Dans la joie de chaque instant
La fête de Souccot revient : cela se ressent sans aucune ambigüité. Voici qu’un air de joie semble flotter au-dessus de la ville ; comme une petite musique d’allégresse résonne doucement dans la tête de chacun. Souccot : temps d’allégresse. De fait, cette atmosphère si reconnaissable est presque surprenante. Nous venons de célébrer Roch Hachana puis Yom Kippour et avons ainsi vécu la solennité des « jours redoutables ». Nous vivons, jour après jour, dans un monde qu’une instabilité angoissante semble caractériser toujours davantage et bien des hommes ne connaissent que peu le goût du bonheur. Pourtant, la joie de Souccot resplendit avec un si grand éclat que rien ne peut la dissimuler ou même l’amoindrir. Cette joie a-t-elle donc une telle puissance, une telle assurance qu’elles lui permettent de dépasser tous les obstacles et même de les abattre pour toujours ?
La comprendre et la vivre, c’est d’abord en percevoir les racines. Car la fête de Souccot est fondée sur une idée essentielle : la confiance en D.ieu. Il a été souvent remarqué que la Soucca, la fragile cabane qui, chaque année, est notre demeure pendant huit jours, a pu résister aux assauts du temps comme aux péripéties de l’histoire tandis que bien des monuments glorieux n’existent plus qu’à l’état de ruines à peine émouvantes. Ce qui préserve la Soucca, ce n’est, à l’évidence, ni sa conception architecturale, ni la solidité de ses défenses, ce n’est qu’une idée : la confiance, la conscience que D.ieu assure sa – et notre – pérennité. La joie de la fête prend ainsi un sens à la fois plus grand et plus profond. Elle est pure allégresse mais aussi manifestation d’idéal. Elle est expression d’une réalité essentielle : D.ieu, Créateur du monde, ne l’abandonne pas et la vie de toute créature est le produit de Ses dons.
La fête nous donne alors à comprendre l’existence d’une autre façon : l’univers a un sens, les actes des hommes y ont une portée, l’harmonie et la sérénité sont possibles. Ce sont là autant de raisons de se réjouir. D’une certaine manière, Souccot incarne la vie telle qu’elle est véritablement, sans les artifices auxquels nous sommes trop facilement accoutumés. Sans doute est-ce ce sentiment qui explose avec Sim’hat Torah. Car c’est bien d’une explosion qu’il s’agit, celle d’une joie à présent sans limites. Elle chante comme une certitude : elle ne nous abandonnera pas. Alors que nous avançons ainsi dans ce début de l’année 5770, nous le savons : la joie est en nous, à notre porte. Elle brise les barrières et nous emmène enfin dans le temps nouveau de la joie éternelle : la venue de Machia’h.
Comment attendre ?
Maïmonide, dans le Michné Torah (Hil’hot Mela’him, chap. 11), souligne la nécessité d’une double démarche en ce qui concerne notre rapport avec la venue de Machia’h : «Y croire… Attendre sa venue». Il ne s’agit pas là d’une simple répétition qui aurait pour but, par exemple, d’insister sur l’importance de l’idée.
En fait, la foi peut être réelle mais rester à un niveau superficiel, presque théorique, comme celle du voleur que les Sages décrivent dans le Talmud (traité Bra’hot 63a) : «A la sortie du souterrain (creusé pour réaliser son entreprise criminelle), il invoque D.ieu (pour qu’Il l’aide à réussir) !». Ce voleur est sincère dans sa prière mais sa foi est si extérieure à la réalité de ses actes qu’il ne voit même plus la contradiction entre elle et ces derniers.
Au contraire, la foi dans la venue de Machia’h doit pénétrer l’essence de chacun de telle façon que tous l’attendent très concrètement.
(d’après Séfer Hasi’hot 5749, vol. I, p. 351) H.N.
Soukkot2009 : J’ai une demeure !
Etre sans logis est l’un des phénomènes sociaux les plus tristes. Quelque pauvre que puisse être un homme, son logis lui est toujours une source nécessaire de sécurité et d’appartenance. En fait, le besoin d’avoir un foyer est si grand que le Talmud va jusqu’à affirmer que «celui qui n’a pas de logis n’est pas un être humain». Il se peut que l’on puisse survivre physiquement sans une maison, mais dans le domaine émotionnel, un logis est le besoin humain le plus essentiel.
Il est inutile de dire qu’il ne s’agit pas ici du lieu où vous vous trouvez, à un moment donné. Vous pouvez être au travail, en visite chez des amis, bloqué dans un embouteillage ou en vacances à des milliers de kilomètres, tant que vous avez un lieu que vous pouvez appeler «chez moi», vous avez la tranquillité d’esprit qu’apporte une maison, un endroit où vous pouvez baisser la garde et agir comme bon vous semble.
C’est cela, explique le Rabbi, qui est si particulier à propos de la Souccah. Normalement, nous sommes liés à une Mitsva particulière (et par l’intermédiaire de la Mitsva, à Celui qui l’a commandée) tant que nous sommes impliqués dans son application. Mais la Souccah apporte une exception. Pendant sept jours, il nous est enjoint de résider dans une Souccah, pendant sept jours, ce saint abri devient notre logis. Et, comme on vient de l’expliquer, le lien que l’on a avec sa maison ne se restreint pas au temps qu’on y passe à l’intérieur. C’est un lien toujours présent.
Pendant sept jours, nous sommes intimement impliqués dans cette Mitsva, quel que soit le lieu où nous sommes, quelle que soit l’action que nous sommes en train d’accomplir. Et il ne s’agit pas d’une implication superficielle, de la même manière que notre relation avec notre maison ne l’est jamais. Il s’agit ici d’un élément essentiel de notre identité.
Nous pouvons tenter d’approfondir quelque peu la leçon de la Souccah.
Roch Hachana et Yom Kippour sont juste derrière nous. Le thème de ces fêtes, tout comme celui du mois préparatoire d’Elloul, est la Techouvah, traduit habituellement par «repentance» mais dont le sens littéral est «retour». Après avoir erré pendant un an, nous revenons. Nous revenons dans l’étreinte de notre Père, dans notre foyer le plus sûr, au lieu où nous avons toujours appartenu.
Une chose j’ai demandé à D.ieu, cela je recherche : que je puisse m’asseoir dans la maison de D.ieu tous les jours de ma vie, pour saisir l’amabilité de D.ieu (Psaumes 27 : 4)
Mais une autre année nous attend. A nouveau nous serons forcés de quitter la maison pour un long voyage. Une perspective décourageante, une pensée déprimante pour celui qui trouve tant de plaisir dans son bref séjour chez lui.
Vient alors le message de Souccot. Une fois que nous avons bien établi où se trouve notre réelle demeure, nous ne nous en détacherons jamais, où que nous soyons.
Quoi qu’il arrive durant cette nouvelle année, aussi loin de chez nous que nous conduise le voyage de la vie, nous saurons toujours retrouver le chemin de notre maison. Et le fait de le savoir nous apporte la sérénité et la sécurité.
Et nul n’est besoin d’attendre le prochain Roch Hachana pour rentrer. Il nous faut prendre chaque jour un peu de temps pour nous échapper et revenir chez nous, que ce soit par les prières matinales, à la synagogue ou même les quelques secondes nécessaires pour réciter une bénédiction sur la pomme dans laquelle nous allons croquer.
Et si c’est cela la leçon rassurante que nous tirons de la fête de Souccot, il n’est pas étonnant qu’elle soit la plus joyeuse de nos fêtes ! N’y a-t-il rien de plus gratifiant que de savoir que nous ne serons jamais sans logis !
Que fait-on à Souccot ?
«Dans des Souccot, vous habiterez durant sept jours… afin que vos générations sachent que c’est dans des Souccot que j’ai fait habiter les enfants d’Israël lorsque Je les ai faits sortir du pays d’Egypte.»
Chaque Juif prend ses repas dans une Souccah, une cabane recouverte de branchages, depuis le vendredi soir 2 octobre 2009 jusqu’à Chémini Atséret inclus, c’est-à-dire samedi après-midi 10 octobre. On essaiera d’habituer les petits garçons à prendre aussi leur repas dans la Souccah. Les femmes ne sont pas astreintes à ce commandement. Il est recommandé d’avoir des invités dans la Souccah.
Avant d’y manger du pain ou du gâteau, ou d’y boire du vin, on dira la bénédiction adéquate suivie de la bénédiction : «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Léchève Bassouccah» - «Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses Commandements et nous as ordonné de résider dans la Souccah».
Vendredi soir, après avoir mis quelques pièces à la Tsedaka (charité), à Paris avant 19h 10, les femmes mariées allument au moins deux bougies (les jeunes filles et les petites filles allument une bougie) avec les bénédictions suivantes :
1) «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chel Chabbat Vechel Yom Tov» - «Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses Commandements et nous as ordonné d’allumer la lumière du Chabbat et de la fête».
2) «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé» - «Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as fait vivre et exister et parvenir à cette époque».
Samedi soir 3 octobre (à Paris après 20h 13) elles allument les bougies à partir d’une bougie de 48 heures allumée avant la fête avec les bénédictions :
1) «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chel Yom Tov» - «Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifié par Ses Commandements et nous as ordonné d’allumer la lumière de la fête».
2) «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé» - «Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as fait vivre et exister et parvenir à cette époque».
A partir de dimanche matin 4 octobre et jusqu’au vendredi 9 octobre inclus, on récite chaque jour la bénédiction sur les «quatre espèces» (cédrat, branche de palmier, feuilles de myrte et feuilles de saule) :
1) «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al Netilat Loulav» - «Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses Commandements et nous as ordonné de prendre le Loulav».
La première fois, on ajoute : 2) «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé».
Tous les soirs de Souccot, on organise, si possible dans la rue, une fête joyeuse, Sim’hat Beth Hachoéva.
F. L.
«C’est mon rouleau de la Torah !»
Henryk était très jeune en 1945 à la fin de la guerre quand les rares survivants tentaient frénétiquement de retrouver leurs proches. Il avait passé presque toute sa «vie» avec sa nourrice qui, à la demande de son père, l’avait caché. Elle avait pris des risques énormes en agissant ainsi mais elle avait accepté de bon cœur car elle aimait l’enfant.
Tous les Juifs avaient été raflés et massacrés et la nourrice de Henryk n’avait pas pensé un seul instant que certains aient pu survivre, certainement pas Joseph Foxman qui avait été déporté dans le ghetto de Varsovie et de là, sans doute vers Auschwitz : chacun savait que nul Juif n’en revenait. Elle n’eut donc aucun scrupule à adopter l’enfant, à le faire baptiser et à l’envoyer au catéchisme où le prêtre local se fit un plaisir de lui enseigner «la vraie religion».
Mais le jour de Sim’hat Torah, Joseph Foxman amaigri, les traits creusés, réapparut et vint chercher son fils. Le cœur brisé, la brave nourrice se résolut à emballer les vêtements de l’enfant qu’elle chérissait sans oublier de glisser dans son balluchon le petit livre de catéchisme. Elle rappela avec fierté au père survivant que l’enfant était maintenant devenu un fervent catholique et qu’il convenait donc de l’éduquer dans cette voie.
Joseph Foxman la remercia avec effusion puis prit son fils par la main et l’emmena directement à la Grande Synagogue de Vilna. En route, il rappela à son fils qu’il était juif et qu’il s’appelait non pas Henryk mais Avraham.
Tandis qu’ils passaient devant une église, l’enfant se signa avec respect ce qui peina beaucoup son père. Un prêtre surgit alors ; il connaissait le garçon qui se précipita et lui embrassa la main avec ferveur. Le prêtre le cajola et lui recommanda de ne jamais oublier la foi chrétienne.
Intérieurement, Joseph Foxman était horrifié. Il avait tant souffert et sa seule raison de vivre dans les camps avait été la pensée qu’il retrouverait son fils ! Il aurait voulu arracher son fils des bras du prêtre, l’éloigner au plus vite de l’église mais il savait que ce n’était pas là le moyen le plus sage d’agir. Il salua le prêtre avec courtoisie mais serra un peu plus son fils contre lui. Après tout, ces personnes avaient donné l’asile à l’enfant et lui avaient sauvé la vie. Le meilleur moyen de le ramener vers le judaïsme n’était certainement pas de le brusquer et de le sermonner mais plutôt de lui montrer un judaïsme vivant et enthousiaste qui lui ferait bien vite oublier cette foi étrangère.
Ils pénétrèrent dans la Grande Synagogue de Vilna qui n’était plus que l’ombre d’elle-même. Elle qui avait vibré avec une communauté nombreuse et fervente était devenue trop grande pour les quelques rescapés d’Auschwitz qui en avaient spontanément retrouvé le chemin et qui tentaient de reconstruire leur vie.
Malgré la terrifiante réalité, malgré leur petit nombre et malgré leur état de santé - physique et psychique - lamentable, les Juifs chantaient et dansaient, faisant abstraction de tout pour se réjouir avec la Torah.
Les yeux écarquillés de surprise, Avraham contemplait la scène, bien différente de tout ce qu’il avait vécu jusque là. Il prit un vieux livre et le toucha avec respect et affection, peut-être en lointain souvenir de ce qu’il avait vu dans sa toute petite enfance. Quelque chose au fond de lui réagissait positivement à cette atmosphère sincère ; il était heureux d’avoir retrouvé son père, même s’il ne l’avait pas reconnu. Cependant, il ne se joignit pas aux danses, se contentant de regarder et, éventuellement, de frapper des mains.
Un homme qui portait l’uniforme de l’Armée Rouge Soviétique remarqua l’enfant et ne put en détacher son regard. Il s’approcha de Joseph : «C’est un enfant juif ?» demanda-t-il, incrédule.
- Oui ! répondit Joseph tout en laissant échapper un soupir à l’idée que son fils avait reçu une éducation bien différente de celle qu’il avait souhaitée.
Le soldat était comme fasciné ; il luttait pour retenir ses larmes, lui qui avait combattu sans états d’âme des ennemis féroces : «Durant ces quatre terribles années, finit-il par remarquer j’ai parcouru des milliers de kilomètres mais c’est le premier enfant juif que je rencontre ! Veux-tu danser avec moi ? Je te prends sur mes épaules !» proposa-t-il à l’enfant, émerveillé par l’uniforme.
Le père hocha la tête en signe d’acquiescement et le soldat saisit l’enfant qu’il hissa sur ses épaules. Les larmes coulaient maintenant de ses yeux sans qu’il fasse d’effort pour les cacher ; le cœur gonflé de joie, il entra dans la danse en chantant.
«Voici mon rouleau de la Torah !» s’exclama-t-il en dansant de plus belle avec l’enfant qui, très fier, avait mis le képi du soldat sur sa petite tête.
Abe (Avraham) Foxman maintenant directeur de l’Anti Diffamation League aux Etats-Unis – se souvient de cet épisode comme étant son premier contact avec le judaïsme et la fierté d’être juif.
Ruth Binyamin
Kosher Spirit – www.chabad.org
traduit par Feiga Lubecki