Vivre un temps complexe
Depuis le début de la fête de Pessa’h, nous sommes entrés dans un temps plus complexe qu’à l’accoutumée, comme marqué par des caractères opposés. Voici qu’en effet l’Omer et son décompte ont commencé. C’est, d’une part, l’époque de l’impatience qui sépare la sortie d’Egypte du Don de la Torah. Une impatience doublée d’une élévation spirituelle progressive qui fait que chaque jour semble différent de celui qui l’a précédé comme de celui qui le suivra. C’est, d’autre part, un temps où la joie fait l’objet d’une retenue que le caractère jubilatoire de l’attente évoquée plus haut ne permettrait pas d’imaginer. Souvenir d’un épisode tragique de l’histoire juive, rappel des méfaits de la désunion et du manque de respect de l’autre, un trait de gravité souligne de ce fait les jours qui passent.
Il est ainsi demandé aux hommes de vivre, dans le même temps, sur deux plans comme si cela allait de soi. De fait, dans notre vie quotidienne, il existe souvent des situations ambivalentes du même type qui résistent à l’analyse rationnelle mais auxquelles nous parvenons à donner un sens. Car, d’une certaine manière, l’enjeu de la création est là. Il appartient à chacun de tracer son propre chemin et de choisir avec sagesse le but qu’il s’assigne.
La période de l’Omer est, aussi, pour cette raison, une invitation à cette grande aventure spirituelle que constitue la recherche de la perfection. Elle donne à celui qui le désire les moyens de progresser de degré en degré jusqu’au moment indépassable que constituera, lors de la fête de Chavouot, le Don de la Torah et la rencontre avec D.ieu. Il ne s’agit pas là d’un temps ordinaire ni de jours anodins. Il faut, au contraire, ressentir comme une palpitation d’infini dans l’existence de tous. Il revient à chacun de savoir faire le choix nécessaire : celui de l’avancée. Il nous portera de degré en degré jusqu’à la liberté absolue, couronnement de la Délivrance annoncée par les prophètes, que Machia’h nous apportera.
Le retour à D.ieu chaque jour
Le traité talmudique Chabbat (153a) enseigne : " Il est écrit : "reviens à D.ieu un jour avant ta mort". Mais qui sait quel jour il mourra ? Il faudra donc revenir à D.ieu ce jour-même, peut-être mourra-t-on le lendemain. De même le lendemain car on mourra peut-être le surlendemain. Ainsi, tous nos jours seront consacrés au retour à D.ieu ".
Le Maharil (p. 42) donne une autre raison à la nécessité quotidienne du retour à D.ieu. Il l'exprime en ces termes : "L'homme doit revenir à D.ieu chaque jour… car, lorsque le Machia'h viendra, on n'acceptera plus un tel retour. Or, puisque nous attendons sa venue chaque jour, celui qui ne retourne pas à D.ieu alors que Machia'h va venir très rapidement, ne pourra plus le faire. Il restera donc, D.ieu nous en préserve, avec ses fautes".
Cette idée a une conséquence importante. Elle nous conduit à retourner à D.ieu non par souci du jour de la mort mais par attente incessante de la venue de Machia'h. C'est bien entendu là une situation préférable.
(d'après un commentaire du Rabbi de Loubavitch, Chabbat Parchat Vayele'h 5719)
H.N.
Tazrya Metsora : le nom de Machia'h
Une réelle perfection ou des failles superficielles ?
Nos Sages demandent : " Quel est le nom de Machia'h ? " et répondent : " la lèpre de la Maison de Rabbi ". Cela est très difficile à comprendre. Machia'h va initier le processus de la Rédemption et est associé au summum de la vie et de la vitalité. Comment son nom peut-il être lié à la lèpre (Tsaarat) qui est identifiée à la mort et à l'exil ?
Cette difficulté peut être résolue en s'appuyant sur ce qu'énonce Likouteï Torah qui explique ce que sera une personne atteinte de lèpre :
Un homme d'une grande stature, d'une réelle perfection… Bien que la conduite d'une telle personne soit désirable et qu'il ait tout corrigé… il est possible que sur la peau qui couvre sa chair restent encore des niveaux inférieurs sur lesquels le mal n'a pas été raffiné. Cela résultera en marques physiques sur sa chair, d'une manière qui transcende l'ordre naturel…
Puisque la saleté de la surface de ses vêtements apparaît ne pas avoir été raffinée, (des défauts) apparaissent sur sa peau… Bien plus, ces défauts reflètent des niveaux très élevés comme c'est indiqué par le fait qu'ils ne sont pas impurs tant qu'ils ne sont pas désignés comme tels par un Cohen.
Ce passage implique qu'il existe des influences spirituelles sublimes qui, à cause du manque de récipients appropriés (mis en évidence par "la saleté de la surface") peuvent produire des effets négatifs. Car même quand une énergie puissante est libérée sans être retenue, elle cause des blessures. C'est la raison de la Tsaarat dont Machia'h est affecté.
La charge de Machia'h
Le Peuple Juif comme entité est comparé à un corps humain. Cela s'applique dans chaque génération, et aussi à toute la nation juive à travers l'histoire. Tous les Juifs, ceux du passé, du présent et du futur font partie d'un ensemble organique.
Puisque le bien est éternel, alors que le mal n'est que temporaire, le niveau spirituel de notre peuple a constamment avancé. Un vaste réservoir de bien s'est empli au fil des siècles. Le Peuple Juif comme il existe dans Ikveta de Mechi'ha, l'époque où les pas qui marquent l'approche de Machia'h peuvent être entendus, ont atteint le niveau de perfection mentionné dans Likouteï Torah.
Néanmoins, il reste encore des parcelles de mal sur la périphérie, car le monde est encore déchiré par l'injustice et la violence. Aussi la lumière de la Rédemption ne peut-elle encore être manifeste ; cela se reflète dans les taches de lèpre qui apparaissent sur Machia'h lui-même. Car comme le dit le Prophète : " il a supporté notre maladie et a enduré notre souffrance… avec des blessures, frappé par D.ieu et affligé ". Machia'h endure la souffrance, non à cause de lui-même mais pour le Peuple Juif comme entité.
L'apport positif
Il existe encore une difficulté. Bien que le passage cité plus haut explique pourquoi Machia'h doit endurer la souffrance, il ne montre pas pourquoi la souffrance est identifiée à Machia'h. Le nom de Machia'h, quel qu'il soit, doit être positif.
Cette difficulté peut aussi être résolue sur la base du passage de Likouteï Torah cité précédemment. Car ce passage explique que les plaies de la lèpre reflètent "des niveaux très élevés", leur source étant la lumière spirituelle transcendante associée à Machia'h. Néanmoins, pour que cette lumière s'exprime d'une manière positive, des ustensiles adéquats sont requis.
La souffrance de Machia'h apportera un raffinement final au monde en général, en faisant un récipient adéquat pour la révélation de son potentiel transcendant. Puisque la révélation réside au cœur de l'Ere de la Rédemption, l'élément catalyseur nécessaire est donc associé au nom de Machia'h.
Le nom de la lecture de la Torah
Les concepts que l'on a évoqués peuvent aussi clarifier une difficulté concernant le nom de la première des Parachiot qu'on lit ce Chabbat. Metsorah signifie lèpre. On pourrait penser que le nom de la lecture de la Torah serait un mot à connotation plus positive. Cette question est renforcée par le fait que dans les travaux des premiers Sages rabbiniques, Rav Saadia Gaon, Rachi et Maïmonide, un nom différent est employé pour cette lecture. Toutes ces autorités se réfèrent à cette lecture par le nom de Zot Tihyeh, "cela sera". Ce n'est que dans les générations postérieures qu'apparaît le nom Metsorah.
L'explication en est que dans ces générations ultérieures, des failles sont apparues dans le mur de l'exil, et par elles, brille la lumière de Machia'h. A la lumière de Machia'h, Metsorah n'est pas un facteur négatif mais comme cela a été expliqué l'expression d'une divinité transcendante.
Par l'intermédiaire de l'étude
La lecture de la Torah commence par une description du processus de purification pour une personne affligée de Tsaraat en ces termes : " ce sont là les lois du Metsorah ". En mettant l'accent sur Torat Hametsorah (les lois du Metsorah) et non Taharat Hametsorah (la purification du Metsorah) une allusion est faite à un concept fondamental.
L'étude de la Torah développe des récipients humains qui permettent à la lumière, à toutes les lumières, même les plus sublimes, d'être acceptées et intériorisées dans notre monde. Par l'étude de la Torah, l'influence transcendante du Tsaraat peut être canalisée en une force positive.
De la même façon, en ce qui concerne Machia'h : l'étude des enseignements sur Machia'h précipitent sa révélation, attirant son influence dans notre monde.
Avec une nouvelle vie
Souvent, comme cette année, la Parachah Metsorah est lue en relation avec la Parachah Tazrya associée au fait de répandre des graines et à la conception de la vie. Cela implique que les graines de notre service divin n'attendront pas sans fin dans le sol sombre de l'exil mais que le Metsorah, la Rédemption, fleurira immédiatement après que les dernières graines auront été semées.
De même, la fusion de ces deux Parachyot implique que Metsorah, la Rédemption, a déjà été conçue ; nous ne faisons qu'attendre la naissance. Car la souffrance qu'endure Machia'h est l'étape finale avant sa révélation. Puisse-t-elle avoir lieu immédiatement !
Le coin de la Hala’ha
Pourquoi lit-on les « Maximes de Nos Pères », Pirké Avot, chaque Chabbat après-midi entre Pessa'h et Chavouot ?
Entre Pessa'h et Chavouot, nous nous préparons à re-vivre le Don de la Torah au mont Sinaï. Pirkeï Avot est un traîté talmudique qui contient des recommandations éthiques et morales : grâce à ces paroles de nos Sages, nous pouvons raffiner notre personnalité et notre comportement, de façon à mériter de recevoir la Torah.
Dans de nombreuses communautés, on continue la lecture de ces 6 chapitres tout au long de l'été jusqu'au Chabbat qui précède Roch Hachana. En effet, durant l'été, certains ont tendance à se montrer moins stricts dans leur observance des Mitsvots, et il convient donc de se renforcer spirituellement pour éviter tout relâchement.
F. L.
La Matsa des invités
En 1976, après plusieurs années de mariage, ma femme et moi avons pris notre courage à deux mains : nous allions organiser pour la première fois le Séder, le repas du soir de Pessa’h, chez nous. Au moins pour le second soir de la fête. Dès que nous avons pris cette décision audacieuse, je me suis mis à inviter des gens qui ne savaient pas où passer le Séder. Au fur et à mesure que la fête approchait, la liste des invités s’allongeait et s’allongeait. La veille de la fête, nous étions assurés d’avoir seize invités !
Après avoir brûlé le ‘Hamets la veille de Pessa’h au matin, je me sentis surexcité : je savais que dans l’après-midi, le Rabbi distribuait devant la porte de son bureau de la Matsa Chmoura (cuite le jour-même !) à toute personne qui organisait le Séder chez soi ou pour une communauté. Je décidais que moi aussi, je pouvais me présenter cette année : d’ailleurs j’en profiterais pour dire au Rabbi combien d’invités nous attendions et, certainement, cela ferait tant plaisir au Rabbi qu’il me donnerait davantage de Matsa.
Très enthousiastes mais toujours aussi peu organisés (comme d’habitude !), nous avions sous-estimé la quantité de travail à effectuer cet après-midi, pour accueillir tant d’invités. Quand je réussis finalement à me rendre à la synagogue du Rabbi, c’était trop tard, il était déjà retourné dans son bureau et se préparait pour Maariv, la prière du soir. « Oh non, pensai-je, j’espérai un morceau de Matsa, et même plusieurs morceaux et maintenant… rien du tout ! Que dira mon épouse ? »
« Ne t’inquiète pas, me dit un vieux ‘Hassid qui, apparemment, connaissait les usages, le Rabbi distribue encore de la Matsa après Maariv ! »
« Oh, D.ieu soit loué ! » m’écriai-je spontanément.
Et dès le dernier « Amen » (ou peut-être même avant, je l’avoue…), je quittai la grande salle de la synagogue et me précipitai devant le bureau du Rabbi. Je n’étais pas le premier de la queue, mais je n’avais pas à m’inquiéter : j’en aurai, j’en étais sûr !
J’arrivai devant le Rabbi. Il me regarda droit dans les yeux et me demanda : « Pour le premier Séder ou pour le second ? »
Très étonné par la question (que le Rabbi n’avait posée à personne d’autre avant), je murmurai :
« Le second ! »
« Alors je ne peux pas vous donner de la Matsa maintenant ! » déclara le Rabbi.
Mon visage devait sans doute refléter mon immense déception. Tous ces efforts pour… rien ? Le Rabbi avait dû sentir que j’étais sur le point de m’évanouir et il m’expliqua (en anglais ! car il savait que, fraîchement revenu à la pratique religieuse, je ne comprenais pas bien le yiddish) : « Nous sommes aujourd’hui déjà le premier jour de la fête. Nous n’avons pas le droit de préparer le premier jour pour le second jour de fête. Vous comprenez ? »
Je hochai la tête, en essayant de cacher ma tristesse. Mais le Rabbi continua : « Revenez demain soir, après la prière de Maariv. Ce sera déjà le second jour de fête et je vous donnerai alors de la Matsa. Bonne fête, puissiez-vous avoir un Pessa’h cachère et joyeux ! »
Une bonne fête ! Et quelle fête ! Je courus à la maison pour raconter tout ce qui m’était arrivé.
Immédiatement après Maariv le second soir, je me précipitai vers la porte du bureau du Rabbi. Mais son secrétaire (qu’il vive longtemps et en bonne santé !) refusa de me laisser entrer. « Le Rabbi ne distribue pas de Matsa le second soir, seulement le premier soir ! » me dit-il en me faisant signe de partir.
« Mais le Rabbi m’a dit de venir ! », dis-je, paniqué.
Il était clair qu’il ne me croyait pas. Désespéré, je lui racontai toute l’histoire. Je voyais qu’il était encore sceptique. Il pouvait voir que j’allais soit exploser soit m’écrouler, ou peut-être les deux. Finalement il accepta d’en parler au Rabbi. Je me glissais derrière lui et vis que le Rabbi acquiesçait.
Comment le Rabbi avait-il su qu’il devait me demander pour quelle nuit j’avais besoin de la Matsa ? Franchement je n’en sais rien. Il n’avait posé cette question à personne d’autre : j’en étais sûr puisque j’avais mené mon enquête auprès de toutes les personnes qui avaient attendu avec moi le premier soir. Tout ce que je sais, c’est que je suis éternellement reconnaissant au Rabbi d’avoir fait une exception pour moi, les deux nuits.
Au fait : oui, le Rabbi m’a donné une grosse quantité de Matsa que très content, je distribuais à tous nos convives. J’ignore ce qu’il en est de ces seize personnes mais moi, plus de vingt-cinq ans plus tard, je me souviens toujours de la Matsa du Rabbi !
Rav Yera’hmiel Tiles – Safed
traduit par Feiga Lubecki