Semaine 10

  • Pekoudeï
Editorial

Question de temps

De la société civile montent parfois des demandes dont l’importance voire la nécessité ne peut être ignorée par personne. De telles demandes témoignent alors qu’une nouvelle vision du monde s’est peu à peu installée et qu’elle a modifié le rapport que chacun pouvait entretenir avec son environnement. C’est ainsi qu’une question comme le temps consacré au travail, dans la semaine, le mois, l’année ou la vie, a tout à coup émergé avec toute l’urgence habituellement réservée à l’actualité brûlante. Si ce point a traditionnellement figuré dans la série des revendications sociales et si son poids ne peut être remis en cause, cependant rien ne le désignait par avance comme un problème à résoudre toute affaire cessante.
Voilà donc que l’homme contemporain a redécouvert le prix du temps. Voici que toutes les avancées acquises au fil des années ne parviennent plus à occulter cette idée essentielle : pour être libre, il faut disposer de temps. L’homme se souvient ainsi de la fonction qui lui avait été assignée au début de la Création : régner sur le monde et en faire un lieu de vie, de sérénité et d’harmonie.
Pourtant, le temps libre est exigeant. Il crée des espaces où, brutalement, l’homme est face à lui-même, où le tumulte du monde n’est plus là pour étouffer la voix intérieure qui dit la grandeur et la difficulté de la condition humaine. Il lui appartient alors de prendre son temps en main afin qu’il ne devienne, comme un désert de l’âme et de l’esprit, un enfer quotidien.
Peut-être est-ce justement l’occasion de redécouvrir le sens des choses et d’abord celui de sa propre vie ? Quand le temps devient le rythme d’une avancée personnelle, quand ses minutes scandent la liberté de la réflexion, de l’étude et du lien avec D.ieu, il donne au monde ses plus brillantes couleurs. Le peuple juif a, de longtemps, l’expérience de ce temps éternel. Cela s’appelle le Chabbat, comme un point d’orgue sur la richesse des harmonies de la semaine. Comme un prélude aussi à l’époque où le temps ne sera plus qu’une des dimensions du lien avec D.ieu.

Etincelles de Machiah

Près du sommet

Notre génération est comparable à un homme qui s’efforce d’atteindre le sommet d’une montagne. Alors qu’il s’en approche toujours davantage, il doit rassembler toutes ses forces pour franchir la courte distance qui l’en sépare encore. A ce moment-là, toute branche, toute pierre où l’on peut se tenir est précieuse. Mais aussi la lumière est nécessaire pour savoir reconnaître les points d’appui.
Nous sommes très proches du sommet, de l’accomplissement de l’histoire des hommes car le Machia’h est littéralement à notre porte. Celui qui sait voir et entendre en est déjà pleinement conscient. Comme celui qui gravit la montagne, il nous faut accorder toute sa valeur à ce qui est bien et rechercher la lumière, celle de la Torah.
Comme l’alpiniste doit être ferme dans son effort, nous devons laisser les forces de notre âme s’exprimer. Comme il doit connaître les voies d’accès, nous devons suivre les chemins indiqués par la Torah.
Nous sommes aujourd’hui en cet instant qui précède l’aube, où le sommeil semble plus pesant. Il appartient à chacun de se réveiller pour recevoir le matin du monde.

(D’après Séfer Hasi’hot 5696, p. 316) H.N.

Vivre avec la Paracha

Pekoudé : La force de l’individu

Contraste et similitude
Quelle est la valeur de l’individu ? Il est vrai que notre société exagère souvent l’importance de la gratification individuelle alors que dans la réalité de la vie, bon nombre de personnes se sentent minimisées par leur entourage, insignifiantes devant la mer déferlante à laquelle nous expose la vie d’aujourd’hui.
Ces idées sont développées dans la Paracha Pekoudé. Le mot Pekoudé signifie «compter» et se réfère au décompte de l’or, de l’argent et du cuivre que les Juifs avaient offerts pour le Sanctuaire, et à l’inventaire de tous ses ustensiles et services.
Tout décompte implique une interaction de concepts opposés. Le fait qu’il y ait besoin de compter suppose qu’il existe un grand nombre d’éléments. Cependant, lors d’un décompte, ce qui est pris en compte, précisément, n’est pas le grand nombre de ces éléments mais plutôt chacune des entités qui compose ce grand nombre. Et pourtant l’importance ultime de chaque élément réside dans le fait qu’il existe comme une partie d’un tout.
Le Sanctuaire est, d’une part, dépendant de chacun des éléments qui le composent. Si l’un d’entre eux, quel que petit qu’il soit, vient à manquer, le Sanctuaire en tant qu’entité est incomplet et inadéquat pour servir de Résidence à D.ieu.
Mais en même temps, l’ensemble, forgé par la combinaison de ces éléments, est bien plus que la somme de ses différentes parties. Quand ils sont rassemblés, les différents constituants du Sanctuaire reçoivent une importance qui dépasse leur valeur individuelle. Par le fait qu’ils sont une partie du Sanctuaire, chacun des éléments suscite la Présence de D.ieu.

Le véritable accomplissement
Le cœur de chaque homme est décrit comme «un sanctuaire en miniature», et chacun des services du Sanctuaire se reflète dans notre service divin. Il en va de même pour les idées évoquées plus haut. Chaque individu doit savoir et apprécier qu’il est bien plus grand qu’un sujet personnel. Il possède le potentiel de servir en tant que membre du Klal Israël, le Peuple Juif en tant qu’entité qui sert de moyen à la révélation de la présence de D.ieu dans notre monde.
Comment l’homme peut-il réaliser ce potentiel ? D’une part en développant, dans les meilleures conditions, ses propres aptitudes, endossant ainsi toute la responsabilité qui lui a été donnée, et d’autre part, en se joignant à ceux qui sont engagés dans la même tâche et devenant ainsi une partie d’une entité plus grande.
L’importance de cette seconde démarche est également soulignée dans la Paracha Vayakhel. Ce n’est donc pas une coïncidence si ces deux Parachyot sont souvent lues ensemble. D’une part, leurs messages peuvent apparaître contradictoires : Vayakhel met l’accent sur la fusion des individus en une collectivité spirituelle alors que Pekoudé souligne la contribution personnelle de chacun. Mais une collectivité reste incomplète si elle n’inclut pas chaque individu et ne permet pas à chacun de s’épanouir complètement. Et parallèlement, chacun doit réaliser qu’il ne développera son potentiel entier que s’il se joint à ses semblables.

Ce qui est au cœur
L’on ne peut forger un tout unifié à partir d’unités divergentes que parce que chacune de ses composantes partage déjà un lien fondamental. L’âme de chacun est «une véritable partie de D.ieu». C’est pourquoi, malgré les différences qui diversifient les individus, ils sont tous liés par un dénominateur commun. De la même façon, dans l’univers en général, chaque particule existante subsiste grâce à l’énergie créatrice de D.ieu, et ce terrain commun génère le potentiel d’unité.

Faire son bilan
Comme cela a été mentionné, le compte de la Paracha Pekoudé inclut «le recensement des sommes d’or, d’argent et de cuivre données pour le Sanctuaire et le compte de tous ses ustensiles et services». Tout d’abord, il fut procédé à l’inventaire de toutes les ressources disponibles et puis un compte fut entrepris sur la manière dont les utiliser.
Ces concepts trouvent également leur application, dans notre service divin. Tout d’abord, il nous faut procéder à un inventaire : nous devons savoir qui nous sommes et ce que nous pouvons faire. Ensuite, de temps à autre, il nous faut déterminer comment nous utilisons nos aptitudes et ce que nous en avons fait. L’ordre dans lequel nous procédons a également son importance : la conscience de l’existence d’un potentiel donne l’élan et la force pour le réaliser.

L’activation du développement personnel
La lecture de la Torah commence par : «voici le décompte du Sanctuaire… qui fut entrepris par Moché». Cela signifie que le décompte des différents éléments du Sanctuaire et parallèlement des aptitudes de chaque individu dépendent de la puissance de Moché Rabénou. C’est Moché Rabénou qui éveille le potentiel divin intérieur que possède chaque individu.
Et une fois que tous les éléments du Sanctuaire furent entièrement et complètement rassemblés, c’est Moché Rabénou qui l’érigea et en inaugura le service. Car c’est l’autorité de Moché qui stimule l’expression du potentiel individuel de chacun et encourage son interaction avec les autres.

Pas de fin au perfectionnement
La Paracha Pekoudé ne se conclut pas avec la construction du Sanctuaire mais elle mentionne deux autres points :
D’une part, «la nuée restait au-dessus et la gloire de D.ieu emplissait le Sanctuaire». Le Sanctuaire était devenu le lieu où résidait la Présence Divine. Et d’autre part, «quand la nuée se levait… les enfants d’Israël reprenaient leur voyage». Notre service divin requiert des progrès constants.
Ces deux points sont fondamentaux dans les comptes auxquels chacun doit procéder. Nous devons savoir que le but ultime est la révélation de la Présence de D.ieu. Et nous devons tous réaliser qu’il est impossible de se reposer sur ses lauriers. La Révélation de la Présence Divine implique une progression perpétuelle.
En dernier ressort, comme «nous avançons de force en force», nous apparaîtrons devant D.ieu à Tsion, dans le Troisième Beth Hamikdach avec l’avènement de la Rédemption.

Le Coin de la Halacha

Qu’est-ce que les « quatre Parachiot » ?

Nos Sages ont institué de lire, en plus de la Sidra hebdomadaire, une «Paracha» supplémentaire durant les semaines qui précèdent Pourim et Pessa’h.
La première s’appelle «Chekalim». Elle rappelle la nécessité pour chacun de donner chaque année un demi-chékel pour l’entretien du Temple et l’achat des sacrifices communautaires. Cette Paracha (Exode 30 – 11 à 16) est lue le Chabbat Roch ‘Hodech Adar (cette année le Chabbat 8 mars 2008). On sortira donc trois rouleaux de la Torah :
un pour la Sidra de la Semaine : Pékoudei (six montées)
un pour la Paracha de Roch ‘Hodech (une montée)
un pour la Paracha Chekalim (un appelé qui lira la Haftara tirée du livre des Rois (11 : 17 pour les Séfaradim ou 12 : 1 à 17) pour les Achkenazim. L’usage ‘Habad est d’ajouter le premier et le dernier verset de la Haftara normale de Roch ‘Hodech (Isaïe 66. 1 à 24).
La seconde s’appelle «Za’hor». Elle rappelle la nécessité de se souvenir du mal que nous a fait Amalek dont le descendant. Haman, chercha lui aussi à anéantir le peuple juif à l’époque d’Esther et de Morde’haï. Cette Paracha (Deutéronome 25 : 17 à 19) sera lue le Chabbat «Vayikra» avant Pourim (cette année le Chabbat 15 mars 2008). On lira la Haftara dans Samuel I. 15. 1 à 34).
La troisième s’appelle «Para». Elle rappelle la nécessité de se purifier avec l’eau lustrale mélangée aux cendres de la vache rousse avant la fête de Pessa’h pour pouvoir se présenter au Temple et offrir le sacrifice de la fête. Cette Paracha (Nombres 19. 1 à 22) sera lue le Chabbat «Chemini», avant Roch ‘Hodech Nissan (cette année le Chabbat 29 mars 2008). On lira la Haftarah dans Ezékiel 36 : 16 à 38.
La quatrième s’appelle «Ha’hodech». Elle rappelle l’importance du premier jour («Roch ‘Hodech») du mois de Nissan et la préparation du sacrifice pascal. Cette Paracha (Exode 12 : 1 à 20) sera lue après la Sidra «Tazria», veille de Roch ‘Hodech Nissan le Chabbat 5 avril 2008). On lira la Haftara dans Ezékiel 45. : 16 à 46-48. et on rajoutera le premier et le dernier verset de la Haftara de la veille de Roch ‘Hodech (Samuel I. 20 : 18 et 42).
On a l’obligation d’écouter plus attentivement que d’habitude la lecture de la Paracha Za’hor, avant Pourim. Dans de nombreuses communautés, les femmes font l’effort de se rendre à la synagogue pour écouter cette Paracha.

F. L.

De Recit de la Semaine

Comment fais-tu ?

L’un des tournants de ma vie eut lieu dans une grande université d’Iowa, où, dans les années 1963-64, j’étais la seule étudiante à me définir comme étant juive.
Parmi mes camarades de chambre, durant le premier trimestre, se trouvait une jeune fille qui avait décidé de mener à bien une enquête sociologique sur le développement de l’enfant dans différents milieux culturels. Elle se spécialisa dans la culture juive puisqu’elle avait à sa disposition un spécimen prêt à être interviewé : moi. Personnellement, je suis issue d’une famille juive libérale, quatrième génération de Juifs allemands qui avaient immigré aux Etats-Unis avant la guerre civile américaine. Je ne connaissais pas grand-chose du judaïsme, mais j’essayai de répondre au mieux à ses questions. Inutile de dire que je fus soulagée quand elle eut terminé, mais ce fut de courte durée : elle avait donné mon nom à un comité enquêtant sur le judaïsme. Pour répondre, je devais, cette fois, approfondir sérieusement le sujet.
Dans la bibliothèque de l’université, je trouvais deux étagères de livres d’intérêt juif. Ceux-ci me permirent d’acquérir des bases sur l’histoire juive, les traditions et les croyances et de me tirer d’affaire durant l’hiver. Puis, au printemps, je rencontrai Janet.
Janet était chrétienne, baptiste, issue d’une petite ville d’Iowa. Comme beaucoup d’étudiantes, elle venait d’une famille dans laquelle la religion tenait une place prépondérante. Ses croyances la guidaient dans tous les aspects de sa vie.
J’étais la première personne juive qu’elle rencontrait. Elle me dit qu’elle avait choisi d’écrire son mémoire sur la culture juive parce qu’elle s’intéressait aux origines de sa religion. Pouvait-elle m’accompagner à la synagogue ?
Dans cette petite ville, il y avait effectivement une petite communauté libérale qui se réunissait tous les vendredis soir dans une salle de l’église. J’acceptai de l’y emmener et, alors que nous marchions dans la rue, elle me demanda soudain : “ Où manges-tu ? ”
Etonnée, je lui donnai le nom de la cantine du collège.
“ Mais comment fais-tu ? ” insista-t-elle.
“ Que veux-tu dire ? Je mange et c’est tout ! ”
Incrédule, elle continua : “ Comment cela : “ Je mange et c’est tout ! ”. A la cantine, on nous sert du porc, des fruits de mer trois ou quatre fois par semaine et la plupart du temps, la viande est accompagnée d’une sauce au lait ! ”
- “ Ah, je comprends ! Tu parles de “cachère”. Mais moi, je suis libérale, je ne mange pas cachère ! ”
“ Comment ? Tu ne fais pas attention à cela ? Mais d’après tout ce que j’ai lu, “cachère” est un des piliers du judaïsme. Pourquoi ne manges-tu pas cachère ? ”
Ennuyée, je répondis : “ Je ne sais pas. Les libéraux ne le font pas, c’est tout ”.
Janet s’arrêta et me dévisagea. Je la revois encore, là, à la lumière du réverbère, habillée comme lorsqu’elle se rendait à l’église d’un tailleur bleu marine avec un chapeau blanc et des gants blancs. Elle me toisa de haut en bas comme si j’étais un insecte à étudier. Puis elle me dit des mots que j’entends encore maintenant : “ Si mon église me dit de faire quelque chose, je le fais ! ”
Durant le long silence qui suivit, je réfléchis à ce qu’elle venait de dire. Et je me demandai sincèrement : pourquoi le mouvement libéral américain avait-il décidé que la cacherout n’était pas importante ? Il fallait que j’élucide cette question.
Le lendemain, je découvris sur l’une de ces étagères de livres à thème juif, une histoire du mouvement libéral. “ Partager le pain avec d’autres personnes, disait le livre, est un symbole d’amitié et de bonne volonté. Respecter la cacherout empêche Juifs et non-Juifs de manger ensemble. Donc cela provoque une séparation entre “ eux ” et “ nous ”. Si les Juifs arrêtent de manger cachère et acceptent de manger avec leurs voisins, l’antisémitisme s’éteindra de lui-même et les Juifs seront complètement intégrés à la société environnante ”.
Je pensai à l’histoire juive que je venais d’étudier, à Moïse Mendelsohn et ses idées d’ “ Emancipation ”. A la famille de ma mère qui n’avait pas mangé cachère depuis au moins quatre générations.
Et je pensai à la Shoah qui avait commencé dans le pays de Mendelsohn et de mes arrière-arrière-grands-parents, l’Allemagne. Je retournai à la page de garde du livre : il avait été imprimé à l’origine en allemand, à Berlin, en 1928.
Peut-être en 1928 les Juifs allemands pouvaient-ils imaginer que le fait de manger avec les non-Juifs mettrait un terme à l’antisémitisme. Mais l’histoire avait malheureusement prouvé qu’ils s’étaient amèrement trompés. Pouvais-je alors continuer à manger comme les non-Juifs alors que le prétexte pour permettre aux Juifs de manger non-cachère était basé sur un mirage douloureusement trompeur ?
“ Si mon église me disait de faire quelque chose, je le ferais ! ” Les mots de Janet avaient réveillé quelque chose dans ma “Néchama”, mon âme juive et le raisonnement aberrant du livre m’avait choqué. Au point que saisie d’un tremblement que je ne pouvais maîtriser, je m’assis par-terre, dans la bibliothèque. Quand le tremblement cessa, je compris que tant que je n’aurai pas trouvé une bonne raison de ne pas manger cachère, je n’avais pas le choix : j’étais juive et un Juif doit manger cachère. Aussi simple que cela.
Ma transformation complète d’un mode de vie laïc à une observance stricte du judaïsme prit encore quelques années et beaucoup de discussions et de réflexions. Mais tout avait commencé ce Chabbat, quand une jeune fille chrétienne m’avait convaincue d’agir fièrement comme une juive.

Hanna Bandes Geshelin
traduit par Feiga Lubecki