Semaine 28

  • Pin’has
Editorial
Un temps pour construire

«Entre les limites» : c’est le nom que nos Sages ont donné à cette période de trois semaines qui s’étend entre le 17 Tamouz et le 9 Av. Nous y entrons cette semaine et elle marque les épisodes les plus dramatiques de l’histoire juive. Ne s’agit-il pas ici de dates, soulignée chacune par un jeûne, qui décrivent la destruction du Temple de Jérusalem et le début de notre exil ? De fait, le judaïsme qui sait l’importance de la ritualisation, a donné à ce temps de l’année une connotation de retenue, de tristesse qui en fait, sans doute, un moment moins aisé à vivre. Pourtant, il existe deux façons de considérer de tels événements. On peut n’en retenir que la tristesse décrite mais on peut y lire aussi les ferments de l’espoir. On peut y voir uniquement la fin d’un monde mais on peut aussi y préparer l’émergence d’un nouveau temps. Au-delà du jeûne et des prescriptions incontournables de la loi juive, c’est là que se trouve l’enjeu. Le temps que nous commémorons est celui de la destruction, ne nous appartient-il pas d’en faire celui de la reconstruction ?
Certes, le défi semble immense. Comment pourrions-nous avec nos faibles moyens, inverser un processus historique dont les Sages n’ont pas manqué de relever les raisons spirituelles ? Il existe, pour cela, une arme particulière. Elle est, à la fois, ancienne et nouvelle et porte le beau nom d’étude. Ainsi D.ieu annonce-t-il dans le Talmud qu’il considérera celui qui étudie les lois relatives au Temple de Jérusalem comme s’il l’avait construit. Comment mieux dire que cette édification a un sens et une portée d’abord spirituels? Comment mieux dire que, dans ce cadre, elle peut être entreprise dès aujourd’hui?
Les textes existent, y compris traduits en français. Ils s’appellent : "Lois de la Maison d’Election" dans le Michné Torah de Maïmonide, Michna «Midot», prophétie d’Ezéchiel qui décrit le Temple de Jérusalem que le Messie construira… Ils sont tous à notre portée. Peut-être finalement est-ce là une des manières de voir le monde: ne pas le limiter à la tristesse et au regret du passé mais voir l’avenir qui se lève, celui de la liberté et de la paix retrouvées, celui, enfin, des temps messianiques. Et si tout cela commençait, justement, par l’étude ?
Etincelles de Machiah
Le prophète Elie

Le prophète Malachie annonce (3: 22) : “Je vous enverrai le prophète Elie avant que vienne le grand et terrible jour de D.ieu”. En d’autres termes, c’est Elie qui sera chargé de faire savoir que Machia’h arrive. Quel est donc le rapport particulier entre lui et cet événement ?
Il nous est rapporté que le prophète Elie raffina son corps à tel point que, lorsqu’il quitta ce monde, son corps s’éleva également dans le ciel dans une colonne de feu. Un tel état de spiritualisation parfaite est précisément caractéristique de la Délivrance car, en ce nouveau temps, l’aspect physique de l’homme aura atteint ce même degré de parachèvement. Aussi “toute chair verra que la bouche de D.ieu a parlé” (Isaïe 40 : 5). C’est cela qu’incarne, d’ores et déjà, le prophète Elie.

(d’après Likouteï Si’hot, vol. II, p. 160) H.N.
Vivre avec la Paracha
Pin’has : Toucher le cœur

La prêtrise peut-elle être une récompense ?
La lecture de la Paracha de cette semaine commence par ces mots : «Pin‘has, le fils d’Elazar… a détourné ma colère contre les Enfants d’Israël en défendant avec zèle Ma cause parmi eux… C’est pourquoi …Je lui ai attribué une alliance de paix. Lui et ses descendants possèderont une alliance éternelle de prêtrise, parce qu’il a agi avec zèle pour son D.ieu.»

Une question se soulève : Pin’ has exécuta Zimri, comme cela est décrit à la conclusion de la Paracha de la semaine dernière, ce qui nécessitait du courage et un esprit de sacrifice de soi. Il est sûr que cet acte méritait des louanges et une récompense. Néanmoins, il est curieux d’observer que Pin‘has reçut «une alliance de prêtrise éternelle», statut qui dépend de réalisations spirituelles.
Comme le commente Rachi, tout comme l’on ne peut changer le matin en soir, on ne peut altérer la définition de la prêtrise. Puisque Pin’has n’était pas auparavant Cohen, comment sa conduite, quelque vertueuse qu’elle ait été, put-elle lui gagner cette distinction ?

Un service sans limites suscite une réponse sans limites
La résolution de cette problématique s’appuie sur la compréhension de la qualité pour laquelle la Torah loue Pin’has : le zèle. Pourquoi la Torah décrit-elle Pin’has en utilisant ce substantif ? Tout d’abord, il risqua sa vie. Bien que Zimri fût appuyé par sa tribu entière et qu’ils auraient pu aisément tuer Pin’has, ce dernier ne considéra pas le danger que lui-même courait. Ce qui le préoccupait était le danger spirituel qui menaçait le Peuple Juif et il était donc prêt à risquer sa vie pour éliminer cette menace.
Il y avait, d’autre part, une dimension plus profonde à l’engagement de Pin’has. Nos Sages relatent que lorsqu’un homme juif cohabite avec une femme non-juive, «les zélés ont [le droit de] l’attaquer». Cependant, «bien que ce soit une loi, son application n’est pas ordonnée». Cela signifie que si un homme en venait à demander à une cour de justice juive s’il devait tuer un homme coupable d’un tel acte, la cour lui répondrait de ne pas le faire.
Ainsi, non seulement Pin’has risqua-t-il sa vie, mais il le fit alors que rien ne l’y obligeait. S’il avait laissé les choses passer, personne ne l’en aurait critiqué. Au contraire, il lui fallait prendre l’initiative de lui-même et soulever ainsi les critiques. Nos Sages enseignent qu’il agit à l’encontre des désirs des Sages et que si cela ne lui avait pas valu la louange de D.ieu, il aurait été condamné à être mis en quarantaine.
Qu’est-ce donc qui le motiva ? Il voulut «détourner la colère [de D.ieu] des Enfants d’Israël». Il avait compris ce qui devait être fait dans ce but et était prêt à prendre tous les risques que cela supposait.
C’est là le véritable zèle : mettre son propre bien-être, à la fois spirituel et matériel, de côté et s’impliquer de façon illimitée pour accomplir la volonté de D.ieu. Quand un homme prend un engagement sincère de cette nature, l’étincelle divine que possède chacun d’entre nous trouve son expression.
De la même façon, une telle approche suscite une réponse illimitée de D.ieu. Car lorsqu’un individu va au-delà de ses limites naturelles dans son service divin, D.ieu lui accorde des récompenses qui ne se confinent pas à la nature. C’est donc pour cette raison que Pin’has put recevoir le statut de Cohen.

Tempérer le zèle avec de l’amour
Nos Sages identifient Pin’has au prophète Eliahou. Le service divin d’Eliahou se caractérisait également par le zèle, comme il est écrit : «J’ai été très zélé pour l’amour de D.ieu, le Seigneur des Hôtes». Cependant, par cette déclaration, Eliahou opposait sa propre conduite à celle du peuple Juif en général, qu’il critiquait pour avoir «abandonné l’alliance [de D.ieu]».
D.ieu enseigna à Eliahou que son zèle doit être tempéré avec Ahavat Israël, l’amour pour chacun des membres de notre peuple, et qu’il devait chercher les qualités du peuple. Ces traits devinrent une telle partie intégrante de la mission personnelle d’Eliahou que lorsque le prophète Malakhi décrit le retour d’Eliahou pour annoncer la venue de la Rédemption, il déclare qu’Eliahou «tournera le cœur des pères vers les enfants et le cœur des enfants vers les pères». Et quand le Rambam trace sa mission, il écrit : «il viendra uniquement pour établir la paix». Pour mettre l’accent sur cette direction, dès le début, D.ieu dit à Pin’has qu’en récompense de son zèle, il lui était donné «une alliance de paix».

Prendre l’initiative
Ces deux élans de zèle sont fondamentaux aujourd’hui. Beaucoup de membres de notre peuple vivent étrangers à leurs racines juives et pourtant l’avenir de notre peuple dépend d’un engagement zélé à maintenir notre héritage. Car c’est la conviction intime, qui jaillit de l’étincelle divine que nous possédons tous, qui agit sur les autres. Les arguments intellectuels ne peuvent pénétrer le cœur d’autrui. Un cœur s’ouvrant à un cœur (c’est là un engagement zélé), pénétré de chaleur et d’amour touchera et permettra à nos semblables de découvrir en eux-mêmes leur propre étincelle juive.
Il existe encore une dimension plus profonde au zèle de Pin’has. Il n’était pas le dirigeant du Peuple Juif. Moché, Eléazar et les Anciens occupaient des postes hiérarchiques plus importants. Et pourtant, quand le besoin s’en fit sentir, Pin’has n’attendit pas les ordres de ses supérieurs mais prit tout seul l’initiative.
La même chose s’applique en ce qui concerne chacun d’entre nous, aujourd’hui, car nous avons tous une contribution à offrir et devons prendre l’initiative d’apporter le bien et la paix.
Ces efforts hâteront la venue d’une ère où Eliahou identifié avec Pin’has reviendra. Et alors «la voix du héraut annoncera de bonnes nouvelles» : la venue de Machia’h et la Rédemption de tout notre peuple et de toute l’humanité.
Le Coin de la Halacha
Comment éviter d’être impliqué dans les disputes ?

«Grande est la paix car D.ieu n’a pas trouvé d’autre réceptacle pour ses bénédictions que la paix» (fin de la Michna). La paix - que ce soit entre les états, entre les familles, à l’intérieur d’un couple ou en soi-même – est ce qui permet à la bénédiction divine de résider sur terre.
Il ne suffit pas d’être soi-même en paix avec les autres ; il faut aussi promouvoir activement la paix autour de soi : il convient parfois de faire un compromis sur un «Minhag» (tradition) plutôt que de causer une dispute et ainsi de contredire toute la Torah !
Le Roch, le grand commentateur talmudique, conseillait : «Ne restez pas fâché avec votre prochain même pour un jour. Humiliez-vous devant lui si nécessaire et soyez le premier à demander pardon» (Or’hot Haïm 62).
Le second Temple fut détruit à cause de la haine gratuite : l’exil qui en résulta et qui se prolonge jusqu’à nos jours est le plus long exil du peuple juif car il est très difficile d’admettre avoir commis cette faute et de la réparer.
1) Recherchez toujours des amis qui vous aiment ; ne minimisez pas le danger posé par même un seul ennemi (Roch - Or’hot Haïm 90).
2) Ne vous mettez pas en colère pour des sujets futiles : vous risquez d’accumuler des ennemis sans aucune raison (ibid 107).
3) Ne refusez pas d’accéder aux demandes des gens qui vous entourent ; annulez votre volonté devant celle des autres (ibid 119).
4) Evitez à tout prix de vous mettre en colère. Supportez les critiques et ne les renvoyez pas. Pardonnez à celui qui vous a fait du mal.
5) Se mettre en colère équivaut à servir les idoles. Quiconque contient sa colère est pardonné de tous ses péchés (Rabbi Yitshak Aboav – Menorat Hamaor).
6) Ne vous querellez jamais sans raison, surtout si l’autre ne vous a causé aucun préjudice (Proverbes 3. 30).
7) Une réponse gentille désarme la colère : tout dépend parfois du ton de la voix.
8) Ne vous mêlez pas des querelles des autres !
«Et que tes enfants et petits-enfants voient la paix sur le peuple juif» !

F. L. (d’après Rav Arié Citron – www.chabad.org)
De Recit de la Semaine
L’enfant d’Odessa

Je suis née à Odessa, en Ukraine, quand celle-ci faisait encore partie de l’Union Soviétique. Ainsi loin que je puisse me souvenir, j’ai toujours su que j’étais juive. Et qu’être juif signifiait être différent. En classe, pratiquement chaque jour, mes camarades me rappelaient que j’étais juive. J’en pleurais de rage mais le plus pénible était que je ne trouvais aucune raison pour expliquer qu’il était si dégradant d’être juif. Dans ma famille, on ne me donnait qu’une réponse : tout le monde nous déteste parce que nous sommes juifs, un point c’est tout.
Il y avait peu d’observance religieuse dans notre maison. Mes grands-parents parlaient yiddish à la maison. Une fois par an, ma grand-mère m’emmenait avec elle dans une vieille synagogue d’une autre ville pour acheter de la Matsa. Nous rapportions ces Matsot enveloppées dans une grande taie d’oreiller blanche et nous les mangions avec de la soupe de poulet. Quand je lui demandai la raison de ce rite, elle répondait : «Je n’en sais rien ! Ne pose pas de question ! C’est ce que les Juifs font une fois par an !»
Le concept de D.ieu, curieusement, m’a toujours été très proche même si c’était un peu gênant. Quand j’étais enfant, tous les soirs avant de m’endormir, je parlais à D.ieu. Mais je ne savais pas s’il était correct de croire en D.ieu.
La première fois que je suis entrée dans une synagogue, c’était à Roch Hachana, quand j’avais dix-huit ans. Ce fut une expérience très émouvante pour moi. Je vis des gens embrasser la Torah. J’étais si heureuse de réaliser que d’autres Juifs croyaient en D.ieu. Je n’étais plus du tout gênée.
En 1999, ma famille émigra à San Francisco. Nous n’y avions ni amis, ni famille, ni argent. Nous ne parlions pas l’anglais. Comme la plupart des nouveaux immigrants, nous devions nous adapter aux règles de la sécurité sociale et des allocations ; il fallait apprendre la langue et les usages.
Trois mois après notre arrivée aux Etats-Unis, il m’arriva quelque chose que je n’oublierai jamais. Je marchais dans la rue, un après-midi et je ressentis soudain un vide dans mon cœur, une envie urgente de parler à D.ieu. Je ne savais que faire ; je m’arrêtai et dis : «D.ieu ! J’ai vraiment besoin de Te parler !» Je repris ma marche et j’arrivai devant une grande et belle synagogue. Je n’en croyais pas mes yeux ! Je toquai à la porte et un vieil homme m’ouvrit la porte. Il me demanda ce que je voulais et, dans mon anglais de débutante, je me débrouillai pour lui expliquer que j’avais vraiment besoin de parler à D.ieu.
Il me dit que c’était trop tard, qu’il n’y avait plus d’office ce jour-là. Je répliquai que je n’avais pas besoin d’office, que je voulais juste parler à D.ieu. Il me laissa entrer pour dix minutes. La grande synagogue était vide. J’entrai, je m’assis en face de l’Arche Sainte et épanchai mon cœur, avec des prières très personnelles et ressenties.
Alors que je m’apprêtai à repartir, je rencontrai un rabbin russophone dans le couloir. Il me posa des questions et m’invita pour Chabbat. J’appris plus tard que lui et sa famille étaient Loubavitch.
Avant que je ne parte, il me donna une boîte de Tsedaka (charité). Je n’en avais jamais vue auparavant. Il m’expliqua que c’était un objet spécial : «Si vous y glissez un cent chaque jour, cela peut aider de nombreuses manières. Quand vous y mettez une pièce, D.ieu vous entend comme si vous étiez en train de prier devant le Kotel, le mur Occidental à Jérusalem !»
Je pris la boîte et constatai bien vite qu’effectivement «ça aide !» Je sortis indemne d’un accident, bien que la voiture fût très abîmée. Ma voiture était trop vieille pour que l’assurance acceptât de me rembourser les réparations. Mais en Californie, vous ne pouvez pratiquement pas vivre sans voiture. J’étais désespérée : pas de voiture, pas de travail donc pas d’argent. Je me tournai vers la boîte de Tsedaka, y glissai quelque pièces et priai : «Mon D.ieu ! Qui va réparer ma voiture ? Je ne peux pas vivre sans !»
Cinq minutes plus tard, un ami me téléphona et dans les dix minutes qui suivirent, il se débrouilla pour qu’un de ses amis réparât ma voiture gratuitement !
C’est ainsi que j’entamai mon périple de Torah, un commencement qui n’en finit pas.
Bien des événements m’arrivèrent par la suite qui me firent ressentir que D.ieu m’écoutait et me disait que c’était le bon chemin.
Finalement je passai mon premier Chabbat dans la maison de ce rabbin russophone. Cette fois il m’expliqua que les bougies de Chabbat étaient elles aussi très spéciales. Elles peuvent aider pour le Chalom Bayit (la paix dans le couple), la santé et bien d’autres sujets. De plus, ajouta-t-il, cela ne dure que deux minutes : il suffit de faire trois cercles autour avec les mains, de couvrir ses yeux et de réciter une bénédiction de quinze mots.
Il m’en parla avec tant d’enthousiasme que j’en vins à compter les jours jusqu’au vendredi suivant ! Enfin le moment tant attendu arriva et là – je fus désemparée : la bénédiction devait être prononcée tandis que les mains recouvraient les yeux. Or je ne la connaissais pas par cœur ! Devais-je attendre la semaine suivante et essayer d’apprendre la bénédiction par cœur entre temps ? On devais-je allumer et réciter la bénédiction sans me couvrir les yeux ?
Je décidai d’un compromis : je demandai à D.ieu une permission spéciale : je couvrirais un œil et garderais l’autre ouvert pour lire le texte de la bénédiction…
Je ne suis pas devenue pratiquante du jour au lendemain mais les bougies m’ont amenée plus près de D.ieu, de la Torah et de ses commandements.
Il y a plus d’un an, je me suis installée à Crown Heights, dans Brooklyn, avec mes deux merveilleux enfants. Je suis heureuse de savoir qu’eux auront la chance d’avoir l’éducation juive que je n’ai pas eue. Ils ne sont pas gênés d’être juifs, pas comme leur mère il y a si longtemps.
Et maintenant je reconnais avoir une relation proche et pure avec D.ieu, exactement comme lorsque j’étais une enfant parlant avec D.ieu juste avant de m’endormir à Odessa.

Sheina Malka Krenkel – Le’haïm n°1076
traduite par Feiga Lubecki
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