Semaine 20

  • Behar
Editorial
Tout ce temps qui compte

Il existe des périodes où tout semble brusquement s’accélérer. Où que les yeux se tournent, les certitudes coutumières vacillent. Qu’il s’agisse de nature en colère, de technologie mettant à mal l’orgueil des techniciens ou de la simple et ordinaire folie des hommes, le monde a sans doute rarement paru si instable au regard si limité des créatures qui y vivent. Longtemps, chacun avançait avec la conscience de la lenteur des choses. Les sociétés, chacune dans son aire de rayonnement, semblaient construites sur un modèle immuable. Il était aussi vieux que la mémoire humaine et, de ce fait, promettait, à l’esprit des hommes, de se perpétuer. Peu à peu, pourtant, cette donne-là changea. Les raisons en sont nombreuses mais le fait est là : les lendemains ont cessé d’être comparables aux hier. Au point que, par le temps qui court, chaque jour est apparemment susceptible d’apporter une révolution nouvelle.
Pour sa part, le peuple juif compte les jours de l’Omer. L’importance de ce commandement, qui consiste à décompter le temps entre la fête de la sortie d’Egypte et celle du don de la Torah, a été souvent et longuement relevée. Peut-être convient-il de l’envisager sous un autre angle. C’est que compter le temps n’est pas un acte anodin car le temps n’est pas une donnée aussi concrète que, par exemple, l’espace, même si elle fait le tissu de notre vie. Dès lors, le compter, c’est lui donner une existence palpable. C’est, en l’occurrence, le sanctifier mais aussi c’est entreprendre de le gérer, de lui donner un usage. C’est ainsi que l’acte rituel conduit à s’interroger sur soi et son rapport aux choses. Que faire du temps qui passe ? Il est si précieux que la notion même d’instant inutile est dépourvue de sens. Les Sages décrivent son non-usage comme «une perte que l’on ne pourra pas retrouver». Alors que son accélération observable en fait, pour ainsi dire, un bien plus rare et plus précieux, penser le temps prend un caractère d’urgence tant aujourd’hui ouvre à tous les possibles.
D’une certaine manière, tout homme est comptable de son temps. Il lui appartient d’en illuminer chaque fraction par ses actes, par tout ce qu’il est et ce qu’il fait. Car, sur cette longue route, tout peut aller plus vite. Nous le savons, la création du monde fut le début du parcours et chaque jour qui passe nous rapproche du but du voyage. Plutôt qu’accompagner le temps, peut-être faut-il choisir de le précéder jusque dans cette ère nouvelle, celle de l’ultime Délivrance, où il prendra un sens nouveau.
Etincelles de Machiah
Un service de D.ieu parfait

Au temps de Machia’h, les commandements seront observés avec une perfection absolue. C’est là le sens de la phrase de Maïmonide (Michné Torah, Hil’hot Mela’him 11 : 1) : “A cette époque, toutes les règles seront instaurées de nouveau comme dans les temps passés”.
Cependant, il est clair que la perfection atteinte dans cette nouvelle ère sera supérieure à celle qui caractérisait le Beth Hamikdach. Cette idée est vraie même si la période qui sert de point de comparaison est, par exemple, celle du règne du roi Salomon où rien ne venait gêner la pratique des commandements.
En effet, cette époque verra l’accomplissement de la prophétie : “Je retirerai le cœur de pierre de votre chair”. Il est donc évident que les commandements de D.ieu seront pratiqués avec un raffinement d’un tout autre ordre.
(d’après Likouteï Si’hot, vol. XXVII, p. 245) H.N.
Vivre avec la Paracha
Behar : A la poursuite du Divin

Et D.ieu parla à Moché au mont Sinaï en ces termes : parle aux Enfants d’Israël et dis leur… pendant six ans vous sèmerez vos champs, vous taillerez vos vignes et ramasserez vos récoltes. Mais la septième année est une année de repos pour la terre… vous ne pourrez pas semer vos champs ni tailler vos vignes (Vayikra 25 :1-4)
Pourquoi le commandement de la Chemita [la loi qui enjoint de permettre à la terre de se reposer tous les sept ans] est-il spécifiquement associé au mont Sinaï ; tous les commandements ne furent-ils pas donnés au mont Sinaï ? La Torah vient plutôt nous dire que tout comme la Chemita fut enseignée au mont Sinaï, à la fois d’une manière générale et dans ses détails spécifiques, toutes les Mitsvot furent enseignées au mont Sinaï à la fois de manière générale et dans leurs détails spécifiques (Rachi sur ce verset).
Nous vivons une époque de prospérité matérielle et d’avancement technologique jamais vus. Au moment où la révolution informatique et technologique nous propulse vers un voyage dans la satisfaction matérielle, nous sommes en droit de nous demander si ces avancements peuvent, en quelque manière, être intégrés à nos progrès spirituels. De nombreuses philosophies soutiennent que la spiritualité est un état transcendant, dégagé du poids de la matérialité. Cependant le Judaïsme soutient une perspective différente.

Un
Deux fois par jour, nous affirmons l’unité de D.ieu : «Ecoute Israël, l’Eternel est notre D.ieu, l’Eternel est Un». En réalité, le sens de l’unité de D.ieu ne réside pas dans le seul fait qu’il n’existe aucune autre force ou puissance dans la création mais bien dans l’idée que rien n’existe en dehors de Lui, y compris la création elle-même. Celle-ci, dans son ensemble, est simplement la manifestation physique de l’énergie Divine, véritable et seule «substance» de l’existence.
Ainsi, bien que le monde apparaisse comme une réalité distincte de la Divinité, c’est le contraire qui est vrai : la seule réalité est la réalité Divine, le monde n’en est qu’une projection. D.ieu représente la quintessence de l’existence, sans commencement ni fin. La raison pour laquelle le monde se ressent comme une entité auto suffisante tient du fait qu’il n’est rien d’autre que la Divinité.
C’est donc là le sens véritable du verset : «Je suis D.ieu ; Je n’ai pas changé» (Mala’hi 3 :6). Certains ont conclu de cette affirmation qu’après avoir créé le monde, D.ieu en a rapidement donné le contrôle à d’autres forces. Il est impossible de dire, affirment-ils, que l’Etre Suprême, la Vérité Ultime, peut s’associer avec un monde vil et fragmenté. Il faudrait dès lors oublier les miracles, la Providence Divine, et toute intervention divine de la même espèce.
Cependant, à la lumière de ce qui a été dit, une vue bien différente peut apparaître. La raison pour laquelle D.ieu n’est pas affecté par la création ne tient pas au fait qu’Il en serait complètement détaché mais, bien au contraire, au fait que Lui et Sa création forment UN. C’est donc là le sens de la proclamation de D.ieu : tout comme D.ieu existait avant la création, il en va de même après la création. Il existe toujours une seule et unique existence, celle de D.ieu, car Il est Lui-même la définition de l’existence, la substance de la Création. Ainsi donc, la nature, la matière sont elles-mêmes divines.

Les fouilles
Ces deux perspectives ne diffèrent pas seulement idéologiquement mais également dans leurs applications pratiques.
Comment donc atteindre la spiritualité ? Selon la première approche, il faudrait s’élever au-dessus des limites du monde, se couper totalement de la matérialité. Tant que l’on resterait prisonnier des limites de ce monde, on ne pourrait jamais parvenir à l’accomplissement spirituel car D.ieu serait effectivement «interdit de séjour» dans Sa propre création !
Le Judaïsme enseigne une approche radicalement opposée. On parvient à la spiritualité, non en fuyant l’ordre de la nature, mais au contraire en dévoilant sa nature Divine. Nous affirmons que D.ieu n’est pas limité au royaume spirituel et qu’on peut Le trouver dans Sa création.
Et c’est bien là le but de notre existence et la raison d’être de la création. «D.ieu désirait avoir une résidence dans les royaumes inférieurs» expliquent nos Sages. Notre mission n’est pas de créer quelque chose qui n’existe pas mais de révéler que la Divinité est déjà présente dans la création, de prouver qu’il n’existe pas de dichotomie entre l’infini et le fini.
C’est aussi la raison pour laquelle nous accomplissons les Mitsvot à l’aide d’objets matériels car ce n’est qu’ainsi que nous sommes capables de révéler que la Divinité est présente même dans les aspects les plus concrets et les plus matériels de la création, ce qui est l’objectif de notre existence.

Le travail de la terre
Nous pouvons ainsi mieux comprendre les mots de Rachi cités plus haut. Pourquoi la Torah a-t-elle choisi la Mitsva de la Chemita comme base pour établir que toutes les Mitsvot furent enseignées au mont Sinaï, à la fois dans leur sens général et dans leurs détails particuliers et pourquoi n’a-t-elle pas utilisé une Mitsva plus «fondamentale» comme celle de donner la charité ou d’observer le Chabbat ?
Mais en fait, c’est spécifiquement la Mitsva de la Chemita qui exprime le but de toutes les Mitsvot. Durant l’année de la Chemita, l’on n’a pas le droit de travailler la terre, de quelque façon que ce soit. Quel meilleur moyen pour exprimer notre foi absolue en D.ieu que de nous en remettre à Lui pour nous apporter la subsistance nécessaire, de façon surnaturelle ! Et pourtant, cette septième année est semblable aux autres pour toutes les autres formes de travail. Seul le travail de la terre est interdit.
Cela incarne le concept des Mitsvot : révéler le surnaturel dans le naturel, le Divin dans le profane, l’esprit dans la matière. Cette Mitsva peut être cette source car elle met en exergue le but des Mitsvot et finalement celui de la création.
Le Coin de la Halacha
Pourquoi lit-on Pirké Avot, les « Maximes de nos Pères »,
chaque Chabbat après-midi, entre Pessa’h et Chavouot ?

Entre Pessa’h et Chavouot, nous nous préparons à revivre le don de la Torah au mont Sinaï. Pirké Avot est un traité talmudique qui contient des recommandations éthiques et morales. Grâce à ces paroles de nos Sages, nous pouvons raffiner notre personnalité et notre comportement, de façon à mériter de recevoir la Torah.
Dans de nombreuses communautés, on continue la lecture de ces six chapitres tout au long de l’été jusqu’au Chabbat qui précède Roch Hachana. En effet, durant l’été, certains ont tendance à se montrer moins stricts dans leur observance des Mitsvot : il convient donc de se renforcer spirituellement pour éviter tout relâchement.

F. L.
De Recit de la Semaine
Un sandwich à la viande

Il y a quelques années, le matin de Hochaana Rabba, je m’étais levée très tôt pour préparer les ‘Hallot (pains spéciaux) de la fête. Quand les enfants se réveillèrent, la délicieuse odeur avait envahi la maison. J’aidais les enfants à s’habiller et se préparer pour l’école puis je sortis avec eux devant la maison : mon mari devait revenir de la prière à la synagogue et amènerait les enfants à destination.
C’est alors qu’un grand camion municipal s’arrêta à notre hauteur : plusieurs travailleurs en descendirent, apparemment pour élaguer les arbres de notre rue. L’un d’entre eux avait typiquement la tête d’un Israélien : bronzé, athlétique, cheveux noirs bouclés, yeux noirs… Dès que mon mari arriva, je lui suggérai de l’aborder et de lui proposer de réciter la bénédiction sur le Loulav et l’Ethrog tandis que je retournais en toute hâte à la maison et préparais une ‘Halla à lui offrir.
Nous avons bien deviné : c’était effectivement un Israélien qui, après trois ans d’armée, effectuait une sorte de tour du monde tout en travaillant parfois. Il fut très heureux de mettre la Kippa que mon mari lui tendit et de réciter la bénédiction sur le Loulav. Très surpris, il nous remercia pour la ‘Halla encore tiède ; les enfants partirent à l’école et j’oubliais tout cela.
Six mois plus tard, j’invitai une jeune israélienne – appelons-la Galit – pour le repas de Pessa’h. Elle accepta à la condition qu’elle puisse amener avec elle un ami, Ofer, dont elle avait fait la connaissance ici, en Australie. J’acceptai bien sûr et ils arrivèrent tous les deux le septième soir de Pessa’h. Quand Ofer entra et aperçut mon mari, il s’exclama : «Szmerling ! Tu ne me reconnais pas ?»
Courtois et bien élevé, mon mari répondit instinctivement : «Oh oui ! Bien sûr…Euh… »
Malicieux, Ofer déclara qu’il attendrait la fin du repas pour raconter son histoire.
«Szmerling, je sais pourquoi tu ne me reconnais pas ! La première fois que nous nous sommes rencontrés, j’avais les cheveux longs ébouriffés alors que maintenant je les ai fait couper. Rappelle-toi ! C’est moi qui avais élagué les arbres dans ta rue, tu m’avais demandé de réciter la bénédiction sur le Loulav et tu m’avais donné une ‘Halla encore chaude…
Tu ne peux pas savoir ce qui m’est arrivé ensuite : mes collègues de travail désirèrent à ce moment faire une pause et s’acheter de la viande. On partagerait la ‘Halla et on se préparerait des sandwichs à la viande.
Mais je déclarai que, pour moi, c’était impossible. D’accord, je ne suis pas pratiquant mais le rabbin m’avait donné une ‘Halla et pour moi, il était incompatible de la manger avec de la viande non-cachère. Non, c’était impossible. Ils déclarèrent me comprendre et nous avons entamé notre prochaine mission, non loin d’ici.
Nous avons donc élagué un arbre dans le jardin d’une gentille dame : je remarquai qu’elle portait un élégant foulard sur la tête. Quand nous avons terminé notre travail, cette dame qui était sûrement juive et même pratiquante m’offrit – juste à moi ! – un peu de viande qu’elle venait de préparer pour la fête.
J’étais si surpris que je faillis tomber à la renverse. En quoi ces deux événements pouvaient-ils être qualifiés de hasard ? Je levai les mains au ciel et m’écriai : «Yech Elokim Baolam ! » Il existe un bon D.ieu dans le monde ! »
Je réfléchissais sur ces deux événements et décidai qu’à partir de maintenant, je ne mangerai plus de viande non-cachère bien que ce ne serait pas facile pour moi. Mais effectivement, depuis ce jour, je n’ai plus jamais consommé de la viande non-cachère, quelles que soient les difficultés ».
Mon mari et moi étions si étonnés ! Nous avions depuis longtemps oublié cette «petite» action mais le bon D.ieu nous permettait d’en constater un des effets à long terme. Les ondes s’étaient propagées et continueraient sans doute à se propager encore au loin.
D’habitude, nous effectuons notre mission qui est de tenter d’éclairer un peu plus ce monde mais nous n’avons que rarement une idée des résultats. Cette fois-ci, nous avons mérité de les constater.
Quelque temps plus tard, mon mari raconta cette histoire lors d’une réunion ‘hassidique. Rav Eliézer Kantor qui se trouvait là – comme par hasard – s’exclama alors : «Eh bien moi aussi maintenant je connais la suite de l’histoire. La dame qui avait offert ce morceau de viande à cet ouvrier n’était autre que mon épouse Bra’ha !»
Qui peut prétendre que l’histoire s’arrête là ?

Ruth Szmerling – Melbourne, Australie
N’shei Chabad Newsletter n°7104
traduit par Feiga Lubecki