Samedi, 30 novembre 2019

  • Toledot
Editorial

 L’avenir en face

Dire qu’un congrès est une grande réussite ne veut généralement pas dire grand-chose. Cela fait partie de ces figures obligées qui suivent invariablement un événement de ce type. Pourtant, quand il s’agit du congrès international des délégués du Rabbi dans le monde entier, même s’il est annuel, les mots ont un sens plus profond. Il s’est tenu à New York en début de semaine et ce qui ressort d’une telle rencontre, ce sont moins les bilans, toujours impressionnants, que les résolutions nouvelles. Ce qui en fait la marque caractéristique, ce sont moins les acquis du passé, objets légitimes de fierté, que les projets à venir. Et c’est à cela qu’on peut vraiment juger la réussite d’une telle rencontre. Regarde-t-on toujours l’avenir en face ? Est-on dans un temps d’émotion et de nostalgie ou dans une phase de grandeur et d’actions assumées ? Lorsque l’on regarde ces délégués ainsi rassemblés littéralement des quatre coins du monde, des profondeurs de l’Afrique aux confins de l’Asie, des vieux pays d’Europe aux jeunes nations émergentes, nul ne peut se dire que c’est de passé qu’il est ici question.

Notre temps est celui de l’immédiateté. Tout doit être connu, diffusé, demandé, obtenu en temps réel, dans l’instant même. Et ce congrès ne fait pas exception à cette exigence nouvelle. Le numérique y règne en maître et la communication n’existe que si elle est instantanée. On y ressent pourtant une autre palpitation, comme un autre rythme, tout ce qui distingue l’éphémère du pérenne, l’évanescent de l’éternel. Car il s’agit bien là de résoudre ce qui paraît être une contradiction essentielle : parle-ton de vie, avec tout ce que le terme implique de changements constants, d’évolutions nécessaires, d’adaptations aux besoins divers, ou n’est-ce que l’immuable reproduction de rituels anciens qui, immanquablement, resteront figés dans leur antiquité ? Le congrès des délégués sait donner la réponse. La véritable éternité, parce qu’elle échappe au temps, porte en elle, avec l’actualité d’aujourd’hui, celle de demain. Elle englobe et absorbe la modernité pour lui donner tout son sens et sa portée et, partant, sa puissance.

Retour de congrès ? Pour l’avenir !

Etincelles de Machiah

 Après l’épreuve, la Délivrance

Avant que le jour commence à poindre, l’obscurité est la plus profonde ; c’est là le signe que la lumière va naître. Il en est de même pour la grande obscurité de cet exil avec ses immenses épreuves. C’est une préparation à la grande lumière de Machia’h, une lumière supérieure encore à celle qui apparut au moment du Don de la Torah.

Car le processus se décrit ainsi : après la maladie, la guérison, après l’épreuve, le salut et la consolation.

Vivre avec la Paracha

 Toledot

« Tous les puits qui avaient été creusés à l’époque d’Avraham, son père, furent taris par les Philistins et remplis de terre… »

« Its’hak creusa à nouveau les puits d’eau creusés durant les jours d’Avraham, son père et il les appela par le même nom que les avait appelés son père. » (Beréchit 26 : 15-18)

Avraham, Its’hak et Yaakov sont plus que les ancêtres du peuple juif, ce sont les pères fondateurs de l’âme juive. Nous étudions leur vie et analysons chacune de leurs paroles et chacun de leurs actes car ce sont les fondements de notre identité et le ciment de notre intellect et de notre caractère.

Dans Avraham, nous trouvons la source de la générosité juive et de l’engagement social. « Je le connais », dit D.ieu à son propos, « il gardera les voies de D.ieu pour faire la charité et la justice » (Beréchit 18 :19). Avraham était celui dont la maison et le cœur étaient ouverts à tous les voyageurs, quels que soient leur statut et leur origine. Il leur offrait de quoi se rassasier, se désaltérer, son amitié et son aide. Avraham avait affronté le décret de D.ieu Qui voulait détruire la ville impie de Sodome. Il voyageait dans le pays, apportant son message de lumière et d’éveil spirituel dans un monde obscur et confus.

En Yaakov, nous découvrons le prototype dudévoument du Juif à l’étude. « La voix est la voix de Yaakov, les mains sont les mains d’Essav », s’écrie leur père. Essav vivait par le glaive alors que Yaakov vivait par le mot. Pendant les soixante-dix-sept premières années de sa vie, Yaakov fut « un résident dans les tentes de l’étude ». Sa première action, en arrivant en Egypte où il passera les dix-sept dernières années de sa vie, fut d’établir une maison d’étude. En Yaakov, nous rencontrons également l’archétype de la persévérance du Juif dans l’exil et l’adversité. Dans la ville étrangère de ‘Harane, travaillant pour le fourbe Lavane, il construit sa famille. Dans une Egypte étrangère, il lègue un héritage éternel au peuple d’Israël naissant. Si Avraham représente l’amour, Yaakov incarne parfaitement la vérité, la quête de vérité, la constance et la persistance de la vérité.

Mais qui était Its’hak ? C’est celui de nos Patriarches qui vécut le plus longtemps et celui dont on en sait le moins. La Torah relate l’histoire du « Sacrifice » mais le fait en tant qu’histoire d’Avraham, épreuve d’Avraham. Puis vient le long chapitre décrivant le processus engagé pour lui trouver une épouse, mais c’est l’histoire d’Eliézer, le serviteur d’Avraham, envoyé à ‘Harane et personnage principal dans la scène de la quête de Rivka. Les allées et venues d’Its’hak, pendant cette période restent inconnues.

Que fait donc Its’hak ? A la base, il ne fait rien. Sur l’ordre divin, il est le seul des trois Patriarches à n’avoir jamais quitté le sol de la Terre Sainte. Et il creuse des puits.

La Torah consacre un chapitre entier aux activités auxquelles s’engage Its’hak pour creuser des puits. Il nous est dit qu’il rouvre les puits creusés par Avraham et rendus inutilisables par les Philistins après sa mort, et une série de nouveaux qu’il fore lui-même. Et puis, alors qu’il lui reste encore pas moins de quatre-vingts ans à vivre, rien de plus ne nous est dit de sa vie, en dehors des bénédictions qu’il donne à ses enfants avant de mourir.

La crainte d’Its’hak

Dans sa confrontation avec Lavane, au Mont Guilad, Yaakov attribuera sa persévérance et son succès à ‘Harane au « D.ieu d’Avraham et à la crainte d’Its’hak ». 

C’est là que réside la clé de l’énigme concernant Its’hak. Il représentait la crainte face à l’amour d’Avraham, la retenue face à l’expansivité d’Avraham, l’effacement de soi face à l’affirmation de soi d’Avraham. L’amour que ressentait Avraham pour D.ieu et pour l’humanité l’envoya dans un voyage qui partait de lui-même et se dirigeait vers l’extérieur, un voyage qui laissait ses empreintes sur les routes de la Mésopotamie, de l’Egypte et de Canaan. Le voyage d’Its’hak était un voyage intérieur, un voyage dans les profondeurs du moi, vers l’essence profonde.

Its’hak, c’est la crainte du Ciel dans le cœur juif : notre autodiscipline, notre sacrifice silencieux, notre humble respect devant la majesté du Créateur. Its’hak creusait des puits, traversant les strates de l’émotion et de l’expérience en quête des eaux essentielles de l’âme. Il creusait au-delà des sentiments, plus profondément que le désir, que l’accomplissement, pour atteindre l’abnégation absolue.

Un amour étranger

Avraham, lui aussi, avait creusé des puits mais ils furent taris par les Philistins.

« L’un face à l’autre, D.ieu (les) a fait(s) » est l’une des lois fondamentales de la Création. Chaque qualité possède sa contrepartie négative, chaque force positive son pendant négatif.

L’amour possède également son rival dans le mal. L’amour est, après tout, l’affirmation de sa personne, la propension qui vient de soi à donner et communiquer avec l’autre. L’amour corrompu se déclare quand le moi s’affirme, non plus pour donner, non plus pour éprouver de la compassion mais dans une gratification personnelle égoïste.

Tant qu’Avraham vivait, seul un amour pur jaillissait de ses puits spirituels. Mais après sa mort, les Philistins condamnèrent les sources d’amour qu’il avait établies dans le pays. Un amour philistin est un amour sans retenue, sans discipline, un amour profane dénué du but profond et de l’engagement de l’amour d’Avraham.

C’est Its’hak qui sauva l’héritage d’amour d’Avraham. Les puits à nouveau creusés par Its’hak furent immunisés contre la corruption des Philistins. Parce que l’amour qui s’écoule d’un puits d’abnégation et de crainte de D.ieu reste fidèle à sa source et à son objectif.

L’âme juive

Chaque Juif est l’enfant d’Avraham, d’Its’hak et de Yaakov. Chaque Juif possède leur amour, leur crainte et leur vérité, encapsulés dans le patrimoine génétique de son âme.

L’Avraham dans le Juif se précipite pour enlacer le monde, pour défendre les opprimés, pour donner son cœur, son âme et ses biens à son prochain. Mais l’amour non maîtrisé risque de se désintégrer dans l’amour où « tout est bon », comme celui des Philistins.

Yist’hak est la source juive de discipline, d’humilité et de respect, de notre prise de conscience de la petitesse de l’homme, être fini, devant l’infini de D.ieu.

La conséquence de ce mariage entre l’amour et la crainte est la vérité, la vérité qui se concentre sur notre jaillissement d’amour en donnant, la vérité qui cultive notre retraite intérieure en faisant preuve d’abnégation à des fins constructives. Et c’est là l’héritage de Yaakov, celui en qui l’amour d’Avraham et la crainte d’Its’hak fusionnent en une vérité invincible.

Le Coin de la Halacha

 Comment se laver les mains le matin ?

Dès qu’on se réveille le matin, encore dans son lit, on récite la courte prière « Modé Ani Lefané’ha Mélè’h ‘Haï Vekayam Chéhé’hézarta Bi Nichmati Be’hemla. Rabba Émounaté’ha » (Je reconnais – et remercie – devant Toi, Roi vivant et éternel, car Tu m’as rendu mon âme avec miséricorde. Grande est Ta confiance).

Ensuite, on se lave les mains rituellement avant même de se lever. Pourquoi ?

1) Les Cohanim (descendants d’Aharon, le grand prêtre) se lavaient les mains avant de débuter leur service dans le Temple de Jérusalem : chaque Juif est un prêtre dans le Temple miniature que sont sa maison et son cœur.

2) Tandis que le corps se repose, l’âme remonte au Ciel pour reprendre des forces. Seules les fonctions basiques de l’âme nécessaires à la survie du corps demeurent. Le vide ainsi formé engendre un état spirituel négatif appelé : impureté. Quand on se réveille, on se lave les mains pour enlever tout vestige de cette impureté.

3) Durant la nuit, les mains risquent de toucher des parties du corps normalement couvertes ; il est donc nécessaire de les laver avant de prier.

Pour cela, on aura installé auprès de son lit (mais non sous le lit) une bassine avec un Kéli (récipient muni d’anses, réservé à cet usage). On prend le Kéli dans la main droite, on le passe dans la main gauche et on verse un peu d’eau sur la main droite. Puis on passe le Kéli dans la main droite et on verse un peu d’eau sur la main gauche ; et ainsi trois fois de suite. Cette eau devra être rapidement jetée.

Une fois qu’on s’est lavé et habillé, on se lave à nouveau les mains rituellement dans l’évier puis on récite la bénédiction de Netilat Yadayim et toutes les autres bénédictions du matin.

La journée peut commencer.

(d’après Scroll - chabad.org)

Le Recit de la Semaine

 Hershel la chèvre

(Ce récit fut publié pour la première fois par le Rabbi précédent, Rabbi Yossef Its’hak. Il l’avait entendu de son père, Rabbi Chalom Dov Ber qui lui demanda de le retranscrire alors qu’il était adolescent. Trois fois, son père apporta des corrections afin de s’assurer qu’il était complet et exact. Nous verrons la semaine prochaine comment ce récit affecta profondément plusieurs personnes).

C’était jour de marché dans la ville de Brody avec des commerçants tentant d’attirer les clients en quête de bonnes affaires. Mais soudain le Baal Chem Tov qui passait là remarqua un simple Juif qui portait un lourd sac de farine sur l’épaule. Mais au-dessus de sa tête, le Baal Chem Tov (et lui seul) pouvait distinguer une lumière qui brillait d’une grande intensité. « Certainement cet homme appartient au cercle des Justes cachés ! » en déduisit le Baal Chem Tov.

Fasciné, le Baal Chem Tov tenta d’obtenir plus de renseignements : « Oh lui ? » se moquèrent gentiment les commerçants, « il s’occupe de ses chèvres et c’est pourquoi nous le surnommons ‘la chèvre’. Son épouse est décédée il y a dix ans et il vit seul avec ses chèvres dans une maison délabrée ».

La stupéfaction du Baal Chem Tov ne fit qu’augmenter. Il décida de suivre Hershel pour découvrir quelle action méritoire il accomplissait. Cependant, même après quelques jours de filature discrète, l’énigme demeura.

Après trois jours de prières et de jeûne, le Baal Chem Tov s’approcha d’Hershel et lui demanda : « Je suis affamé et faible. J’apprécierai justement un bol de lait de chèvre. Puis-je t’en acheter ? ».

- Certainement ! répondit Hershel, tout heureux. Venez avec moi et je vous en donnerai - mais gratuitement.

Hershel emmena l’étranger, ouvrit la porte de sa misérable demeure et l’air fut soudain rempli de bêlements joyeux. Il se mit alors à traire ses chèvres pour donner un bol de lait chaud à son invité et lui dit : « Toute sa vie, ma valeureuse épouse Ra’hel Léah s’est occupée des pauvres et des malades. Dès qu’un enfant naissait dans une famille nécessiteuse, elle accourrait pour aider la maman et le nouveau-né… Elle avait commencé cette Mitsva dès son plus jeune âge.

Il y a dix ans, elle est décédée. Quelques jours plus tard, elle m’est apparue en rêve et m’a raconté ce qu’elle a vécu après avoir quitté ce monde : ‘Je me suis sentie escortée devant le Tribunal Céleste » affirma-t-elle. « On était en train d’étudier chaque aspect de ma vie quand soudain, un grand groupe d’âmes apparut : celles des femmes et des enfants que j’avais aidés durant toutes ces années. Elles témoignèrent devant le Tribunal Céleste de tout ce que j’avais accompli pour elles et, grâce à ce mérite, je fus immédiatement emmenée au Gan Eden. Maintenant je vais te révéler un secret : dans le Ciel, on réserve un respect particulier à ceux qui ont passé leur vie à aider les autres. Comme tu es un Juif simple, incapable de gagner des mérites par l’étude de la Torah, j’ai quelque chose à te proposer : aide les malades et assiste les jeunes mamans. Mais garde tes bonnes actions secrètes.’ Puis ma femme disparut et je me suis réveillé. »

En réfléchissant à cela, j’ai décidé d’acheter quatre chèvres. Tout l’argent que je parviens à gagner comme porteur, je l’utilise pour acheter des graines de qualité supérieure pour mes chèvres. Ainsi, elles produisent un lait excellent et nourrissant grâce auquel les malades et les accouchées peuvent se nourrir. Je distribue le lait secrètement, laissant des bidons remplis devant le pas de leurs portes. La nuit dernière, ma femme m’est réapparue en rêve et m’a confié : « Si demain, tu rencontres un homme pauvre qui te demande à manger, emmène-le à la maison, offre-lui de ce lait et raconte-lui notre secret. Grâce à lui, tu obtiendras des mérites éternels ».

Profondément ému par la sincérité de ce porteur, le Baal Chem Tov décida de rester à Brody durant tout un mois. Tout en observant la conduite pure et sincère d’Hershel, il comprenait à présent pourquoi une colonne de lumière brillait au-dessus de sa tête.

Le Baal Chem Tov demanda à l’un des « Justes Cachés » d’accepter Hershel dans son groupe et de lui enseigner toute la Torah. Au bout de cinq ans, du Ciel on demanda à Hershel de s’installer à Anipoli et, là aussi, il continua de soigner les malades et les jeunes mères. Puis Hershel prit son bâton et se mit à voyager de ville en village pour aider les autres. Peu avant son décès, Hershel arriva dans la ville d’Ostropol. Un froid jour d’Elloul 1761, à peine un an après le décès du Baal Chem Tov, le vertueux gardien de chèvres quitta silencieusement ce monde à un âge avancé. Apprenant qu’un pauvre voyageur inconnu était décédé, peu de gens s’aventurèrent au cimetière alors que la pluie tombait à torrents et que sévissait un vent glacial : seuls dix hommes accompagnèrent Rabbi Hershel à sa dernière demeure dans ce déluge.

Son âme s’éleva vers les sphères célestes où l’attendaient les âmes de tous les Justes cachés y compris celle du Baal Chem Tov ainsi que les âmes de tous ceux qui avaient bénéficié de ses actes charitables. C’est alors qu’éclata une polémique : certains anges accusèrent les gens d’Ostropol qui, selon eux, n’avaient pas accordé tous les honneurs dus à Rabbi Hershel : « Ils ont déshonoré le Tsadik ! A peine dix hommes se sont déplacés !

Soudain on entendit : « Laissez entrer l’âme d’une femme vertueuse, Ra’hel Léah, l’épouse de Rabbi Hershel ! ».

« Peut-on sérieusement blâmer les Juifs d’Ostropol pour leur apathie ? » supplia-t-elle. « Pouvaient-ils savoir que ce colporteur était un Tsadik, un saint ? De plus, si vous punissez les Juifs de cette ville, ce sera comme si vous punissez mon saint mari ! Après tout, il serait la seule cause de leur malheur en raison de votre accusation ! ».

En entendant ces mots, les anges accusateurs, honteux, disparurent et le mauvais décret fut annulé.

(Après plus d’un siècle, en 1875, Rabbi Chalom Dov Ber (le 5ème Rabbi de Loubavitch) mérita de voir le Baal Chem Tov dans son environnement céleste de lumière et d’entendre de son âme différents récits – entre autres celui d’Hershel le simple gardien de chèvres qui mérita de devenir un des plus grands Tsadikim de sa génération).

A suivre…

Rav Mendel Schwartz – L’Chaïm N° 1594

Traduit par Feiga Lubecki