Samedi, 27 juillet 2024

  • Pin’has
Editorial

 Sur la brèche !

Cette semaine, le jeûne du 17 Tamouz ouvre la douloureuse période des trois semaines qui se conclura par le 9 Av. Il n’est guère utile de souligner toute la gravité, le poids aussi, des événements qui marquèrent ce jour : de la première brèche dans la muraille de Jérusalem à la destruction du Temple. C’est du début du trop long exil du peuple juif qu’il s’agit, avec son cours plus souvent tumultueux que paisible, plus souvent chargé de drames que de bonheurs tranquilles.

La première brèche dans la muraille de Jérusalem… Ce fut le signe annonciateur de la chute prochaine. Mais un tel jour n’a pas uniquement une signification historique. Certes, la commémoration est de toute première importance. Certes, si le peuple juif a su rester fidèle à lui-même et refuser l’oubli, c’est aussi parce que des cérémonies, des rites ont encadré la nécessaire transmission. Quel peuple sans passé pourrait avoir un avenir qui fasse sens ? Pourtant, le 17 Tamouz va bien au-delà de ces notions.

Nous vivons aujourd’hui dans un monde ouvert. « Les murailles sont tombées » dit-on souvent, en référence tant aux avancées technologiques qu’aux bouleversements sociaux. C’est évidemment là une évolution que chacun a lieu d’approuver : la liberté de croire, de penser, de parler en ont été les traductions concrètes. Le peuple juif, éternelle minorité, ressent, peut-être plus fortement que d’autres, le bonheur d’un tel privilège. Pourtant, la muraille était aussi protectrice, au sens matériel mais aussi aux sens moral, culturel et spirituel. Elle préservait cet espace où la différence pouvait s’exprimer. La détruire, c’était entreprendre d’éteindre la diversité. Y faire une brèche était le début du processus. Il fallait que l’envahisseur efface ce qui s’opposait à lui, qu’il détruise l’obstacle qui se dressait devant sa volonté d’étendre son empire au monde tout entier.

Il n’est évidemment pas question d’élever de nouveaux murs ou de nouvelles barrières entre les hommes. Ne faut-il pas cependant veiller à ce que l’allégresse de la liberté ne dissimule pas l’uniformisation des modes de vie et de pensée, cette massification qui n’est qu’une autre manière de dire la dictature du puissant et l’oubli de sa conscience propre ? Certaines voix qui aujourd’hui s’élèvent pour reprocher aux Juifs d’être différents ne sont que l’écho de ces menaces anciennes. Décidément, cette première brèche dans la muraille résonne d’accents bien contemporains tant il est vrai qu’on ne peut être un membre à part entière de la grande famille des hommes que lorsque c’est son âme et son identité éternelles et inchangées qu’on y apporte.

Etincelles de Machiah

 Le prophète Elie

Annonçant la venue de Machia’h, Malachie (3 : 23) prophétise : « Voici que je vous envoie le prophète Elie avant la venue du grand et terrible jour de D.ieu ». Ce verset souligne l’implication particulière d’Elie dans l’avènement des temps messianiques. C’est justement ce qui demande à être mieux compris : pourquoi ce rapport spécifique entre lui et le nouveau temps ?

Elie, est-il enseigné, a tant spiritualisé son corps que, lorsqu’il quitta ce monde, son enveloppe physique s’éleva avec lui. Ce caractère est celui qui apparaîtra au temps de la Délivrance. Alors, le corps de chaque être humain est si raffiné que (Isaïe 40 : 5) « toute chair verra que c’est la bouche de D.ieu qui a parlé ».

(d’après Likoutei Si’hot, vol. II, p. 610)

Vivre avec la Paracha

 Pin’has

Le petit-fils d’Aharon, Pin’has, est récompensé de son acte zélé qui l’a fait tuer le prince Zimri, de la tribu de Chimon, et la princesse de Midian avec laquelle il avait gravement fauté. D.ieu lui accorde une alliance de paix et la prêtrise.

Un recensement du peuple dénombre 601 730 hommes de vingt à soixante ans.

Moché reçoit les instructions concernant le partage de la terre entre les tribus et les familles d’Israël, sous forme de tirage au sort.

Les cinq filles de Tsélof’had organisent une pétition où elles demandent à Moché le droit d’hériter de la terre de leur père, mort sans laisser de fils. D.ieu accepte leur demande et l’incorpore dans les lois d’héritage.

Moché habilite Yehochoua pour lui succéder et mener le peuple vers la Terre d’Israël.

La Paracha se conclut avec une liste détaillée des offrandes quotidiennes et des offrandes additionnelles apportées le Chabbat, Roch ‘Hodèch (le premier jour du mois) et lors des fêtes de Pessa’h, Chavouot, Roch Hachana, Yom Kippour, Soukot et Chemini Atsérèt.

 

Le nom de la Paracha

Quel est le rapport entre Pin’has, qui vengea avec zèle son D.ieu et interrompit ainsi une plaie résultant de la colère de D.ieu, et tous les autres concepts évoqués dans la Paracha Pin’has : le recensement, l’héritage de la Terre d’Israël et les sacrifices des Fêtes ? Il est évident que le nom de la Paracha devrait refléter son contenu tout entier et pas simplement son commencement.

En outre, quel est le lien entre la Paracha Pin’has et l’époque de l’année où elle est lue, durant, ou juste avant, la période des Trois Semaines de deuil pour la destruction du Temple ?

Nos Sages enseignent que Pin’has possédait l’âme d’Eliahou, le prophète qui annonce la véritable et complète Rédemption (Yalkout Chimoni, Pin’has). Il n’est donc pas étonnant que, par sa juste indignation et sa vengeance passionnée, Pin’has réussit à opérer, en son temps, une transformation quasi messianique du Peuple juif, qui passa d’une situation de dépravation spirituelle (le culte idolâtre de Baal Péor) et d’une situation d’urgence nationale (la plaie) à celle de la satisfaction Divine.

Cette satisfaction Divine se manifesta dans diverses expressions : le recensement, manifestation de l’affection de D.ieu pour le Peuple juif, « Parce qu’ils Lui sont précieux, Il les compte tout le temps » (Rachi Bamidbar 1 :1), l’héritage éternel de la Terre d’Israël par le biais d’un tirage au sort guidé par l’inspiration Divine et enfin les sacrifices quotidiens, ceux du Chabbat et des Fêtes qui sont associés à la joie et la célébration.

Ainsi, le thème de notre Paracha est-il la transformation du Peuple juif d’une dépravation spirituelle à la vertu.

Il y a donc bien une coïncidence au fait que la Paracha Pin’has soit toujours lue au début des Trois Semaines car cette lecture nous donne la force de transformer ces sombres trois semaines de l’Histoire juive en « jours de célébration et de réjouissance », avec la Rédemption véritable et complète (Rambam : fin des Lois des Jours de Jeûnes).

Pratiquement parlant, Pin’has a donné un exemple pour chacun d’entre nous, nous indiquant la voie pour faire surgir cette transformation. En termes clairs, chaque fois qu’il est possible de renforcer le statut moral ou spirituel d’autrui, nous ne devons pas nous tenir à l’écart en nous disant : « Il existe probablement des personnes plus expertes que moi pour s’atteler à cette tâche ! » Mais au contraire, tout comme Pin’has, nous devons, sans aucune hésitation, relever ce défi.

Et tout comme Il accorda à Pin’has l’âme d’Eliahou pour accomplir sa mission, D.ieu imprégnera chacun d’entre nous de l’esprit nécessaire pour transformer notre exil présent en Rédemption. Notre travail consiste néanmoins à galvaniser cet esprit en action.

Les motivations d’une critique

Les tribus semblaient posséder des preuves convaincantes que la motivation de Pin’has n’était pas pure, dans son acte de vengeance. Mais elles étaient dans l’erreur. Cela nous enseigne une leçon extrêmement puissante : chaque fois que nous sommes tentés de trouver une faute dans les bonnes actions de l’autre et de questionner ses motivations profondes, il faut savoir que l’on ne peut jamais connaître les véritables intentions d’autrui. Du moment que les agissements de la personne sont dans le bien, elle ne doit être rabaissée ni tournée en ridicule, quand bien même l’on a une « solide » preuve de son manque de sincérité. Et, en tout état de cause, même si elle avait réellement des motivations autres, il nous est enseigné que nous devons toujours étudier la Torah et pratiquer les Mitsvot, même pour les mauvaises raisons, car finalement viendra un temps où on le fera pour les bonnes raisons (Pessa’him 50 b).

Une question plus profonde peut se soulever ici : d’où vient le désir de trouver un défaut chez ceux qui commettent le bien ? Dans notre cas, les tribus semblaient avoir de saintes motivations. Elles étaient concernées par le fait que Pin’has ait pu bafouer l’honneur de Moché en décidant lui-même de la loi. Par le même biais, un individu peut s’imaginer qu’il ne tolère pas les mauvaises intentions d’autrui parce que lui-même est humble et trouve donc détestable l’orgueil chez l’autre.

Mais en réalité, la plupart du temps, c’est tout le contraire qui se produit. Le fait qu’une personne critique les bonnes actions d’une autre vient probablement de ce que le critique est lui-même orgueilleux et n’aime pas l’idée qu’un autre ait accompli quelque chose dont lui s’est abstenu. Bien sûr, il ne l’admettra pas, pas même à lui-même, parce que son orgueil le rend paresseux et reconnaître que l’autre a accompli quelque chose rend sa paresse à agir inconfortable. C’est pourquoi son arrogance le conduit à dénigrer les bonnes actions d’autrui, pour ne pas porter atteinte à son propre orgueil ou l’inspirer à amender ses voies, pour être meilleur, ce qui requerrait des efforts. 

En outre, même si celui qui observe une Mitsva fait preuve d’une certaine mesure d’arrogance, l’orgueil du critique n’en reste pas moins de mauvais goût. Car, en dernier ressort, la personne qui se « vante » de sa Mitsva a au moins fait preuve d’honnêteté en n’essayant pas de cacher sa fierté. Mais le critique ne peut tolérer la vérité que lui aussi est orgueilleux et fait donc preuve de malhonnêteté, cachant son orgueil sous un manteau d’humilité et de juste indignation.

La leçon est évidente : il est bien plus sage d’être un activiste qu’un critique. Car un peu d’orgueil peut rendre la critique destructive plutôt que constructive mais une bonne action reste bonne, quelle que soit l’intention.

Lettres ajoutées

Le Zohar enseigne que la lettre Youd (son : [y]) fut ajoutée au nom de Pin’has et la lettre au nom de Yossef parce que tous deux furent zélés dans le respect de l’interdiction de cohabiter avec des femmes non juives : Pin’has tua Zimri et Yossef résista aux tentatives répétées de la femme de Potifar.

Cela éclaire l’explication de Rachi sur le fait que chaque famille incluse dans le recensement était appelée par le nom paternel auquel était ajouté un au début du nom et un Youd à la fin. « Les nations se moqueraient [d’Israël] en disant : ‘Pourquoi font-ils remonter leur ascendance à leur tribu ? Pensent-ils vraiment que les Égyptiens n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient de leurs mères ?’ Ainsi D.ieu plaça Son Nom sur eux, d’un côté et Youd de l’autre, comme pour dire : ‘J’atteste que ces gens sont les fils de leurs pères’ » (Rachi). Nous observons donc que les mêmes lettres, Youd et , furent ajoutées pour montrer que le Peuple juif avait gardé sa moralité, tout comme Pin’has et Yossef.

Pourquoi cette vigilance est-elle précisément attestée par ces deux lettres ? Nos Sages relèvent que les mots hébreux pour « homme » (Ich) et pour femme (Ichah) ne diffèrent que par les lettres et Youd, qui forment le Nom de D.ieu. Ils remarquent à ce propos : « si un couple est méritant, la Présence Divine réside avec eux » (Sotah 17a). Nous constatons ici la source talmudique selon laquelle les lettres Youd et attestent que le Peuple de D.ieu est pur et saint.

Le Coin de la Halacha

 Le tirage au sort est-il conforme à la Torah ?

Dans la Paracha Pin’has, il est relaté qu’on procéda à un tirage au sort pour délimiter les frontières des terrains attribués à chaque tribu.

Il peut arriver qu’en cas de doute sur deux options également valables selon la Torah, des Juifs fassent appel à un « Goral » (tirage au sort) : on ouvre un livre saint (en général un ‘Houmach) et on agit selon les mots du verset que l’on trouve.

Cependant, ceci n’est valable que dans le cas où il n’y a pas de directive claire de la Torah sur la façon d’agir. Mais si on sait que, selon la Torah, on doit choisir telle ou telle option, il n’y a pas lieu de chercher des signes ou indications de ce genre et il suffit de se conformer à ces directives claires.

Le Rabbi déclara une fois (Chabbat Bamidbar 5749) qu’il n’est pas recommandé d’utiliser des livres sacrés pour des sujets du quotidien. On devrait plutôt, ajouta le Rabbi, regarder par la fenêtre et se laisser guider par le premier objet qu’on voit ou d’une façon similaire.

Il est écrit dans la Michna : « Fais pour toi un Rav » : pour tout problème sérieux, il convient de prendre conseil auprès d’un Rav ou d’un Machpia (mentor spirituel). Celui-ci, n’étant pas influencé par des considérations personnelles, saura rester objectif et donner un conseil désintéressé. Le Rabbi demanda donc de façon insistante que chacun et chacune se choisisse un Machpia (un homme pour un homme et une femme pour une femme) afin de discuter de son avancement spirituel mais aussi de ses problèmes quotidiens éventuels.

 (d’après Rav Lévi Greenberg et Mendel Jacobs – A Chassidisher Derher N° 15)

Le Recit de la Semaine

 Non, vous ne connaissez pas le Rabbi…

Je me suis rendu à New York pour la 30ème Hiloula du Rabbi. Quand je suis entré dans un magasin B&H, un des vendeurs s’est approché de moi :

- Vous êtes venu spécialement pour la Hiloula du Rabbi ?

- C’est exact.

- Vous connaissez le Rabbi ?

- Oui, je l’ai connu - si on peut s’imaginer qu’on connaît le Rabbi…

- Non, vous ne connaissez pas le Rabbi, rétorqua l’homme. D’ailleurs je vais vous raconter une histoire que vous n’avez jamais entendue et qui m’est arrivée personnellement…

En 1989, on m’a proposé d’acheter une boulangerie à Cleveland. Moi, je suis un ‘Hassid de Sadigora et, normalement, je ne m’engage pas dans ce genre d’affaires sans en référer à mon Rabbi. Mais à ce moment-là, mon Rabbi se trouvait en Suisse et je n’avais aucun moyen de le joindre (qui se souvient du temps où les portables n’existaient pas ?). J’ai décidé de poser ma question au Rabbi de Loubavitch. Avec mon épouse, je suis donc venu un dimanche matin faire la queue pendant que le Rabbi distribuait des billets d’un dollar à remettre à la Tsedaka (charité). J’ai observé ce qui se passait et j’ai compris que Rav Groner, le secrétaire, ne permettait pas aux gens de parler au Rabbi tant la queue était longue. J’ai donc décidé de formuler ma question en quelques mots rapides que j’ai réussi à prononcer quand le Rabbi nous a donné, à ma femme, à mon bébé et moi-même, à chacun un billet :

- Dois-je acheter la boulangerie à Cleveland ?

- Vous me demandez à moi ? protesta le Rabbi comme s’il était étonné. Demandez plutôt au rabbin de Cleveland !

On m’avait déjà poussé pour que je laisse la place à d’autres et nous sommes sortis, un peu déçus je l’avoue. Qui pouvait bien être le rabbin de Cleveland ? Et comment le contacter rapidement ? Et surtout, pourquoi pas une réponse directe du Rabbi ?

De Crown Heights, nous sommes partis chez mes beaux-parents qui habitent dans le quartier juif de Williamsburg pour prendre le thé.

En passant devant un arrêt d’autobus, j’ai remarqué un couple de Juifs âgés qui semblait fatigués d’attendre sous le soleil brûlant de juillet et je me suis arrêté pour leur proposer de l’aide : peut-être allais-je dans leur direction ? Ils ont accepté avec soulagement mon aide bien que nous ne nous connaissions pas : ma femme a laissé sa place devant au vieux monsieur tandis que sa femme s’asseyait à côté d’elle à l’arrière.

J’ai engagé la conversation de la façon traditionnelle :

- D’où venez-vous ?

Sa réponse me stupéfia :

- De Cleveland ! Je suis le rabbin de Cleveland !

Je n’en croyais pas mes oreilles et j’ai failli provoquer un accident. A peine une heure auparavant, le Rabbi m’avait conseillé de demander l’avis du rabbin de Cleveland ! Sans perdre une minute, j’en profitais pour lui poser la question qui me tracassait depuis quelques jours :

- Puisque vous êtes le rabbin de Cleveland, vous êtes celui à qui le Rabbi vient de m’adresser et que je me demandais comment vous trouver ! On me propose d’acheter la boulangerie X, qu’en pensez-vous ?

L’homme s’étonna de la question et je voyais qu’il hésitait… Mais sa femme à l’arrière de la voiture avait vaguement entendu. Elle me demanda de répéter la question :

- De quelle boulangerie parlez-vous ?

- X

- Non ! Surtout n’achetez pas ! Le propriétaire est un de mes proches parents et moi je sais ce qui se passe là-bas ! Le propriétaire est un homme honnête et droit. Mais il est malade et ne peut plus vraiment s’occuper de l’affaire. Les ouvriers l’ont bien remarqué et ont déjà volé une bonne partie des outils de travail ! C’est pour cela que la famille a choisi de revendre avant que tout soit saboté. N’achetez pas !

J’avais ma réponse et j’ai ainsi échappé à une grosse embrouille : en effet, le contrat incluait une clause imposant de garder le personnel dont je connaissais maintenant les magouilles et les méfaits.

Je ne pourrais jamais assez remercier le Rabbi de son étrange conseil !

J’ai entendu cette histoire de première main et le ‘Hassid de Sadigora n’a pas tari d’éloges sur la grandeur du Rabbi qui voyait depuis New York ce qui se passait bien plus loin !

Eli et Malka Touger – Sichos in English

Traduit par Feiga Lubecki