Samedi, 14 septembre 2019

  • Ki Tetsé
Editorial

 Toutes portes ouvertes

Il existe un mot qui commande la période. Un mot comme une oriflamme flottant sur ce grand champ de la bataille spirituelle qui s’engage au mois d’Elloul et ne se conclura qu’avec les fêtes de Tichri. C’est de « Techouva » qu’il s’agit. Cela a sans doute déjà été dit et entendu de nombreuses fois et continuera de l’être, il faut cependant tenter d’en pénétrer toute l’essence. Dire de la Techouva qu’elle est la manière juive de penser le repentir est sans doute exact mais aussi profondément réducteur. Dire qu’elle permet de reconstruire le passé afin de mieux vivre l’avenir est évidemment juste mais encore faut-il en percevoir la puissance.

Car il faut en prendre pleine conscience : enfreindre la volonté de D.ieu en quelque façon que ce soit ne reste jamais sans conséquences. Il ne s’agit pas ici de crainte de la punition éventuelle, c’est la faute elle-même qui a de quoi inspirer la terreur. Car elle signifie coupure de ce lien infini qui attache l’homme à D.ieu et lui permet de vivre. Défaire ce lien est certes dommageable pour soi-même mais aussi pour l’ensemble de la création tant il est vrai que, parmi toutes les créatures, l’homme en est l’acteur central. Tout cela, la Techouva doit le réparer ou mieux, le remettre en ordre. Mais d’où lui vient une telle puissance ? La faute commise a été la source d’un déséquilibre touchant l’essence des choses, cela pourrait donc être restauré ? C’est que la Techouva procède d’un niveau spirituel qui dépasse les limites de la création, même dans ses degrés les plus élevés. Elle vient comme une lumière descendant d’un « en-haut » indicible, capable de dissiper jusqu’aux obscurités les plus épaisses, pure expression de l’absolue bonté Divine.

Pendant le mois d’Elloul, soulignent les commentateurs, les treize attributs de la miséricorde Divine rayonnent sur le monde. Ils portent cette force pour chacun et donnent ainsi au mois toute sa tonalité particulière, ce caractère de proximité de D.ieu, tout à coup si accessible. Il appartient à chacun de savoir utiliser ce temps précieux. Tout s’y passe comme si, dans le palais du Roi, toutes les portes avaient été ouvertes sur son ordre. A nous de franchir les seuils. D’élévation en élévation, ce chemin nous conduit à la splendeur, pour une bonne et douce année.

Etincelles de Machiah

 La préparation

Quand on arrive dans un endroit nouveau, on s’habille en conformité avec le lieu. Sans vêtement convenable, il est difficile de s’y installer.

Aujourd’hui, nous nous trouvons près du début du Chabbat ultime – le temps de Machia’h. Il faut donc se préparer à sa venue.

(D’après Séfer Hamaamarim 5710 p. 245)

Vivre avec la Paracha

 Ki Tetsé

La Paracha énonce 74 des 613 commandements de la Torah. Ils incluent les lois de la belle captive, les droits d’héritage de l’aîné, du fils entêté et rebelle, de l’enterrement et de la dignité du défunt, de la manière de rendre un objet perdu, de renvoyer l’oiselle du nid avant de prendre son petit, du devoir d’ériger des barrières de sécurité autour du toit de sa maison et les différentes formes de Kilayim (les greffes végétales et animales interdites).

Sont également développées les procédures judiciaires et les pénalités encourues en cas d’adultère, abus ou séduction d’une jeune-fille et si un mari accuse sa femme, de façon erronée, d’infidélité. Ceux qui suivent ne peuvent se marier avec quelqu’un de lignée juive : un Mamzer (né d’une relation adultérine ou incestueuse), un homme descendant de Moav ou d’Amon, ou de première ou seconde génération d’Edom ou d’Egypte.

Notre Paracha comporte également les lois qui veillent à la pureté d’un camp militaire, l’interdiction de retenir un esclave fugitif, le devoir de payer un travailleur en temps dû et de permettre à celui qui travaille pour nous, homme ou animal, de « manger grâce au travail », la façon correcte de traiter un débiteur et l’interdiction de prendre des intérêts pour un prêt, les lois du divorce (dont sont également dérivées de nombreuses lois du mariage), la pénalité pour avoir transgressé une interdiction de la Torah et la procédure du « Yibboum » (« mariage lévirat ») quand le beau-frère non marié doit épouser la veuve de son défunt frère qui est mort sans avoir eu d’enfant avec celle-ci et la « ‘Halitsa » dans le cas où il ne souhaite pas l’épouser.

Ki Tetsé se conclut avec l’obligation de se souvenir des méfaits Amalek.

Les larmes de joie

Dans la Paracha, le mot Naara(h), « jeune-fille », apparaît pas moins de quatorze fois. Dans toutes ces récurrences, à l’exception d’une, le mot est épelé sans la lettre . Pourquoi est-elle omise et pourquoi treize fois ?

Le Baal Hatourim dit que la valeur numérique du mot Naar est de 320 tout comme le mot Chotéh qui signifie « fou ». Quelle leçon peut-on en tirer et comment tout ceci a-t-il un lien avec le mois présent : Elloul ?

La jeunesse

Le Talmud déclare que lorsque le mot Naarah s’épelle avec un , il se réfère à une jeune-fille âgée de douze ans à douze ans et demi. C’est l’âge de la Bat Mitsva, l’âge où, selon la loi juive, une jeune-fille devient une femme. Cependant, le Talmud poursuit en ajoutant que lorsque ce mot ne possède pas de (Naara), la définition peut également inclure une jeune-fille en-dessous de l’âge de douze ans, une mineure.

Par ailleurs, le Zohar établit que lorsque Naara ne possède pas de , il représente une fille qui n’a jamais été mariée. Quand il a un , il évoque une fille qui a été mariée.

La ‘Hassidout développe ce concept : le Peuple juif est comme une jeune-fille. Quand les Juifs acceptent D.ieu dans leur cœur, lorsqu’ils l’épousent, ils sont complets et possèdent le Hé.

Dans le cas contraire, le cœur se ferme. Cela va encore plus loin : même si les Juifs acceptent D.ieu dans leur cœur, mais superficiellement, ils sont toujours considérés comme incomplets.

Treize Naara

Rabbi Chnéor Zalman nous dit qu’au mois d’Eloul, les Treize Attributs de la Miséricorde Divine rayonnent sur le Peuple juif. C’est la raison pour laquelle tous ceux qui ont une requête à adresser à D.ieu devraient alors demander qu’elle soit exaucée. Le Roi est dans le champ.

Les treize Naara sans le font allusion aux Treize Attributs car manquant de la lettre , les Juifs sont incomplets et ont besoin de la Miséricorde Divine. Les Treize Attributs sont les forces divines qui peuvent réparer toute erreur ou tout péché.

Réintégrer le

Eloul est également le mois de la Techouvah, le retour à D.ieu, comme il en est fait allusion au début de la Paracha : « Elle (l’âme) pleurera son père et sa mère pendant trente jours ». Il est facile et propice de faire Techouvah au cours de ce mois.

Le mot Techouvah peut également se lire : Tachouv Hé, ce qui signifie : « réintégrer le  ». C’est ainsi que par la repentance et l’acceptation de D.ieu dans notre cœur, nous pouvons restaurer la lettre au mot Naara et le compléter.

Une politique de porte ouverte

Comment un Juif, un enfant de D.ieu, peut-il commettre un péché ? Comme l’affirme le Talmud, « une personne ne peut commettre de méfait que si un esprit de folie s’empare d’elle ».

En d’autres termes, si notre acceptation ou notre amour de D.ieu sont superficiels, et que donc nous n’avons pas intériorisé Sa présence, un vide se crée et permet à un esprit de folie de prendre le dessus chez l’individu. Il ne voit pas le de la Divinité dans le monde, pas plus que les conséquences de son comportement immature. Il agit donc avec l’innocente « folie » d’un mineur.

Et puis vient le mois d’Eloul et cette personne réalise qu’elle se doit de s’essayer à la Techouvah. Mais avec son état d’esprit encore immature, elle commence à proférer des accusations infondées contre sa propre âme : « Je suis allé trop loin ! D.ieu ne m’acceptera jamais ! »

D.ieu est un roi aimant. Tout comme un parent inconditionnellement patient, D.ieu dit : « Ma porte t’est toujours ouverte. Je veux que tu saches que ce péché n’a pas été accompli par ta faute, tu es simplement un mineur, tu ne savais pas comment faire mieux. C’était juste un acte fou. Je t’en prie, reviens à moi. Je t’aime. »

Une réunion remplie d’émotion

D.ieu veille sur chacune de nos âmes comme sur une Naara sans , une fille trop jeune pour être tenue responsable de ses actions. Il est bien évident que par rapport à « l’âge » infini de D.ieu, nous sommes des mineurs. Mais, en plus, la Kabbale suggère qu’un Juif ne peut pécher qu’avec les niveaux inférieurs de son âme. Les niveaux supérieurs ne pourront jamais être ternis et resteront toujours intacts et purs. L’essence de notre âme reste toujours « mariée » à D.ieu.

C’est la raison pour laquelle la tâche d’Elloul est empreinte de joie. Il s’agit d’ouvrir notre cœur pour intérioriser le du nom Divin et faire dissoudre toute naïveté dans notre relation avec D.ieu. Les larmes que nous versons au cours de ces trente jours doivent être des larmes de joie, comme les larmes d’une jeune-fille réconciliée avec son Bien-Aimé.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que la Techouvah (retour à D.ieu) ?

La Techouvah comporte deux étapes essentielles : reconnaître qu’on a fauté et prendre la ferme résolution de ne plus recommencer – même si les circonstances n’ont pas changé, même si on éprouve la même envie de recommencer la faute : malgré tout, on s’en abstient.

La véritable Techouvah consiste donc à regretter ses fautes au point que « Celui qui connaît tout ce qui est caché (D.ieu) puisse attester qu’il ne recommencera plus jamais à fauter ».

Confesser ses fautes sans prendre la résolution de ne plus recommencer est comparable à se tremper dans un Mikvé (bain rituel) tout en tenant un reptile (source d’impureté) – ce qui, à l’évidence, annule le processus de purification. C’est pourquoi il convient avant tout de se débarrasser de la faute complètement.

La Techouvah est acceptée par D.ieu à tout instant. Cependant, elle est encore plus belle et plus facilement acceptée durant les « Dix Jours de Pénitence entre Roch Hachana et Yom Kippour ». La Techouvah durant Yom Kippour est effective pour les fautes commises envers D.ieu ; cependant, les fautes commises envers le prochain doivent être reconnues et réparées avant Yom Kippour (rendre les objets volés par exemple).

Celui à qui on demande pardon devrait accepter les excuses et ne pas se montrer cruel en refusant de pardonner, en se vengeant ou même en gardant rancune.

« Même s’il a été un méchant toute sa vie, s’il fait Techouvah à la fin, on ne lui rappellera rien de sa conduite répréhensible ».

La Techouvah est un principe fondamental du judaïsme.

 (d’après Hil’hot Techouvah - Rambam)

Le Recit de la Semaine

 Le Rabbi ne reste pas débiteur…

Un dimanche en 2011, Rav Morde’haï Hirsch revenait chez lui après avoir chargé son camion de provisions au supermarché local. Du coin de l’œil, il remarqua une voiture garée maladroitement sur le côté : un homme âgé se tenait là, contemplant avec consternation son véhicule qui avait tout l’air d’avoir un pneu à plat.

Pour Rav Hirsch, c’était un peu un test : directeur du service Loubavitch en charge des parades de camions appelés « Tanks » (pour encourager gaiement les Juifs alentour à accomplir des Mitsvot, commandements divins), il n’est pas du genre à mettre les mains dans le cambouis ! D’ailleurs cela faisait plus de dix ans qu’il n’avait pas changé un pneu… Cependant, justement cette semaine, il avait enseigné aux étudiants de Yechiva qui travaillaient avec lui comment changer un pneu : mettre en place le crick, surélever le véhicule, enlever le pneu abîmé, acheter un nouveau pneu dans le garage le plus proche, remplacer le pneu… « Je leur avais expliqué comment agir mais c’était eux qui avaient accompli le sale travail… »

« Trois jours plus tard, alors que je conduisais, un des pneus me lâcha soudain : à plat justement ! Comme j’étais tout seul, je répétai l’opération que j’avais expliquée auparavant mais cette fois-ci, j’avais bien été obligé de l’effectuer moi-même ! Oui, malgré ma répugnance naturelle, je m’étais bien sali les doigts !

Bref, je ne suis pas le genre de sauveur prêt à m’arrêter pour aider un automobiliste en panne, surtout sur une route très fréquentée de Brooklyn où des centaines d’automobilistes circulent chaque minute et peuvent se charger de la corvée. Mais pour une raison que j’ignore moi-même, ce dimanche, alors que mon propre camion était bourré de denrées périssables qu’il valait mieux ranger au plus vite dans une chambre froide, je me suis tout de même arrêté. Après tout, j’avais encore tous les outils nécessaires pour la réparation disponibles dans mon camion à cause des deux incidents évoqués plus haut ».

Le vieil homme se présenta : Dr Hoffman. Son véhicule était chargé de toutes sortes d’objets hétéroclites, ce qui signifiait qu’il serait particulièrement difficile de récupérer un pneu de rechange – s’il en avait un… « Retirons déjà le pneu abîmé, proposa Rav Hirsch puis nous vérifierons si nous trouvons un pneu dans ce fouillis ».

A l’aide de ses propres outils, Rav Hirsch parvint à retirer le pneu usagé… et à bien se salir les mains évidemment.

- Et que va-t-on faire maintenant ? demanda anxieusement Dr Hoffman.

- Je sais qu’il y a un garage à dix blocks non loin de là. Donnez-moi l’argent pour acheter un nouveau pneu et je m’y rendrai avec mon camion.

Effectivement, il remonta dans son camion, alla acheter le pneu de rechange et retourna vers la voiture immobilisée. Entretemps, d’autres automobilistes avaient stoppé alentour pour proposer leur aide et, en quelques minutes, le nouveau pneu fut fixé à la place de l’ancien. Chacun pouvait reprendre la route.

Avant de repartir, Dr Hoffman demanda à Rav Hirsch ce qu’il faisait dans la vie : « Je travaille pour le Rabbi de Loubavitch, répondit-il pour résumer son engagement idéologique. Je suis un de ses Chlou’him (émissaires) pour ramener des Juifs à l’étude la Torah et la pratique des Mitsvot ». Ils échangèrent leurs cartes de visite et Rav Hirsch apprit ainsi que Dr Hoffman était psychiatre.

De retour chez lui, Rav Hirsch avait déjà oublié l’incident – si ce n’est qu’il dut passer quelques minutes à bien se laver les mains. Mais l’histoire n’était pas terminée.

Les jours suivants, Rav Hirsch remarqua qu’il avait reçu plusieurs coups de téléphone d’un correspondant inconnu – auxquels il n’avait pas pu répondre. Comme ce correspondant mystérieux semblait vraiment insister, il se décida enfin à répondre.

- Hello ! Vous souvenez-vous que vous m’aviez aidé à réparer mon pneu à plat la semaine dernière ?

- Ah oui, c’est vrai ! répondit Rav Hirsch.

- Et vous m’aviez dit que vous travaillez pour le Rabbi de Loubavitch, n’est-ce pas ?

- Absolument ! confirma le Chalia’h.

- Alors je veux que vous sachiez que c’est le Rabbi de Loubavitch qui vous a envoyé changer mon pneu !

- Hein ? Quoi ? Comment ? Répétez ce que vous venez de dire… ???

- Je suis sérieux ! C’est le Rabbi lui-même qui vous a envoyé ! Il faut que je vous explique :

Dans ma jeunesse, j’habitais à Brooklyn et me rendais chaque jour à New Square pour y travailler. Je connaissais la route par-cœur. Mais un jour d’été 1957, perdu dans mes pensées, je ratais la sortie de l’autoroute.

Cherchant à retrouver mon chemin (ni Waze ni GPS à cette époque !!!), je me retrouvai sur une toute autre route, complètement inconnue. A peine m’étais-je engagé sur ce tronçon, je remarquai un groupe de jeunes gens, barbus et chapeautés, massés autour d’une voiture sur le bas-côté. Je m’arrêtai, proposai mon aide : c’était un pneu à plat. J’avais tous les outils nécessaires dans ma voiture et je les ai aidés aussi bien que je pouvais. Pendant que nous nous efforcions ensemble de réparer le pneu, ils me racontèrent qu’ils étaient en route vers les montagnes de Catskill. Ils montrèrent du doigt la voiture derrière eux dans laquelle était assis le Rabbi de Loubavitch, profondément immergé dans l’étude d’un livre saint : de fait, ils accompagnaient le Rabbi qui désirait visiter la colonie de vacances Gan Israël (pour les garçons) et Camp Emounah pour les filles. (Ce fut une des seules fois en plus de 40 ans que le Rabbi quitta New York…).

Quand le pneu fut mis en place et que les ‘Hassidim reprirent place dans leur voiture, le Rabbi s’approcha de Dr Hoffman et proposa de le payer pour ses efforts.

- Pas question, protesta Dr Hoffman ! C’est ma Mitsva !

- Mais si quelqu’un travaille, il faut le payer ! rétorqua le Rabbi.

Dr Hoffman refusa fermement tout paiement.

Plus de cinquante années avaient passé et maintenant c’était Dr Hoffman qui avait un pneu à plat. « Quand vous m’avez aidé, je n’y ai pas pensé. Mais quand je suis arrivé à la maison, je me suis soudain rappelé ce jour d’été et les paroles du Rabbi : « Si quelqu’un travaille, il faut le payer ! ». Dans une route empruntée quotidiennement par des milliers de personnes – un tronçon reliant les quartiers juifs orthodoxes de Borough Park et Williamsburg – qui s’est arrêté pour m’aider à changer le pneu ? Un ‘Hassid Loubavitch de Crown Heights ! Et, de plus, quand je vous ai demandé ce que vous faites dans la vie comme on dit, vous m’avez répondu que vous travaillez pour le Rabbi de Loubavitch – vous êtes son émissaire ! Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que, certainement, du Monde de Vérité où il se trouve actuellement, le Rabbi m’a remboursé ! ».

L’Chaïm N° 1586

Traduit par Feiga Lubecki

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