Samedi, 7 juillet 2018

  • Pin’has
Editorial

 Renaissance

Trois semaines. Cela peut paraître bien court et pourtant il n’y a peut-être pas de période dont le déroulement semble aussi long que celle-ci. C’est qu’il s’agit de ces trois semaines-là qui s’écoulent entre le 17 Tamouz, jour de la première brèche dans la muraille de Jérusalem, et le 9 Av, jour où le premier et le second Temple furent détruits – le même jour à des siècles de distance. Trois semaines comme des jours lugubres entre les limites d’un drame unique : l’exil de la Présence Divine, l’exil du peuple juif. Trois semaines sans fêtes, chargées de marques de deuil. Faut-il pourtant s’arrêter là ? Certes, la ritualisation des tragédies spirituelles et historiques est une des caractéristiques du peuple juif, à la fois cause et conséquence de sa longue mémoire, fidélité au passé et gage d’avenir. Mais le seul souvenir du malheur n’est jamais une solution. Il ne doit être que l’élément déclencheur qui permettra de le dépasser pour toujours. Que faut-il donc faire de ce temps ?

L’histoire comme les textes nous disent qu’il est celui de la destruction. A cela, il n’existe qu’un seul remède : construire. Mais, dira-t-on, c’est de la destruction du Temple de Jérusalem qu’il s’agit et, si nous espérons tous que le troisième Temple se dresse sans attendre sur sa colline au cœur de la Ville Sainte dans l’harmonie des nations et des peuples. Force est hélas de constater que, pour l’instant, ce n’est pas le cas. Mais le peuple juif sait depuis bien longtemps que le livre et l’esprit sont plus puissants que l’épée. Sa propre existence l’a prouvé : les grands empires, conquérants du monde, ont disparu tandis que lui déroule toujours le fil de son histoire. C’est donc d’étude qu’il est question.

Etudier la structure du Temple dans le texte de la Michna Midot, dans les « Lois de la Maison d’élection » dans le Michné Torah de Maïmonide, deux textes qui existent en traduction française. Les étudier et les connaître comme si l’on était les bâtisseurs du Temple, c’est déjà le construire. En connaître les chemins, c’est déjà le parcourir. Voici bien un enjeu pour la période : faire d’un temps de drame un espace de découverte. Le renouveau est toujours au bout de l’effort. Ici, c’est de renaissance qu’il s’agit.

Etincelles de Machiah

 Une prière spontanée

Deux vieux ‘hassidim racontaient, un jour, ce qu’ils avaient eu l’occasion de voir chez les Rabbis qu’ils avaient connus. Un groupe s’était formé autour d’eux, buvant littéralement leurs paroles. Une longue discussion s’engagea alors et déboucha sur une question : comment serait le monde quand Machia’h viendrait ?

Un des vieux ‘hassidim entreprit d’y répondre : « Quand Machia’h viendra, un Juif se lèvera le matin pour se préparer à prier – et sa prière coulera spontanément. De même, pendant toute la journée, chaque instant sera utilisé pour l’étude de la Torah et le service de D.ieu. Et tout viendra naturellement, sans effort ».

(d’après la tradition orale)

Vivre avec la Paracha

 Pin’has

Le petit-fils d’Aharon, Pin’has, est récompensé de son acte zélé qui l’a fait tuer le prince Zimri, de la tribu de Chimon, et la princesse de Midian avec laquelle il avait gravement fauté. D.ieu lui accorde une alliance de paix et la prêtrise.

Un recensement du peuple dénombre 601.730 hommes de vingt à soixante ans.

Moché reçoit les instructions concernant le partage de la terre entre les tribus et les familles d’Israël, sous forme de tirage au sort.

Les cinq filles de Tsélof’had demandent à Moché le droit d’hériter de la terre de leur père, mort sans fils. D.ieu accepte leur demande et l’incorpore dans les lois d’héritage.

Moché habilite Yehochoua pour lui succéder et mener le peuple vers la Terre d’Israël.

La Paracha se conclut avec une liste détaillée des offrandes quotidiennes et des offrandes additionnelles apportées le Chabbat, Roch ‘Hodech (le premier jour du mois) et lors des fêtes de Pessa’h, Chavouot, Roch Hachana, Yom Kippour, Souccot et Chemini Atsérèt.

La Paracha de cette semaine poursuit le récit que la Torah a commencé dans la Paracha précédente. Il y était relaté que le Peuple juif, alors à Chitim commença à adopter un comportement immoral avec des femmes non juives. En conséquence, une plaie s’abattit sur eux. Pin’has, le petit-fils d’Aharon s’engagea physiquement pour interrompre ces agissements immoraux et mit ainsi fin à cette plaie qui décimait le peuple.

Pin’has était né avant qu’Aharon ne soit désigné comme Cohen et il était un petit-fils, donc non inclus dans la famille des prêtres. Cependant, il reçut comme récompense, pour s’être interposé et avoir mis fin à l’épidémie, que lui-même et toute sa descendance appartiendraient éternellement à la dynastie des Cohanim.

Cet épisode présente un détail quelque peu étonnant, lorsque l’on compare Moché et Pin’has.

En effet, à maintes occasions, on peut voir dans la Torah, Moché s’interposer et faire cesser une plaie accablant le Peuple juif. On peut prendre pour exemple l’épisode du Veau d’Or. Mais jamais Moché ne reçoit la récompense que ses enfants atteindront également le même niveau que lui.

En fait, il s’agit même de tout le contraire. Moché demanda que son fils hérite de sa position à la tête du Peuple juif, cependant, l’on observe que ce fut Yehochoua, appartenant à une toute autre tribu, et non son fils qui en fut investi.

Mais lorsqu’il s’agit de Pin’has, qui fait arrêter la plaie, il en est récompensé par une « alliance éternelle », pour tous ses descendants.

Pourquoi une telle différence ?

La ‘Hassidout explique qu’il y avait une différence fondamentale entre la manière dont Moché servait D.ieu et la manière dont Pin’has le faisait.

Moché servait D.ieu essentiellement avec son âme et une approche spirituelle. C’est pourquoi nous observons que même lorsqu’il était question de Messirout Néfèch, sacrifice de sa personne, pour le Peuple juif, il dit à D.ieu : « Si Tu n’épargnes pas le Peuple juif, alors efface-moi de Ta Torah ». Il se sacrifie spirituellement. Cela ne veut pas dire qu’il n’était pas prêt à se sacrifier physiquement, mais ce n’était pas sa priorité. Sa priorité portait sur l’aspect spirituel.

Quand il s’agit de Pin’has, par contre, sa préoccupation essentielle consistait à saisir la spiritualité et l’exprimer dans ce monde pour le purifier. Quand il fut donc question du sacrifice de sa personne, il se mit en danger, physiquement. La Torah relate que toute la tribu de Chimon tenta de le tuer. S’il se mit dans une position si délicate, c’est que là était son objectif le plus important dans son service divin : utiliser le monde matériel et son corps physique et les purifier.

Cela s’exprime également dans le type d’action qu’entreprit chacun des deux pour éloigner la plaie.

Pour le faire, Moché s’adonna à la prière, une quête spirituelle.

Pin’has s’engagea dans l’action, une approche physique.

Et c’est pour cette raison que la récompense de Pin’has pouvait être transmise et portée par toutes les générations, ce qui n’est pas le cas de Moché.

En effet, l’approche de Moché, étant essentiellement concernée par l’aspect spirituel, n’affectait pas la matérialité. Son service n’avait donc pas la même permanence que celui de Pin’has car s’il est vrai qu’il touchait à la spiritualité, il ne transformait complètement pas la matérialité. Cela ne pouvait donc se propager et se maintenir au fil des générations.

Mais Pin’has, dont le service transforma et imprégna non seulement le domaine spirituel du monde mais également son aspect matériel, pouvait exercer une influence au caractère permanent, pour toutes les générations.

Et c’est là la leçon personnelle que nous pouvons tirer de la Paracha Pin’has : nous ne devons pas seulement nous consacrer au spirituel, dans notre pratique du Judaïsme, par la prière et l’étude, etc. Quand il s’agit de nos occupations profanes, du domaine professionnel, par exemple, il nous faut imprégner chacune de nos actions quotidiennes de sainteté.

Et à un niveau plus profond, il ne s’agit pas seulement d’apporter plus de sainteté dans notre vie personnelle mais également de tenter d’atteindre toutes les couches de la société où se trouvent des Juifs éloignés de la Torah et des Mitsvot et d’aller à leur rencontre pour leur faire découvrir leur héritage de la Torah, comme le disent nos Sages dans les Pirké Avot, « les Maximes de nos Pères » : « soyez parmi les élèves d’Aharon, aimez toutes les créatures de D.ieu et rapprochez-les de la Torah ».

Le Coin de la Halacha

 En quoi consiste l’obligation d’aimer son prochain comme soi-même ?

L’obligation d’aimer son prochain s’applique à chaque Juif, même celui qu’on n’a jamais vu. On doit mettre en avant les points positifs de chacun, veiller à ses biens et son honneur comme aux siens propres. « Ce qu’il désire, je dois le désirer pour lui et tout ce que je désire pour moi, je le désire pour lui ».

Cette Mitsva (commandement divin) est la base de nombreuses autres Mitsvot comme l’interdiction de voler, de nuire, de se moquer… et elle est la seule garantie d’une vie sociale harmonieuse. Ainsi, on rendra visite aux malades, on ira consoler les endeuillés, on veillera à ce que les jeunes mariés ne manquent de rien, on accueillera des invités…

Cette façon d’aimer son prochain est la marque distinctive du peuple juif qui est capable d’aider l’autre sans motif ultérieur.

Quiconque déteste un autre Juif transgresse une interdiction de la Torah, quels que soient les torts dont celui-ci ait pu se rendre coupable. Il est aussi interdit de se venger et de garder une rancune pour ses actions. Il vaut mieux choisir le moment opportun pour arranger la situation qui est souvent due à un malentendu. Bien évidemment, on évitera à tout prix d’adresser des reproches en public.

Il est recommandé d’aimer particulièrement les érudits et leurs disciples ainsi que les convertis qu’on aidera à s’adapter à leur nouveau style de vie et qu’on accueillera dans la communauté.

Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi (auteur du Tanya et du Choul’hane Arou’h Harav) recommandait de déclarer chaque matin avant la prière : « Je prends sur moi l’obligation de respecter le commandement : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Ce préalable permet de dévoiler le grand amour de D.ieu pour chaque Juif au point qu’Il désirera envoyer la délivrance finale et complète avec la venue de notre juste Machia’h.

(d’après Hamitsvaïm Kehala’ha)

Le Recit de la Semaine

 Mais si !

« Le » match de foot du siècle devait se dérouler à Jérusalem entre l’équipe d’Argentine et celle d’Israël. Des milliers de supporters avaient acheté en vingt minutes seulement la totalité des billets pour avoir le droit d’assister à la compétition. Le rêve était à portée de main, la star Messi devait fouler le gazon israélien avant de participer au Mondial en Russie. Ceci devait aussi apporter une grande satisfaction à Rav Aharon Dov Halperin, un Chalia’h (émissaire) du Rabbi dévoué entièrement à sa tâche, c’est-à-dire répandre le message de la Torah et encourager les Juifs de tous horizons à accomplir les Mitsvot. Comment ?

Chaque semaine, il rend visite aux employés de l’autoroute 6 pour les aider à mettre les Téfilines et leur donner des cours de ‘Hassidout. Cela fait des années qu’il essaie en vain de mettre les Téfilines à l’un des principaux directeurs de cette entreprise mais celui-ci refuse obstinément. Remarquez, il ne l’empêche pas de donner ce mérite à tous ses employés. Rien ne peut expliquer sa détermination. Le fait est que Rav Halperin est déterminé lui aussi et persiste, à chaque fois, à lui proposer d’accomplir au moins une fois cette importante Mitsva.

Mais, la semaine du match, quand Rav Halperin se présenta comme à son habitude, ce directeur le devança et lui proposa un deal : « Je suis prêt à mettre les Téfilines. Mais tu sais que je suis originaire d’Argentine et, malgré tous mes efforts et mon carnet d’adresses bien rempli, je n’ai pas réussi à obtenir un billet ! J’ai remué ciel et terre pour assister à ce match méga-historique. Si toi, tu parviens grâce à tes relations avec Celui qui est au Ciel et ceux qui sont sur cette terre, à me procurer un billet, je te promets que je mettrai les Téfilines - pour la première fois de ma vie ! ».

Difficile de décrire l’effet de ces paroles sur Rav Halperin. Il avait déjà dû affronter nombre de difficultés dans sa vie mais celle-là ? Ce n’était vraiment pas son domaine de prédilection et il avait à peine entendu parler de cet événement planétaire. Mais il était un ‘Hassid déterminé à faire venir Machia’h le plus rapidement possible – et qui sait ? Peut-être une paire de Téfilines ferait pencher la balance et accélérerait certainement la venue du Messie à défaut de celle de Messi… Il était crucial pour Rav Halperin, comme d’ailleurs pour le peuple juif tout entier, que cet homme d’affaires, super occupé, responsable d’une importante entreprise cotée en bourse et dont dépendaient des milliers d’employés, accomplisse enfin la Mitsva.

D’une manière ou d’une autre, Rav Halperin parvint après d’innombrables coups de téléphone entre autres à Rav Chnéour Deutsch et son beau-frère Rav Chalom Lapidus – à obtenir le précieux billet. Imaginez sa joie et celle de son interlocuteur quand il téléphona pour annoncer qu’il avait réussi ! « Tu as rempli ta part de l’affaire, je m’engage à remplir ma part ! » l’assura le directeur argentin. « Je t’attends demain matin à mon bureau ! ». Lui-même n’en revenait pas : comment un ‘Hassid, si peu intéressé par le sport, avait-il réussi là où lui-même, avec toutes ses relations haut placées, n’avait rien obtenu ? Quant à Rav Halperin, il était surtout heureux pour cette promesse tant attendue : enfin un Juif qui n’avait jamais de sa vie mis les Téfilines allait accepter d’accomplir la Mitsva !

C’est justement ce soir-là que le pays d’Israël tout entier apprit la terrible nouvelle : le match était annulé, le joueur Lionel Messi ne viendrait pas en Israël jouer et se recueillir devant le Kotel, le Mur Occidental comme il l’avait pourtant annoncé ! La déception de tous les supporters était immense mais qui peut décrire celle de Rav Halperin ? Tous ses efforts pour rien ? Quelle valeur avait maintenant ce billet ?

Le lendemain matin, Rav Halperin se présenta néanmoins devant le bureau du directeur, bien qu’il fût convaincu que cela ne servirait à rien. Mais, comme dans toute histoire ‘hassidique qui se respecte, la surprise continuait : l’homme l’attendait, le sourire aux lèvres ! « Tu pensais que j’allais certainement profiter de cette annulation pour annuler ma promesse ? Il n’en est rien ! Tu as accompli ta part du deal, j’accomplirai la mienne ! Tu n’es en rien responsable de l’annulation du match ! ».

Des témoins dignes de foi racontent qu’on entendit le soupir de soulagement de Rav Halperin jusqu’au bout de la rue !

Le match historique n’eut pas lieu mais la mise de Téfilines historique eut lieu !

Le Chabbat suivant, alors que Rav Halperin participait au Kiddouch dans la synagogue Tsema’h Tsédek de Jérusalem, il raconta sa réussite personnelle. Il se trouvait justement sur place un homme d’affaires argentin ! Et voici ce que celui-ci raconta : « Sachez que cette semaine, j’ai perdu beaucoup d’argent ! Et, à mon échelle, beaucoup, c’est vraiment une très grosse somme ! J’ai perdu du temps, de l’argent, de l’énergie pour organiser ce match du siècle qui aurait dû sceller l’amitié entre les peuples. Malheureusement, comme vous le savez, nos ennemis ont agi avec fourberie et ont même proféré des menaces de mort pour faire annuler ce match. J’ai œuvré de toutes mes forces et j’ai contacté les plus hautes autorités politiques, économiques et diplomatiques pour que ce match ait tout de même lieu. En vain. Mais comme je suis heureux que, malgré tout, quelque chose de positif soit sorti de cette aventure : un Juif qui ne l’avait jamais fait a accepté de mettre les Téfilines ! Non, mes efforts n’étaient pas vains puisque maintenant j’apprends ce qui s’est passé en coulisses ! J’ai entendu la véritable histoire de la bouche de Rav Halperin !

Nous n’avons pas mérité de voir Messi à Jérusalem mais un Juif, quelque part au nord d’Israël, a mis les Téfilines pour la première fois de sa vie et certainement, cela activera la venue du véritable Messie ! ».

Menachem Cohen – Kfar Chabad

Traduit par Feiga Lubecki