Du temps et des hommes
Le rapport des hommes au temps a toujours été comme un révélateur de leur vision du monde, de leur manière de le penser et de le vivre. Même si le temps constitue sans doute une réalité objective, déposant son empreinte irrémédiable sur les paysages ou le visage des hommes, sa perception par les sociétés humaines a largement varié au cours des âges. C’est ainsi que le temps de l’antiquité appartenait à un quasi domaine du sacré. Mesuré avec attention, il s’écoulait avec une noble lenteur qui disait l’immuabilité des choses, l’éternité des systèmes, des civilisations et de leurs maîtres. Bien plus tard, vint le temps mécanique, celui que définissait l’inexorable – et presque parfait – mouvement des engrenages des montres bourgeoises. Ce fut comme si le temps s’était tout à coup accéléré, comme s’il avait pris un caractère plus impitoyable. C’est que l’industrieuse activité des hommes avait besoin d’un rythme plus cadencé et c’est à lui qu’il fallait soumettre chacun. Lorsque sonna l’heure du temps électronique, toujours fiable et constamment vérifié, commença le monde de l’immédiateté. Il fallut – il faut – que tout homme soit joignable à l’instant, que toute tâche s’annonce comme très urgente afin que tout change constamment, que rien ne soit assuré pour demain dans une humanité en recherche continue de repères toujours mouvants, que, d’une certaine manière, l’homme cesse d’être capable d’une pensée libre.
Il y a manifestement, derrière ces manières très différentes de voir le temps, des façons induites de vivre étonnamment dissemblables. Pourtant ces perceptions si éloignées l’une de l’autre présentent un point commun : leur effet est de soumettre l’homme. Que cette soumission soit réalisée au bénéfice du monarque, de la recherche du profit ou d’une étrange oppression, la mesure du temps parvient à un tel résultat. Mais le temps pourrait ne pas être un tyran. Pour cela, il suffit à l’homme de s’en rendre maître, de ne pas le laisser imposer sa loi. Et si, au lieu d’en être les jouets, on se mettait à le compter... « Et vous compterez pour vous... sept semaines entières » commande le texte de la Torah. Sept semaines à compter entre la fête de Pessa’h et celle de Chavouot, jour après jour. Cela s’appelle le compte de l’Omer et cela change tout. Disant la bénédiction rituelle sur ce compte, chacun sanctifie le temps. Celui-ci cesse alors d’être la mesure d’une puissance aveugle et écrasante pour devenir, au côté de l’espace, une dimension du monde confiée à l’homme. Servir D.ieu dans le temps apparaît pour ce qu’il est : une libération. Jusqu’au temps d’éternité : la venue de Machia’h.
« En son temps, Je le hâterai »
Le Talmud (Sanhédrin 98a) enseigne : « Il est écrit (Isaïe 60 : 22) ‘[le Machia’h viendra] en son temps, Je le hâterai’ ». Ces deux termes semblent contradictoires. Le Tséma’h Tsédèk, le troisième Rabbi de Loubavitch, y apporte une explication : ils font référence à deux modes de Délivrance possibles :
- « Je le hâterai » : cela décrit une Délivrance dans laquelle les hommes quitteront l’exil brutalement, comme en un saut. Elle conduira ainsi immédiatement aux degrés les plus élevés ;
- « En son temps » : c’est une Délivrance dans laquelle cette élévation progressera graduellement et, par conséquent, plus lentement.
(d’après Or Hatorah - Béréchit, p.86)
Tazrya
La Paracha continue la discussion concernant les lois de Toumah véTahara, les lois d’impureté et de pureté spirituelles, qui incluent l’immersion dans un Mikvé (bassin d’eau naturelle) et les offrandes dans le Saint Temple. Tous les bébés garçons doivent être circoncis le huitième jour de leur vie.
Tsaraat (que l’on traduit parfois, de façon erronée, par « lèpre ») est une plaie surnaturelle qui peut également infecter les vêtements. Si des taches roses ou blanches apparaissent sur la peau d’une personne (rouge foncé ou vert sur les vêtements), l’on convoque un Cohen. S’appuyant sur différents signes, comme l’augmentation de la surface de la zone infectée, après une mise en quarantaine de sept jours, le Cohen déclare si la tache est Tamée (impure) ou Tahor (pure).
La personne affligée de la Tsaraat doit résider seule, à l’extérieur du campement (ou de la ville) jusqu’à sa guérison. La partie infectée d’un vêtement est enlevée. Si la Tsaraat s’étend ou réapparaît, tout l’habit doit être brûlé.
Metsora
La Paracha Tazrya décrivait les signes du Metsora (malade de la peau), terme désignant une personne affligée d’une maladie spirituelle qui la mettait en état d’impureté rituelle. La lecture de la Paracha Metsora commence par donner les détails de la manière dont le Metsora guéri est purifié par le Cohen (prêtre), selon une procédure particulière utilisant deux oiseaux, de l’eau de source dans un ustensile en terre, un morceau de bois de cèdre, un fil écarlate et une branche d’hysope.
Une maison peut être également atteinte de Tsaraat, lors de l’apparition de taches vertes ou rouges foncé sur les murs. Dans un processus s’étendant sur dix-neuf jours, un Cohen détermine si la maison peut être purifiée ou si elle doit être démolie.
L’impureté rituelle est aussi engendrée par des pertes masculines ou féminines, ce qui nécessite l’immersion dans un Mikvé.
Dans le livre de Vayikra, la Torah parle de la Tsaraat, maladie qui se déclarait aux temps bibliques et que l’on traduit (souvent inadéquatement) par « lèpre ». Cette maladie n’affligeait pas seulement les êtres humains mais également les objets inanimés, y compris les murs des maisons.
Une honnêteté personnelle rigoureuse
« Et le prêtre observera la région affectée. » (Vayikra :13,3)
Si l’on pensait avoir contracté cette maladie, il fallait subir un examen effectué par un Cohen qui se prononçait en déclarant le cas pur ou impur. Quelle que fut la décision du Cohen, elle s’imposait.
L’interprétation traditionnelle de cette loi a trait à un cas où la personne concernée est elle-même un Cohen. L’on pose la question suivante : peut-il lui-même analyser sa propre condition ? La réponse sans ambiguïté est qu’il ne le peut pas. Il doit être examiné par quelqu’un d’autre pour savoir si son affection est un symptôme de la maladie suspectée ou celui d’une autre maladie.
Dans les termes de notre développement spirituel, nous pouvons appliquer la même loi à tous types de maladies spirituelles. Nous ne sommes pas ceux qui posons le diagnostic final sur nos propres fautes ou manquements. Notre subjectivité ne nous permet pas d’émettre le jugement adéquat et jusqu’à ce que nous nous laissions examiner par un « prêtre », un guide spirituel ou un mentor de confiance, nous n’avons aucun moyen fiable de connaître la véritable nature du problème. Bien plus encore, en règle générale, l’orgueil et l’amour de soi rendent impossible un jugement sur soi objectif. C’est également pour cette raison qu’il est impératif que nous montrions les signes de notre maladie spirituelle à quelqu’un d’autre.
Notre voyage vers la guérison demande une honnêteté personnelle rigoureuse. Nous devons nous forcer à un face-à-face avec nous-mêmes tel que nous n’en avons jamais fait. Toutefois, notre introspection n’est pas suffisante pour nous préserver. Nous devons également admettre devant une personne extérieure la nature exacte de nos erreurs.
Parler à quelqu’un d’autre, généralement à notre guide spirituel, n’est pas seulement le moyen de nous soulager après avoir admis nos erreurs. C’est en fait la manière de réaliser concrètement tout un processus. Si nous devions ne jamais nous présenter à l’examen d’autrui, notre mise au point personnelle ne serait pas suffisante pour nous permettre d’avancer et guérir les défauts de notre caractère. En parler, nous ouvrir, montrer notre âme nue nous permet réellement de vérifier nos découvertes et d’avoir une image entièrement vraie de ce que nous sommes. Nous risquons de déclarer pur ce qui ne l’est pas et, ce qui est aussi dommageable, impur ce qui est pur.
Enfin, il est tout à fait possible qu’en parlant à notre mentor, ce dernier nous aide à découvrir certaines vérités qui nous ont échappé lors de notre examen personnel.
Comme dans les jours passés, où la déclaration du prêtre était suivie de moyens de traitement et de guérison, nous sommes également immédiatement engagés sur le chemin de l’amélioration de nos défauts et de notre personne.
Des trésors cachés
« Quand tu pénétreras en terre de Canaan que Je te donne en possession et que J’infligerai un cas de Tsaraat dans une maison… » (Vayikra 14 :34)
Comme nous l’avons dit précédemment, la maladie de la Tsaraat pouvait également toucher les murs de la maison. Lorsque ce cas se présentait, toute la partie atteinte devait être enlevée, ce qui impliquait de grosses dépenses pour le propriétaire.
Cette maladie étrange n’était pas une maladie physique ou concrète mais plutôt une manifestation physique ou concrète d’une maladie spirituelle. Quand une personne était spirituellement malade, D.ieu l’alertait de son état en touchant d’abord ses possessions puis son corps, pour qu’elle soit incitée à opérer un changement dans son comportement et faire ainsi Techouva (un retour vers D.ieu).
Cependant, très souvent, un homme qui n’avait rien fait de mal découvrait que les murs de sa maison étaient infectés. Pourquoi les innocents souffraient-ils également ?
La réponse à cette question est que de nombreux Juifs vivaient dans des maisons qui avaient été construites par les Cananéens, occupants précédents de la terre. Nombreux parmi eux étaient ceux qui avaient caché leurs trésors dans les murs de leurs maisons. Si bien que lorsqu’une maison d’un Hébreu se trouvait envahie par la Tsaraat, il lui fallait démolir les murs et il trouvait le trésor caché.
Ce qui donc avait paru être un mauvais coup du sort ou une punition injustifiée d’En Haut s’avérait être une grande bénédiction.
Quand nous jetons un regard sur tous les soucis qui se sont présentés dans notre vie, il n’est parfois pas difficile de prendre son parti des problèmes qui se sont solutionnés. Nous réalisons que D.ieu nous a envoyé des signes visibles pour nous forcer à prendre conscience de nos véritables manquements d’alors. Mais qu’en est-il lorsque la vie nous frappe en pleine face, même lorsque nous sommes innocents, même lorsque nous faisons ce qui se doit ? Quand cela arrive, nous nous demandons ce que nous avons fait pour mériter de tels problèmes.
Ce dont nous prenons conscience est que les trésors cachés de la vie ne sont parfois découverts qu’à travers des difficultés et les pertes. Ces difficultés que nous jugeons si vite comme un signe que D.ieu nous donne du « fil à retordre » peuvent être, en fait, Sa manière de nous envoyer des cadeaux qui vont au-delà de nos rêves. Nous pouvons maudire nos soucis et ignorer totalement le trésor qui a été prévu pour nous, bien plus abondant que le montant de notre perte. Bien sûr, si seulement nous savions ce qui se cache derrière le mur, nous serions heureux de le détruire. Mais nous ne le savons pas. Et c’est là qu’intervient la foi, pour se sentir serein, en sécurité, reconnaissant et heureux même quand nous ignorons ce qui arrive. Quand nous craignons les difficultés et les changements, non seulement manquons-nous de foi mais inconsciemment, nous renonçons aux grandes bénédictions qui nous attendent juste de l’autre côté de nos ennuis.
Pourquoi lit-on un chapitre de Pirké Avot, les « Maximes de nos Pères », chaque samedi après-midi, entre Pessa’h et Chavouot ?
Entre Pessa’h et Chavouot, nous nous préparons à revivre le don de la Torah au mont Sinaï. Pirké Avot est un traité talmudique qui contient des recommandations éthiques et morales. En lisant un chapitre par Chabbat, nous pouvons raffiner notre personnalité et notre comportement, de façon à mériter de recevoir la Torah.
Dans de nombreuses communautés, on continue la lecture de ces six chapitres tout au long de l’été jusqu’au Chabbat qui précède Roch Hachana. En effet, durant l’été, certains ont tendance à se montrer moins stricts dans leur observance des Mitsvot : il convient donc de se renforcer spirituellement pour éviter tout relâchement.
Ne soyez pas timide !
Le fait est que je tremble quand je réalise la puissance de ce qui m’est arrivé, comment j’ai pu vivre des moments aussi intenses, avec la révélation de la Providence divine devant mes yeux…
Au début de la semaine, alors que la plupart des fidèles de ma synagogue étaient au travail, je peinais justement à compléter le Minyan : de fait, il nous manquait juste un homme pour atteindre le minimum de dix hommes pour la prière en communauté. Je suis sorti dans la rue, en priant silencieusement que je puisse trouver facilement le fameux dixième…
Le seul homme qui traînait dans ma rue parlait dans son téléphone : il avait tout l’air d’être un nouvel immigrant russe, arrivé récemment en Israël, d’une soixantaine d’années et j’étais sûr qu’il était loin de tout ce qui a trait au judaïsme. Certainement il refuserait de nous rendre ce service : assister tout simplement à ces quelques minutes de prière en commun, afin qu’un Juif puisse réciter le kaddich à la mémoire de son parent disparu.
Mais après tout, je suis un Chalia’h, un émissaire du Rabbi et je dois accomplir ma mission : D.ieu fera le reste. Après tout, au pire des cas, l’homme me « bénira », c’est-à-dire m’adressera des injures en russe avec toutes sortes d’éructations qu’on ne trouve pas dans la Torah…
- Excusez-moi, comment vous appelez-vous ?
- Vladimir ! (J’en étais sûr, mon intuition ne m’avait pas trompé… Comment aurait-il pu s’appeler Yaakov ou David ?)
- Vous êtes juif ? Votre mère est juive ?
- Bien sûr ! répond-il.
- Pouvez-vous nous aider à compléter un Minyan ?
- Je ne suis pas pratiquant ! Je ne crois en rien ! répond Vladimir - comme je m’y attendais.
- Moi aussi je ne crois pas : je ne crois pas que vous ne croyez pas ! rétorquai-je avec un sourire tout en le prenant par le bras de peur qu’il ne s’éloigne… (S’il avait su a priori comment cela se terminerait, il se serait enfui en me laissant K.O…).
De fait, il est resté jusqu’à la fin de la prière : apparemment, cela lui avait plu.
Je l’ai invité à assister à nos programmes de Pourim : il est venu et a participé à toutes les réunions : pour les enfants, pour les adultes, le soir, le matin, l’après-midi…
Lors du festin de Pourim, une demi-heure avant le coucher du soleil, il a mis les Téfilines, pour la première fois de sa vie (et est ainsi quitte de la terrible définition de karkafta, le crâne qui n’a jamais mis les Téfilines). Après tout, les Juifs à l’époque de Pourim ont particulièrement chéri la Mitsva des Téfilines, n’est-ce pas ? Il se plaisait parmi nous et est resté vraiment jusqu’à la fin.
Il est revenu le lendemain matin, a prié avec nous et est resté pour me parler en privé : il m’a confié qu’il voulait vraiment enfin accomplir le rituel de la Brit Mila ! Je lui proposai mercredi prochain ! Pourquoi mercredi prochain ? Attendez, je n’ai pas fini !
J’ai l’habitude depuis des années de transformer nos événements familiaux en réunions joyeuses avec notre petite communauté, en célébrant par exemple un mariage ou une Brit Mila dans notre Beth ‘Habad - en guise de remerciement à D.ieu. Mercredi prochain, notre fils Meïr Chlomo fêtera ses trois ans et, selon la tradition ancestrale, nous allons lui couper les cheveux pour la première fois.
Savez-vous pourquoi j’ai souligné le prénom de mon fils ?
Je vous explique : quand je persuade quelqu’un de procéder à la Brit Mila, je lui conseille de prendre le prénom d’un de ses grands-parents (ou oncles, cousins…) disparus. Il s’est avéré qu’un des grands-pères de Vladimir s’appelait Meïr et l’autre Chlomo…
Et donc Vladimir est devenu Meïr Chlomo (ce qui est aussi le nom du grand-père maternel du Rabbi…).
Mes amis, je vous invite tous à fêter nos deux Meïr Chlomo dans la salle de fêtes de notre Beth ‘Habad ! Là où, il y a exactement trois ans, nous avons célébré la Brit Mila de notre fils Meïr Chlomo : c’était au début de la crise du corona et nous n’avions invité que dix hommes : le dixième se trouva être un soldat de Tsahal, originaire d’Arad qui passait par là et qui, ému, a demandé à accomplir la Mitsva de la Brit Mila juste quelques minutes avant notre bébé !
Alors si un jour, vous êtes confrontés vous aussi au problème de trouver « un dixième » pour votre Minyan, ne vous inquiétez pas, le bon D.ieu a Ses plans à Lui pour « Son dixième ». Ne craignez pas de vous adresser directement au cœur d’un Juif car c’est un moyen sûr et recommandé pour assister à toutes sortes de merveilles…
Et, comme le précisent nos Sages dans le commentaire de la Meguila de Pourim : « La joie, c’est la Brit Mila, l’allégresse, c’est le jour de fête… ».
Mendel Teichman - Israël
Traduit par Feiga Lubecki