Un texte de civilisation
Lorsque la nature retrouve ses forces, que les arbres se gonflent de sève et que tout ce qui touche au monde matériel et à ses désirs présente une vigueur redoublée, les Sages ont commandé d’étudier chaque semaine un texte : les Pirkeï Avot ou Maximes des Pères. Vision du monde, mode de vie, morale lumineuse et chemin du lien avec D.ieu, les Pirkeï Avot sont tout cela à la fois. C’est qu’ils ont une ambition affirmée : changer le monde et notre manière de le considérer. Si l’on voulait le dire en d’autres termes : les Pirkeï Avot sont un texte de civilisation.
Il est vrai que l’homme n’a guère de choix que de s’inscrire dans un tel projet. Il est habituel de dire qu’il est une créature constituée de deux pôles. D’un côté, il incarne un potentiel de spiritualité infinie. D’un autre côté, son aspect physique l’ancre dans la matérialité. Selon qu’il suive l’un un ou l’autre, il prend une dimension différente et entraîne avec lui l’ensemble de l’univers. C’est là la puissance particulière qui lui a été confiée. Son rôle est donc essentiel.
Si cette idée est vraie en tous temps et en tous lieux, elle l’est sans doute encore plus lorsqu’une époque revient qui semble ignorer les règles élémentaires de la civilisation. Lorsque le temps permet que la barbarie apparaisse à visage découvert, que le quotidien se remplisse du massacre de gens innocents qui n’ont que le tort de se trouver là, vaquant à leurs occupations, cibles faciles pour ceux qui croient que la gloire et “l’éternité de l’âme” s’achètent par la mort de l’autre, lorsque le temps permet que la violence grandisse au point d’être insupportable et qu’elle frappe, sans distinction, ceux qui sont simplement différents, les textes de civilisation sont précieux. Ils redonnent du sens aux choses, les remettant à leur véritable place.
En une époque troublée, c’est peut-être aussi avec ce regard qu’il faut les lire. Ils sont porteurs d’une sagesse ancienne et nouvelle à la fois. L’homme est décidément capable du meilleur même s’il n’en choisit pas toujours le chemin. Comprendre que c’est pourtant là le but, c’est, pour tous, avancer vers l’ultime bonheur.
Un rire infini
Faisant référence à la venue de Machia’h, un verset des Psaumes (89 : 21) annonce : “Alors, notre bouche sera pleine de rire”. Si une telle phrase exprime, de manière évidente, l’exaltation qui apparaîtra dans la nouvelle ère, elle n’en demande pas moins explication. En effet, dans la mesure où la venue de Machia’h s’accompagnera d’une intense révélation Divine, d’une lumière sans précédent, quelle importance peut avoir le fait que “notre bouche sera pleine de rire” ?
Ce qui est désigné n’est, en fait, rien d’autre que la joie et le plaisir de D.ieu. C’est ce qui explique la pertinence de ce “rire”. Or cette joie sera alors immense car elle sera provoquée par deux éléments essentiels : le parachèvement de la mission confiée au peuple juif et la prise de conscience de tous que seul D.ieu constitue la véritable existence.
(d’après Séfer Hamaamarim 5700, p. 68)
Tazrya : La circoncision
La Sidra Tazrya commence en disant: “lorsqu'une femme a conçu et a enfanté un mâle... au huitième jour, l'enfant sera circoncis”. On accomplira cette Mitsva uniquement si l'enfant est en bonne santé; si ce n'est pas le cas, la circoncision sera repoussée jusqu'à ce qu'il se rétablisse complètement.
Le Rambam explique pourquoi seul un enfant sain peut être circoncis: “car un danger pour la vie annule tout le reste. Il est possible de faire la circoncision plus tard, mais il est impossible de faire revenir une âme juive (dans le corps après sa mort)”.
Tout d'abord, “un danger pour la vie annule tout le reste”, signifie que même la Mitsva de la circoncision, Mila, ne peut être accomplie, si elle représente un "danger pour la vie" de l’individu. Par ailleurs, “il est possible de pratiquer la circoncision plus tard”, indique que lorsque la Mitsva de la Mila est repoussée pour des raisons de santé, rien n'est vraiment perdu. Nous comprenons ainsi que la Mitsva de la Mila, accomplie à une date ultérieure, produit un effet également sur les jours précédents, à tel point que, rétrospectivement, c'est comme si la Mila avait été effectuée le huitième jour.
En fait, comment une action tardive peut-elle affecter le passé de cette façon, avant l'accomplissement de l'acte lui-même?
De plus, le Rambam ajoute: “mais il est impossible de faire revenir une âme juive” à la suite de “il est possible de faire la circoncision plus tard”. Apparemment, ces mots sont plus étroitement liés au début de l'explication “car un danger pour la vie annule tout le reste”.
La 'Hassidout explique que la Mitsva de la Mila permet la descente de la Lumière divine - un acte que le service de l'homme n'arrivera pas à faire: la lumière provient uniquement d'un “réveil d'En Haut". Tant que la personne n'est pas circoncise, son état d'incirconcision agit comme un obstacle à cette lumière. Seule la Mila ôte cette barrière.
Il en est de même quant à “l'entrée de l'âme sainte” qu'accomplit la circoncision: elle fait descendre un niveau de l'âme qui transcende l'intellect. Cela non plus ne peut être réalisé par le travail de l'homme.
Puisque la circoncision ne fait que révéler un état spirituel préexistant et n'accomplit rien de nouveau, elle est donc également capable d'affecter le passé. Si la Mila n'a jamais lieu, l'état spirituel reste caché. Cependant, une fois que la Mila a été faite et que l'état spirituel préexistant révélé, elle influence également le passé.
Par conséquent, le Rambam dit: “mais il est impossible de faire revenir une âme juive” après les deux premiers arguments, afin d'expliquer pourquoi une Mila faite "plus tard" affecte également le passé, et est considérée comme ayant été accomplie à temps.
Le lien d'un Juif avec D.ieu transcende toutes les limites et reste entier. “Il est impossible de faire revenir une âme juive” signifie donc que l'attachement du Juif avec D.ieu ne peut jamais être repoussé et interrompu; il reste toujours intact. C'est pourquoi ce lien préexistant entre le Juif et D.ieu doit être révélé; et c'est là le rôle essentiel de la Mila, même faite "plus tard", puisque son effet est rétroactif.
Metsora :
La purification du Metsora : une leçon de repentir
La Paracha Metsora commence en statuant: “ainsi sera la loi du Metsora (celui qui est atteint de lèpre): il sera conduit au Cohen, le prêtre” (Vayikra 14:2). Le verset continue: “le Cohen sortira du camp” et examinera le Metsora.
Puisqu’il était impossible au Metsora de venir vers le Cohen (car jusqu’à ce qu’il soit déclaré guéri de la Tsoraat (lèpre), il lui était interdit d’entrer dans le campement juif), comment devons-nous comprendre le verset: “il sera conduit au Cohen”?
En outre, pourquoi la Torah utilise-t-elle l’expression: “il sera conduit au Cohen” plutôt que “il ira vers le Cohen”? La première phrase semble impliquer qu’on le forçait à aller chez le Cohen, ou bien que son apparition devant le Cohen était obligatoire.
L’affection de Tsoraat était infligée comme punition pour avoir prononcé du Lachone Hara, des propos de commérage malveillants. Un des aspects de la punition obligeait le Metsora à “s’asseoir seul, en dehors du camp”.
Le Talmud explique que puisque les bavardages du Metsora avaient suscité des différends entre les individus, il devait être puni en étant séparé des autres.
Dans un sens plus spirituel, causer la séparation et la discorde signifie s’opposer à la sainteté, dont l’une des caractéristiques est l’unité. C’est pourquoi le Metsora était banni de tous les camps juifs, car ses actions étaient tout à fait opposées à la sainteté.
Toutefois, même une personne qui a commis un acte si grave a la possibilité de se repentir, car “D.ieu donne des moyens pour que celui qui est banni ne soit pas rejeté pour toujours”.
Le verset qui introduit notre Sidra nous assure ainsi que même un individu affligé de Tsoraat sera éventuellement “conduit chez le Cohen”, il se repentira et reviendra à la sainteté.
Et cela se passe ainsi même lorsque la personne ne ressent absolument aucun désir de se repentir, car D.ieu, Lui, désire cette repentance. C’est pourquoi, qu’elle le veuille ou non, elle sera amenée devant le Cohen.
Néanmoins, D.ieu ne désire pas que le retour de quiconque lui soit imposé d’En-Haut; chaque pécheur devrait désirer se repentir. C’est la raison pour laquelle le verset poursuit en ces termes: “le Cohen sortira du camp”:
Le premier pas pour parvenir au retour pour celui qui n’en a pas le souhait naît d’un désir d’En-Haut. En tant que tel, il n’imprègne pas le pécheur.
Le verset indique ce premier pas par les mots: “il sera conduit au Cohen”, signifiant par là que la personne est déplacée de son propre statut et conduite par force à une situation qu’elle n’aurait pas choisie de son propre fait, la repentance lui étant imposée d’En-Haut.
Puis vient la seconde étape où “le Cohen sort du camp”. Cela signifie que l’aspiration au repentir doit s’inscrire dans l’état d’esprit dans lequel se trouve le Metsora, de telle sorte que le retour se fasse volontairement.
Bien plus, quand la purification du Metsora, c’est-à-dire l’acte de repentance, a lieu dans l’endroit même où il se trouve, en dehors d’une atmosphère de sainteté, alors ses fautes se transforment en mérites.
Cela porte l’être à un tel état d’élévation qu’il peut atteindre un niveau de sainteté qui n’est pas accessible même à ces individus saints qui n’ont jamais été bannis du camp.
Qu'est-ce que le compte de l'Omer ?
C'est une Mitsva de la Torah de compter les 49 jours de l'Omer à partir du 2ème soir de Pessa'h (jeudi soir 13 avril 2006) jusqu'à la veille de Chavouot (mercredi soir 31 mai 2006 inclus). Si on n'a pas compté de suite après la prière du soir (Arvit), on peut encore compter durant la nuit jusqu'à l'aube. Si on ne s'en souvient que pendant la journée, on peut compter, mais sans la bénédiction. Et le soir suivant, on continue de compter avec la bénédiction. Si on a oublié toute une journée, on devra dorénavant compter chaque soir sans la bénédiction.
Quelles sont les lois de cette période du Omer ?
Hommes et femmes ont l'habitude de ne pas entreprendre de «travaux» (tels que ceux interdits à 'Hol Hamoèd) depuis le coucher du soleil jusqu'à ce qu'ils aient compté le Omer.
On ne célèbre pas de mariage et on ne se coupe pas les cheveux, en souvenir de l'épidémie qui décima les 24.000 élèves de Rabbi Aquiba à cette époque du Omer. Les Sefaradim respectent ces lois de deuil jusqu'au 19 Iyar (mercredi 17 mai 2006) au matin ; les Achkenazim depuis le 1er Iyar (samedi 29 avril 2006) jusqu'au 3 Sivan au matin, (mardi 30 mai 2006) à part la journée de Lag Baomer (mardi 18 mai 2006).
La coutume du Ari Zal, suivie par la communauté 'Habad, veut qu'on ne prononce pas la bénédiction de Chéhe'héyanou (sur un fruit nouveau par exemple) durant toute la période du Omer, même Chabbat, et qu'on ne se coupe pas les cheveux jusqu'à la veille de Chavouot (cette année jeudi matin 1er juin 2006).
Un garçon qui aura 3 ans après Pessa'h, fêtera sa première coupe de cheveux à Lag Baomer, (16 mai 2006), et celui qui aura 3 ans après Lag Baomer la fêtera la veille de Chavouot (jeudi matin 1er juin 2006).
Il n’y a aucune restriction sur les promenades ou les séances de piscine et baignade. On évite cependant musique et danses joyeuses.
Dans de nombreuses communautés, on étudie chaque jour du Omer une des quarante-neuf pages de la Guemara Sotah.
F. L.
Tatouages
Il y a quinze ans environ, j’ai été invité à donner une conférence dans une petite communauté du sud des Etats-Unis (c’est volontairement que je ne donne ni noms ni détails superflus, afin de protéger l’anonymat de la personne concernée).
Durant la collation qui suivit, un des bénévoles (appelons-le David) se montra particulièrement efficace, prévenant et souriant. De plus, il suivait attentivement tous les discours, absorbant chaque mot comme s’il s’agissait d’eau fraîche pour un corps assoiffé. Il participait à toutes les discussions, posait des questions pertinentes et se montrait vraiment sincère et avide de connaissances ; son innocence si pure me bouleversa. Durant une pause, je demandais à mon hôte, le rabbin local, davantage de renseignements sur David. Voici ce qu’il me raconta :
«David était un ancien combattant de la guerre du Vietnam. Après sa démobilisation de la Marine américaine dans laquelle il avait servi plusieurs années, il s’intéressa à ses racines juives. Il se rendit dans plusieurs synagogues, assista à plusieurs séminaires d’étude et finit par s’attacher à ce Beth ‘Habad. Dans son enfance, il n’avait reçu absolument aucune éducation juive mais ressentait maintenant une soif d’étude, de Mitsvot, de bonnes actions comme pour compenser tout ce qui lui avait tant manqué».
Puis le rabbin ajouta, dans un murmure : «Vous devez savoir que David est, de fait, un Juste caché ! Quand il était marin, il avait agi comme tous ses compagnons et s’était fait tatouer pratiquement tout le corps ! Quand il a commencé à apprendre un peu le judaïsme, il a compris qu’il est interdit par la Torah de se tatouer : de plus, ces tatouages n’avaient rien à voir avec l’ambiance juive dans laquelle il se sentait maintenant si bien. Il réussit à faire enlever certains motifs, bien que cela fût très douloureux. Mais, malheureusement, certains dessins étaient particulièrement profonds et il est impossible de les enlever. Il en avait surtout un sur le biceps gauche, exactement à l’endroit où on met les Téfilines. Disons que ce tatouage ne représentait pas une Etoile de David, si vous voyez ce que je veux dire. Bien entendu, David en est absolument désolé, ce dessin lui saute au visage chaque matin quand il pose ses Téfilines !
Il a posé la question à Rav : non seulement ce tatouage représentait une «Hatsitsa», un corps étranger entre la peau et le boîtier des Téfilines mais de plus, il gênait sa concentration, son désir de lier son action, son intellect et son cœur à D.ieu. Après avoir écouté attentivement sa question et après avoir consulté des livres et des collègues du monde entier, ce rabbin répondit que puisque David n’avait pas su, au moment où il l’avait fait faire, que ce tatouage était irréversible, il ne devait pas s’inquiéter et devait mettre les Téfilines comme tout le monde sans se préoccuper de ce dessin fâcheux.
Cela fait cinq ans que David est devenu pratiquant. Il a progressé dans son judaïsme et s’immerge maintenant tous les matins au Mikvé (bain rituel). Comme il ne veut pas qu’on voit tous les tatouages qui lui restent, il se lève tous les jours à cinq heures du matin et se rend au Mikvé avant tous les autres fidèles…
A votre avis, que pense D.ieu, dit innocemment le rabbin, quand l’eau pure du Mikvé recouvre le corps tatoué de ce vétéran du Vietnam chaque matin?»
J’étais sous le choc. J’étais terriblement impressionné par ce que j’avais entendu. Je regardai maintenant David autrement tandis qu’il évoluait tranquillement au milieu des autres, pensant sûrement qu’il ne valait pas grand-chose alors que, de fait, il était bien plus proche de D.ieu – avec ses tatouages – qu’aucun d’entre nous.
Cet épisode m’a donné à réfléchir. Il n’est rien de plus bouleversant que de contempler le triomphe de l’homme sur le handicap. Et je me suis dit : «Telle est la puissance du judaïsme qui signifie la majesté de la vie. Nous ne pouvons pas effacer certaines cicatrices et certains tatouages, témoins de notre passé. Mais nous pouvons les immerger dans des expériences profondes et ainsi transcender ces épreuves!»
La Torah nous supplie de considérer la nature intérieure de chaque être humain, de ne pas nous laisser distraire par les tatouages évidents et autres détails déplaisants. Aussi profonds soient-ils et même s’ils sont irréversibles, il n’en reste pas moins que l’âme du Juif est intacte et peut surmonter toutes les difficultés.
Et, au fond, chacun d’entre nous souffre de tatouages – physiques ou mentaux. Certains d’entre nous ont souffert davantage que d’autres, que ce soit par une enfance malheureuse, par l’ignorance ou par les épreuves de la vie. Celles-ci peuvent avoir laissé en nous des traces indélébiles : une fois que nous avons perdu notre innocence – par force ou par choix délibéré – et que nous avons goûté au «fruit défendu» - nous ne pouvons pas toujours remettre les pendules à l’heure.
Mais cela ne signifie pas que tout est perdu. Nous devons simplement creuser plus profondément pour découvrir d’autres ressources.
Ce vétéran du Vietnam est une preuve vivante que la «Techouva», le retour à D.ieu est possible, quelles que soient les circonstances car chacun d’entre nous peut atteindre des niveaux spirituels qui effacent les cicatrices les plus rebelles.
Peut-être est-ce là le message le plus puissant que la Torah offre au genre humain…
Rav Simon Jacobson – « Le’haïm »
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traduit par Feiga Lubecki