Samedi, 29 mars 2025

  • Pekoudeï
Editorial

 Que la joie grandisse !

Le mois d’Adar tirant à sa fin amène toujours la même interrogation : et maintenant ? De fait, le Talmud nous l’a annoncé presque en fanfare : « Quand entre le mois d’Adar, on multiplie la joie ! » Cette phrase s’interprète de la façon suivante : chaque jour qui passe doit être empreint d’une joie encore supérieure à celle du jour précédent ! Bien sûr, c’est la fête de Pourim qui, de sa lumière toute spéciale, anime la période mais son éclat, en-dehors des jours spécifiques de la célébration, s’étend à tout le mois. C’est dire qu’elle est présente avec une force croissante depuis le 1er Adar jusqu’à son dernier jour. Ainsi, alors que la joie sans limites des jours de Pourim, sans doute inoubliable, s’éloigne naturellement peu à peu dans le temps, celle du mois continue de croître et elle nous entraîne avec elle.

Car, contrairement à ce que les apparences pourraient conduire à croire, la joie n’est pas une affaire simple, une sorte d’oubli des réalités, une respiration bienvenue dans les méandres de l’existence. Elle est, à l’opposé de telles idées, une prise de conscience. Etre joyeux, c’est savoir que D.ieu nous a fait le don prodigieux de la vie, être pénétré de l’idée qu’Il nous accompagne à chaque instant et nous donne le pouvoir de nous lier à Lui au travers de ses commandements, simples créatures s’unissant au Créateur.

Et cette joie change tout. Parce qu’elle ne se laisse restreindre par rien, parce qu’elle est ancrée dans ce qui dépasse le monde, elle libère ceux qui en sont porteurs de toutes ces chaînes que le quotidien tend à nous imposer. C’est alors qu’un vent de liberté se met à souffler pour qui a l’oreille fine et le cœur enthousiaste. Joie d’être profondément libre, de savoir que rien ne peut arrêter le Bien ni nous contraindre à agir à l’encontre de ce que nous voulons vraiment : la fidélité à D.ieu et à ce que nous sommes.

Qui l’aurait pensé ? Un mois d’Adar finissant et nous voici propulsés vers les sommets, degré après degré ou jour après jour. La joie et la liberté sont décidément deux bons compagnons et c’est avec eux que nous avançons. N’est-ce pas le mois de Nissan, celui de Pessa’h, qui se profile déjà ? Puisse-t-il, avec la joie dont nous sommes à présents infiniment dotés, nous emmener jusqu’à la liberté ultime, le temps de Machia’h.

Etincelles de Machiah

 Tout est entre nos mains

Le Tanya (chap. 37) enseigne : « Cet accomplissement ultime du temps de Machia’h et de la résurrection des morts, qui est la révélation de la Lumière Divine infinie dans ce monde, dépend de nos actions et de notre travail pendant tout le temps de l’exil ».

La période actuelle est celle des « talons de Machia’h », au sens où elle précède immédiatement sa venue. Ainsi, chacun doit ressentir cette idée constamment dans son service de D.ieu quotidien. Lorsqu’on ressent profondément et sincèrement que l’effort que l’on fait, la Torah que l’on étudie hâtent la venue de la Délivrance et entraînent le monde à son parachèvement en faisant la « résidence de D.ieu ici-bas », alors il est bien clair que l’on ne peut que redoubler d’enthousiasme afin de mener le processus à son terme aussi vite que possible

(d’après Likouteï Si’hot, vol. XXI, p.18)

Vivre avec la Paracha

 Pekoudeï

L’on procède au décompte de l’or, l’argent et le cuivre donnés par le peuple pour la fabrication du Michkane. Betsalel, Aholiav et leurs assistants fabriquent les huit habits sacerdotaux : le tablier, le pectoral, le manteau, la couronne, le chapeau, la ceinture et les pantalons, selon les instructions communiquées par Moché dans la Paracha Tétsavé.

Le Michkane est achevé et tous ses composants sont présentés à Moché qui l’érige et l’oint avec la sainte huile d’onction. Il initie à la prêtrise Aharon et ses quatre fils. Une nuée apparaît au-dessus du Michkane, signifiant que la Présence divine est venue y résider.

« Tout suit la conclusion »

La Paracha Pekoudeï, qui représente le dernier chapitre du Livre de Chemot (l’Exode), traite du compte rendu présenté par Moché concernant tous les matériaux utilisés dans la construction du Michkane, le Sanctuaire portable. En effet, le terme « Pekoudeï » signifie « le compte ». Conformément au principe général énoncé dans le Talmud selon lequel « tout suit la conclusion », il en découle que Pekoudeï – aussi bien en tant que Paracha qu'en tant que mot - encapsule l'essence même de l'Exode. 

En réfléchissant au concept de libération de l'esclavage, celui-ci évoque une rupture avec les aspects de la vie qui sont contraignants et pesants. Plus notre attention se porte sur les détails, plus il semble que nous nous éloignions de la liberté plutôt que de nous en rapprocher. En effet, il est indéniable que fournir un compte rendu peut être perçu comme une approche relativement banale. Bien qu’il soit possible d’en apprécier occasionnellement l’importance, il serait difficile de considérer cela comme le point culminant d'un exode ou d'une expérience libératrice. Quelles sont donc les raisons qui poussent la Torah à conclure le Livre de Chemot sur une telle note comptable ?

Pekoudeï = Mitsva

Le terme Pekoudeï peut également être traduit par Mitsva, c'est-à-dire un commandement, vraisemblablement en raison du fait que chaque commandement constitue une des nombreuses instructions spécifiques.

Il est pertinent ici de se demander pourquoi nous désignons une Mitsva comme quelque chose qui doit être comptabilisé, réduisant ainsi une expérience autrement spirituelle à une simple statistique : l'un des 613 commandements ? 

En réalité, la notion de libération doit être correctement appréhendée. Dans certaines circonstances, une obsession excessive pour les détails peut apparaître comme un obstacle à la liberté et à la libération. Un esprit libre est souvent considéré comme celui qui saisit le tableau dans sa globalité, sans se laisser submerger par les détails infimes. Ces questions triviales seront ainsi déléguées par un esprit libéré à d'autres individus moins aguerris.

Voir la globalité

Une manière pertinente de décrire la capacité à percevoir la globalité réside dans l’utilisation de la métaphore du télescope. En l'absence de cet instrument, notre vision est restreinte à notre environnement immédiat. Grâce à ce dispositif, nous sommes en mesure d'observer des galaxies entières. L’exploration au-delà de notre planète Terre par le biais de ce télescope nous permet de nous libérer d'une mentalité qui nous enferme dans une vision restreinte de l'immensité de l'univers.

Néanmoins, il existe une autre situation où le concept de libération peut être envisagé sous un angle diamétralement opposé. Les expériences humaines, bien qu’elles soient souvent éclairantes et exaltantes, demeurent des manifestations d'un potentiel humain intrinsèquement limité. Lorsque nous examinons un objet à travers un télescope, notre compréhension de sa véritable composition et nature reste incomplète. Nous ne parvenons pas à saisir pleinement tous ses composants et dimensions.

À cet égard, une autre technologie s'impose comme métaphore appropriée : le microscope.

Lorsqu'un microscope est appliqué à un objet, nous nous exposons à ses autres dimensions. Nos yeux s'ouvrent sur un monde dont nous étions auparavant inconscients. Nous nous rapprochons de la compréhension des secrets mêmes de son existence ; nous accédons à son essence même.

En d'autres termes, tout comme celui qui se concentre sur un détail mineur se voit refuser l'accès à l'image d'ensemble, de la même manière, celui qui perçoit le tableau général est également limité dans sa capacité à apprécier toutes les dimensions de l'objet ou du concept. Tout comme on ne peut pas voir la forêt en raison des arbres, il en va de même pour ceux qui ne peuvent percevoir les arbres parce qu'ils sont submergés par la forêt.

Étant essentiellement des êtres finis, notre perception oscille entre une vision télescopique et une vision microscopique, voire aucune des deux simultanément. Il est impossible d'avoir les deux perspectives en même temps. Seul D.ieu peut appréhender simultanément l'intégralité du tableau, tout en conservant une vigilance constante sur ses nuances et ses dimensions plus profondes.

La Mitsva : un télescope et un microscope combinés

La compréhension de l'approche divine concernant les affaires humaines ne peut se faire qu’à travers l’accomplissement d’une Mitsva qui possède à la fois les caractéristiques d’un télescope et celles d’un microscope. Chaque Mitsva, en tant qu'acte ordonné par D.ieu, nous relie à Lui et nous permet de vivre les choses selon Son point de vue. Toutes les Mitsvot partagent cette caractéristique fondamentale de connexion au Divin, indépendamment de la nature spécifique de chaque Mitsva. Grâce à cette perspective élargie, nous sommes en mesure de percevoir le monde sous un angle spirituel panoramique.

En revanche, lorsque nous accomplissons une Mitsva spécifique et concentrons notre attention sur ses détails particuliers, nous ouvrons nos yeux à une vision nouvelle et plus pénétrante du monde. La Mitsva fonctionne dès lors comme un "microscope" spirituel facilitant la visualisation et l'intériorisation des niveaux d'existence les plus profonds et fondamentaux.

La véritable libération

L’essence authentique de la libération réside dans la capacité à accéder à toutes les dimensions de l'existence. Pour se libérer véritablement des paramètres finis et limités - c’est-à-dire la libération - il est indispensable de bénéficier tant de la révélation vaste et englobante du Mont Sinaï que des instructions détaillées et du décompte précis ayant accompagné la construction du Sanctuaire. Ces deux thématiques constituent l'essentiel du Livre de l'Exode.

Lorsque la Torah fut donnée au Mont Sinaï, un phénomène extraordinaire se produisit : les cieux s'ouvrirent, permettant à l’ensemble du Peuple juif d’accéder à une vision télescopique de tous les mondes spirituels.

En érigeant un Michkane, en prêtant une attention méticuleuse à ses détails, les Juifs acquirent également la capacité de pénétrer les secrets inhérents à chaque nuance de l'existence de D.ieu.

Nos Sages ont ainsi affirmé que le Michkane représente un microcosme. En concluant le Livre de Chemot sur le thème du décompte, la Torah souhaite transmettre le message que la Rédemption ultime et l'exode de l'exil réactiveront ces deux thèmes. D'une part, la révélation sublime du Sinaï, qui nous a permis d'entrevoir les cimes des cieux, redeviendra une réalité tangible pour tous. Par ailleurs, chaque Juif sera en mesure d'observer n'importe quel aspect de la nature et d'y discerner l'Essence divine qui lui confère son existence.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que la Matsa Chmourah ?

En hébreu, « Chmourah » signifie « gardée » et ce terme décrit parfaitement ce qu’est cette Matsa. La farine utilisée pour sa fabrication est gardée, protégée de tout contact avec de l’eau, depuis le moment de la moisson. En effet, si elle venait à être mouillée, elle pourrait lever et devenir impropre à la consommation pendant Pessa’h.

Ces Matsot sont rondes, pétries à la main et ressemblent à celles que les enfants d’Israël consommèrent lorsqu’ils quittèrent l’Egypte. Elles sont cuites en moins de dix-huit minutes sous stricte surveillance rabbinique, afin de s’assurer qu’elles ne puissent en aucune façon augmenter de volume et devenir levain pendant la fabrication. La Matsa Chmourah doit être utilisée pendant les deux nuits du Séder, c’est-à-dire samedi soir 12 avril et dimanche soir 13 avril 2025, en particulier pour les trois Matsot posées sur le plateau. Chaque convive à la table du Séder mangera de la Matsa Chmourah. Certains ont la coutume d’en consommer pendant toute la fête.

Le Zohar appelle la Matsa Chmourah : l’aliment de la Foi et l’aliment de la Guérison.

Il n’est pas nécessaire d’avoir terminé son ménage de Pessa’h pour acheter les Matsot ; il suffira de les stocker à l’abri de tout ‘Hamets et de toute humidité.

 (d’après Chéva’h Hamoadim – Rav Shmuel Hurwitz)

Le Recit de la Semaine

 Tout l’argent de ma Bar Mitsva

En 1968, le Rabbi avait envoyé un groupe de jeunes étudiants de la Yechiva de New York en Australie pour y renforcer l’atmosphère ‘hassidique. Leur séjour devait durer deux ans : ils devaient donc être en bonne santé et, bien sûr, obtenir le consentement de leurs parents. Mon frère avait fait partie de ce premier groupe et je souhaitais faire partie du prochain. Le lendemain de Pourim 1969, alors que je participais à une joyeuse réunion ‘hassidique, je sentis une légère tape sur mon épaule : c’était le regretté Rav Binyamin Klein, un des secrétaires du Rabbi, qui m’invita dans le bureau de Rav Hodakov, le secrétaire principal : j’étais sélectionné pour me rendre en Australie.

Nous devions y arriver avant Pessa’h. Avec cinq autres camarades, nous avons eu droit à une entrevue, ensemble, avec le Rabbi. Quand nous entrâmes dans le bureau, il y avait une boîte de Matsot Chmourot sur une table à l’arrière de la pièce. Le Rabbi nous expliqua que, puisque le premier groupe avait achevé sa mission, il nous appartenait non seulement de la continuer mais de la développer. Il nous demanda de prendre chacun une Matsa complète et deux morceaux brisés puis il nous confia une mission qui lui avait toujours été très chère : participer aux caisses de bienfaisance avant les fêtes. Il donna à chacun de nous 36 dollars à distribuer à un fonds destiné aux achats de Pessa’h pour les nécessiteux en Australie.

Le même jour, il édita une retranscription de ses paroles à notre égard pour en expliquer chaque détail. Par exemple, à propos de l’argent qu’il nous chargeait de remettre à la Tsedaka pour Pessa’h, il écrivit une note : « Voir Le Code de Lois de Rabbi Chnéour Zalman, 429 : 6 ».

Qu’est-il écrit dans cette référence ? La loi oblige chaque habitant d’une ville à contribuer, surtout avant Pessa’h, aux appels de fonds pour les besoins des nécessiteux. Qui est considéré comme un habitant ? Celui qui a habité dans la ville plus de trente jours. Cependant, continuait Rabbi Chnéour Zalman, cette définition ne s’applique qu’à celui qui y habite temporairement ; mais celui qui y déménage (durablement) doit contribuer aux besoins des pauvres dès qu’il arrive.

Ainsi le Rabbi signifiait que la loi s’appliquait bien à nous : bien qu’envoyés uniquement pour une période de deux ans, nous étions considérés comme des habitants permanents en Australie. Quand on est un émissaire du Rabbi, on ne vérifie pas dans le calendrier combien de temps on doit encore rester : pendant chaque seconde, on est là en permanence et pour toujours. Ce discours édité fut lu et expliqué pendant la petite réception organisée en l’honneur de notre départ ; quelques jours plus tard, nous arrivâmes en Australie.

Là, nous étions comme coupés du monde, les communications n’étaient pas aussi développées que maintenant, on ne téléphonait en Amérique que dans des cas d’extrême urgence. Nous n’étions au courant de ce qui se passait chez le Rabbi que par la poste, quand un des camarades restés sur place prenait la peine d’écrire un résumé du Farbrenguen de Chabbat ou, en semaine, de nous envoyer un enregistrement des discours du Rabbi.

Cette année – 1970 - marquait le vingtième anniversaire de la prise de fonction officielle du Rabbi (après le décès de son beau-père, le Rabbi précédent). Les gens voyagèrent du monde entier pour participer à ce moment historique. Mais nous étions bloqués au bout du monde. Cependant, en Israël, des ‘Hassidim eurent l’idée de transmettre le Farbrenguen par téléphone directement depuis le 770 Eastern Parkway : nous avons immédiatement décidé de nous joindre au mouvement.

Mais le coût était exorbitant, chaque minute valait une fortune et le Farbrenguen durait des heures… Je tentais de ramasser des fonds autour de moi puis, désespéré mais déterminé, je demandais à ma sœur de m’envoyer tout l’argent que j’avais reçu pour ma Bar Mitsva !

Le décalage horaire aussi était un gros problème : le Farbrenguen qui commençait à New York jeudi 12 Tamouz à 21h30 était retransmis à Melbourne peu avant l’entrée du Chabbat !

Nous avons installé un haut-parleur dans la principale synagogue et, au fur et à mesure de la retransmission, les membres de la communauté commençaient à arriver, vêtus de leurs habits de Chabbat. Vers la fin, le Rabbi se mit à chanter « Ki Elokim Yochia Tsion » avec tant d’enthousiasme que, spontanément, nous nous sommes mis à danser. Rav ‘Haïm Serebryanski avait apporté des biscuits et de la vodka et, bien vite, nous étions tous en ébullition, chantant et dansant sans nous soucier des regards incrédules des autres fidèles : c’était la première fois que nous écoutions un Farbrenguen du Rabbi en direct en Australie !

Cinq mois plus tard, nous avons tenté d’écouter le Farbrenguen du 19 Kislev. Cette fois, le système était différent : chaque centre Loubavitch pouvait se connecter avec un numéro personnel et, en cas de problème, il y avait un numéro d’urgence. Inexplicablement notre numéro ne fonctionnait pas et le numéro d’urgence non plus. Nous devenions nerveux… Puis, au bout d’une heure, nous avons soudain pu nous connecter et, juste à ce moment, le Rabbi parla de l’Australie : récemment, dit-il, on lui avait demandé s’il fallait envisager l’offre d’achat d’un plus grand terrain, très cher, pour la Yechiva : « Pourquoi gaspiller de l’argent pour poser pareille question ? protestait le Rabbi. La réponse est évidente : il faut que la Yechiva s’agrandisse ! ». Et pour montrer sa détermination, le Rabbi annonça que lui-même participerait financièrement à cet achat.

C’était précisément à cet instant que la communication avait été établie !

En concluant la réunion, le Rabbi invita chacun à trinquer « Le’haïm - A La Vie » en mentionnant spécifiquement nous qui écoutions depuis l’Australie !

Rav Leibel Altein - JEM

Traduit par Feiga Lubecki