Samedi, 25 mai 2019

  • Behar
Editorial

Le choix de la lumière

Lorsque, dans un espace communément obscur, monte tout à coup un faisceau de lumière, c’est plus qu’une indication ou un point de repère qu’il donne. C’est, bien au-delà de l’espoir,  comme une porte ouverte vers la réalité d’un monde meilleur. La semaine amène Lag Baomer, le 33ème jour de cette période qui s’étend entre Pessa’h et Chavouot, que des événements historiques tragiques ont marqué de tristesse. Voici donc que se lève une journée différente, celle de la Hilloula de Rabbi Chimon Bar Yo’haï.

Etrange concept que celui de Hilloula. Il s’agit, très concrètement, de commémorer l’anniversaire du départ de ce monde de ce grand maître de la tradition juive que fut Rabbi Chimon Bar Yo’haï, l’auteur du Zohar. Pourtant, nous en faisons un jour de joie, de célébration ! C’est que ce fut la demande de Rabbi Chimon lui-même. Il affirma, alors que son âme allait le quitter, qu’il s’unissait à présent à D.ieu et que seule l’allégresse la plus authentique avait sa place en un tel moment. Depuis lors, dans toutes les communautés juives, ce jour est célébré avec grandeur.

C’est qu’il ne s’agit pas seulement de se souvenir d’un anniversaire, même important. Lag Baomer est littéralement porteur d’une puissance particulière. Ce n’est pas en vain que les sages du Talmud soulignent, parlant de Rabbi Chimon : « On peut s’appuyer sur lui en temps de difficultés. » De fait, Rabbi Chimon, qui incarne la sagesse de la Torah au sens le plus profond, est celui qui accompagne et soutient chacun même lorsque l’époque semble peu propice, tel un acteur de victoire. Et nul ne saurait mieux l’exprimer que les enfants qui, partout dans le monde, se réunissent pour l’occasion. Par leur présence, ils affirment haut et fort leur foi et leur confiance. Ils disent aussi le bonheur de la vie juive. Les chants et les mots qu’ils font retentir résonnent alors comme autant de cantiques.

Il ne fait guère de doute qu’un tel jour inspire toute la semaine. Alors que nous nous dirigeons vers la fête du Don de la Torah, cette force nouvelle nous est bien précieuse. Elle nous conduit sur des chemins assurés même au cœur d’un monde troublé. Elle nous montre que la conscience du message qui nous a été confiée est la clé de l’avenir. Nous vivons Lag Baomer et nous ne le perdrons pas, pour des retrouvailles avec nous-mêmes, avec tous les hommes, avec D.ieu.

Etincelles de Machiah

Trois choses inattendues

Le Talmud (traité Sanhédrin 97a) énonce : « Trois choses arrivent sans qu’on s’y attende: Machia’h, un objet trouvé et un scorpion ». Ce texte semble affirmer qu’il ne faut pas attendre la venue de Machia’h pourtant cette attente est un impératif posé par la Loi juive. Comment comprendre cette apparente contradiction ?

En fait, cela signifie que la venue de Machia’h doit être préparée justement pendant le temps de l’exil, cette période pendant laquelle on ne « s’attend pas » à la Délivrance, où la lumière de ce nouveau temps semble écartée.

C’est lorsqu’on illumine les lieux les plus obscurs, c’est-à-dire quand il n’y a plus d’attente, que l’obscurité est si profonde qu’elle s’oppose à la lumière de Machia’h, que celui-ci arrive.

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch, Chabbat Parchat Matot-Massé 5713)

Vivre avec la Paracha

Behar

Sur la montagne du Sinaï, D.ieu enseigne à Moché les lois de l’année chabbatique : toutes les septièmes années, tout travail de la terre doit être interrompu et ses produits rendus accessibles à tous, hommes et animaux.

Sept cycles chabbatiques sont suivis d’une cinquantième année : l’année du Jubilée au cours de laquelle tout travail de la terre cesse, tous les serviteurs liés par contrat sont libérés et tous les états ancestraux de la Terre Sainte, qui ont été vendus, reviennent à leurs propriétaires originels.

Behar contient également des lois supplémentaires concernant la vente de terres et les interdictions de fraude et d’usure.

Les mitsvot : le général et le particulier

La Paracha Behar commence par ces mots : « D.ieu parla à Moché sur le Mont Sinaï… » Elle poursuit en détaillant les lois de la Chemita, l’année chabbatique. Rachi, citant Torat Cohanim, pose la question suivante : « Quel est le rapport (particulier) de la Chemita avec le mont Sinaï ? Tous les commandements ont été donnés au Sinaï ! »

Il répond : « Tout comme les lois générales et les détails les plus infimes et spécifiques de la Chemita ont été indiqués au Sinaï, ainsi toutes (les Mitsvot) furent indiquées, d’une manière générale et dans les détails les plus infimes et spécifiques, au Sinaï. »

Ce commentaire va de pair avec l’opinion de Rabbi Akiva qui affirme : « les lois générales ainsi que les lois spécifiques furent données au Sinaï ».

Pourtant, cela va à l’encontre de l’opinion de Rabbi Yichmaël qui soutient que seuls « les principes généraux furent donnés au Sinaï » et que « les lois spécifiques étaient reliées au Tabernacle. »

Pourquoi Rabbi Akiva et Rabbi Yichmaël sont-ils en désaccord ? Quelle est la racine de ce différend ?

Rabbi Yichmaël, qui était Cohen Gadol (Grand Prêtre), servait D.ieu comme un prêtre sert D.ieu dans le Saint des Saints, c’est-à-dire avec le service d’un Tsadik parfait, un Juste complet, alors que Rabbi Akiva, qui descendait de convertis, servait D.ieu à la manière d’un Baal Techouvah, celui qui fait retour à Lui.

Cela explique pourquoi Rabbi Akiva s’exprimant sur le service du Messirout Néfèch, c’est-à-dire le don de soi, disait : « Tous mes jours, j’ai été tourmenté… quand verrai-je l’occasion (d’un véritable Messirout Néfèch) se présenter pour que je puisse l’accomplir ? »

Le service des Tsadikim est tel que le service du Messirout Néfèch n’est requis qu’au commencement de la journée, au moment de la récitation de la prière du Chema. Durant le reste de la journée, ils accomplissent leur service de la Torah et des Mitsvot, mais seulement avec un vestige de cette émotion.

Mais celui qui sert D.ieu comme un Baal Techouvah, un service qui transcende toutes les limites, se trouve dans un état de Messirout Néfèch « tous ses jours », c’est-à-dire tout au long de la journée.

C’est cette différence dans l’approche spirituelle qui poussa Rabbi Yichmaël à exprimer son désaccord quant à savoir si les détails des lois avaient été donnés au Sinaï ou dans le Tabernacle.

La différence entre le Sinaï et le Tabernacle tient au fait que ce dernier avait été construit d’une façon extrêmement organisée, avec des séparations entre ses différents constituants, avec une progression depuis la cour jusqu’au Sanctuaire et, dans le Sanctuaire lui-même, depuis le Saint jusqu’au Saint des Saints. En tant que tel, il symbolisait un service spirituel ordonné et progressif.

Le Sinaï, en revanche, était dans le désert. Ce n’était pas un lieu d’organisation et d’installation. Il représentait donc un service spirituel qui transcende l’ordre, un Messirout Néfèch transcendant.

Là se situe la racine du désaccord. Car dans le service des Tsadikim, celui de Rabbi Yichmaël, il suffit que les principes généraux soient donnés au Sinaï. Cela signifie que lorsque nous parlons des Mitsvot, dans leur statut général (c’est-à-dire dans le fondement sous-jacent à toutes les Mitsvot), nous adoptons leur qualité de Messirout Néfèch. Mais quand nous évoquons leur accomplissement, dans les détails, un service ordonné, symbolisé par le Sanctuaire, est requis.

Par contre, Rabbi Akiva, représentant le service du Baal Techouvah qui transcende une progression ordonnée, soutient qu’il est possible, voire nécessaire, de faire l’expérience du Messirout Néfèch, Sinaï, même lorsqu’il s’agit des détails particuliers des Mitsvot et même au cours de toutes nos activités.

Le Coin de la Halacha

Qu’est-ce que Lag Baomer (cette année jeudi 23 mai 2019) ?

Le 33ème jour du compte de l’Omer rappelle la Hiloula (décès) de Rabbi Chimone Bar Yo’haï qui avait demandé que cette date soit célébrée comme un jour de joie (puisqu’il y avait achevé de façon parfaite sa mission sur terre). Ce jour marque une pause dans la période de deuil instituée à cause d’une terrible épidémie qui avait frappé les disciples de Rabbi Aquiba.

- On ne récite pas les prières de Ta’hanoune (supplications), même pas la veille (mercredi après-midi 22 mai 2019).

- Nombre de gens ont la coutume de se rendre sur le tombeau de Rabbi Chimone Bar Yo’haï à Méron, près de Tibériade, en Galilée ; on y procède à la première coupe de cheveux des garçons qui ont atteint l’âge de 3 ans depuis Pessa’h.

- On organise des réunions ‘hassidiques joyeuses.

- On a la coutume de manger des caroubes, en souvenir de ces fruits dont se nourrissaient Rabbi Chimone et son fils Rabbi Eléazar quand ils se cachaient dans une grotte à cause des Romains. Certains ont aussi la coutume de manger des œufs durs dont la coquille serait devenue marron durant la cuisson.

- On donne davantage de Tsedaka (charité).

- Les enfants sortent et défilent tous ensemble fièrement dans la rue avec des drapeaux et des pancartes les encourageant à étudier la Torah et accomplir les Mitsvot : le but de la descente de l’âme dans le corps est de « marcher », d’avancer dans la vie. Ces défilés donnent chaleur et vitalité à l’étude formelle et prolongent l’enthousiasme des enfants dans leur éducation.

- Lag Baomer est un moment propice pour prier pour la naissance d’enfants et leur bonne éducation.

 (d’après Hamitsvaïm Kehala’ha)

Le Recit de la Semaine

Où est Papa ?

Lors de mon enfance à Londres, je me souviens que mon père était souvent absent. Il était très malade et très souvent hospitalisé. Ma mère devait donc travailler pour subvenir aux besoins de la famille et c’était mes grands-parents qui me gardaient. A ma question : « Où est papa ? », ma mère répondait : « Il rentrera bientôt ! ». Et quand j’insistai, elle soupirait et disait : « Je ne sais pas ! ».

Quand j’eus à peu près cinq ans, la situation changea. Au début de l’année 1958, mon père put sortir de l’hôpital et nous avons déménagé à Gateshead, au nord de l’Angleterre, une ville comptant une importante communauté juive orthodoxe. La vie reprit son cours normal et je pus aller à l’école.

Les années passèrent et mon père, âgé de près de 70 ans, développa une grave maladie ; diminué, il entra à nouveau à l’hôpital mais décéda peu de temps après. Durant la semaine des Chiva (les sept jours de deuil traditionnels), mon plus jeune frère, Sim’ha (que son souvenir soit béni) me raconta ainsi qu’à mes autres frères :

- Je ne peux pas me retenir plus longtemps. Je dois vous raconter ce qui est arrivé quand papa était hospitalisé. Je ne pouvais pas le raconter auparavant parce que la personne impliquée m’avait demandé de garder le secret.

Durant ses derniers jours, notre père reçut la visite de Rav Israël Rudzinski, avec qui il avait traversé les horreurs des camps d’extermination nazis. Ce Rav Israël était un ‘Hassid de Bobov ; c’était un tailleur et il était vraiment très lié à notre père, survivant comme lui. Ils partageaient toutes les célébrations, les joies comme les peines. Lors de ce qui devait être leur dernière conversation, mon frère les laissa parler seuls sans témoins.

Ce Rav Israël était un homme très spécial, avec un cœur d’or, toujours prêt à tout pour aider les autres. En sortant de la chambre de mon père, il remarqua que j’avais l’air très triste. Alors pour me donner le courage d’affronter l’épreuve qui allait advenir, il me raconta :

- Sais-tu que ton père a été très malade dans sa jeunesse ?

Oui, mon frère en avait entendu parler mais cela s’était produit avant sa naissance.

Quand ton père est tombé malade, reprit-il, j’ai rendu visite à ta mère et tes grands-parents. Ils venaient de recevoir une lettre de l’hôpital : les médecins annonçaient qu’il fallait opérer mais qu’il y avait un risque qu’à la suite de l’opération, mon père demeure dans un état végétatif.

Les grands-parents avaient demandé à Rav Israël son opinion mais il ne se sentait pas la force de prendre une décision, préférant laisser cette responsabilité à un chef du peuple juif. Il proposa d’écrire, à la place de la famille, aux personnalités rabbiniques marquantes de l’époque. Au total, il envoya une lettre à vingt-trois sommités, expliquant la situation et demandant s’il fallait procéder à l’opération ou non. Or, après la guerre, le peuple juif était tellement choqué par l’ampleur du désastre, il y avait tant de questions insolubles, tant de douleur que les rabbins ne savaient plus à qui répondre.

Mais il reçut néanmoins une réponse. Une sur vingt-trois.

Le seul qui répondit fut le Rabbi de Loubavitch.

Il écrivit que son cœur saignait à la lecture de tant de peine mais qu’il se sentait incapable de répondre à la question. Cependant, il mit en avant une suggestion qu’il avait entendue de son défunt beau-père, le Rabbi (précédent) : celui qui étudie ‘Hitat chaque jour connaît la délivrance.

Qu’est-ce que ‘Hitat ? C’est l’abréviation de ‘Houmach (les cinq livres de Moïse), Tehilim (les Psaumes du roi David) et Tanya (l’œuvre maîtresse de Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi, fondateur du mouvement ‘HaBaD). Le Rabbi recommandait que mon père commence à étudier chaque jour une portion de cette étude telle qu’elle avait été définie par le Rabbi précédent.

Comme le Rabbi avait été le seul à répondre, Rav Israël décida de lui téléphoner directement. Après beaucoup d’efforts (car, à cette époque, il était difficile de téléphoner à l’étranger), il contacta le secrétariat du Rabbi et indiqua que la suggestion du Rabbi n’était pas possible car mon père était bien trop faible pour étudier ‘Hitat. On lui répondit que, dans ce cas, un autre membre de la famille devait le faire à sa place.

- Mais il a perdu toute sa famille pendant la guerre ! s’exclama Rav Israël.

- Alors le Rabbi suggère qu’un ami se porte volontaire pour cela, lui répondit le secrétaire.

Bien qu’il ne fût pas Loubavitch, Rav Israël prit très au sérieux la directive du Rabbi et devint cet ami qui étudiait ‘Hitat à la place de mon père. C’est ce qu’il raconta à mon frère.

Au bout de six semaines, mon père s’était remarquablement remis et les médecins évoquèrent son éventuelle sortie de l’hôpital, ce qui se réalisa effectivement six semaines plus tard.

Mon père suivit alors le conseil de Rav Schwab de la Yechiva de Gateshead qui cita le dicton talmudique : « Celui qui change d’endroit change de Mazal, destin ». Et c’est la raison pour laquelle nous avons déménagé à Gateshead quand j’eus cinq ans.

A partir de ce moment, mon père vécut en bonne santé, put travailler et même s’impliquer activement dans les affaires communautaires, jusqu’à un âge avancé.

Lors de cette conversation, Rav Israël avait précisé quelque chose d’étonnant : « Je n’ai jamais cessé d’étudier ‘Hitat chaque jour depuis quarante ans. Et j’ai très certainement l’intention de continuer ! ».

Je transmets cette histoire parce qu’elle démontre qu’on ne peut pas savoir par quel canal spirituel nous sommes nourris.

Et cela me fait réfléchir à tout ce que le Rabbi a fait et continue de faire pour nous.

Aharon Denderowitz

Londres - JEM

Traduit par Feiga Lubecki