Samedi, 12 mars 2016

  • Pekoudeï
Editorial

 Rites et mérites

Les sociétés humaines, dès le temps où elles se sont constituées, ont vu apparaître en elles, dans les modes de comportement et de pensée qui les structuraient, la notion de rite. L’évolution des choses – et peut-être une certaine forme de condescendance pour les héritages anciens – a fait que l’idée semble aujourd’hui bien vieillie. Pourtant le rite est précieux et le peuple juif en est le premier témoin. Toujours chargé d’un sens défini, toujours lié à une architecture spirituelle particulière, il donne à la conscience toute la force et la fermeté de l’acte. Autrement, elle n’aurait d’autre domaine que celui du ressenti fugace ou de la pensée instantanée.

L’époque lui reproche son caractère répétitif et, au premier regard, cela semble justifié. C’est même un de ses caractères essentiels. Mais c’est justement cette répétition qui lui confère sa puissance propre. Car, répété, il soulève des échos durables. Il entraîne avec lui l’âme qui s’y engage. Il enracine en chacun des messages qu’il faut apprendre à déchiffrer. Loin de tout automatisme social, il est, dans sa permanence, un acte qui invite à la vie. Comme un chemin balisé qui réunit avec certitude deux endroits éloignés qui doivent, malgré tout, se retrouver de quelque manière. La synagogue est sans doute le lieu où il exprime le mieux sa grandeur. Car, ici, il apparaît réellement pour ce qu’il est : une voie du lien avec D.ieu et, par conséquent, la source d’une force nouvelle pour chacun.

Justement, ce Chabbat en donne une illustration. En conclusion de la lecture de la Torah le matin, l’assemblée s’écrie d’un seul cœur : «fort, fort et nous nous renforcerons !» C’est que nous terminons alors le deuxième livre de la Torah – l’Exode – et cette exclamation salue la conclusion de chacun des cinq livres. Il faut ici relever un point. Le souhait-engagement qui retentit en cet instant ne salue rien d’autre que la conclusion d’un livre dans le cadre d’une lecture hebdomadaire. Cependant, son contenu le porte bien au-delà de ce qu’on pourrait attendre d’un «simple» rite cérémoniel. Il évoque une force assumée tant individuellement que collectivement et, l’évoquant, il la suscite. Nul ne peut en sortir inchangé.

Si notre temps est celui des joies estimables mais passagères, c’est une façon de retrouver le sens de la durée qui nous est ici donnée. Pour vivre, savoir et transmettre : autant de choses familières au peuple juif. 

Etincelles de Machiah

 L’amour du prochain : une atmosphère nouvelle

«Tu aimeras ton prochain comme toi-même» (Lev. 19 : 18). C’est là un commandement qui incombe, depuis toujours, au peuple juif. Les Pirkei Avot nous l’enseignent également sous cette forme : «Sois des disciples d’Aharon : aime la paix, poursuis la paix, aime les créatures et approche-les de la Torah».

Cette idée est particulièrement essentielle en notre temps alors qu’approche la Délivrance qui nous fera sortir de cet exil, conséquence d’une haine fratricide. Il nous appartient aujourd’hui de passer à l’étape suivante, de sentir, dès à présent, l’atmosphère nouvelle d’amour du prochain qui apparaîtra avec la venue de Machia’h. En la vivant maintenant, alors que nous sommes encore en exil, nous hâterons l’avènement du nouveau temps.

(D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch

Chabbat Parachat Matot Massei 5751) 

Vivre avec la Paracha

 Pekoudé

L’on procède au décompte de l’or, l’argent et le cuivre donnés par le peuple pour la fabrication du Michkan. Betsalel, Aholiav et leurs assistants fabriquent les huit habits sacerdotaux : le tablier, le pectoral, le manteau, la couronne, le chapeau, la ceinture et les pantalons, selon les instructions communiquées par Moché dans la Paracha Tétsavé.

Le Michkan est achevé et tous ses composants sont présentés à Moché qui l’érige et l’oint avec la sainte huile d’onction. Il initie à la prêtrise Aharon et ses quatre fils. Une nuée apparaît au-dessus du Michkan, signifiant que la Présence Divine est venue y résider.

Le contraste et la concordance

Quelle est la véritable valeur d’un individu ? D’une part, notre société souligne, parfois avec excès, l’importance de la gratification personnelle. Mais dans la vraie vie, nombreux sont ceux qui se sentent annihilés par leur entourage, insignifiants devant l’océan tumultueux des expériences auxquelles nous expose la vie moderne.

Ces sujets sont approfondis dans la Paracha Pekoudé. Le mot Pekoudé signifie «décompte» et se réfère à l’estimation de l’or, l’argent et le cuivre offerts pour le Sanctuaire et l’inventaire de tous ses ustensiles et accessoires pour son service.

Toute estimation implique l’interaction de concepts antithétiques. En effet, le fait même qu’il faille procéder à un décompte suppose l’existence d’une multitude d’éléments. Cependant l’objectif de compter n’est pas d’observer la multitude mais au contraire de considérer les différentes unités qui composent l’ensemble. Et en même temps, l’importance ultime de chaque élément découle du fait qu’il existe comme une partie d’un tout.

D’un côté, le Sanctuaire dépend de chacun de ses éléments en particulier. Si l’un d’entre eux, quelque minuscule qu’il puisse être, est déficient, l’ensemble du Sanctuaire est incomplet et inadéquat pour permettre à D.ieu d’y résider.

Mais parallèlement, l’ensemble qui est constitué par la combinaison de tous ces éléments est bien plus que la somme des différentes parties. Quand ils sont assemblés, les différents constituants du Sanctuaire sont gratifiés d’une importance qui dépasse de loin leur valeur particulière. En appartenant au tout que constitue le Sanctuaire, chaque élément permet la révélation de la Présence de D.ieu.

Le véritable accomplissement

Le cœur de chaque personne est décrit comme «un sanctuaire en miniature» et chacun des actes impliqués dans le service du Temple se reflète dans notre service divin. Tout comme dans les concepts que l’on vient d’évoquer, chaque individu doit considérer qu’il est plus grand que son propre moi personnel. Il contient en lui le potentiel de servir, en tant que partie du klal Israël, de «l’assemblée d’Israël», le Peuple juif en tant qu’entité, pour permettre la révélation de la Présence Divine dans notre monde.

Comment ce potentiel peut-il se réaliser ? Une personne doit tout d’abord développer au mieux ses propres aptitudes, endossant toutes les responsabilités dont elle a été investie. De plus, elle doit se joindre à ses pairs, engagés dans la même tâche, et donc appartenir à une entité plus grande.

L’importance de cette seconde étape est également soulignée dans la Paracha Vayakhel que nous avons lue la semaine passée. Rien d’étonnant donc à ce qu’elles soient souvent lues ensemble. D’une part, elles peuvent paraître contradictoires puisque Vayakhel met en lumière la fusion des individus dans un collectif spirituel alors que Pekoudé met l’accent sur la contribution personnelle de chaque individu. Mais le collectif ne peut se réaliser que s’il inclut tous les individus et permet à chacun d’entre eux de développer sa propre personnalité. De la même façon, chaque individu doit être conscient qu’il ne réalisera tout son potentiel que lorsqu’il s’unira aux autres.

Qu’y a-t-il à la source ?

Si l’on peut forger une unité à partir de parties différentes, ce n’est que parce que chacune de ces individualités possède un lien fondamental. Chaque âme est «une réelle partie de D.ieu». C’est la raison pour laquelle, malgré les différences qui nous opposent tous, nous sommes tous liés par une base commune. De la même façon, dans l’univers en général, chaque élément existant est maintenu par l’énergie créatrice de D.ieu et c’est ce terrain commun qui donne le potentiel de l’unité.

Faire le bilan

Comme cela a été mentionné, le décompte de la Paracha Pekoudé inclut «le décompte des sommes d’or, d’argent et de cuivre donnés pour le Sanctuaire et le compte de tous ses ustensiles et accessoires pour son service». Dans un premier temps, avait lieu l’inventaire des ressources disponibles puis était organisée l’utilisation de ces ressources.

Ces concepts nous concernent également dans notre service divin. Tout d’abord, l’homme doit faire un inventaire. Il doit savoir ce qu’il est et ce qu’il peut faire. Après cela, de temps à autre, il doit déterminer comment il a utilisé ses aptitudes et ce qu’il en a accompli. L’ordre de ces tâches a également un sens : prendre conscience de l’existence de son potentiel sert de stimulus et incite à sa réalisation.

L’élément catalyseur pour le développement personnel

La Paracha commence ainsi : «Ce sont les comptes du Tabernacle… calculés par Moché». Cela signifie donc que le décompte des différents éléments du Sanctuaire et donc des aptitudes de chaque individu dépendent de la contribution de Moché Rabbénou. C’est Moché Rabbénou qui réveille le potentiel divin intérieur que possède chaque individu.

Et une fois qu’eurent été complétés tous les éléments du Sanctuaire, c’est Moché qui, de fait, l’érigea et en inaugura le service. Car ce sont les qualités de dirigeant de Moché qui stimulent l’expression du potentiel individuel de chacun et encourage son interaction en synergie avec celui des autres.

Pas de fin à la croissance

La Paracha Pekoudé ne se conclut pas avec la construction du Sanctuaire mais mentionne deux autres points.

Tout d’abord, le fait que «la nuée reposa sur lui et la gloire de D.ieu emplit le Sanctuaire», autrement dit, le Sanctuaire devint un lieu de résidence pour la Présence Divine et d’autre part, «quand la nuée se levait… les Enfants d’Israël se remettaient en route». Notre service divin requiert un progrès constant.

Ces deux points sont fondamentaux dans le compte que doit entreprendre chacun d’entre nous. Chacun doit savoir que le but ultime est la révélation de la Présence de D.ieu. Nous devons aussi réaliser qu’il est impossible de nous reposer sur nos lauriers, que la révélation continuelle de la Présence de D.ieu implique que nous avancions continuellement.

En fin de parcours, «alors que nous avançons de force en force», nous allons «apparaître devant D.ieu à Tsion»,  dans le Troisième Beth Hamikdach, avec l’avènement de la Rédemption.

Le Coin de la Halacha

 Comment se comporter avec un malade le Chabbat ? (suite)

 - C’est une Mitsva de profaner Chabbat pour sauver la vie d’un Juif – même s’il existe un doute qu’il soit vraiment en danger. Plus rapidement on le fait, plus on est digne d’éloges.

- Si un médecin déclare que sa condition risque de s’aggraver et de mettre sa vie en danger si on ne le fait pas, on doit désacraliser le Chabbat.

- Si le malade sent que sa vie est en danger, on profane le Chabbat pour lui, même si le médecin estime que sa vie n’est pas en danger.

- Si aucun médecin n’est disponible et que le malade n’a pas d’opinion quant à la gravité de son état, on fait confiance à une personne qui s’y connaît un peu – à condition que cette personne comprenne aussi l’importance du Chabbat.

- Si un enfant se retrouve enfermé accidentellement ou qu’il est tombé dans un trou ou encore qu’on le trouve errant et abandonné, sans famille qui le recherche, on profane Chabbat pour lui venir en aide.

- On obéit aux directives du médecin pour éviter toute aggravation de la condition du malade s’il estime que le traitement ne peut pas attendre la fin du Chabbat.

- On peut procéder à tout ce qui est nécessaire pour soulager la douleur d’un malade ou le renforcer et le rafraîchir – même si cela ne participe pas à sa guérison. On peut faire bouillir de l’eau s’il demande une boisson chaude (si possible, on demandera à un non-Juif de le faire).

- On peut écrire le Chabbat ce qui est nécessaire pour sauver la vie d’un malade en danger de mort (par exemple une ordonnance) mais on veillera à n’écrire que ce qui est absolument nécessaire, sans ajouter même un point à la fin d’une phrase.

- On préparera avant Chabbat tout ce qui peut être nécessaire pour diminuer le danger ou les souffrances d’un malade.

(d’après Rav Yossef Kolodny – N’shei Chabad Newsletter)

Le Recit de la Semaine

 Après les flammes, la richesse

Ceci s’est passé le mardi 8 Tamouz 5729, 24 juin 1969.

Un de nos amis, Rav Elchanan Geisinsky, nous avait invité à son mariage à Boston. Avec quelques-uns de mes camarades de Yechiva, nous avions décidé d’y aller et comment aurions-nous pu ne pas participer à sa joie ?

Nous nous sommes serrés dans un minibus de neuf places pour ce voyage de New York à Boston. L’ambiance fut extraordinaire, le mariage très réussi et, bien après minuit, nous avons pris la route de retour.

Alors que nous nous apprêtions à quitter l’autoroute en nous dirigeant vers la bretelle de sortie, un camion roulant à vive allure percuta l’arrière de notre véhicule. Le chauffeur avait bien essayé de nous éviter mais il roulait trop vite et n’avait pas pu freiner à temps. Son camion heurta le coin arrière de notre van, ce qui le fit voler dans les airs. Je me souviens de mon étrange réaction, attendant que notre van retombe sur terre afin que je puisse sauter par la fenêtre arrière et c’est ce que je réussis à faire.

Dès que le van avait été touché, il avait pris feu. Les portes du milieu étaient coincées et les trois passagers du milieu furent sévèrement brûlés. Un des jeunes garçons qui avait été assis devant et qui était parvenu à sortir essaya d’ouvrir leur porte mais, dès qu’il saisit la poignée, tous ses doigts furent brûlés. Au prix d’efforts surhumains, il réussit néanmoins à leur ouvrir la porte et tous se précipitèrent en-dehors du véhicule. Certains se roulèrent dans l’herbe pour éteindre le feu qui consumait leurs vêtements mais, D.ieu merci, tous étaient vivants.

Le sauveteur qui arriva sur le lieu de l’accident était stupéfait : «Cela fait vingt-cinq ans que je patrouille sur cette autoroute mais je n’ai jamais vu un van bourré avec neuf personnes prendre feu et tout le monde en sortir vivant ! Le fait que le véhicule n’ait pas explosé est proprement miraculeux !».

Cependant, certains de nos amis étaient sévèrement brûlés. Rav Meir Minkowitz téléphona au secrétariat du Rabbi à Brooklyn bien qu’il fût cinq heures du matin. Je parlai avec le secrétaire, Rav Morde’haï Eizik Hodakov et le suppliai de demander au Rabbi sa bénédiction. Il répondit que je devais d’abord m’entretenir avec des médecins pour déterminer s’il y avait un danger de mort – auquel cas, il préviendrait le Rabbi. Sinon, il ne raconterait l’accident au Rabbi qu’à son arrivée le matin à son bureau.

Les docteurs affirmèrent que nul n’était en danger de mort malgré de très graves brûlures. Nous en informâmes Rav Hodakov et avons convenu que nous le rappellerions plus tard. Dans la matinée, Rav Hodakov nous confia quelque chose de très étrange : «Depuis que je travaille au secrétariat du Rabbi, j’ai été témoin de nombre de faits étonnants mais jamais cela ! Quand j’ai raconté au Rabbi ce qui vous était arrivé, il m’a répondu de façon énigmatique : ‘Je pensais à eux la nuit dernière !’ ».

Cela signifie que le Rabbi avait pensé à nous déjà avant que l’accident ne se produise !

Rav Hodakov continua : «Plus tôt, hier soir, le Rabbi demanda qu’on publie cinq lettres écrites par les premiers Rabbis de ‘Habad : Rabbi Chnéour Zalman, le Mitteler Rebbe et le Rabbi Tséma’h Tsédek. Ces lettres avaient été envoyées à des communautés qui avaient subi des incendies et chacune de ces lettres s’achevait avec une bénédiction et le célèbre dicton : ‘Après un incendie, on devient riche !’ ».

(Ce dicton yiddish s’appuie sur une notion kabbalistique, basée sur l’ordre des «tuyaux» spirituels avec lesquels D.ieu a créé les mondes. D’abord intervient Guevoura (la sévérité, la rigueur) puis Ra’hamim, la compassion ou, en d’autres termes, d’abord le feu puis la richesse).

De fait, le Rabbi expliqua à Rav Hodakov qu’il avait pensé à nous la nuit précédente quand il avait demandé que ces lettres soient imprimées : il demanda que chacun de nous en reçoive immédiatement une copie.

Le Chabbat suivant, le Rabbi parla longuement lors d’un Farbrenguen (réunion ‘hassidique). La lecture de la Torah était ‘Houkat-Balak dans laquelle sont décrits les «serpents brûlants» qui avaient attaqué les Juifs dans le désert et comment la guérison était intervenue. Le Rabbi avait cité l’interprétation de Rachi et avait établi un lien avec notre accident.

Quelques jours plus tard, lors du Farbrenguen de Youd Beth Tamouz – qui célèbre la délivrance du Rabbi précédent des geôles soviétiques – le Rabbi parla à nouveau du sujet du feu. Il cita les paroles du Rabbi précédent concernant son arrestation : «Si on m’avait demandé avant l’arrestation si j’acceptais cette épreuve, je ne sais pas si j’aurais accepté. Mais une fois que j’en suis sorti, je ne renoncerais pas même à une minute de cette expérience !».

Le Rabbi ajouta que la raison de cet accident se situait au-delà de notre compréhension mais, puisque c’était arrivé, nous devions nous souvenir que : «Après les flammes, on devient riche». Cela signifiait, expliqua le Rabbi, que ce feu n’apporterait que davantage de richesses. Il suggéra que nous devenions riches en étude de la Torah et ne mentionna pas du tout la richesse matérielle.

Les médecins avisèrent Rav Chalom Dov Ber Levitin, qui avait subi les brûlures les plus graves, qu’il en avait pour au moins cinq mois de remise sur pied. Or il devait se marier deux mois plus tard. Il était donc très inquiet et son père demanda au Rabbi son prompt rétablissement. Le Rabbi conseilla de ne pas retarder la date du mariage et que tout irait bien. Effectivement, il se maria deux mois plus tard.

Quant à nous autres, le Rabbi nous demanda de trinquer Le’haïm - A la vie ! – ce que nous nous sommes empressés de faire, bien entendu !

Rav Shloma Majeski – Machon Chana - JEM

Traduit par Feiga Lubecki