Samedi, 21 mai 2022

  • Behar
Editorial

 Deux grands maîtres, pour un grand jour

Rabbi Chimon Bar Yo’haï et le Zohar, Maïmonide et le Michné Torah… Quel rapport peut-il bien y avoir entre les deux personnages et leur œuvre respective que tant de siècles séparent ? Et le Zohar n’est-il pas la révélation du sens profond, caché de la Torah tandis que le Michné Torah en est sa parfaite expression légale, autrement dit logique et rationnelle ? Tout semble séparer ces deux pôles l’un de l’autre. Et pourtant, voilà que, cette année, une date les réunit : Lag Baomer qui arrive cette semaine. De fait, le 33ème jour de l’Omer, date du départ de ce monde, de l’élévation, de Rabbi Chimon et qu’il désigna comme le jour de sa joie, est aussi celui où, partout dans le monde, on entame le 42ème cycle de l’étude quotidienne du Michné Torah et cette précieuse fréquentation régulière avec Maïmonide, instaurée par le Rabbi de Loubavitch. Une telle occurrence ne peut être une simple coïncidence.

C’est que nous célébrons ici deux grands maîtres de la Torah : Rabbi Chimon, dont l’œuvre fit descendre dans le monde la lumière de ce qu’on devait appeler plus tard la Kabbale et Maïmonide qui, dans son œuvre, enseigna toutes les lois de la Torah sans exception. Mais ce n’est pas seulement leur grandeur qui les réunit. L’un et l’autre ne se contentèrent pas d’incarner l’aspect de la Torah qui leur était propre, ils apportèrent également leur éclat aux autres dimensions. Ainsi le nom de Rabbi Chimon apparaît, pour ainsi dire, à toutes les pages du Talmud tandis que Maïmonide fait affleurer, au fil de son texte, des idées appartenant aux profondeurs mystiques. Pourrait-il en être autrement ? La Torah constitue, dans tous ses aspects, une entité unique. Dans toutes ses expressions, elle est d’abord la Sagesse de D.ieu qu’Il nous révéla.

Dès lors, les célébrations de Lag Baomer comme celles de conclusion de l’étude de Maïmonide sont sans prix. Elles nous rattachent à l’essentiel, à ce qui nous dépasse et qui donne sens à la vie. Les rendez-vous sont ici donnés à chacun, pour la joie, le ressourcement et la force nécessaire pour continuer le chemin. Ce sont là de ces rendez-vous qu’il ne faut pas manquer car bien plus que ce que nous percevons en dépend.

Etincelles de Machiah

 Trois choses inattendues

Le Talmud (traité Sanhédrin 97a) énonce : « Trois choses arrivent sans qu’on s’y attende : Machia’h, un objet trouvé et un scorpion ». Ce texte semble affirmer qu’il ne faut pas attendre la venue de Machia’h. Pourtant, cette attente est un impératif posé par la Loi juive. Comment comprendre cette apparente contradiction ?

En fait, cela signifie que la venue de Machia’h doit être préparée justement pendant le temps de l’exil, cette période pendant laquelle on ne « s’attend pas » à la Délivrance, où la lumière de ce nouveau temps semble écartée.

C’est lorsqu’on illumine les lieux les plus obscurs, c’est-à-dire quand il n’y a plus d’attente, que l’obscurité est si profonde qu’elle s’oppose à la lumière de Machia’h, que celui-ci arrive.

(D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch,

Chabbat Parchat Matot-Massé 5713)

Vivre avec la Paracha

 Behar

Sur le mont Sinaï, D.ieu communique à Moché les lois de l’année chabbatique : toutes les septièmes années, tout travail sur la terre doit être interrompu et ses produits rendus accessibles à tous, hommes et animaux.

Sept cycles chabbatiques sont suivis d’une cinquantième année : l’année du Jubilée au cours de laquelle, tout travail de la terre cesse, tous les serviteurs liés par contrat sont libérés et tous les états ancestraux de la Terre Sainte, qui ont été vendus, reviennent à leurs propriétaires originels.

Behar contient également des lois supplémentaires concernant la vente de terres et les interdictions de fraude et d’usure.

L’ère du mur

« Quand une personne vend une maison d’habitation, dans une ville entourée d’un mur, sa période de rachat durera jusqu’à l’achèvement d’une année après sa vente. » (Vayikra 25 :29)

« Les villes fortifiées depuis l’époque de Yehochoua, fils de Noun, lisent la Meguila le 15 du mois d’Adar. Les [autres] villes la lisent le 14. » (Talmud, Meguilah 2a)

Les murs entourant un espace servent à garder ce qui est à l’intérieur, dedans, et ce qui est à l’extérieur, dehors. Généralement, ils vont être percés de portes et de fenêtres, placés dans certains endroits, ouverts à certaines occasions, par certaines personnes.

Les murs sont, ordinairement, une gêne qui confine nos mouvements et obstrue notre chemin. Et pourtant, les murs sont indispensables à la vie comme nous la connaissons. Sans murs pour définir les espaces et les droits individuels et communautaires, sans murs pour nous protéger de ceux qui voudraient nous faire du mal et de notre propre négligence ou de notre aveuglement moral, notre monde serait tout sauf habitable.

Au niveau personnel, une âme moralement saine construit également un système de murs et de portails pour le psychisme et le caractère.

Nos Sages enseignent : « Fais une barrière autour de la Torah » (Maximes de nos Pères I,1). Il n’est pas suffisant de faire la distinction entre le bien et le mal mais il nous faut également ériger des barrières pour nous protéger dans les moments de faiblesse ou d’oubli. Au niveau personnel, nous sommes enjoints d’établir « des juges et des législateurs » à nos portes pour réguler le flot des influences qui s’écoulent entre le sanctuaire du moi et le monde extérieur.

Et pourtant, les murs ont une durabilité limitée, du moins dans le contexte de la loi de la Torah.

Elle fait la distinction entre les villes fortifiées et les villes non fortifiées en ce qui concerne les ventes de propriétés ou la date où doit être célébrée la fête de Pourim. Et elle définit une ville fortifiée comme « une ville qui avait un mur qui l’entourait à l’époque de Yehochoua, qui succéda à Moché comme dirigeant du Peuple d’Israël, en l’an 2488 (1273 avant l’ère commune).

Pourquoi Yehochoua en particulier ? Il semblerait plus logique de considérer chaque ville aujourd’hui entourée d’un mur comme « ville fortifiée » ou bien insister sur un mur datant de l’époque où fut donnée la Torah, quarante ans avant que Yehochoua ne conduise le Peuple juif en Terre d’Israël. Pourquoi est-ce Yehochoua qui, dans la loi de la Torah, est associé au mur ?

Les Cieux sur terre

Le maître ‘hassidique, Rabbi Lévi Its’hak de Berditchev, célèbre pour ses plaidoyers en faveur du Peuple juif devant son père dans les Cieux, s’adressa un jour au Tout Puissant : « Maître du Monde ! s’écria-t-il. Tu as placé tous les attraits du matérialisme dans les rues et les places de marché de Ton monde alors que les récompenses d’une vie vertueuse ou le pouvoir destructeur de la transgression, Tu les as écrits dans les Saints Livres. Et après Tu t’étonnes que Tes enfants s’égarent ! Pourquoi n’as-Tu pas ordonné les choses dans l’autre sens ? Si les Cieux et l’enfer étaient visibles à chaque coin de rue et tous les vices et les corruptions devaient être appris des livres, je Te promets que personne ne pécherait… »

L’utopie de Rabbi Lévi Its’hak avait été la réalité pour une génération de notre histoire : la génération qui avait voyagé dans le désert du Sinaï, sous la conduite de Moché. Jamais un peuple n’avait pu percevoir si clairement l’essence spirituelle de la vie. Au Sinaï, ils avaient été les témoins de la première (et depuis lors, la dernière) révélation absolue à l’homme de la quintessence de D.ieu. Pendant quarante ans, ils subsistèrent grâce à la Manne qui descendait chaque jour des Cieux. D’autres miracles quotidiens, de l’eau s’écoulant d’un rocher, des nuées qui les protégeaient de la chaleur du désert et des flèches ennemies, pourvoyaient à tous leurs besoins. Et quand ils s’égaraient, la punition était sévère et rapide. En effet, leur vie était ouvertement menée en accord avec le dessein du Créateur si bien que la moindre déviance avait des effets des plus calamiteux.

Dans leur monde, nul n’était besoin de murs. Dans un monde libre d’ambigüité morale, nul n’est besoin d’ériger des barrières autour des écueils de la moralité ni de construire des murs pour repousser le péché.

Ce n’est que lorsque Yehochoua mena le Peuple d’Israël dans sa conquête et dans son établissement sur la Terre que l’ère du mur débuta.

Avec la disparition de Moché, nous sommes entrés dans un monde dans lequel le pain ne tombait plus du ciel mais devait être produit à partir de la terre, un monde dans lequel le crime paie souvent et le bien ne survit pas toujours longtemps, un monde dans lequel une personne peut traverser une ligne inviolable sans même en être consciente. Dans un tel monde, nous avons besoin de murs et de portails pour aiguiser notre conscience troublée par un monde spirituellement muet et les pièges de la condition matérielle.

Ce qui précède s’appuie sur un discours prononcé par le Rabbi à Souccot 5711 (1950), huit mois après la disparition de son prédécesseur, Rabbi Yossef Its’hak Schneerson de Loubavitch. A la conclusion de son discours, le Rabbi précisa : « Ce qui vient d’être dit nous concerne aujourd’hui. Nombreux sont ceux qui demandent : « Pourquoi le Rabbi devait-il partir ? Nous avions un Juif qui avait suscité des miracles ouverts. Pourquoi ne pouvions-nous pas continuer avec lui les quelques années restantes jusqu’à la Rédemption Ultime avec Machia’h ? Je n’ai pas de réponse à cette question. Je sais seulement qu’« un Tsaddik qui part est présent dans tous les mondes, davantage encore que de son vivant (Tanya, Iguérèt HaKodech 27). Ainsi, maintenant encore le Rabbi nous donne-t-il la force de sortir et de rapprocher nos prochains de la Torah et de la ‘Hassidout… »

Comme cela a été expliqué plus haut, la période suivant la disparition de Moché est une période d’obscurité et d’ambigüité. Après son départ, il y a un besoin de murs pour nous protéger de l’erreur et des influences extérieures néfastes. Mais cela ne signifie pas pour autant que nous devons nous enfermer dans une forteresse hermétique. Une ville fortifiée a des portails à travers lesquels l’on sort pour établir le contact avec ceux qui sont encore « dehors dans les champs » et les conduire à embrasser les paroles du Talmud, commentant le Chir Hachirim (le Cantique des Cantiques) : « Je suis un mur : c’est la Torah. »

Le Coin de la Halacha

 Il est interdit de porter quoi que ce soit dans le domaine public Chabbat (suite).

Quelques exemples :

- On pourra porter sur le nez des lunettes dont on a besoin dans la rue mais pas des lunettes qu’on n’utilise que pour la lecture. Si on a besoin de lunettes pour prier à la synagogue par exemple, on les apportera avant Chabbat et on les récupérera après Chabbat.

- Dans certaines villes (en particulier en Israël - mais aussi dans certains quartiers à forte population juive) il existe un Erouv, un système qui unit les habitants d’une maison, d’une cour ou même d’une (petite) ville comme une seule entité. Dans ce cas, il sera permis de porter dans la rue. Il convient de se renseigner auprès des autorités rabbiniques de la ville.

Qu’est-ce qu’un objet Mouktsé ?

Les Sages ont institué qu’on ne déplace pas - pendant Chabbat - un objet dont on n’a pas l’usage ce jour-là, par exemple :

- Un aliment cru (blé, riz, pommes de terre…) qu’on ne peut manger pas en l’état puisqu’il faut d’abord le cuire.

- Un objet qui sert à écrire (crayon…), allumer (allumette…), coudre (aiguille, ciseau…), cuire (réchaud, bonbonne de gaz…) etc.

- Un objet électrique (caméra, téléphone, ordinateur…)

- Un objet précieux (bougeoir en argent…)

- De l’argent, des cartes de crédit, des documents importants…

Si possible, on évitera de laisser ces objets à proximité (on les mettra surtout hors de contact des enfants) avant Chabbat.

(d’après Hil’hot Chabbat - Blau-Kaplan - Panassaim)

Le Recit de la Semaine

 Objet perdu ?

Il y a cinq ans et demi, notre fils Berel, alors âgé de 15 ans, enregistrait ses bagages à l’aéroport de New York pour un vol vers la Grande-Bretagne, avec notre fille Moussie : tous deux revenaient chez nous à l’occasion du mariage de Moussie et avaient vraiment de nombreux bagages à enregistrer.

Comme on peut se l’imaginer, cela signifiait beaucoup d’agitation et de stress et ce n’est qu’à l’arrivée en Angleterre que Berel réalisa que ses Téfilines ne figuraient pas dans ses bagages à main (comme ceci est recommandé par toutes les autorités rabbiniques) : il les avait probablement oubliés à l’aéroport, sur le bureau d’enregistrement. Nous avons hâtivement téléphoné à quelqu’un pour aller vérifier sur place à l’aéroport mais on ne trouva rien. Nous avons passé des heures au téléphone avec le service des objets perdus du terminal Delta à JFK. Nous avons consulté les sites d’achat et vente entre particuliers pour vérifier si, peut-être, quelqu’un avait tenté de les revendre. Mais pas de trace. Les Téfilines de Berel avaient disparu sans laisser d’adresse.

Il nous a fallu beaucoup de temps pour les remplacer et Berel fut obligé chaque jour d’en emprunter à ses frères et ses amis.

Le temps passa.

Cette année, pour le 11 Nissan, le 120ème anniversaire du Rabbi, nous avons décidé de lancer une nouvelle campagne et de commencer un « Téfilines Club » pour les étudiants juifs de notre ville. Nous avons prévu de commencer le dimanche suivant la fête de Pessa’h, quand les étudiants reviendraient de vacances.

Vendredi matin, je me réveillai avec un message WhatsApp de ma nièce, Chlou’ha (émissaire du Rabbi) en Islande : elle joignait une photo de deux sacs de Téfilines portant le nom de Berel ! Il s’avéra qu’une Chlou’ha en Alabama (États-Unis), sachant que ma nièce était en famille avec les Danow, lui avait envoyé cette photo dans la nuit en lui demandant si elle connaissait le propriétaire de ces Téfilines.

Nous étions abasourdis ! Une photo des sacs de Téfilines que nous pensions perdus à jamais…

Nous avons attendu impatiemment quelques heures pour respecter le décalage horaire et ne pas réveiller la Chlou’ha d’Alabama pendant la nuit et, entre-temps, nous avons continué nos préparatifs pour lancer notre nouvelle campagne de « Téfilines Club » commençant ce dimanche.

Enfin, nous avons pu téléphoner à la Chlou’ha d’Alabama (que nous ne connaissions pas) et elle confirma qu’elle avait effectivement les sacs contenant les Téfilines de Berel ! Il s’avère qu’il existe dans cet état d’Alabama un énorme entrepôt où sont stockés tous les objets perdus dans tous les aéroports des États-Unis : de là, ils sont revendus pour un prix dérisoire.

Cependant, par respect, les employés de cet entrepôt remettent à chaque fois les objets de culte juif au Chalia’h local, Rav Cohen, qui les contacte de temps en temps pour s’informer s’ils n’auraient pas trouvé des objets qui pourraient l’intéresser. Les Téfilines de Berel traînaient depuis plus d’un an dans cette énorme réserve quand Rav Cohen les récupéra en voyants le nom écrit en hébreu et le dessin du 770 brodé sur les pochettes, il décida de chercher à localiser le propriétaire - sans doute un Loubavitch vu la façon dont ces Téfilines avaient été façonnés et rangés. Après quelques coups de téléphone à d’autres Chlou’him un peu partout dans le monde, il avait déduit que cela valait la peine de nous contacter…

Grâce à ces merveilleux Chlou’him, Berel a enfin pu récupérer ses Téfilines perdus il y a plus de cinq ans.

Notre « Téfilines Club » a commencé ce dimanche : il semble que le Rabbi a apprécié notre « cadeau d’anniversaire » et nous a magnifiquement récompensés en retour.

Pour être honnêtes, cette nouvelle initiative nous avait demandé beaucoup d’efforts à tous points de vue : en effet, tous les Chabbats, nous sommes très occupés avec les étudiants et les nombreux convives qui viennent profiter des services de notre Beth ‘Habad. Logiquement, nous aurions apprécié d’avoir le temps de souffler un peu avant de nous engager pour une nouvelle journée chargée. Mais, après cette nouvelle extraordinaire, nous avons eu l’impression que le Rabbi nous encourageait : « Si vous vous engagez encore un pas supplémentaire, je m’engage moi aussi ! ».

Rav Michoel Danow - Leeds

Traduit par Feiga Lubecki