Samedi, 7 septembre 2019

  • Choftim
Editorial

 Bon « retour » !

Il est revenu le temps du retour… Mais de quel « retour » s’agit-il au fait ? Si c’est celui, saisonnier, de la rentrée, l’époque où, tous congés épuisés, chacun reprend son rythme d’activité régulier, on peut le constater avec assurance : ce retour-là est bien achevé. Et la période des vacances se range, peu à peu, parmi les souvenirs. Cependant, le calendrier juif a de ces secrets : voici que, justement à présent, il nous ouvre la porte d’un « retour » d’une autre sorte. C’est du mois d’Elloul, le dernier de l’année juive, qu’il s’agit et c’est de retour à Dieu – et, d’une certaine façon, à soi – qu’il est question. Ce sont bien deux retours mais presque aux antipodes l’un de l’autre. Quand le premier évoque le tumulte du monde et le tourbillon des soucis du quotidien, le second donne à celui qui le désire une respiration d’éternité. Il n’invite pas à fuir ou à ignorer le monde mais à lui donner sens.

Il existe une interrogation traditionnelle : le mois d’Elloul aurait dû être un mois de fête, littéralement. En d’autres termes, il aurait dû être constitué de jours prescrits comme interdits de tout travail par la Loi juive à l’instar de tous les temps forts de célébration du judaïsme. La raison en est claire : ce dernier mois de l’année est celui où l’aspiration au spirituel se fait, pour chacun, plus intense, comme neuve. Il est celui où ce que les textes kabbalistiques dénomment les Treize Attributs de la Miséricorde Divine éclairent avec puissance toute la création. D.ieu y est, pour ainsi dire, plus proche de nous et Il y attend que nous allions à Lui, prêt à nous accueillir avec bienveillance. Tout cela est essentiel : c’est la préparation des jours hors du commun de Roch Hachana et Yom Kippour qui est en jeu. Cette préparation réclame, à n’en pas douter, temps et effort. Un mois de lien privilégié avec D.ieu n’aurait sans doute pas été de trop… Pourtant, la Loi juive fixe le mois d’Elloul comme une période apparemment habituelle. Décidément, le monde, son activité, avec tous ses soucis et ses espoirs, y ont leur pleine place.

C’est ici que se tient le secret du « retour ». Dans ces quelques semaines essentielles qui nous séparent encore du début de la nouvelle année, où tout est ouvert et tout est possible, continuer l’œuvre, non en se renfermant en soi-même et en se cantonnant à un spirituel désincarné mais en vivant ce nouveau temps parmi les hommes et au cœur de la vie. Etre dans le monde et penser à ce qui le dépasse. Y travailler tout en le spiritualisant par sa présence quotidienne. Un chemin nous est ici indiqué : celui de son propre dépassement et de sa propre spiritualisation. Comme une décision de vivre pleinement. Pour une année bonne et douce.

Etincelles de Machiah

 L’esprit et le cœur

La ‘Hassidout explique les gains spirituels immenses de notre descente en exil. C’est ainsi qu’il est écrit (Isaïe 12 : 1) : « Je Te remercierai D.ieu car Tu as été en colère contre moi ». Lorsque Machia’h viendra, les Juifs remercieront D.ieu de les avoir envoyés en exil car, alors, ils verront toutes les élévations spirituelles que cela aura permis.

Cependant, en même temps, cette conscience ne doit pas atténuer notre profond désir de quitter cet exil. Pour cela, il faut proclamer, avec la plus grande sincérité, « car dans Ton salut nous espérons tout le jour ».

En fait, ce sont ces deux attitudes, l’une de conscience et l’autre d’émotion, qu’il nous faut avoir en parallèle constamment.

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch,veille d’Hochana Rabba 5744)

Vivre avec la Paracha

 Choftim

Couronner un roi

« Quand tu entreras dans la Terre, que tu en prendras possession et que tu y résideras, tu diras : ‘Je vais installer un roi au-dessus de moi comme toutes les nations qui m’entourent’. » (Devarim 17 :14).

Le mot « Veyachavtah » qui signifie « et tu installeras » possède une lettre additionnelle : un « Hé ». Que peut vouloir dire cet ajout sur l’idée d’installer un roi au-dessus de soi ? De plus, cette Paracha étant lue au début du mois d’Elloul, quel est le lien entre ce supplémentaire, la Mitsva de couronner un roi et le mois d’Elloul ?

La lettre et la royauté

La valeur numérique de cette lettre est de 5. Le Baal Hatourim explique que ce supplémentaire signifie qu’après avoir passé cinq générations après l’entrée en terre d’Israël, le temps était venu de couronner un roi juif. En fait, c’est en 2882, durant la vie du prophète Chmouel, que les Juifs couronnèrent leur premier roi : Chaoul.

Le son émis par la lettre est le son d’un souffle. Le souffle constitue l’essence de la parole, la toile de fond de chaque articulation, de chaque lettre et de chaque mot. La Torah indique que D.ieu créa le monde par la parole. La Kabbale explique que D.ieu créa le monde par la lettre .

Plus encore, le processus créatif eut lieu par la Sefira (émanation divine) de Mal’hout (la royauté).

Le livre des Proverbes dit : « le roi règne par la parole ». Comme l’explique la ‘Hassidout, le processus créatif du monde ne peut se tenir que lorsque D.ieu désire être le Roi du monde et de chaque être vivant. C’est pourquoi c’est par le biais de la royauté, de la lettre , que le monde reçoit sa vitalité, son souffle vital. Comme on le déclare dans la prière « Barou’h chéamar » : « ‘Héï HaOlamim, Mélè’h », « la vie de l’univers est le roi ».

Servir un roi

On lit Choftim au cours du mois d’Elloul, que l’on connaît également comme « le mois du bilan » où nous commençons à faire une évaluation de nos bonnes actions, de nos méfaits, durant l’année qui vient de s’écouler. Nous travaillons à rectifier le passé et prenons de nouvelles résolutions pour l’année à venir. Une fois encore, nous acceptons D.ieu comme Roi du monde. Choftim vient donc nous donner la force d’accepter le joug du Roi Divin.

Mais que veut dire accepter D.ieu comme Roi ? Il existe une différence essentielle entre faire allégeance au roi d’une nation et faire allégeance au Tout Puissant, le Roi de tous les rois. Un roi humain est perpétuellement concerné par son armée et les impôts. Il ne se soucie pas véritablement des détails de la vie personnelle de ses sujets, avec qui ils se marient, ce qu’ils mangent et la façon dont ils s’habillent.

Servir le Roi des rois, cependant, signifie se soumettre à Sa volonté dans chaque détail de la vie. Les soldats du Roi Divin doivent non seulement s’enrôler ou obéir mais s’annuler complètement devant le Roi. Mais le résultat de cette abstraction de soi n’est pas que les soldats deviennent inexistants. Bien au contraire, ils forment alors UN avec le Roi, comme il est écrit : « un serviteur du Roi est le Roi ». Tel est le sens du Chéma Israël, lorsque l’on dit : « D.ieu est Un » : un soldat est conscient que la présence du Roi imprègne l’essence et les fibres de tout son être.

Le Roi est dans le champ

Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi dit qu’au cours du mois d’Elloul, « le Roi est dans le champ ». Le sens en est qu’avant que le Roi ne regagne Son palais, il traverse les champs. Tous les gens de la ville sortent pour l’escorter. Il accueille chacun avec un visage avenant, accomplissant joyeusement les vœux de chacun de Ses sujets.

Tout au long du reste de l’année, il nous faut demander un « rendez-vous » pour obtenir une entrevue avec le Roi et il n’est pas sûr que cela sera accordé à tout le monde. Mais au cours de ce mois, le Roi s’abaisse au niveau de chacun, grand ou petit. C’est pour nous rappeler cette extraordinaire opportunité, que la Paracha nous dit : « Tu devras installer un roi au-dessus de toi ».

Nous pouvons maintenant comprendre que l’essence du mois d’Elloul est une opportunité qui nous est donnée de nous rapprocher de D.ieu, d’être aussi proches qu’Il l’est de nous. C’est aussi le sens de l’enseignement qui indique qu’Elloul est le temps de la Techouvah, le retour spirituel à D.ieu, notre Roi : « L’esprit (ou le souffle) retourne à D.ieu Qui l’accueille ».

Il est intéressant d’observer que quand le mot Veyachavtah est épelé avec un supplémentaire, ces lettres peuvent également former le mot Techouvah.

La lettre restante est un Youd dont la valeur numérique est de 10. Le mot Techouvah signifie donc : « reviens avec 10, avec les dix facultés de ton âme ». C’est ainsi que D.ieu peut alors régner sur nous et par nous.

Activer le

Comment le fait-il allusion à notre pensée, nos paroles et nos actions. Une Techouvah efficace consiste donc à utiliser nos pensées, nos paroles et nos actions dans le service du Roi des rois. C’est ainsi que durant le mois d’Elloul, nous ajoutons des paroles de Torah, de la prière et nous accomplissons davantage de bonnes actions. Une fois que nous avons activé le , D.ieu commence à S’installer dans ce monde. Nous pouvons dès lors être prêts, à Roch Hachana, à couronner D.ieu dans Sa souveraineté absolue. « Et D.ieu sera le Roi sur le monde entier et en ce jour, Il sera Un et Son nom sera Un », avec la venue de notre juste Machia’h !

Vérifier les Tefilines et les Mezouzot

En écho avec le thème de la Techouvah, du bilan et de la réparation, on a la coutume, au mois d’Elloul, de faire vérifier nos Tefilines et nos Mezouzot auprès d’un Sofer, « un scribe expert ». Au cours de l’année, face aux altérations climatiques, les lettres sacrées inscrites sur les parchemins de ces objets saints peuvent s’effacer ou s’altérer. Très souvent, le Sofer est à même de les réparer. N’utiliser que des Tefilines et des Mezouzot casher apporte des bienfaits spirituels puissants et contribue également à notre bien-être matériel.

Le Coin de la Halacha

 Pourquoi est-il préférable de prier en communauté ?

Rambam (Maïmonide) écrit : « La prière de la communauté est toujours écoutée (par D.ieu). Même s’il se trouve parmi eux des personnes peu recommandables, D.ieu ne méprise pas la prière d’une communauté ».

Il est donc préférable – quand c’est possible – de prier avec la communauté plutôt que tout seul.

Celui qui dispose d’une synagogue (ou d’un lieu de prière) dans sa ville et ne s’y rend pas pour prier est appelé « un mauvais voisin ».

Celui qui mérite d’être le dixième (homme au-dessus de l’âge de 13 ans) accomplit une très grande Mitsva puisqu’il permet aux neuf autres de prier en Minyane (quorum de dix hommes) et que leur prière sera donc acceptée.

Quand dix personnes prient ensemble, il est possible que l’un répare les «fautes» de l’autre car la prière de la communauté est toujours pure et parfaite.

Dans la synagogue, on peut participer et répondre au Kaddich, à la Kedoucha, à Bare’hou et on peut écouter la lecture du rouleau de la Torah.

On se conduit correctement dans une synagogue puisqu’il s’agit d’un sanctuaire miniature. On empêche les enfants de courir, de jouer, de jeter des papiers, des mouchoirs ou des chewing-gums… On n’y discute pas de sujets futiles.

Habituer les enfants à bien se conduire à la synagogue les influencera toute leur vie.

(d’après Rav Yossef Hartman – Ketsad Ne’hanè’h eth Yaldenou)

Le Recit de la Semaine

 Le Talit de Reb Mendel

Eté 1946 : la Seconde Guerre mondiale venait de s’achever mais l’Europe était dans un état catastrophique et la plus grande confusion régnait, avec des mouvements de population incontrôlables. De nombreux Juifs d’Union Soviétique réalisèrent qu’ils tenaient peut-être là une chance de sortir de l’enfer communiste qui avait tenté par tous les moyens de les couper de leur judaïsme : les ‘Hassidim avaient résisté héroïquement, en continuant de respecter Cacherout, Chabbat, éducation juive… et en risquant leurs vies. Des centaines d’entre eux avaient déjà péri dans les camps de redressement en Sibérie pour avoir osé enseigner des bribes de Torah à leurs enfants ou avoir continué à fréquenter une synagogue.

Durant la guerre, d’autres Juifs s’étaient par contre réfugiés justement en Union Soviétique : c’était des citoyens polonais qui avaient fui l’avancée des troupes allemandes et s’étaient échappés jusqu’à Samarkand ou Tachkent. Nombre d’entre eux étaient morts – de froid, de fin, de vieillesse mais leurs papiers, leurs précieux passeports étaient disponibles ! Après la guerre, le gouvernement soviétique autorisa justement ces Polonais à retourner dans leur pays d’origine et certains Juifs russes profitèrent de ces papiers abandonnés pour fuir le « paradis communiste ».

Reb Mendel Futerfass, un ancien étudiant de la Yechiva Loubavitch, aidé d’autres ‘Hassidim, se mit à l’œuvre, falsifia des centaines de passeports, permettant ainsi à des familles entières de quitter « légalement » la Russie. Même sa femme et leurs deux enfants purent ainsi sortir et, finalement, arriver en Angleterre. Mais au dernier moment, lui-même fut arrêté, jugé et condamné sévèrement : dix ans au Goulag en Sibérie !

Tandis qu’il effectuait sa peine dans des conditions effroyables, il s’efforçait d’accomplir autant de Mitsvot que possible. Chaque matin, il se levait avant ses compagnons d’infortune pour prier. Mais son Talit (châle de prière) se déchira bien vite de tous les côtés. Comme il ne pouvait évidemment pas s’en procurer un autre, il le réparait autant qu’il pouvait mais il dut se contenter finalement d’une sorte de couverture faite de chiffons et de sacs : aux quatre coins, il fixa des Tsitsit (franges rituelles) d’une laine qu’il avait lui-même tressée.

Quand il fut libéré du Goulag, il n’obtint pas la permission de quitter le pays et devait confirmer régulièrement sa présence aux autorités. Enfin, au milieu des années 60, ce ‘Hassid indomptable put émigrer et retrouver sa famille. Partout où il allait, il continuait à prier enveloppé de son « Talit » de chiffons et de sacs.

Le regretté Rav Efraïm Wolf remarqua ce Talit et décida d’agir. Mais pour un Juif aussi extraordinaire que Reb Mendel, on n’entre pas juste dans un magasin de Judaïca pour acheter un Talit : non ! Il acheta la laine la plus fine, de la meilleure qualité, tressée à la main. Il loua les services d’un tailleur spécialisé dans le travail de la laine qui confectionna le Talit le plus Mehoudar (parfait), aussi bien par sa taille que par sa beauté.

Une fois le Talit terminé, le tailleur informa Rav Wolf qu’il restait assez de laine pour confectionner encore deux autres Talit. Ce qui fut fait. Reconnaissant, Reb Mendel accepta le Talit que lui offrit Rav Wolf et le remercia profusément. Rav Wolf garda le deuxième pour lui-même et offrit le troisième à mon père, Rav Yo’hanan Gordon, responsable de la synagogue du Rabbi au 770 Eastern Parkway à Brooklyn. Durant des années, mon père ne porta ce précieux Talit que le Chabbat et les jours de fête.

En août 1969, le 20 Av (jour du Yahrzeit - anniversaire de deuil) de Rabbi Lévi Its’hak Schneerson, le père du Rabbi, je me rendis de Worcester où j’habitais à New York pour assister à la réunion ‘hassidique de ce grand jour auprès du Rabbi. J’en profitais pour rendre visite à mes parents et mon père me demanda un service (ce qui était rare de sa part) : pouvais-je attacher de nouveaux Tsitsit à son Talit si spécial ? Je n’avais que quelques heures devant moi à New York et j’avais toute une liste de courses à faire avant de rentrer chez moi. Je tentais de m’esquiver, d’expliquer que je n’avais vraiment pas le temps et la patience de faire cela maintenant… Mais, contrairement à son habitude, mon père insista : « Mon cher fils ! Combien de fois t’ai-je demandé des services ces derniers temps ? Je t’en supplie… ».

Réalisant que mon père avait raison et n’avait jamais exigé de moi des services dont il pouvait se passer, je courus au magasin d’articles religieux, achetai des fils spéciaux pour Tsitsit et me forçai à m’asseoir calmement pour fixer les franges comme le veut la Hala’ha, comme il sied à l’expert que mon père pensait que j’étais. Il en fut très heureux et nous nous embrassâmes avec effusion.

Ce fut la dernière fois.

Quelques jours plus tard, mon père âgé de 75 ans décéda presque subitement. Après les Chiva (la semaine de deuil), chacun de nous, les quatre enfants, prit en héritage quelques-uns des objets de culte lui ayant appartenu. Je pris le fameux Talit.

Pendant des années, je le portais tous les jours. Quand il commença à s’user, je décidai, comme mon père, de ne plus l’utiliser que le Chabbat et les jours de fête et le 29 Av, jour du Yahrzeit de mon père.

Quand je le porte et que j’aperçois mon reflet sur les portes en verre de la bibliothèque, je crois voir mon père (à qui paraît-il je ressemble beaucoup) et c’est un peu comme s’il priait à mes côtés.

Rav Israël Gordon – N’shei Chabad Newsletter N° 6605

Traduit par Feiga Lubecki