Lundi, 17 octobre 2016

  • Souccot
Editorial

 Un abri de bonheur

Comment faut-il le dire ? Vivons-nous une période bouleversante… ou bouleversée ? Bouleversante, elle l’est sans aucun doute. Voici que le mois de Tichri se déroule sous nos pas. Il nous a d’ores et déjà donné à vivre la grandeur de Roch Hachana et le sublime de Yom Kippour. Il nous a ainsi fait nous élever jusqu’à sa deuxième étape, celle de l’allégresse infinie, celle de Souccot et de Sim’hat Torah. Cette succession d’expériences spirituelles uniques, si précieuses pour toute l’année qui commence, bouleverse authentiquement notre manière de voir et de penser ce qui nous entoure, l’ensemble de la création avec tout ce qu’elle porte. Chacun en est conscient : ces grands rendez-vous d’automne ne nous laissent pas inchangés. Dans un monde renouvelé, ils font de nous des êtres neufs pour un lien avec D.ieu plus fort et plus profond.

Quant au monde, avec toute la diversité des sociétés humaines qui le composent, avec les combats qui le déchirent, il paraît être, pour sa part, bien… bouleversé. Les paysages intellectuels familiers, les situations sociopolitiques patinées par l’ancienneté des regards, tout a subi des mutations brutales et largement inattendues. Au point que nul ne sait vraiment aujourd’hui de quoi demain sera fait. L’incertitude est toujours préoccupante. Quand elle se double d’insécurité, c’est une envahissante inquiétude qui réclame sa part. Et le peuple juif, dans tous ses lieux de résidence, en ressent la présence. Pourtant, le moment n’est pas à l’interrogation tragique : où aller, que faire ? Car le mois de Tichri montre ses fastes et, avec eux, une direction claire.

La Soucca s’ouvre à présent. Certes, elle ne ressemble matériellement ni à un palais ni à une forteresse. Elle est cependant à la fois l’un et l’autre. Elle est ce palais où chacun pénètre comme en une demeure pleine de Volonté Divine. Elle est cette forteresse qui a su résister aux atteintes du temps et des hommes, bien plus et bien mieux que les orgueilleux monuments de monarques oubliés. La Soucca est ce lieu privilégié où D.ieu accorde Sa protection et où Son peuple affirme hautement que c’est par elle qu’il vit.

Souccot, temps de joie, est parmi nous, en nous. Et la joie qu’il incarne nous entraîne chaque jour davantage. Celle-ci culmine avec Sim’hat Torah où elle s’enracine en nous pour y fleurir tout au long des semaines et des mois à venir. Dès à présent, nous en sommes les acteurs. Parce que, par nos actes, s’ouvre le chemin de bonheur qui mène au seul bouleversement qui compte, pour le Bien : la venue du Machia’h. 

Etincelles de Machiah

 La première danse

Lorsque le Machia’h viendra et que les morts ressusciteront, se relèveront alors les Patriarches, les enfants de Jacob, fondateurs des tribus d’Israël, Moïse et Aharon. Se relèveront aussi les Prophètes, les Sages du Talmud et les Justes de toutes les générations. Tous se réjouiront avec les Juifs simples. La première danse, c’est Moïse qui la conduira avec ces Juifs simples..

(D’après les lettres du précédent Rabbi de Loubavitch, vol. VI, p. 371)

Vivre avec la Paracha

 Pouvoir voir la joie

Deux offrandes : l’eau et le vin

Nos Sages déclarent (Souccah 51b) : « celui qui n’a pas été témoin de la célébration de Sim’hat Beth Hachoévah n’a jamais vu la joie dans sa vie ». Cette déclaration se réfère à la célébration qui accompagnait la libation d’eau, l’offrande de l’eau dans le Beth Hamikdach, à Souccot. Durant cette manifestation exceptionnelle, les Sages « dansaient… avec des torches allumées, chantant des chants et des louanges et les Lévites jouaient de la harpe, de la lyre et de la trompette et d’innombrables autres instruments de musique ».

Par bien des aspects, l’offrande de l’eau ressemble à l’offrande du vin qui accompagnait les deux sacrifices quotidiens et les sacrifices de Moussaf, offerts les jours de fête. En fait, la seule allusion de la Torah à l’offrande de l’eau apparaît dans la description de l’offrande du vin. Et pourtant, aucune cérémonie particulière n’accompagnait cette offrande malgré le fait que ce soit le vin, et non l’eau, qui exprime le mieux la joie, dans de nombreuses festivités.

Le fait que la plus grande expression de joie du peuple juif soit associée à l’eau et non au vin est paradoxal.

La joie limitée et la joie illimitée

Selon le principe qui dicte que nous devons remercier D.ieu pour tous les plaisirs dont nous faisons l’expérience dans ce monde, nos Sages ont institué les bénédictions que l’on prononce avant de manger et de boire. Ils indiquent le statut particulier du vin, le degré du plaisir qu’il procure, en composant une bénédiction qui lui est propre, Boré Peri Haguéfène. Par contre, ils ne considèrent pas l’eau, insipide, comme procurant suffisamment de plaisir pour lui consacrer une bénédiction particulière. Ce n’est que lorsque l’on boit de l’eau pour étancher sa soif qu’une bénédiction est requise.

Le vin et l’eau représentent des approches différentes dans notre service de D.ieu. Le mot hébreu Taam a deux significations, « goût » et « raison ». Le goût et la raison sont liés parce que la compréhension d’une idée produit une satisfaction palpable, ressemblant au plaisir de consommer un aliment délectable.

Parce que le vin a un goût plaisant, il en est venu à symboliser le service divin « parfumé » par la compréhension. L’eau, simple et sans goût, symbolise le Kabalat Ol, l’acceptation du joug divin, un engagement simple pour accomplir la volonté de D.ieu, qu’on la comprenne ou non.

Généralement, nous tirons du plaisir à accomplir une Mitsva que nous comprenons parce que cela nous permet d’apprécier les effets positifs que produisent nos efforts. Selon le même cheminement, quand nous ne saisissons pas la raison de la Mitsva, il se peut que nous ayons un sentiment d’accomplissement moindre. Bien que nous puissions, tout le temps, être animés du désir d’obéir à la Volonté divine, nous ne ressentons pas autant de plaisir des Mitsvot qui requièrent notre acceptation aveugle.

Cependant, parfois l’approche du Kabalat Ol génère une satisfaction plus complète que celle que nous expérimentons avec un service de D.ieu appuyé sur la raison. Quand « nous avons soif », quand nous désirons une union avec D.ieu qui transcende le champ limité de nos pensées et de nos sentiments, c’est alors que naît un réel plaisir de « l’eau », du Kabalat Ol.

A ce niveau d’engagement, le plaisir de l’accomplissement par Kabalat Ol dépasse la satisfaction de l’approche rationnelle car la joie que produit la compréhension est, par définition, limitée et proportionnelle à notre niveau de compréhension. Plus nous possédons de savoir, plus grande est la satisfaction que nous tirons. Si notre connaissance s’avère limitée, ainsi en va-t-il de notre plaisir.

Par contre, l’engagement basé sur le Kabalat Ol, résultant de notre soif, ne connaît pas de limites. Car dépassant le champ de notre compréhension intellectuelle, nous nous lions avec les dimensions infinies de la Divinité. Cela suscite alors une joie qui dépasse complètement le potentiel humain.

En continuation des jours solennels

C’est dans ce contexte que Souccot et l’offrande de l’eau peuvent être considérées comme une étape dans le service divin amorcé à Roch Hachana. En ce jour et celui de Yom Kippour, nous acceptons la souveraineté de D.ieu et nous nous tournons vers Lui dans une Techouvah sincère. Ces jours nous poussent à pénétrer dans notre intériorité et à réveiller en nous-mêmes cette soif d’entamer une relation plus profonde et plus étroite avec D.ieu. Cette « soif » se trouve étanchée par le service de Kabalat Ol que symbolise l’offrande de l’eau.

Fusionner les deux approches

La signification toute particulière de l’offrande de l’eau ne réduit en rien l’importance de l’offrande du vin. Les deux sont nécessaires dans le Beth Hamikdach. Il en va de même dans le domaine personnel. Chaque mode de service divin complète l’autre. La base de notre service doit être celui du Kabalat Ol, cet engagement simple et supra rationnel, mais il est embelli et intensifié par une relation consciente avec D.ieu.

Un engagement à D.ieu qui existe au-delà des limites de notre compréhension ne suffit pas. Pour que cette relation soit complète, cet engagement doit être intériorisé au point qu’il imprègne et inclue toutes nos facultés, y compris nos facultés intellectuelles.

La clé de la joie

Souccot est « la période de notre joie », une célébration qui dure une semaine, inclut un cycle temporel entier et imprègne toutes les semaines qui suivent, infusant joie et plaisir dans chaque aspect de notre service divin.

Bien que le Beth Hamikdach soit détruit, nous pouvons expérimenter, au moins jusqu’à un certain point, la joie de Sim’hat Beth Hachoévah en commémorant les libations d’eau par des festivités, tout au long de la fête de Souccot. Y participer génère le potentiel pour que nous « puissions voir la joie » tout au long de l’année à venir.

Cette joie implique également les célébrations ultimes de l’Ere de la Rédemption. Le service divin sera alors renouvelé et c’est avec le cœur joyeux que nous apporterons les deux offrandes du vin et de l’eau, dans le Beth Hamikdach. Que cela se produise dans l’immédiat !

Le Coin de la Halacha

 Que fait-on à Souccot ?

Chaque Juif prend ses repas dans une Souccah, une cabane recouverte de branchages depuis dimanche soir 16 octobre 2016 jusqu’à Chémini Atséret inclus, c’est-à-dire lundi après-midi 24 octobre. On essaiera d’habituer les petits garçons à prendre aussi leur repas dans la Souccah. Les femmes ne sont pas astreintes à ce commandement. Il est recommandé d’avoir des invités dans la Souccah.

Avant d’y manger du pain ou du gâteau, ou d’y boire du vin, on dira la bénédiction adéquate suivie de la bénédiction : « Barou’h Ata … Vetsivanou Léchève Bassouccah ».

A partir de lundi matin 17 octobre et jusqu’au dimanche 23 octobre inclus (excepté Chabbat), on récite chaque jour la bénédiction sur les « quatre espèces » (cédrat, branche de palmier, feuilles de myrte et feuilles de saule) :

1) « Barou’h Ata … Vetsivanou Al Netilat Loulav ».

La première fois, on ajoute : 2) « Barou’h Ata … Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehiguianou Lizmane Hazé ».

Dimanche matin 23 octobre, la prière est particulièrement longue.

On encercle sept fois la « Bimah » au centre de la synagogue puis on frappe cinq fois le bouquet de 5 « Hochanot » (branches de saule) par terre.

Lundi matin 24 octobre, on récite la prière de Yizkor à la mémoire des parents disparus.

On mange dans la Souccah sans réciter la bénédiction « Léchève Bassouccah ».

Tous les soirs de Souccot, on organise, si possible dans la rue, une fête joyeuse, Sim’hat Beth Hachoéva.

F.L.

Le Recit de la Semaine

 La Souccah dans le désert

La guerre avait éclaté le jour-même de Yom Kippour en 1973, prenant de court toute la nation d’Israël. Les réservistes avaient été réquisitionnés depuis les synagogues, alors qu’ils portaient sur eux leur Talit (châle de prière) et tentaient de lire encore quelques prières tout en montant dans les camions et les jeeps. Ils se dirigeaient vers le sud, vers le nord… De durs combats les attendaient et chacun se préparait intérieurement pour le pire.

Arié Dov Schwartz était spécialisé dans l’aide aux blessés. Il avait déjà reçu depuis quelques jours l’ordre de se présenter le 11 Tichri à sa base, donc le lendemain du jour de jeûne et son paquetage était prêt.

Né en Roumanie, Arié Dov était le fils d’un colonel de l’armée hongroise qui avait combattu lors de la première Guerre mondiale. A l’approche de la seconde Guerre mondiale, la famille Schwartz avait voulu émigrer en Terre Sainte mais le pouvoir soviétique l’en avait empêché. Ce n’est qu’après la guerre qu’ils purent monter en Eretz Israël, pensant avoir enfin trouvé le repos et la sérénité.

La famille n’était pas très pratiquante mais Arié Dov avait néanmoins été envoyé prendre des cours avant la Bar Mitsva. Son professeur, Rav Naftali Roth l’avait patiemment guidé dans les voies du judaïsme. Arié s’était intéressé et respectait autant de commandements qu’il le pouvait.

Durant son service militaire, il s’était dévoué corps et âme pour dégager et soulager les blessés et il pressentait que maintenant aussi, il devrait prendre part à des opérations dangereuses : dégager des soldats d’un tank atteint par des missiles, secourir un pilote dont l’avion se serait écrasé et qui risquait surtout d’être capturé par l’ennemi…

Sa première mission le mena sur les hauteurs du Golan ; les soldats y étaient trop peu nombreux mais se battaient comme des lions. On lui apprit les nouvelles : le moteur d’un tank l’avait lâché et celui-ci se trouvait maintenant encerclé par l’ennemi qui se réjouissait déjà de récupérer cette proie inestimable. A cet instant, Arié pressentit qu’il n’était pas isolé ; il sortit dans un vieux tank, sans armes, pour localiser l’équipage en danger. Miraculeusement, il y parvint, pénétra dans le tank abîmé, réussit à faire fonctionner à nouveau le moteur. Mais c’est alors qu’une balle toucha son commandant en pleine tête. Arié n’eut pas le temps de pleurer la mort de son camarade : un tank syrien stationnait sur la colline juste en face de lui. Il vit distinctement la tourelle du tank d’où partaient les tirs meurtriers et qui le visait. Il faisait maintenant face à l’officier syrien : les deux hommes pouvaient même se toiser du regard. Arié voyait déjà sa vie défiler devant lui comme dans un film et, en pensée, faisait ses adieux à sa famille. Il n’avait absolument aucune chance de s’en sortir vivant.

Soudain, un miracle se produisit : le tank syrien s’éloigna en marche arrière et disparut !

« Pourquoi ai-je été épargné au dernier instant ? » se demanda Arié qui en tremblait encore de la tête aux pieds.

Il comprit la réponse quelques jours plus tard quand son unité reçut l’ordre de foncer vers le sud. Un réserviste d’une quarantaine d’années se joignit à eux mais, tout le long de la route, il ne parla presque pas.

Soudain, en plein désert du Sinaï, ils aperçurent une Souccah et un ‘Hassid leur proposa d’entrer se rafraîchir, prononcer la bénédiction de la Souccah et celle des Quatre Espèces. Les soldats n’étaient que trop heureux de cette halte et de cette possibilité d’accomplir des Mitsvot. Seul le réserviste silencieux refusa. Arié répéta la proposition :

- Viens réciter la bénédiction !

L’homme haussa les épaules et persista dans son refus.

- Écoute ! Fais-le pour moi, insista Arié ! Moi je t’ai rendu service en te prenant « en stop » !

L’homme ne pouvait maintenant décemment plus refuser. Il saisit le livre de prières que lui tendait le ‘Hassid mais, avant même d’avoir pu prononcer la bénédiction, il se mit à trembler et à sangloter sans qu’on puisse l’arrêter. Puis il s’évanouit.

Ce n’est qu’au bout de quelques minutes qu’il reprit ses esprits et qu’il raconta :

- J’étais tout jeune au moment de la Shoah. J’ai subi les pires tortures, j’ai vu toute ma famille exterminée devant mes yeux. Moi, j’ai été « choisi » par les Nazis pour vivre et je n’ai pas compris pourquoi. Quel sens à la vie quand on n’a plus de famille ? J’ai ressenti une grande colère contre le Créateur et j’ai décidé de rompre tous mes liens avec Lui.

Aujourd’hui, c’est la première fois - depuis que j’ai pris cette décision il y a plus de trente-cinq ans - que je m’adresse au Maître du monde !

Tous les soldats restèrent pensifs après cette expérience étrange.

Quant à Arié, il était lui aussi sous le choc de ces paroles. Puis il comprit pourquoi il avait été sauvé du tank syrien : il avait reçu sa vie en cadeau afin de permettre à un autre Juif de renouer une relation trop longtemps interrompue avec le D.ieu de ses ancêtres.

Sichat Hachavoua – N° 1499

Traduit par Feiga Lubecki