Jours différents
Les temps forts spirituels font toujours sentir leur empreinte. Et, cela a été abondamment dit, le mois d’Elloul en est sans doute la plus noble expression. Pourtant, d’année en année, la question apparaît : faut-il réellement rappeler de telles séquences ? Faut-il – peut-on – regarder ces jours avec l’enthousiasme et la vigueur des choses nouvelles ? Certes, la proximité des grandes fêtes de Tichri, de Roch Hachana et de Yom Kippour, modifie subtilement l’atmosphère. Mais cela justifie-t-il cette tension brutale que soulève la simple annonce du mois ?
Elloul est décidément un moment différent. Dans sa célèbre parabole, Rabbi Chnéor Zalman, l’auteur du Tanya, décrit ce temps comme celui où «le roi est dans le champ». C’est ainsi, poursuit-il, que les gens de la ville sortent l’accueillir et qu’il reçoit chacun favorablement. Certes, la vision est grande. Pendant toute l’année, tout se passe comme si le Roi – D.ieu – Se trouvait dans Son palais, un lieu auquel l’accès n’est guère facile, réservé à ceux qui en sont dignes. Arrive alors une période où Il abat Lui-même ces obstacles. Chacun peut L’approcher, même ceux qui, dans les termes de la métaphore, se trouvent dans «le champ», c’est-à-dire pris par le monde matériel. Non seulement Il accueille tous ceux qui le veulent mais Il leur accorde Sa faveur. Ce n’est qu’ensuite qu’Il reprend Sa route vers Son palais mais ce sera alors les fêtes de Roch Hachana et Yom Kippour et tout sera différent.
La différence à venir, justement, est à présent en germe. Mieux, nous la faisons naître par notre démarche de nous rendre auprès du Roi. Parce que nous savons entendre l’invitation qui nous est faite, nous pourrons, au jour dit, entrer au palais à la suite du Souverain. Peut-on mieux dire à quel point les jours qui passent sont déterminants ? Alors que les fêtes occupent déjà l’horizon, que nous désirons tous ardemment une année nouvelle merveilleuse, il faut en acquérir la conscience : c’est aujourd’hui que tout cela se prépare. Ne perdons pas de temps. Les portes sont d’ores et déjà ouvertes, les forces nécessaires nous sont données, il n’est plus nécessaire que d’exprimer cette volonté essentielle, de toujours détenue mais parfois oubliée : s’unir avec D.ieu. Et il nous accordera la «bonne écriture et signature pour une année bonne et douce.»
Le temps nouveau
La Délivrance est qualifiée de «temps très élevé». Cette expression ne fait pas que désigner la grandeur de l’époque de façon générale, elle donne à comprendre son contenu même.
En effet, le temps est, par nature, lié à la notion de limite ; il est divisé en passé, présent, avenir. C’est cela même qui devient «très élevé», de sorte que rien ne soit à un niveau plus haut que lui.
En d’autres termes, la limite («le temps») s’unit avec le «sans limite» («très élevé») jusqu’à ce qu’ils deviennent un.
(D’après un commentaire du Rabbi du 6 Chevat 5752)
Ki Tetsé
Résumé
74 des 613 commandements (mitsvot) de la Torah sont présents dans la Paracha, par exemple la manière de rendre un objet perdu, le devoir d’ériger des barrières de sécurité autour du toit de sa maison, les lois qui veillent à la pureté d’un camp militaire, le devoir de payer un travailleur en temps dû et de permettre à celui qui travaille pour nous, homme ou animal, de «manger pendant le travail» etc. Ki Tétsé se conclut avec l’obligation de «se souvenir de ce qu’Amalek t’a fait sur la route, à votre sortie d’Egypte».
Amalek
Le peuple juif voyagea… et il campa à Rephidim…
(Moché) nomma l’endroit «défi et querelle» à cause de la querelle dans laquelle se lança le peuple d’Israël et son défi à D.ieu déclarant : «D.ieu est-Il parmi nous ou non ?».
Puis vint Amalek et il attaqua Israël à Rephidim… (Exode 17 : 1-8)
Rappelle-toi ce que t’a fait Amalek sur la route, à votre sortie d’Egypte. Il t’a rencontré en route, a démembré tous les faibles à l’arrière, quand tu étais fatigué et épuisé ; il ne craignait pas D.ieu. C’est pourquoi… tu dois effacer le souvenir d’Amalek de dessous les cieux. N’oublie pas. (Deutéronome 25 :17-19)
Le peuple juif venait de vivre l’une des plus grandes manifestations dans l’histoire de la puissance de D.ieu. Dix plaies surnaturelles avaient obligé la nation la plus puissante sur terre à les libérer de leur servitude. La mer s’était ouverte devant eux et la manne avait plu des cieux pour les nourrir. Comment était-il possible qu’ils posent cette question : «D.ieu est-Il parmi nous ou non ?».
Et pourtant, telle est la nature du doute. Il existe un doute basé sur une quête rationnelle. Il existe un doute qui se soulève à partir de motivations et de désirs subjectifs. Et puis il y a le pur et simple doute : le doute irrationnel, le doute plus puissant que la raison. Le doute qui neutralise les arguments les plus convaincants et les expériences les plus inspirantes, avec rien de plus qu’un cynique haussement d’épaules.
Telle était la nature du doute qui laissa le peuple juif sensible à l’attaque d’Amalek. Amalek, dans la sphère spirituelle, est l’essence de l’indifférence non fondée, irrationnelle. Reprenons les paroles du Midrach :
A quoi l’épisode (d’Amalek) est-il comparable ? A un bain d’eau brûlant dans lequel aucune créature ne peut pénétrer. Et puis vient un scélérat qui saute à l’intérieur. Bien qu’il s’y soit brûlé, il l’a refroidi pour les autres.
Ainsi quand Israël sortit d’Egypte et que D.ieu sépara la mer devant eux et y noya les Egyptiens, la peur d’eux s’empara de toutes les nations. Mais quand Amalek arriva et les défia, bien qu’il eût reçu d’eux son dû, il refroidit la crainte des nations du monde devant eux.
C’est la raison pour laquelle Amalek et ce qu’il représente constituent l’archétype de l’ennemi du peuple juif et de sa mission dans la vie. Comme Moché le proclama, après la guerre contre Amalek, «D.ieu a juré de Son trône ; D.ieu est en guerre contre Amalek dans toutes les générations». (Exode 17 :16). La vérité peut réfuter les arguments logiques qui lui sont opposés. La vérité peut même prévaloir sur toutes les tendances et les désirs égocentriques de l’homme, car sa nature intrinsèque va dans le sens de l’axiome : «l’intellect domine le cœur», c’est-à-dire que l’homme a une telle aptitude à apprécier la vérité qu’elle est intégrée à son caractère et imprègne son comportement. Cependant, les facultés humaines sont sans force devant le défi d’un Amalek qui plonge dans un bain brûlant, qui se moque effrontément de la vérité et refroidit les moments les plus exaltés de l’être humain, avec rien de plus qu’un dédaigneux : «et alors ?».
L’égorgement
Amalek attaqua Israël «sur la route», alors qu’ils sortaient d’Egypte et se dirigeaient vers le Mont Sinaï pour recevoir la Torah de D.ieu et être élu comme Son peuple. Là encore, l’histoire est un miroir des rouages de l’âme : le moment de l’attaque historique d’Amalek décrit les situations intérieures dans lesquelles la malveillance du doute sans fondement montre sa tête.
Dans la Haggadah de Pessa’h, nous lisons : «dans chaque génération, nous devons nous considérer comme si nous sortions personnellement d’Egypte». Mitsrayim, le mot hébreu pour «Egypte» signifie «étroitesse». Au niveau personnel, cela se réfère à ce que les enseignements ‘hassidiques appellent «l’étroitesse du cou» qui vient s’interposer entre l’intellect et le cœur.
Tout comme dans le corps physique, la tête et le cœur sont joints par un étroit passage, le cou, il en va de même au sens spirituel et psychologique. Car, alors que l’intellect possède une supériorité innée sur le cœur, c’est une tâche des plus difficiles pour un homme que d’exercer cette supériorité, de diriger et modeler ses sentiments et ses désirs pour se conformer à ce qu’il sait être juste.
C’est en cela que consiste «l’Exode d’Egypte» qui incombe à chaque génération : le défi individuel de négocier pour que cette étroitesse de notre «cou» intérieur surmonte les attraits de la matérialité, la subjectivité des émotions, l’égo et l’égocentrisme qui minent l’autorité de l’intellect sur le cœur et empêchent son influence sur le caractère et le comportement de la personne.
Tant qu’il se trouve toujours emprisonné dans son mitsrayim personnel, l’individu doit affronter de nombreux défis à son intégrité. Mais une fois qu’il active son «Exode» personnel de l’étroitesse de sa psyché, une fois qu’il établit sa connaissance et sa compréhension de la vérité comme la force déterminante de sa vie, la bataille est gagnée. Il pourra être tenté par des tendances et des désirs négatifs, mais, si dans sa vie, l’intellect domine le cœur, il les fera plier et finalement les transformera.
Mais il reste un ennemi qui menace l’homme d’après l’Exode : Amalek. Amalek «connaît son Maître et se révolte contre Lui, consciencieusement». Amalek ne défie par la vérité par des arguments ni même par des motivations égoïstes. Il se contente de la mépriser. Et ainsi, il refroidit le bain.
Au-delà de la raison
Comment répondre à Amalek ? Comment gérer l’apathie, l’indifférence, le cynisme, le doute intérieur ? La formule que propose la Torah est encapsulée dans un simple mot : za’hor, «souviens-toi».
Dans le Tanya, Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi discute de la foi en D.ieu, inhérente à l’âme juive. La foi n’est pas quelque chose qui doit être obtenu. Il suffit de la révéler car elle est tissée dans l’essence de l’âme. La foi, poursuit Rabbi Chnéor Zalman, transcende la raison. Par la foi, l’on se lie à l’infinie Vérité de D.ieu dans sa totalité, contrairement à la perception que donne la raison, définie et limitée par la nature finie de l’esprit humain.
Alamek est irrationnel et n’est aucunement réceptif à la raison. La réponse qu’on lui adresse doit être construite sur la même irrationalité. La réponse juive à Amalek est de se souvenir : de faire remonter les réserves de cette foi supra rationnelle, une foi qui peut avoir été enterrée et oubliée sous un amas d’implications et d’errances matérialistes. Une foi qui, quand elle est rappelée, peut affronter tout défi moral, qu’il soit rationnel ou non.
Pourquoi est-il préférable de prier en communauté ?
Rambam (Maïmonide) écrit : «La prière de la communauté est toujours écoutée (par D.ieu). Même s’il se trouve parmi eux des personnes peu recommandables, D.ieu ne méprise pas la prière d’une communauté».
Il est donc préférable – quand c’est possible – de prier avec la communauté plutôt que tout seul.
Celui qui dispose d’une synagogue (ou d’un lieu de prière) dans sa ville et ne s’y rend pas pour prier est appelé «un mauvais voisin».
Celui qui mérite d’être le dixième (homme au-dessus de l’âge de 13 ans) accomplit une très grande Mitsva puisqu’il permet aux neuf autres de prier en Minyane (quorum de dix hommes) et que leur prière sera donc acceptée.
Quand dix personnes prient ensemble, il est possible que l’un répare les «fautes» de l’autre car la prière de la communauté est toujours pure et parfaite.
Dans la synagogue, on peut participer et répondre au Kaddich, à la Kedoucha, à Bare’hou et on peut écouter la lecture du rouleau de la Torah.
On se conduit correctement dans une synagogue puisqu’il s’agit d’un sanctuaire miniature. On empêche les enfants de courir, de jouer, de jeter des papiers, des mouchoirs ou des chewing-gums… On n’y discute pas de sujets futiles.
Habituer les enfants à bien se conduire à la synagogue les influencera toute leur vie.
(d’après Rav Yosef Hartman – Ketsad Ne’hanè’h eth Yaldenou)
Zalman Shazar et les « Quatre Mouvements »
(Le 18 Elloul est l’anniversaire de la mort du Maharal de Prague et de la naissance de Rabbi Israël Baal Chem Tov et de Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi).
De son vrai nom, il s’appelait Chnéour Zalman Rubashov et était issu d’une famille ‘hassidique. (Par la suite, il contracta les initiales de ses prénoms et nom et se fit appeler Zalman Shazar). A l’âge de 21 ans, en Tamouz 1911, avant de partir pour Eretz Israël, il se rendit dans la ville de Mir pour prendre congé de son grand-père. Celui-ci, Rav Moché Ginsburg, avait été un ‘Hassid du Rabbi Tséma’h Tsédek et, entre autres qualités, était un spécialiste des mélodies ‘Habad.
«Qui donc était plus cher à mon cœur que ce grand-père dont la spiritualité illuminait le large front… ? Depuis ma plus tendre enfance, il m’avait impressionné : ses enseignements pénétraient mes entrailles et ses chants remplissaient notre maison. Le feu de son enthousiasme ne me quitta pas à toutes les étapes de ma vie, durant toutes mes aventures…»
«Mon grand-père m’offrit encore un autre cadeau avant mon départ. Un cadeau inestimable. Il me le confia durant les derniers instants vraiment, avant que le charriot ne démarre.
Durant toute cette journée de Chabbat et la soirée qui suivit, je ne l’avais pas quitté. Nous avions passé la majeure partie de ce temps à échanger des paroles de Torah. Tous deux, nous étions heureux car je pouvais encore soutenir une conversation sur ces sujets, plus en écoutant qu’en parlant. Il évoquait des sujets de Niglé (Torah dévoilée) mais surtout il abondait dans les sujets de ‘Hassidout ; il parlait avec les fidèles de sa synagogue, avec les étudiants de Yechiva qui aimaient se retrouver dans sa maison et il chantait devant son Créateur : quoi qu’il en soit, je ressentais avec une certitude absolue que tout cela m’était destiné. Il tenait à ce que je m’en imprègne complètement, que ceci pénètre dans mon cœur. Et, effectivement, mon cœur s’ouvrait à tout cela «comme l’ouverture d’un palais», selon l’expression talmudique.
Le dimanche matin, le cocher vint me chercher avec ma valise. Mon grand-père avait revêtu son manteau d’été (la chaleur du mois de Tamouz régnait déjà tôt le matin). Il ouvrit la porte pour m’accompagner à pied jusqu’à la sortie du village. En route, alors que nous marchions, il me parla à peu près ainsi :
- Mon fils, tu connais bien la mélodie de Rabbi Chnéour Zalman. Je vais te raconter ce que j’ai entendu un soir d’hiver de la bouche des anciens ‘Hassidim, dans la maison du Rabbi, à propos de la qualité exceptionnelle de cette mélodie.
Parfois l’homme veut se souvenir d’une mélodie qu’il pensait connaître parfaitement. Mais l’air lui échappe et il ne parvient pas à s’en souvenir malgré tous ses efforts. Parfois, une certaine mélodie le poursuit, il n’arrête pas de la chantonner, dans son esprit ou quand il n’en a vraiment pas besoin et que cela le dérange même. Dans ces deux cas, cela prouve que cette mélodie en elle-même, malgré ses qualités éventuelles, n’est pas enracinée dans son cœur : il est à part et la mélodie est à part.
Mais il arrive que la mélodie réponde à l’homme chaque fois qu’il l’appelle et il est heureux chaque fois qu’il la chante : cela prouve que la mélodie lui appartient et que la racine de son âme provient de la même source dont est issue cette mélodie.
Sache maintenant, ajouta mon grand-père, que nous avons la certitude que la mélodie de Rabbi Chnéour Zalman fait partie de l’âme de chaque ‘Hassid ‘Habad, de ses descendants et des descendants de ses descendants jusqu’à la fin des générations. Chaque ‘Hassid et chaque fils de ‘Hassid qui marche droit et qui veut se souvenir de cette mélodie mais elle lui échappe bien qu’il la recherche de toutes les fibres de son être, c’est un signe qu’à ce moment-là précisément, il se trompe dans la voie qu’il a choisie : il doit donc rechercher dans ses actions et ses pensées et retourner sincèrement à D.ieu.
Ce n’est pas pour rien, mon fils, que cette mélodie est oubliée du cœur. C’est pour nous un cadeau et un critère. Souviens-toi de cela, mon fils !».
De nombreux jours se sont écoulés depuis, j’ai vécu de nombreuses épreuves mais la silhouette de mon grand-père, en ce début de journée de Tamouz, sur la route… C’est une personnalité qui éclaire mon cœur tant qu’il pourra battre…
Et ce merveilleux cadeau m’accompagne encore jusqu’à aujourd’hui. Chaque fois, chaque fois que je dus prendre des décisions cruciales, chaque fois que j’hésitais et que je voulais tout à coup retrouver la mélodie de Rabbi Chnéour Zalman, cet air majestueux remontait dans ma mémoire et mes hésitations disparaissaient ; je ressentais une certitude intérieure qui m’indiquait le bon choix. Cela me redonnait des forces et une paix intérieure infinie».
Le journaliste Chimone Piness racontait que, quand il rencontra Zalman Shazar pour la première fois en 1935 et qu’il travaillait dans le journal «Histadrout», il entendait M. Shazar qui chantonnait une certaine mélodie ‘hassidique…
Quand Zalman Shazar se rendit auprès du Rabbi à New York à Pessa’h en 1954, le Rabbi demanda à ses ‘Hassidim de chanter cette mélodie. Rav Binyamine Althaus raconte que, durant tout le temps de ce chant, on voyait que M. Shazar se trouvait dans «des mondes supérieurs»…
Et quand le Président Shazar (car, entretemps, M. Shazar était devenu président de l’Etat d’Israël) se rendit chez le Rabbi à Pourim en 1960, voici ce que rapporte le secrétaire du Rabbi, Reb Leibl Groner : «Quand on commença le chant des ‘Quatre Mouvements’ de Rabbi Chnéour Zalman, on remarqua un changement complet dans l’attitude de M. Shazar. Il laissa tomber sa canne, se redressa, arrangea les boutons de son manteau, ferma les yeux et se mit à se balancer avec une véritable ferveur ‘hassidique… ».
Reb Lev Leibman – Nigoun Arba Babot
Traduit par Feiga Lubecki
Le Chant des 4 Bavot