans un moulin actionné par une chute d’eau, non loin de la ville. Or ce moulin était propriété du gouvernement et les particuliers n’avaient pas le droit d’y moudre leurs grains - et certainement pas pour des raisons religieuses. Nous avons offert discrètement une grosse somme d’argent à la gérante, une femme ouzbek du nom d’Osman Aka qui nous permit d’utiliser le moulin – mais seulement pour deux jours.
Nous nous sommes mis au travail avec enthousiasme. Il fallait nettoyer les énormes meules qui pesaient chacune 500 kilos. Avec de gros efforts, nous les avons détachées et nettoyées à l’aide de bâtonnets et une brosse spéciale. Inquiète, Osman Aka restait à nos côtés, persuadée que nous allions les abîmer : elle nous suppliait de cesser de les frotter si fort ! C’était un tel travail que toute la communauté, même de petits enfants, venaient nous aider. Quand ceci était enfin effectué, il ne restait plus que deux heures pour moudre le blé.
Reb Feivish Genkin, un Juif simple de Samarkand, était connu pour être très méticuleux dans son observance des Mitsvot, au point que même Reb Berke Chein acceptait de manger chez lui : il faut préciser qu’en général, Reb Berke préférait ne pas manger chez certaines familles, par crainte d’une cacherout douteuse. Ce Reb Feivish possédait un chalumeau fonctionnant à l’essence : il l’apportait au moulin. Après que nous ayons frotté tous les trous et crevasses des meules, il passait son chalumeau sur les pierres afin de brûler toutes les particules de blé qui auraient pu nous échapper. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous pouvions commencer à moudre les grains.
A partir de 1950, nous avons pu nous procurer du blé qui avait été surveillé depuis la moisson ; une femme juive très pratiquante faisait pousser du blé dans son jardin en Géorgie, spécialement pour les Matsot Chemourot. Nous avons réussi à la contacter et, chaque année, elle nous faisait parvenir sept ou huit kilos de blé (elle recevait des commandes de plusieurs communautés de ‘Hassidim de Loubavitch de toute la Russie). Elle envoyait par poste aérienne le blé dans des sacs en papier (il était impossible d’obtenir des sacs en plastique) ; nous les recevions en général après Souccot. Nous avons alors acheté un grand moulin – à café - actionné à la main mais il fallait passer les grains de blé plusieurs fois par ce moulin pour obtenir de la farine fine : entre les utilisations, nous resserrions les disques de métal pour bien écraser les grains de blé. Actionner ce moulin à la main exigeait un tel effort que nous répartissions le travail sur plusieurs semaines. Tous les jeudis soirs, un groupe d’étudiants de Yechiva se rendait dans la maison d’un membre de la communauté : pendant que l’un d’entre nous actionnait le moulin, les autres étudiaient une Si’ha du Rabbi à voix haute pour que le «travailleur» puisse participer lui aussi à l’étude. C’était une atmosphère de sainteté incroyable, rehaussée par l’effort douloureux qu’exigeait cette Mitsva. Au bout d’un quart d’heure, le «travailleur» était épuisé et remplacé par un autre jeune homme. Ce processus était très lent et nous ne parvenions pas à moudre plus qu’un kilo de blé par semaine. C’était donc ainsi que nous passions les longs jeudis soirs d’hiver. Mais c’était ainsi que nous obtenions des Matsot Chemourot conformes aux plus hauts standards de cacherout. Chacun de nous n’en recevait que la quantité minimum nécessaire pour le Séder et pour les repas des jours de fête.
Ce système de moulin à café actionné à la main était vraiment trop fatiguant. Je ne cessai de réfléchir à une solution plus rapide. A l’époque, presque chacun possédait une sorte de vélo à moteur pour aller d’une ville à l’autre. Un jour, j’eus l’idée de lier la roue qui actionne le moteur au moulin à café, ce qui permit effectivement de réduire considérablement la fatigue de tout le processus : j’enlevai le bouton du moulin et le remplaçai par une roue que j’attachai à la motocyclette. Ainsi, le disque du moulin fonctionnait beaucoup plus vite. Tout ceci, nous le faisions dans la maison de la famille Mishulovin qui habitait au bout d’une rue, face à un cimetière : ainsi le bruit ne risquait pas d’éveiller les soupçons des «voisins». Le problème, c’était que le moteur se mettait à chauffer beaucoup trop vite et il fallait verser de l’eau pour le refroidir. Bien sûr, il n’en était pas question car l’eau ne devait absolument pas risquer d’entrer en contact avec la farine. Nous devions donc procéder à des pauses fréquentes pour permettre au moteur de refroidir. Mais, malgré son efficacité, le système ne put être utilisé longtemps : un jour, le moteur se mit à tourner si rapidement que vers la fin du processus, le moteur explosa et le moulin fut endommagé. Je me sentis terriblement coupable ! Heureusement, nous avions presque terminé le travail !
Quand nous devions décider à qui distribuer les quelques précieuses Matsot qui nous restaient, Reb Moché Nisilevitch plaidait passionnément : «Puisque les Matsot Chemourot sont appelées dans le Zohar le pain de la foi, celles qui ont été obtenues avec le maximum d’efforts doivent être données aux jeunes femmes et aux étudiants de Yechiva car ce sont elles et eux qui vont élever la prochaine génération de ‘Hassidim ! Ces Matsot leur donneront la foi dont elles et eux ont besoin pour que leur foi, leur confiance en D.ieu et leur espoir de pouvoir un jour vivre librement une vie de Torah soient purs et raffinés !».
Hillel Zaltzman – extrait du livre Samarkand
Traduit par Feiga Lubecki