Semaine 20

  • Behar
Editorial
Plus qu’un songe pour un jour de printemps

Un homme est assis dans sa maison. Profondément plongé dans ses pensées, il imagine qu’il aurait pu mieux réagir, ou tout simplement mieux agir. Il se dit qu’il aurait pu avoir une vie meilleure, plus sage, plus pleine et que ses choix, parfois trop rapides, l’ont écarté du chemin qu’il avait cru avoir fermement choisi. L’homme laisse échapper un long soupir. Aucun mot ne franchit ses lèvres mais ses pensées sont si puissantes en lui qu’on les entend presque : “ Hélas, tout cela est irrémédiablement du passé ”. Mais il poursuit son rêve et il ne peut s’empêcher d’imaginer qu’il peut remonter le temps, reconstruire l’histoire, qu’à présent encore tout peut être différent. La nouvelle image qui naît dans son esprit est si vivante et si réelle que l’homme se prend à sourire. Tout recommencer, avoir une deuxième chance : quelle perspective extraordinaire…
A ce point précis du rêve, l’histoire peut prendre deux chemins différents. L’homme peut considérer que tout cela n’est que le produit de son imagination et, avec tristesse, revenir à sa condition. Mais il est également possible que tout cela soit vrai, que le héros de cette histoire comprenne que, dans la réalité du monde, tout est toujours possible et rien jamais perdu. Comme pour toute chose importante, tout est ici affaire de choix. C’est précisément le sens de Pessa’h Cheni, le deuxième Pessa’h. Il tombe, chaque année, le 14 Iyar, juste un mois après la fête de Pessa’h proprement dite. A l’époque du Temple de Jérusalem, il était justement le jour de la deuxième chance. Tous ceux qui, pour diverses raisons, n’avaient pas pu offrir le sacrifice en son temps, pouvaient le faire alors. Certes, aujourd’hui, la question ne se pose plus dans les mêmes termes. Cependant, c’est un message éternel qui nous est ainsi délivré : il est toujours possible de tout changer.
Avec Pessa'h Cheni, qui tombe cette semaine, cette idée n’est plus du domaine du rêve. Elle devient une réalité à mettre en œuvre dans notre vie quotidienne. C’est ainsi que nous pouvons passer de l’obscurité à la lumière, reconstruire ce qui demande à l’être et, enfin, parvenir à ce parachèvement de la perfection que constitue la venue de Machia’h.
Etincelles de Machiah
Se préparer au “ Chabbat ”

Le texte de la Torah (Yitro 20, 8) enseigne : “ Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier ”. Rachi, commentant ce verset, précise : “ Prêtez attention à vous souvenir constamment du jour du Chabbat : si une belle chose se présente à toi, conserve-la pour Chabbat ”.
La même idée s’applique à la venue du Machia’h que les textes comparent au Chabbat. En effet, même lorsqu’on se trouve pendant les jours profanes de l’exil, il faut se souvenir à chaque instant de la Délivrance et s’y préparer. Car elle est “ le jour qui est entièrement Chabbat et repos pour l’éternité ”.
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch – 11 Sivan 5744)
Vivre avec la Paracha
Behar
Pessa’h chéni

Quelle est la différence entre le premier Pessa’h et le second Pessa’h (Pessa’h Chéni) ? Le premier Pessa’h, il est interdit de voir ou d’avoir (en sa possession) (du levain) ; le second Pessa’h, le levain et la Matsa coexistent dans nos maisons (Talmud Pessa’him 95a).

Une Mitsva est un commandement, D.ieu instruisant l’homme de ce qu’Il désire que l’homme accomplisse ou non. L’on comprend alors que les 613 Mistvot de la Torah soient virtuellement des déclarations unilatérales de la volonté divine: l’on ne voit pas de nombreuses “propositions” de Mitsvot présentées par D.ieu ou des “négociations” entre le Législateur Suprême et Ses exécuteurs terrestres !
L’une des rares exceptions à ce schéma est la Mitsva de Pessa’h Chéni, le “second Pessa’h”. Le premier Pessa’h, comme nous le savons tous, commence la veille du 14 Nissan, la nuit où le peuple Juif fut libéré d’Egypte. Le second Pessa’h vient un mois plus tard, le 14 Iyar, et fut institué comme conséquence d’une pétition adressée par plusieurs individus qui n’avaient pas pu participer au premier Pessa’h.
Au cœur de Pessa’h se trouve le Korban Pessa’h (l’agneau pascal) qui était offert dans le Temple l’après-midi du 14 Nissan. En fait, toutes les autres observances de la fête (la consommation de la Matsa, du Maror, l’interdiction concernant le levain), ainsi que le nom lui-même de la fête sont liés à l’offrande de Pessa’h. Les lois du Korban Pessa’h stipulaient que seuls ceux qui se trouvaient en état de Taharah (pureté rituelle) pouvaient l’offrir et y prendre part. Un an après l’Exode, comme le Peuple Juif se préparait à célébrer son premier Pessa’h en dehors de l’Egypte, un groupe de Juifs s’approcha de Moché. Ils lui expliquèrent qu’ils étaient rituellement impurs parce qu’ils avaient été en contact avec un mort ; la loi leur interdisait donc d’apporter un Korban Pessa’h. Mais ils refusaient d’accepter cette situation.
“Pourquoi serions-nous privés, s’écrièrent-ils, d’observer la fête de la Rédemption, comme toute la communauté d’Israël ?” D.ieu répondit en instituant un second Pessa’h tout particulièrement pour ceux qui, quelle qu’en soit la raison, auraient été empêchés d’offrir le Korban Pessa’h en temps voulu.

Une exception et son exception
Ceux qui offraient le Korban Pessa’h le 14 Iyar suivaient la même procédure de base que ceux qui l’avaient apporté un mois plus tôt, lors du premier Pessa’h. Il y a néanmoins plusieurs différences légales et procédurales entre les deux Pessa’h, la plus importante concernant l’interdiction du levain. Le Premier Pessa’h, le levain est strictement interdit depuis la mi-journée du 14 Nissan (ce qui correspond au moment le plus matinal où l’on pouvait apporter le sacrifice) jusqu’à la conclusion de la fête. Pendant cette période, aucun levain ne peut être consommé, utilisé de quelque manière que ce soit ou même présent chez soi. Toutefois, le second Pessa’h, cette interdiction ne s’applique pas. Le Korban Pessa’h doit être consommé avec de la Matsa mais il n’existe aucune interdiction concernant le levain; selon les mots du Talmud: “le levain et la Matsa coexistent chez soi”.
Le levain est de la pâte qui a gonflé: la farine et l’eau ont été mises en contact et cela a permis la fermentation, avec pour conséquence que le mélange a gonflé et a doublé son volume. Le levain est ainsi le symbole de l’égocentrisme et de l’orgueil, une âme qui a “levé” est celle dont le ferment de l’importance de soi lui a fait perdre de vue sa véritable place dans le monde de. D ieu, et en conséquence, on ne reconnaît que son moi plein de lui-même et ses désirs bouffis.
Cela explique pourquoi l’interdiction contre le levain à Pessa’h est si sévère et sans compromis possible: dans aucune autre circonstance la Torah ne fait pas qu’interdire la consommation, le bénéfice de la plus infime quantité d’une substance et plus encore son existence – même, en notre possession. Mais l’égoïsme et l’orgueil ne sont pas de simples défauts mais la source de tout mal dans le cœur de l’homme. Chaque péché et chaque vice prennent leur origine dans l’affirmation du moi, dans le sentiment que le moi est supérieur et que ses besoins et ses désirs ont la priorité sur tout le reste. Ainsi dans les lois concernant le caractère humain, Maïmonide conseille-t-il que dans tous les traits de caractère, l’individu recherche “la démarche en or”, c’est-à-dire qu’il ne soit ni avare ni dépensier mais généreux; ni poltron ni téméraire mais courageux; ni agressif ni timide mais aimable, etc. avec une seule exception: l’orgueil. L’orgueil doit être complètement vaincu.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a rien de positif dans la stimulation de l’ego. En fait, rien dans le monde de D.ieu n’est intrinsèquement négatif car tout dérive de Lui et Il est l’essence du bien. Mais alors que nous avons été dotés de la possibilité d’exploiter de nombreux traits ostensiblement négatifs pour les transformer positivement, il existe également des forces qui sont si puissantes et dont le potentiel de corruption est si dévastateur que nous devons y renoncer, car nous ne pouvons les évincer. L’orgueil en fait partie: il nous faut le rejeter sans équivoque, car toute tentative de le positiver est vouée à l’échec.
Néanmoins, il y a des moments où le fond positif d’un phénomène le plus négatif refait surface, où son essence divine s’affirme par-delà toutes les expressions d’iniquité et les possibilités de corruption. Ce fut le cas du groupe d’individus qui abordèrent Moché dans le désert. Leur instinct du “moi” ne s’affirma pas sous forme d’un désir de domination ou de gratification matérielle mais dans le désir de l’âme de servir leur Créateur. Leur cri: “pourquoi serions-nous privés ?” exprimait non un désir d’avoir et d’être mais une aspiration à donner et à servir, à reconnaître et à se soumettre à Celui Qui leur avait donné la liberté. Dans leur requête, le ferment et le “levain” de leur moi n’étaient pas l’antithèse de l’humble et modeste Matsa mais plutôt son complément. Le levain et la Matsa coexistaient dans leur âme, leur ego entraînant un engagement, la réalisation de soi donnant naissance à l’affirmation de leur gratitude envers D.ieu.
Lors du “second Pessa’h”, la fête qui exista en réponse à leur cri “égoïste”, il n’y a pas besoin de bannir le levain de nos foyers. Car lorsque le moi s’affirme ainsi, c’est un participant bienvenu à notre célébration de la liberté que nous avons obtenue par l’Exode, la liberté d’être le Peuple de D.ieu.
Le Coin de la Halacha
Comment fêter Lag Baomer (mardi 20 mai 2003) ?

Le trente-troisième jour (“Lag”) de l’Omer représente la Hilloula, l’anniversaire du décès de Rabbi Chimone Bar Yo’haï, au temps de l’occupation de la Judée par les Romains, il y a environ mille neuf cents ans.
D’habitude, pour le jour anniversaire du décès d’un parent, les enfants essaient de se concentrer avec sérieux sur les moyens d’améliorer leur conduite afin d’ajouter au mérite des parents: on allume une bougie de vingt-quatre heures, et le fils récite le “Kaddich”. Si possible, il “monte à la Torah” le jour-même et, en tous cas le Chabbat précédent. Il récite des Michnayot (“Michna” a les mêmes lettres que “Nechama”, l’âme) et se rend au cimetière pour réciter psaumes et prières près de la tombe. Il essaie de conclure l’étude d’un traité talmudique. On offre une collation aux fidèles et un don pour la Tsédaka.
Cependant, en ce qui concerne Lag Baomer, on sait que Rabbi Chimone Bar Yo’haï avait demandé qu’on se réjouisse le jour de son décès. On se rendra donc, si possible, à Mérone, là où est enterré Rabbi Chimone. On réunira les enfants, on leur racontera des histoires de Rabbi Chimone et d’autres Tsadikim et on les fera sortir dans les bois où ils peuvent tirer à l’arc, en souvenir encore de Rabbi Chimone: en effet, durant sa vie, on n’aperçut pas d’arc-en-ciel, c’est-à-dire que son mérite était si grand qu’il avait protégé sa génération de tous les mauvais décrets.
On coupera les cheveux des petits garçons qui ont eu trois ans depuis Pessa’h. On peut célébrer des fiançailles et, dans certaines communautés, des mariages. On ne récite pas le Ta’hanoune, prières de supplication. On organise des fêtes avec allumage de bougies en l’honneur des Tsaddikim.

F. L. (d’après Rav Yossef Ginzburg)
De Recit de la Semaine
Lag Baomer sur le canal

En 1971, je n’effectuais pas mon service militaire actif, mais j’ai passé la journée de Lag Baomer près de la ligne de front, sur la frontière israélo-égyptienne, au bord du Canal de Suez.
Deux jours avant Lag Baomer, le Rabbi de Loubavitch avait demandé que nous fassions parvenir à tous les soldats postés aux frontières une lettre spéciale de sa part afin de leur remonter le moral. Avec quelques autres ‘Hassidim du village de Kfar ‘Habad, je me suis dirigé vers le Sinaï. Nous avons emporté de nombreuses photocopies de la lettre, des gâteaux et de la vodka. Au petit matin, nous sommes arrivés au fortin Bloza où nous avons demandé au commandant de la région la permission de visiter tous les fortins postés non loin du Canal. C’était un colonel, mais il accepta que nous nous rendions partout sauf sur le canal lui-même: “Ces épaules, dit-il en désignant ses insignes militaires, ont déjà envoyé de nombreux soldats au front mais ma conscience m’interdit d’y envoyer un seul civil qui n’aurait pas dû s’y trouver”.
Il nous procura des casques et des gilets pare-balle et nous sommes partis. Partout nous avons été accueillis à bras ouverts par les soldats, heureux de notre visite.
A un moment donné, nous avons aperçu un convoi qui allait approvisionner tous les fortins. Nous avons décidé de prendre nos responsabilités: “Vous allez vers le front ?” avons-nous demandé tout naturellement. “Oui”, répondit l’un des conducteurs en nous proposant des places dans son command-car.
L’après-midi, nous sommes arrivés au premier fortin. Pendant que le conducteur déchargeait les caisses, nous avons rassemblé les soldats et leur avons distribué la lettre du Rabbi, des gâteaux et… de quoi trinquer “Le’haïm”, “A la vie !”. Le dernier fortin auquel nous sommes parvenus s’appelait Tempo.
“Avez-vous apporté des friandises ?” demanda le commandant au conducteur.
“Désolé, pas cette fois-ci !” répondit-il.
“Dommage car un de nos soldats célèbre justement son anniversaire…”
A ce moment, nous avons jailli du command-car et nous avons distribué les gâteaux et la vodka ! Les soldats se sont rassemblés autour de nous et nous avons fêté cet anniversaire avec une joie difficile à décrire. Certainement ce soldat ne l’oubliera jamais !
Les soldats avaient du mal à nous laisser repartir mais nous dépendions du convoi. Sur le chemin du retour, une tempête de sable s’éleva, si dense qu’il était presque impossible d’ouvrir les yeux. Quand nous sommes arrivés à Bloza, le commandant voulut nous remercier: “J’ai reçu de tous les fortins des rapports élogieux sur vos visites !”. Il enleva un rideau et découvrit une carte aérienne de toute la région: il désigna chacun des fortins; quand il pointa le doigt sur celui qui était le plus près du canal, je laissai échapper: “Ça, c’est Tempo !”
“Comment connais-tu ce nom ?” demanda-t-il, étonné.
“ Nous en revenons justement !” répondis-je, conscient d’avoir “gaffé” et je lui racontai avec un sourire comment nous nous étions débrouillés pour contrer ses volontés. Il sourit: “Que puis-je dire ? Vous, vous recevez vos ordres directement du Rabbi !”

* * *

A Rafia’h, nous avons été obligés d’attendre la formation d’un nouveau convoi car il est impossible de se déplacer de nuit dans des voitures particulières. Soudain un autobus s’arrêta à côté de nous et le conducteur nous demanda: “Que faites-vous ici à Lag Baomer ?” Nous lui avons raconté tout ce que nous avons fait pour le moral de nos soldats. Le conducteur fut très impressionné: il descendit du bus, nous embrassa tous l’un après l’autre et dit: “J’ai entendu aujourd’hui à la radio que des milliers de ‘Hassidim se sont rendus à Mérone en pélérinage sur la tombe de Rabbi Chimone Bar Yo’haï, mais vous, vous n’êtes pas allés à Mérone ! Pourtant je suis sûr que Rabbi Chimone Bar Yo’haï était aujourd’hui avec vous, à côté du canal !”

Avraham Meizlich
traduit par Feiga Lubecki