Samedi, 22 novembre 2014

  • Toledot
Editorial

 La page qui ne se tourne pas

Cela fait environ deux semaines à présent. Déjà deux semaines que la nouvelle éclata, bouleversant tous ceux qui l’avaient connu, approché ou simplement avaient pris la mesure de ce qu’il avait accompli dans les quatre décennies écoulées : le Rav Azimov était décédé. Malgré les innombrables témoignages de sympathie, les multiples anecdotes rapportées, tout n’a sans doute pas été dit. Il ne saurait en être autrement pour une personnalité qui, installée à Paris en 1968, réussit à y faire apparaître un véritable bonheur d’être juif, une joie de vivre pleinement dans la cité sans rien perdre de soi-même, que la dureté des temps avait peu à peu fait perdre de vue. Il n’en reste pas moins que, au-delà du manque que son absence suscite en chacun, au-delà de l’immense perte dont on aura encore longtemps peine à réaliser la réalité ou la portée, sa disparition nous invite à réfléchir à l’œuvre accomplie.

Qui se souvient encore de cette époque – si lointaine et si proche – où marcher dans les rues de la capitale avec la tête couverte tenait de la gageure, comme un défi aux usages si puissants en ce temps-là ? Qui se souvient de la bataille que constituaient des choses qui apparaissent aujourd’hui si élémentaires : respecter le Chabbat, disposer de tous les produits cachères nécessaires, étudier la Torah… ? Pour certains, le judaïsme semblait déjà appartenir au passé, prêt à être remisé au magasin des accessoires, si charmants par la nostalgie qu’ils soulèvent et si inutiles pour la même raison. Rav Azimov s’installe donc alors à Paris, envoyé par le Rabbi, et voici qu’un nouveau temps commence. Voici que les cours se multiplient, que la communauté juive retrouve le chemin d’elle-même. De tout cela, il fut l’initiateur. Mû par un enthousiasme, une foi, une énergie que rien ne put jamais démentir, il sut donner un nouveau sens au mot «vivre» ou, mieux encore, en transmettre la profondeur à tous.

A présent, ses élèves, ses amis, tous ceux qu’il a croisés lui rendent hommage avec les responsables communautaires ou civils. Mais il ne faut pas se méprendre. Rav Azimov n’est pas de ces hommes sur lesquels on tourne une page pour dire qu’il faut passer à «autre chose». Sa vie est une leçon et son action, un guide. Une telle page ne se tourne pas, elle continue de s’écrire jour après jour. Qui en sera donc l’auteur à partir de maintenant ? Chacun d’entre nous. Nous sommes les dépositaires d’un prodigieux héritage. A nous de poursuivre l’œuvre : le souvenir est précieux mais c’est dans l’avenir qu’il montrera sa puissance. Jusqu’à ce que la venue du Machia’h fasse «se lever et chanter ceux qui dorment dans la poussière» et Rav Azimov parmi eux.  

Etincelles de Machiah

 Après l’épreuve, la Délivrance

Avant que le jour commence à poindre, l’obscurité est la plus profonde ; c’est là le signe que la lumière va naître. Il en est de même pour la grande obscurité de cet exil avec ses immenses épreuves. C’est une préparation à la grande lumière de Machia’h, une lumière supérieure encore à celle qui apparut au moment du Don de la Torah.

Car le processus se décrit ainsi : après la maladie, la guérison, après l’épreuve, le salut et la consolation.

(D’après Imrei Bina 5, 2) 

Vivre avec la Paracha

TOLEDOT: Accéder à la postérité

Un héritage éternel

Nous désirons tous ne pas être oubliés. Nous désirons que notre vie apporte quelque chose de pérenne au monde. Tel est le message de la Paracha de cette semaine : Toledot ; un homme peut laisser un héritage qui se perpétuera après son départ.

Nos Sages offrent deux définitions du mot Toledot.

D’une part, il signifie «progéniture» (Rachi Beréchit 25 :19). Cela inclut ses enfants biologiques et ses enfants «spirituels», c’est-à-dire tous ceux à qui il a enseigné. Et tous perpétuent son influence.

Mais Toledot signifie également «les chroniques de sa vie et ses expériences». Quand l’existence d’une personne est pleine de sens, les histoires sur sa vie apportent l’inspiration aux générations futures.

Une fontaine de source intérieure

A qui la Torah choisit-elle d’associer le message de Toledot ? A Its’hak. Deux caractéristiques reflètent la nature du Service Divin d’Its’hak. Contrairement à son père Avraham, il ne quitta jamais Erets Israël et par ailleurs, il consacra ses efforts à creuser des puits (Beréchit 26 :18…).

Avraham disséminait la Divinité dans les lieux où il séjournait. Il «proclamait au monde entier qu’il n’y a qu’un D.ieu et qu’il convient de Le servir. Il voyageait de ville en ville et de pays en pays, rassemblant les gens et proclamant (l’existence de D.ieu)».

Its’hak, quant à lui, ne quitta jamais la Terre Sainte et même alors qu’il résidait à l’intérieur du pays, nous ne rencontrons pas beaucoup d’histoires qui relatent ses efforts pour aller vers les autres. Son Service Divin se concentrait sur l’intériorité.

C’est l’idée que renvoie son occupation de creuser des puits. Creuser un puits implique qu’il faut ôter des couches de terre pour découvrir les sources cachées des eaux vives. Dans une perspective spirituelle, «creuser» signifie travailler pour atteindre l’essence de D.ieu qui est en nous et la faire écouler en une source de force intérieure. Chacun d’entre nous possède une Néchama, «véritable parcelle de D.ieu». Chaque entité vit par une étincelle divine. Le but d’Its’hak était d’activer ces potentiels innés, de les faire jaillir à la surface et des les utiliser pour initier un changement positif.

C’est ainsi que la conscience de D.ieu devient partie intégrante de notre vie. Elle ne reste pas dans un état de dépendance par rapport aux enseignements reçus par d’autres mais vient de notre propre vision intérieure. Et cela va nous permettre de faire résider la Présence Divine dans chaque aspect de l’existence.

C’est dans ce contexte que nos Sages interprètent le verset : «Réside sur cette terre» (Beréchit 26 :2) comme signifiant «Fais en sorte que la Présence Divine réside sur cette terre», aide le monde à exprimer son essence divine.

L’intériorité qui conduit à l’extérieur

Il est sûr qu’il s’agit là d’une approche louable dans le Service Divin mais pourquoi est-elle associée avec le nom Toledot, qui signifie «progéniture» ? Il aurait semblé plus approprié d’associer le concept de Toledot avecle Service Divin d’Avraham car lui chercha activement à communiquer à tous la conscience de D.ieu.

Mais en donnant à cette Paracha le nom de Toledot, nos Sages soulignent le fait que l’intériorité d’Its’hak suscite également une «progéniture». Le Service Divin d’Its’hak et l’influence positive générée attiraient l’attention des gens et les motivaient à suivre son exemple. C’est dans cette veine que la Paracha relate qu’ Avimélè’h, roi des Philistins, et son général Pi’hol, rendirent visite à Its’hak et lui dirent : «Nous avons vu que D.ieu est avec toi» (Beréchit 26 :28).

Le Service Divin d’Its’hak leur apporta la conscience de la présence active de D.ieu dans le monde. En fait, cette prise de conscience suscitée par Its’hak fut plus permanente que celle qui avait été générée par Avraham car elle émanait des hommes eux-mêmes. Itsh’ak intériorisait le lien avec D.ieu et permettait à ceux qui l’entouraient de percevoir l’influence Divine.

Communiquer à nos enfants

Dans son sens le plus complet, notre désir de ne pas être oublié se concentre sur nos enfants. Nous voulons qu’ils continuent et développent encore davantage nos principes et nos valeurs. Et c’est là que se soulève une difficulté : les enfants d’Its’hak étaient Essav et Yaakov. Yaakov, certes, perpétua et développa le Service Divin d’Its’hak. Mais Essav ? Il rejeta complètement l’approche de son père. Et ce qui rend la chose encore plus difficile à comprendre tient au fait que la plus grande partie de la Paracha concerne Essav. De fait, à propos du verset «Et voici la progéniture d’Its’hak», le Midrach statue que le mot Toledot se réfère spécifiquement à Essav.

Bien que la conduite d’Essav ne démontrât pas ouvertement qu’il était le fils d’Its’hak, le lien avec son père existait quand même. Cela apparaît dans la déclaration de nos Sages selon laquelle la tête d’Essav fut enterrée «sur le giron d’Its’hak son père» (Targoum Yonathan, Beréchit 50 :13).

Par le même biais, nos Sages expliquent que, contrairement à Ichmaël qui n’est pas considéré comme un héritier d’Avraham, Essav est l’un des héritiers d’Its’hak. Car l’abri de l’âme d’Essav, sa tête, contenait des étincelles divines puissantes, associées à Its’hak.

C’est pour cette raison qu’Its’hak désira donner sa bénédiction à Essav plutôt qu’à Yaakov. Car, en tant que père, Its’hak luttait constamment pour motiver Essav à mener une vie conforme à son potentiel spirituel et il pensait que lui accorder ces bénédictions l’aiderait en ce sens.

(Cela donne à chaque parent une leçon concernant ses enfants, même si, à D.ieu ne plaise, leur conduite, comme celle d’Essav, est déficiente. Un parent ne doit jamais renoncer et doit continuer à développer sans fin le potentiel inhérent à son enfant. Puisque «tous les Juifs sont responsables les uns des autres» (Chavouot 39a), cette leçon, s’applique non seulement à nos enfants mais à chaque membre de la Nation juive. Nous devons, pour citer la Michnah (Avot 1 :12), «aimer les créatures et les conduire à la Torah».)

Cependant, le modèle selon lequel D.ieu gère le monde veut qu’Essav ne découvre pas son potentiel spirituel de façon indépendante. Mais c’est plutôt par l’intermédiaire du service spirituel de Yaakov et de ses descendants que se révèleront ces ressources. 

Cela transparaît dans les efforts du Peuple Juif, dans le présent exil, identifié comme «l’exil d’Edom (Essav)»,  pour révéler le potentiel spirituel que possède Essav.

L’aboutissement de ces efforts adviendra à l’Ere de la Rédemption quand «les sauveteurs monteront sur le Mont Sion pour juger la montagne d’Essav et la souveraineté appartiendra à D.ieu». C’est alors que les énergies puissantes que possède Essav feront surface et pourront s’exprimer de manière adéquate. Que cela se produise dans le futur immédiat.

(D’après Likouté Si’hot, Vol. XV, p. 191 ;

Vol. XXV, p. 123)

 

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que le Kaddich ?

Les Sages déclarent : «Le fils ajoute un mérite au père par ses bonnes actions – même s’il n’en avait pas l’intention». Toute bonne action accomplie par le fils – en particulier le fait de réciter le Kaddich, de monter à la Torah et d’officier à la synagogue – procure un mérite et une satisfaction supplémentaire à l’âme du défunt dans le Monde de Vérité.

Ainsi, il est rapporté dans plusieurs endroits que quand un fils récitait le Kaddich (ou la Haftara…), l’âme du père était délivrée de nombreuses souffrances dans le Monde à venir. Même les Tsadikim (les Justes parfaits) bénéficient de cela et leur âme s’élève de degré en degré.

Le Kaddich ne mentionne pas du tout le décès (à part celui qui est récité au moment de l’enterrement, quand on mentionne la foi absolue dans la Résurrection des Morts). Le Kaddich est récité uniquement pour la Gloire de D.ieu avec une prière pour qu’Il amène rapidement la délivrance, quand tous les peuples reconnaîtront la grandeur de D.ieu et accepteront Sa royauté.

Il est très important de réciter le Kaddich et ceux qui l’entendent doivent répondre Amen de toutes leurs forces car cela déchire les mauvais décrets ; cette voix forte brise tous les accusateurs et annule les décrets fâcheux.

Par ailleurs, on multiplie les dons à la Tsedaka en l’honneur du défunt, on étudie des Michnayot à sa mémoire et, en général, on augmente les bonnes actions dans tous les domaines.

F.L. (d’après Rav Yossef Ginsburgh)

Le Recit de la Semaine

 Menottes ou Téfilines ? 

En octobre 1973, un groupe de jeunes gens fut envoyé par le Rabbi dans la Yechiva qui venait d’être fondée à Miami, en Floride.

Nous avions entendu parler d’un collège qui était fréquenté par un grand nombre d’étudiants juifs. Un vendredi après-midi, nous nous sommes installés à la sortie de l’école, avec une table pliante et quelques paires de Téfilines juste avant la fin des cours. Quand les étudiants sortirent, ils furent surpris mais enchantés que nous leur proposions de mettre les Téfilines. Bien vite, il se forma une longue queue de jeunes garçons qui attendaient leur tour. Tout se passa très bien et, le vendredi suivant, nous sommes retournés ainsi que les semaines suivantes. Mais un jour le directeur du collège sortit et remarqua ce qui se passait. Furieux, il nous interpella : «Arrêtez ! Vous n’avez pas le droit de faire cela ici ! C’est anticonstitutionnel !»

- Nous sommes désolés mais nous ne faisons rien de mal ! Ce sont des Téfilines et tous les garçons et hommes juifs sont supposés les mettre chaque jour. Nous ne faisons qu’aider les étudiants juifs à accomplir leur devoir religieux !

- Foutaise ! Moi aussi je suis juif mais personne ne fait plus ce genre de choses. De plus, cela s’appelle de la coercition religieuse. Je n’admettrai pas que la religion s’incruste dans mon école publique !

- Je voudrais vous faire remarquer que nous ne sommes pas stationnés dans l’enceinte de votre école mais à l’extérieur. Nous sommes citoyens d’un pays de liberté, ce qui comprend la liberté de culte. Vos étudiants n’auraient-ils pas le droit de pratiquer leur religion dans ce pays ?

- Si vous ne partez pas immédiatement (il était furieux), j’appelle la police !

Il tourna les talons, l’air courroucé.

Nous avons décidé d’ignorer ses menaces. Après tout, nous étions les émissaires du Rabbi, nous ne faisions absolument rien d’illégal et, de toute manière, le directeur ne mettrait certainement pas ses paroles à exécution.

Nous avons néanmoins préféré nous installer un peu plus loin afin de pas être accusés de bloquer la sortie du collège ou de gêner la circulation. Quand le directeur se plaignit encore une fois, nous avons carrément traversé la rue. Et nous étions tellement occupés à aider les jeunes gens à mettre les Téfilines que nous n’avons pas remarqué l’officier de police qui approchait jusqu’à ce qu’il s’écrie : «Arrêtez tout cela et partez d’ici immédiatement !»

Persuadés que la justice et le bon D.ieu étaient de notre côté, nous avons refusé d’obtempérer en expliquant : «Nous ne contrevenons à aucune loi ! Nous agissons sur la voie publique, nous ne procédons à aucun prosélytisme, nous aidons simplement des jeunes Juifs à accomplir leur devoir religieux. Nous ne forçons personne !»

Mais l’officier de police n’était pas impressionné : «Si vous ne partez pas, je vous arrêterai !»

Les forces du mal devaient vraiment être désespérées pour en arriver à ce point ! pensions-nous. Mais nous n’allions pas céder pour autant, nous avions une mission importante à accomplir et, de plus, les étudiants continuaient à faire la queue devant notre stand.

Le policier sortit les menottes de sa poche.

«Vous allez voir que nous sommes sérieux !» menaça-t-il et nous nous retrouvâmes menottés, donc dans l’incapacité de continuer à mettre les Téfilines à qui que ce soit : «Allez-vous quitter ce trottoir maintenant ou dois-je vous emmener au commissariat ?» demanda l’officier avec un sourire sarcastique.

«Bon, d’accord ! Nous partons !»

Le policier dégagea les menottes tandis que le directeur de l’école qui avait suivi la scène gloussait de satisfaction : «Voilà qui leur apprendra à ne plus recommencer !»

Il ignorait que les émissaires du Rabbi ne se laissent pas démonter si facilement. Quand Rav Chalom Ber Lipsker entendit ce qui était arrivé, il nous assura que nous pourrions retourner dès le vendredi suivant à notre porte, face au collège.

Le vendredi suivant, le maire – non-juif – de Miami, M. Chuck Hall se déplaça en personne et se posta devant la porte du collège pour montrer combien il était attaché à la liberté de culte. Il tint à serrer chaleureusement la main de chacun d’entre nous et désigna un endroit où nous pourrions placer notre table. Il tint à se faire photographier, souriant, au milieu de nous – étudiants barbus et en chapeaux de la Yechiva de Miami – pour immortaliser son soutien à notre cause. Incrédule, le directeur juif du collège observait la scène d’un œil morne.

Espérant néanmoins démontrer que lui défendait la démocratie et le mode de vie américain, il s’approcha d’un de ses étudiants qui venait juste de mettre les Téfilines et qui remettait sa veste :

- Pourquoi permettez-vous à ces fanatiques de vous traiter ainsi  ? demanda-t-il d’une voix qui se voulait autoritaire.

- Mais c’est ma religion ! répondit le jeune homme sur un ton d’évidence. Je ne sais pas ce que vous ressentez pour la vôtre mais moi, j’aime ma religion et j’en suis fier !

A dater de ce jour, il n’y eut plus d’opposition.

Yosef Yitzchok Gordon, Melbourne – Australie

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traduit par Feiga Lubecki

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