Le début de notre Paracha (Vayichla'h 32, 5) relate, de quelle manière notre père Yaakov délégua des anges auprès d'Esav, son frère, afin de l'apaiser(1). Il leur demanda de lui transmettre, tout d'abord, l'affirmation suivante : «J'ai résidé avec Lavan» (2).
Rachi donne deux interprétations de l'expression : «J'ai résidé». Selon la première, elle désigne un étranger(3), quelqu'un qui n'est pas chez lui : «Je ne suis pas devenu, chez Lavan, un prince, un homme important, mais un étranger(4)».
La seconde explication de Rachi, en revanche, met en avant le fait que Garti, «j'ai rési-dé», est l'anagramme de Taryag, «six cent treize». Ainsi, «J'ai résidé avec Lavan l'impie, mais j'ai respecté les six cent treize Mitsvot(5)».
On sait que toutes les significations qui sont données à propos d'un même mot de la Torah sont liées entre elles par un contenu commun. Quel est donc, en l'occurrence, le rapport entre ces deux interprétations ? Et, pour ce qui est de la seconde explication, pourquoi était-il nécessaire de faire savoir à Esav que Yaakov avait respecté les six cent treize Mitsvot ? Y avait-il, en cela, un argument susceptible de l'apaiser ?
On peut répondre à ces questions de la manière suivante. Notre père Yaakov se rendit à 'Haran(6) afin de libérer les parcelles de sainteté qui se trouvaient auprès de Lavan(7) et, grâce à cela, de préparer le monde à la délivrance complète. De son point de vue, Yaakov considérait qu'il avait accompli tout cela avec succès.
Pendant les vingt années qu'il avait passées à 'Haran, Yaakov avait affiné et préparé tous les objets matériels avec lesquels il avait été en contact, dans l'optique de la déli-vrance qu'il souhaitait obtenir. Puis, s'en revenant de cet endroit, il pouvait affirmer qu'il était prêt pour la venue du Machia'h. Il déléguait donc des émissaires auprès de son frère pour lui annoncer cette nouvelle. Car, il était persuadé qu'Esav, lui aussi, était parvenu, de son côté à se départir de son mal, qu'il était également prêt pour la délivrance(8).
Yaakov s'adressa donc à Esav, par l'intermédiaire de ces émissaires et il lui adressa le message suivant : «J'ai résidé avec Lavan, mais tout ce qui constitue le domaine proprement dit de Lavan l'araméen, l'existence matérielle et grossière, est resté étranger, distant de moi. Je n'y ai pas trouvé ma place et je ne me suis pas senti concerné par tout cela. L'essentiel, pour moi, tout au long de cette période, a été uniquement ma pratique de la Torah et des Mitsvot, le monde de la sainteté et le domaine de la foi».
Puis, après cette introduction, Yaakov introduit, pour son frère, une allusion supplé-mentaire et il lui dit : «J'ai eu des boeufs et des ânes» (9). Le Midrash explique(10) : «L'âne, c'est le roi Machia'h, ainsi qu'il est dit(11) : 'pauvre et chevauchant un âne'». Par ces mots, Yaakov annonçait ceci à son frère : «Je possède d'ores et déjà l'âne du Machia'h. Pour ma part, e suis totalement prêt pour la délivrance(12)».
Malheureusement, les anges s'en revinrent, après s'être acquittés de leur mission au-près d'Esav et ils décrivirent à Yaakov la vérité telle qu'elle était(13) : «Nous sommes allés chez ton frère, chez Esav. Tu penses qu'il est ton frère, prêt, comme tu l'es toi-même, pour la délivrance. Sache qu'il n'est nul autre qu'Esav, l'Esav que tu as connu(14). Il ne s'est pas encore défait de son mal».
Il y a, dans cet échange de propos(15), un message clair, qui est délivré à toutes les géné-rations. Un Juif doit, à tout moment, être prêt pour la délivrance, même si le monde qui l'entoure n'est pas encore affiné et préparé pour la venue du Machia'h. Il doit, envers et contre tout, être lui-même toujours prêt pour cela.
Et, le moyen d'être prêt en permanence est le suivant. Il faut observer le monde, autour de soi, comme un élément étranger, n'ayant qu'un caractère accessoire. On doit se consi-dérer soi-même comme un étranger, ayant été déplacé au sein du domaine matériel(16). Il est nécessaire d'avoir conscience que son endroit véritable, sa demeure fixe est le domaine de la Torah et des Mitsvot.
On raconte(17) que le Maguid de Mézéritch, avant de se révéler comme un maître de la 'Hassidout, vivait dans une terrible pauvreté, au-delà du supportable, au point d'être dénué de tout(18). Ceux qui voulaient lui venir en aide lui demandèrent comment il pouvait vivre dans de telles conditions. Il répondit :
«Un homme, quand il est en voyage, se contente des conditions minimales(19). Or, à l'heure actuelle, nous sommes au milieu du chemin. A la maison, en revanche, tout est totalement différent». La vie physique, dans sa perception, n'était qu'accessoire. Sa «maison» était le domaine de la Torah et des Mitsvot.
C'est précisément en adoptant une telle approche(20) que l'on parvient à se préparer à la délivrance véritable et complète. C'est grâce à cet état d'esprit que l'on accueillera notre juste Machia'h, très bientôt et de nos jours.
(Discours du Rabbi, Likoutei Si'hot, tome 1, page 68)
Notes :
(1) Il craignait, en effet, qu'il n'ait l'intention de lui faire la guerre.
(2) Il convient donc de comprendre dans quelle intention il souhaita apporter cette précision à son frère.
(3) En effet, Gar, «celui qui habite» est phonétiquement proche de Guer, «un étranger».
(4) Il n'y a donc pas lieu de le jalouser et de lui faire la guerre.
(5) Et, Lavan peut donc en faire de même, mettre en pratique les Mitsvot, se départir de toute animosité et, de cette façon, être prêt pour la venue du Machia'h.
(6) Là où résidait Lavan.
(7) Celles-ci avaient une source spirituelle particulièrement haute et, de ce fait, elles étaient tombées très bas, dans ce monde matériel, jusqu'à liaran, «lieu de la colère (` Haron) de D.ieu dans le monde».
(8) De fait, celui qui possède réellement l'élévation ne peut pas imaginer que les autres en soient dépourvus.
(9) Vaychla'h 32, 6. Dont j'ai fait l'acquisition alors que je me trouvais chez Lavan.
(10) Midrash Béréchit Rabba, chapitre 75, au paragraphe 6.
(11) Ze'harya 9, 9.
(12) Il émettait ainsi le voeu qu'il en soit de même pour son frère.
(13) Vaychla'h 32, 7.
(14) Et, qui n'a pas changé depuis.
(15) Entre Yaakov et les anges rapportant les propos d'Esav.
(16) Alors que l'existence véritable est spirituelle.
(17) Comme le rapporte le Likouteï Dibbourim, fascicule n°11, à la page 240.
(18) Ainsi, les meubles de sa maison étaient, en tout et pour tout, une caisse en bois qui lui servait de lit et une planche qui lui servait de table.
(19) Il n'a pas, en matière de confort, les exigences qu'il a dans sa demeure fixe.
(20) Une telle manière d'observer le monde.
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- Publication : 16 novembre 2018