Samedi, 25 avril 2020

  • Tazria - Metsora
Editorial

 Un monde nouveau

Cette année, chacun a vécu Pessa’h de manière bien différente de l’habitude. Les préparatifs autant que les célébrations, toutes intenses aient-elles été, se sont faites comme discrètes, retenues. Depuis, nous suivons le chemin éternel qui nous conduit au pied du mont Sinaï, à notre rencontre avec D.ieu. Et si la grisaille qui a matériellement marqué la période se dissipe peu à peu, ses traces sont encore assez importantes pour voiler la lumière céleste à qui ne sait pas regarder au-delà de la première apparence. Il faut sans doute le dire et le redire : sortis d’Egypte, nous sommes aujourd’hui un peuple au plein sens du terme, en marche vers son destin. Nous sommes surtout un peuple libre dont D.ieu a brisé les entraves et que plus rien ni personne ne pourra jamais asservir.

On se souvient de la célèbre phrase du précédent Rabbi de Loubavitch qui, depuis le train qui l’emportait au plus profond de l’Union soviétique, condamné par les dictateurs du moment, proclamait : « Seul notre corps a été envoyé en exil, notre âme est toujours libre. » Certes, nous ne connaissons pas de telles épreuves mais certaines idées sont précieuses dans bien des situations. Confinés ou non, nous restons libres. Notre âme, notre esprit dépassent les limites du monde. Créatures de D.ieu, vivant sous Son regard, nous sommes capables de regarder les choses d’en-haut et non d’en bas.

Savoir porter les yeux vers les nouveaux horizons n’est plus une affaire de choix. C’est à présent une nécessité. De fait, en quoi est-on humain si le dépassement de soi ne fait plus partie de notre projet ? En quoi est-on digne du beau nom d’homme si on se laisse conduire par les événements, aussi graves soient-ils, et qu’on a renoncé à leur faire donner sens ? Le monde d’aujourd’hui est fondamentalement différent de celui d’hier. Muris par l’épreuve, renforcés par les difficultés affrontés, victorieux dans le combat de la liberté, nous ne sommes plus ce que nous étions hier. Faiblesse et complaisance ont disparu de notre cœur. Héros d’un nouveau genre, avec un enthousiasme serein, c’est l’exploration de terres inconnues que nous entreprenons. A nous d’en faire, par nos actes, le « jardin de délices » de D.ieu. Avançons, agissons, nous avons rendez-vous avec le bonheur.

Etincelles de Machiah

 Plus que le Gan Eden

Lorsque le Machia’h viendra, tous les Justes, les patriarches et Moïse descendront de «l’endroit» sublime où ils se trouvent : le plus haut degré du Gan Eden. Ils viendront dans ce monde-ci, se revêtiront de corps matériels et ressusciteront. Quelle est la raison d’un tel processus pour des hommes déjà parvenus au niveau spirituel le plus élevé ?

C’est qu’à ce moment la révélation Divine dans ce monde sera encore supérieure à tout ce qui existe au plus haut du Gan Eden car «l’aboutissement de l’œuvre est dans la pensée (Divine) primordiale.»

(D’après Likoutei Torah Bamidbar p.49a)

Vivre avec la Paracha

 Tazrya Metsora

Tazrya

La Paracha Tazrya poursuit le sujet des lois de pureté et d’impureté, de l’impureté rituelle et de la pureté rituelle.

Une femme qui donne naissance doit suivre un processus de purification, qui comporte l’immersion dans un Mikvé (un bassin d’eau naturelle) et des offrandes apportées au Saint Temple. Tous les garçons doivent être circoncis le huitième jour de leur vie.

Tsaraat (souvent traduit par « lèpre ») est une plaie surnaturelle qui peut également toucher les vêtements. Si des taches blanches ou roses apparaissent sur la peau d’une personne (rouge foncé ou vertes sur les vêtements), l’on doit faire appel à un Cohen. S’appuyant sur l’observation de différents signes, comme une croissance de la zone atteinte après une mise en quarantaine de sept jours, le Cohen prononce que la tache est « Tamé » (impure) ou Tahor (pure).

La personne affligée de Tsaarat doit résider seule à l’extérieur du campement (ou de la ville) jusqu’à ce qu’elle soit guérie. Les parties touchées du vêtement sont enlevées. Si la Tsaarat s’étend ou revient, tout le vêtement doit être brûlé.

Metsora

La Paracha Tazrya décrivait les signes du Metsora (malade de la peau), terme désignant une personne affligée d’une maladie spirituelle qui la mettait en état d’impureté rituelle. La lecture de Metsora commence par donner les détails de la manière dont le Metsora guéri est purifié par le Cohen (prêtre), selon une procédure particulière utilisant deux oiseaux, de l’eau de source dans un ustensile en terre, un morceau de bois de cèdre, un fil écarlate et une branche d’hysope.

Une maison peut être également atteinte de Tsaarat, lors de l’apparition de taches vertes ou « rouge foncé » sur les murs. Dans un processus s’étendant sur dix-neuf jours, un Cohen détermine si la maison peut être purifiée ou si elle doit être démolie.

L’impureté rituelle est aussi engendrée par des pertes masculines ou féminines, ce qui nécessite l’immersion dans un Mikvé.

Le sang et l’huile

Évoquant la cérémonie de purification du Metsora, la Torah indique qu’il faut appliquer du sang du sacrifice (Acham) et le placer dans trois endroits du corps de celui qui a été affecté de cette maladie : « Mettez le sang au-dessus du cartilage de son oreille droite, sur le pouce de sa main droite et sur le gros orteil de son pied droit. » Puis il faut prendre l’huile d’olive et l’appliquer sur les endroits cités et sur un quatrième : sur le haut de la tête.

Se posent deux questions : pourquoi trois applications de sang et quatre d’huile ? Et pourquoi un total de sept applications ?

Une réponse avance, comme l’affirme le Talmud (Avova Zara 5a), qu’un Metsora est considéré comme quelqu’un qui est mort (puisqu’il doit résider seul en dehors des trois camps du Peuple d’Israël). C’est pourquoi, lorsqu’un Metsora entreprend sa purification rituelle, il doit être nettoyé de la même façon qu’on le pratique pour purifier quelqu’un qui a été en contact avec un mort. Celui-ci a besoin qu’on l’asperge des cendres de la Vache Rousse, le troisième et le septième jour du processus de purification. Ainsi, le Metsora doit-il être aspergé de trois applications de sang et quatre d’huile, ce qui constitue en tout un total de sept applications.

Mais pourquoi une personne qui a contracté une impureté, suite à un contact avec un corps, devrait-elle être aspergée les troisième et septième jours ?

La vie éternelle

L’Admour Hazaken, Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi explique que pour enlever l’impureté contractée en présence d’un corps, il faut son antithèse : la vie éternelle. « Trois » et « sept » se réfèrent au troisième et au septième bergers fidèles qui ont donné et continuent à donner la foi au Peuple juif. Le troisième berger était notre ancêtre Yaakov et le septième, le Roi David. A propos de Yaakov, il est statué dans le Talmud : « Yaakov notre patriarche ne mourut jamais » (Taanit 5b). Et en ce qui concerne David, il est dit : « David, Roi vivant et qui continue à vivre » (Roch Hachana 25a).

Pour purifier le Metsora, puisqu’il était considéré comme mort, nous l’aspergeons donc également (de sang), en référence à Yaakov et d’huile d’olive, en référence à David.

Mais il nous reste à comprendre la relation entre le sang et Yaakov et celle de l’huile avec David.

Le sang : une métaphore

Le sang est une métaphore pour la Torah. Tout comme le sang porte l’âme de la vie et nous donne de la vitalité, la Torah est « notre vie et la longueur de nos jours ».

Si un membre de notre corps est arraché ou blessé et que l’on perd du sang, l’on pratique une transfusion sanguine. Nous remplaçons le sang perdu et augmentons le flux sanguin. De la même façon, le Metsora, en ayant proféré de la médisance (c’est pour cela qu’il a été atteint par cette maladie), a arraché un par un les membres de son peuple, qui représente spirituellement un seul corps. Il doit à présent restaurer le sang perdu et lui donner une nouvelle vie. En augmentant l’étude de la Torah, l’on peut réparer ce que l’on a endommagé.

Yaakov, connu comme « l’homme qui siège dans la tente de la Torah » représente le sang de la vie.

L’huile : une métaphore

L’huile est la métaphore des Mitsvot, les commandements de D.ieu. Comme le déclare le Roi Chlomo, « la bougie (ou l’huile) est l’accomplissement des Mitsvot. » L’huile est totalement absorbée par la mèche et annulée par la flamme. De la même façon, pour accomplir une Mitsva, il nous faut nous annuler devant la Volonté de D.ieu.

Pour donner une illustration simple, prenons l’exemple d’un sujet loyal : il doit obéir à la volonté de son roi, quand bien même il ne la comprend pas.

David, le roi de tout Israël, représente donc clairement le symbole de l’huile : « la bougie est la Mitsva ».

Le Machia’h, Roi et Maître

Cela explique également un intéressant enseignement du Talmud, qui pose la question : « Pour qui le monde a-t-il été créé ? »

Une opinion avance : « pour David », une autre dit « pour Moché » et finalement une troisième s’écrie : « pour le Machia’h ! ».

Que signifient-elles ?

Ce conflit apparent peut être élucidé en s’appuyant sur les écrits du Tséma’h Tsédèk. Il explique que le Machia’h sera à la fois considéré comme un roi et comme un maître. Le Machia’h, en tant que Roi, entraînera le monde à suivre la loi de D.ieu. Comme Maître, il révélera les secrets de la Sainte Torah de D.ieu.

Cela clarifie désormais la question du Talmud : « Pour qui le monde a-t-il été créé ? » La première opinion avance : pour (le Roi) David, c’est-à-dire pour l’accomplissement des Mitsvot. Une autre opinion tient que ce fut pour Moché, c’est-à-dire pour l’étude de la Torah. La conclusion est : pour le Machia’h qui représente à la fois David et Moché, puisque le Machia’h enseignera la Torah et inspirera le monde à observer les lois de D.ieu.

La combinaison du sang (l’étude de la Torah) et de l’huile (l’obéissance à la loi Divine) est l’antidote à la Tsaraat, la mort. Avec l’arrivée du Machia’h, la mort sera éradiquée à tout jamais.

Trois Mitsvot. Quatre coupes de vin

Cette Paracha est lue juste avant ou juste après Pessa’h. Quel en est le lien ? La Matsa est connue pour être le pain du pauvre parce qu’aucune épice ne lui est adjointe. Elle n’est constituée que de farine et d’eau. La Matsa représente le service qui consiste à accepter inconditionnellement le Joug Divin. En revanche, le vin est goûteux et exaltant. Pessa’h nous enseigne que lorsque l’on observe les Mitsvot avec soumission, ce qui est signifié par l’huile, nous devons boire quatre verres de vin, c’est-à-dire ajouter la joie et le plaisir du cœur. Quand on étudie la Torah, sujet de logique et de compréhension, nous sommes enjoints de consommer trois Matsot. En d’autres termes, il nous faut étudier la Torah non seulement parce que l’on y trouve de la satisfaction mais aussi parce que D.ieu nous a commandé de le faire.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que le compte du Omer ?

C’est une Mitsva de la Torah de compter les quarante-neuf jours de l’Omer à partir du second soir de Pessa’h (jeudi soir 9 avril 2020) jusqu’à la veille de Chavouot (jeudi soir 28 mai 2020 inclus). Si on n’a pas compté de suite après la prière du soir (Arvit), on peut encore compter durant la nuit jusqu’à l’aube. Si on ne s’en souvient que pendant la journée, on peut compter, mais sans réciter la bénédiction. Et le soir suivant, on continue de compter avec la bénédiction. Si on a oublié toute une journée, on devra dorénavant compter chaque soir sans la bénédiction.

Quelles sont les lois de cette période du Omer ?

Hommes et femmes ont l’habitude de ne pas entreprendre de « travaux » (tels que ceux interdits à ‘Hol Hamoed) depuis le coucher du soleil jusqu’à ce qu’ils aient compté le Omer.

On ne célèbre pas de mariage et on ne se coupe pas les cheveux, en souvenir de l’épidémie qui décima les 24.000 élèves de Rabbi Akiba à cette époque du Omer. Les Séfaradimes respectent ces lois de deuil jusqu’au 19 Iyar (mercredi 13 mai 2020) ; les Achkenazim depuis le 1er Iyar (samedi 25 avril 2020) jusqu’au 3 Sivan au matin (mardi 26 mai 2020) à part la journée de Lag Baomer (mardi 12 mai 2020).

La coutume du Ari Zal, suivie par la communauté ‘Habad, veut qu’on ne prononce pas la bénédiction de Chéhé’héyanou (sur un fruit nouveau par exemple) durant toute la période du Omer et qu’on ne se coupe pas les cheveux jusqu’à la veille de Chavouot (cette année jeudi matin 28 mai 2020).

Un garçon qui aura trois ans après Pessa’h, fêtera sa première coupe de cheveux à Lag Baomer (mardi 12 mai 2020) et celui qui aura trois ans après Lag Baomer la fêtera la veille de Chavouot (jeudi 28 mai 2020).

Il n’y aucune restriction sur les promenades ou les séances de piscine et baignade.

Le Recit de la Semaine

 L’histoire que je n’avais jamais connue…

Quand j’étais à la Yechiva, nous utilisions notre temps libre vendredi après-midi pour sortir dans les rues de Manhattan, distribuer des bougies aux dames juives, mettre les Téfilines aux messieurs et encourager les enfants à fréquenter une école juive ou au moins un Talmud Torah. Nous ne pouvions pas connaître l’influence de nos actions mais cela ne nous dérangeait pas : chaque action positive est porteuse d’une valeur infinie qu’il ne nous appartient pas d’évaluer. Bien sûr, nous nous posions des questions : les gens étaient-ils contents d’être ainsi abordés dans la rue ? Quel effet cela avait-il par la suite dans leur vie ?

J’ai récemment reçu une réponse.

Il y a plus de 23 ans, j’ai passé deux ans à la Yechiva de Johannesburg. Le vendredi, fidèle à mon habitude, je parcourais les rues de la ville avec un ami, Yossi Peles pour trouver des Juifs à encourager dans leur pratique du judaïsme. Nous nous sommes liés d’amitié avec un certain Mike qui, avec son épouse, dirigeait un magasin de pneus. Nous avions sûrement un charme irrésistible… en tous cas, il accepta avec plaisir de mettre les Téfilines avec nous chaque semaine. Nous lui avions d’ailleurs acheté un livre de prières.

Il faut savoir que les Juifs d’Afrique du Sud sont très spéciaux : même s’ils ne sont pas pratiquants, ils tiennent aux traditions et fréquentent la synagogue : Mike allait régulièrement à la synagogue de Sydenham Highlands North Shul, dirigée par notre ami, émissaire du Rabbi, Rav Yossi Goldman.

Ma période d’étude en Afrique du Sud arriva à son terme. A une époque sans réseaux sociaux, notre relation cessa. Yossi par contre resta en contact avec Mike - bien que lui aussi déménageât et s’installât aux États-Unis.

Je dois avouer que j’avais complètement oublié Mike…

Mais dernièrement, j’ai assisté au mariage de ma nièce à Allentown, en Pennsylvanie ; un des oncles du marié n’était autre que Rav Goldman. Nous avons échangé des souvenirs de ma période passée à Johannesburg, il me rappela l’existence de Mike et raconta qu’il avait reçu une lettre de lui, il y a plus de vingt ans :

« Cher Rav Goldman,

J’ai été élevé dans un judaïsme bien plus « light » que vous. J’ai essayé plusieurs synagogues mais finalement, je suis arrivé dans la vôtre. Cela m’a pris un peu de temps mais finalement, je m’y suis bien adapté et… Voilà ce que je veux vous raconter :

Un vendredi, il y a deux ans (Note : donc il y a 23 ans), des gars un peu bizarres sont entrés dans mon magasin et ont demandé si quelqu’un était juif. Je me suis présenté. Ils m’ont demandé si j’avais mis les Téfilines ce jour-là et j’ai répondu que non. Il faut vous dire, Monsieur le rabbin, que je n’avais jamais mis les Téfilines de ma vie ! La seule fois que j’en avais vu, c’était à l’armée quand j’avais assisté avec des centaines de soldats non-juifs à cette étrange cérémonie de Juifs mettant les Téfilines.

Bref, leur demande m’embarrassait tout simplement parce que je n’avais aucune idée de ce que cela représentait et comment on les mettait. Ils m’ont proposé de m’y aider mais j’ai refusé. La semaine suivante, ils sont revenus et m’ont encore une fois proposé les Téfilines. Je leur ai expliqué mon « problème » et nous sommes montés à l’étage où ils m’ont gentiment aidé à mettre les Téfilines pour la première fois de ma vie.

Jamais je n’oublierai ce que j’ai ressenti cette première fois, comme si je me sentais enveloppé dans un cocon spécial ! De fait, je me suis aussi rendu compte que je connaissais un peu les prières associées à la mise des Téfilines !

A cette époque, je connaissais de sérieuses difficultés financières et la banque ne voulait plus coopérer avec moi. Au bout de quelques semaines de mise des Téfilines, je décidai de m’acheter ma propre paire et j’acquis en même temps une certaine sérénité. Bien que mes affaires posent encore problème, je décidai d’acheter quelques actions à la Bourse.

Il y a quelques semaines, j’ai eu une intuition soudaine, j’ai appelé mon courtier en lui ordonnant de revendre toutes mes actions. Il était ébahi, tenta de me convaincre de ne pas agir ainsi sur un coup de tête mais j’insistai : peu après la Bourse s’effondra ! Je rappelai mon courtier, j’avais de fait réalisé un bénéfice de 500.000 rands !

Monsieur le rabbin, je vous écris cela non pas pour me vanter d’avoir eu du flair mais pour vous affirmer que je suis persuadé que ces étudiants de Yechiva qui m’avaient appris à mettre les Téfilines m’ont, de fait, aidé à ne plus dépendre du bon vouloir de ma banque ! ».

Telle était la lettre incroyable que Rav Goldman avait reçue et m’avait montrée, moi un des « gars bizarres »…

J’ai repris contact avec Mike grâce à WhatsApp et à mon ami Yossi Peles : Mike continue à mettre les Téfilines depuis plus de 23 ans et est devenu lui-même un « allumeur de réverbère » selon la terminologie ‘hassidique : un Juif qui vient acheter un pneu chez lui se voit proposer automatiquement de mettre les Téfilines…

 

Rav Ne’hemia Schusterman

L’Chaim N° 1615

Traduit par Feiga Lubecki