Semaine 47

  • Toledot
Editorial

L’émotion et la force

Ils étaient tous là, ils sont tous venus… ou presque. Tous ? Les Chlou’him, les émissaires du Rabbi aux quatre coins du monde qui se sont réunis, comme la tradition en est déjà fixée, le Chabbat dernier à New York. Dans ces mêmes colonnes, la semaine dernière, le Congrès était annoncé et, bien sûr, il a tenu ses promesses et sans doute au-delà. Nul n’est resté insensible à cette force littéralement hors du commun qui émane d’une telle assemblée. Nul n’a pu repartir du Congrès comme il était venu. Chacun en a acquis comme une conscience plus claire du chemin qui s’étend devant lui : ce qui a été accompli, ce qui reste à accomplir et la vision du but à atteindre.
Si les mots peinent à décrire la force, ils ont peut-être encore plus de mal à dire l’émotion. Car ce Congrès a vu aussi le premier anniversaire du décès de Rav Gavriel Holtzberg et de sa femme Rivka ainsi que de tous ceux qui se trouvaient dans le Beth ‘Habad de Bombay, en Inde, lorsqu’il fut la cible de la barbarie terroriste. Pour la première fois, des Chlou’him ont été assassinés à leur poste. Des Chlou’him qui, interrogés peu de temps auparavant, expliquaient avec la plus sincère simplicité : «Nous ne sommes pas ici pour avoir un travail. Nous sommes ici pour servir ceux qui en ont besoin». Et, de fait, l’adresse du Beth ‘Habad était connue de tous ceux que leurs affaires, le tourisme ou simplement la vie, avaient amené en Asie. Cela n’a pas changé. Un Séfer Torah a été inauguré à leur mémoire, auquel tous les Chlou’him ont contribué. Une inauguration de Séfer Torah est toujours une occasion de joie ; cette fois, c’était un sens d’éternité qui, sans la trahir, s’y mêlait.
Car l’éternité a une force. Vivante et immuable, vigoureuse et chatoyante, elle est le tissu de l’action des Chlou’him. Après ce qu’il faut bien appeler le « drame de Bombay », certains auraient pu craindre une sorte d’affaiblissement de l’enthousiasme qui entraîne tous ces hommes et leur famille aux confins de la planète, une certaine forme de découragement. Cela aurait été mal connaître les Chlou’him. Les parents de Rav Gavriel et Rivka Holtzberg étaient présents, chacun des pères a pris la parole. Avec une émotion profonde, que personne ne songeait à dissimuler, ce sont des mots d’action, des mots d’avenir qu’ils ont choisi de prononcer. Le travail des Chlou’him grandit et se multiplie. Rien, jamais, ne l’arrêtera ni ne le ralentira. Voici qu’enfin, au bout de la nuit du monde, va apparaître la lumière de la Délivrance.

Etincelles de Machiah

La plus grande pitié

La grande pitié que l’on éprouve pour le peuple juif, du fait qu’il est toujours en exil, est bien supérieure à toute pitié que l’on puisse concevoir. C’est pourquoi nous demandons à D.ieu : «Dans Ta grande miséricorde, aie pitié de nous».

Du point de vue de «Ta grande miséricorde», du point de vue de D.ieu Qui sait la vraie dimension de la pitié, il n’existe pas la moindre explication de la longueur de l’exil !
(D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch –
Chabbat Parchat Vayigach 5746) H.N.

Vivre avec la Paracha

Toledot : Essav, le «transformateur»

Notre Paracha décrit Yaakov décrit comme «un homme pur, résidant dans les tentes» et Essav comme «un homme qui sait chasser, un homme des champs». Cela signifie que Yaakov représente la bonté, la simplicité et la pureté, résidant dans les tentes de l’étude de la Torah, alors qu’Essav représente le mal. C’est un chasseur, un homme de combat et de conquête. Et pourtant, la Torah ajoute une note d’ambigüité qui a défié les érudits depuis des milliers d’années : leur père, Its’hak, affichait ouvertement sa préférence pour Essav.
Si Yaakov représente le bien et Essav le mal, comment se pouvait-il que le grand Patriarche Its’hak préfèrât Essav ?
L’on retrouve la même ambigüité dans les enseignements de nos Sages. Ils nous relatent qu’alors qu’Essav n’était qu’un fœtus dans le giron de sa mère, il luttait pour en sortir chaque fois qu’elle s’approchait d’un temple idolâtre. Plus loin, ils ajoutent qu’avant même leur naissance, les jumeaux se battaient pour deux mondes : le Monde Futur, choix de Yaakov, et ce monde ici-bas qui avait toute l’attention d’Essav. Et pourtant, le Zohar explique que lorsque la Torah dit : «et les garçons grandirent», cela signifie qu’en termes spirituels, l’ascendant spirituel de leur grand-père Avraham commença à se manifester et, en fait, qu’Avraham lui-même, toujours vivant alors, exerçait une influence active dans leur éducation.
Essav était-il mauvais depuis sa plus jeune vie embryonnaire ? Comment est-ce possible ? Il est sûr que tout un chacun possède le libre arbitre. Et si réellement, il était mauvais, qu’en est-il de son évolution spirituelle, de l’éducation que lui donnait son grand-père Avraham et du fait que son père Its’hak le préférait à son frère Yaakov ?
Le Rabbi, qui cherche toujours en tout une perspective positive, propose l’explication suivante. La véritable différence entre Yaakov et Essav réside dans le fait que Yaakov aspirait à développer davantage le bien alors que le souci d’Essav était de transformer le mal en bien. Essav était ce type d’homme qui combat le mal dans toutes ses formes et, idéalement, le transforme. Il possédait cette qualité même avant sa naissance. Encore dans le giron de sa mère, il tentait de sortir lorsqu’elle passait devant un temple idolâtre parce qu’il voulait le transformer en bien. De la même façon, avant sa naissance, il luttait pour révéler le bien dans ce monde alors que Yaakov sentait que le véritable bien ne serait réellement révélé que dans le Monde Futur. C’est la raison de ce combat dans le giron de leur mère.
Et puis, quand ils étaient jeunes, Yaakov resta dans une tente à étudier la Torah alors qu’Essav devint un chasseur, un homme des champs, parce qu’il voulait conquérir la négativité de «l’extérieur» et la transformer en bien.
C’est une voie extrêmement recommandable et son père la considérait comme supérieure à celle de Yaakov. Cependant, malheureusement, bien qu’Essav eût commencé de manière positive son cheminement dans la vie, il succomba au mal : au lieu de le transformer en bien, il en fut envahi et devint lui-même mauvais. En conséquence, sa transformation ultime du mal en bien dut passer par son frère Yaakov. Et en même temps, Yaakov, lui-même, fut celui qui allait opérer cette transformation, ce que nous verrons dans la Paracha de la semaine prochaine.
Les cheminements de Yaakov et d’Essav font tous deux partie de la Torah et ont tous deux une signification pour nous aujourd’hui. Dans notre service divin personnel et dans notre implication dans la société, nous devons être à la fois ceux qui résident «dans les tentes de la Torah», n’ayant de cesse de nous élever spirituellement, et des hommes «des champs» qui cherchent ce qui est apparemment négatif et en révèlent le bien profond : plus haut encore que le Monde Futur spirituel, un monde concret, ici-bas, de bien absolu.

Essav et ses femmes
Le mariage est un moment essentiel dans la vie. Cela s’applique à n’importe quel être humain dans le monde. Pour le Peuple Juif, le mariage est également primordial de la construction de notre identité. Toledot nous relate le premier mariage mixte qui désespéra les parents du conjoint juif. Et en même temps, nous tirons des enseignements sur la dimension extraordinairement positive d’un mariage.
Cette semaine, nous avons vu que la Torah nous peint Yaakov comme un homme spirituel et Essav comme un homme violent. Il était attendu que ce serait Essav qui ferait un mariage à l’extérieur des siens. La Torah relate que lorsqu’il eut atteint quarante ans, il épousa deux femmes de la tribu cananéenne des Hittites. Les épouses non «Avrahamiques» d’Essav causèrent «l’amertume dans l’esprit d’Its’hak et de Rivkah». Les Sages commentent qu’elles continuaient à servir des idoles, leur offrant des encens idoles. Rachi explique que c’est l’odeur de ces encens qui provoqua la cécité d’Its’hak.
Plus tard, nous lisons que Rikvah fait part à son mari de ses craintes que leur fils Yaakov finisse lui aussi par se marier avec une Hittite, à l’instar d’Essav. Il n’y avait pas d’autres femmes dans la proximité. C’est l’une des raisons pour lesquelles Yaakov fut renvoyé de chez lui, vers le nord-est, pour trouver une femme de la famille de Rivkah, ce que nous verrons dans la Paracha de la semaine prochaine.
Un point étonnant tient au fait que l’une des épouses Hittites d’Essav est appelée «Yehoudit». Cela semble être un nom juif et en fait, le Talmud affirme : «celui qui renie l’idolâtrie est appelé Yehoudi». Rachi explique qu’en réalité, elle possédait un nom différent mais qu’Essav l’appelait «Yehoudit» pour faire croire à son père qu’elle avait réellement adopté le service du D.ieu Unique.
Ces événements se produisirent il y a plus de trois mille ans et pourtant ils ont une résonance familière, aujourd’hui même. Il est aussi intéressant de noter qu’Essav prit une troisième épouse qui était tout à fait différente. C’était la fille d’Ichmaël et donc la petite-fille d’Avraham. Son nom était Mo‘halât, ce qui signifie «le pardon» et Rachi de commenter que d’elle nous apprenons que le marié et la mariée sont pardonnés de tous leurs péchés, le jour de leur mariage.
Le Rabbi commente que la Torah nous fait ainsi allusion au fait que les propres actions de Mo‘halât reflètent cette idée. C’était une personne véritablement raffinée et spirituelle. Pourquoi donc Essav l’avait-il épousée ? D’une part, très certainement parce qu’il voulait paraître bon aux yeux de son père. Mais par ailleurs, commente le Rabbi, Essav possédait lui-aussi une étincelle de bien, ce qui explique pourquoi son père l’aimait. Et viendra le moment où au cours de l’histoire cette étincelle de bien chez Essav et chez ses descendants sera révélée.

Le Coin de la Halacha

Qui allume les bougies de Chabbat ?

Les bougies de Chabbat apportent la paix dans la maison. Il est donc naturel que ce soit la femme, «le pilier de la maison», qui les allume chaque vendredi, 18 minutes avant le coucher du soleil.
Depuis 1974, le Rabbi de Loubavitch a demandé que les jeunes filles et même les petites filles allument leur propre bougie de Chabbat, avant leur mère (afin que celle-ci puisse les guider et les aider) avec la bénédiction :
«Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Ner Chel Chabbat Kodech».
Béni sois-Tu, Eternel notre D.ieu, qui nous a sanctifiés par Ses commandements et nous a ordonné d’allumer les bougies du saint Chabbat.
Cette campagne mondiale reçut le nom de «Mivtsa Néchek» («Nérot Chabbat Kodech») car elle constitue l’arme («Néchek») spirituelle des femmes et filles juives. (Après son mariage, la jeune femme allumera deux bougies).
Voici ce que dit le Rabbi le 10 Chevat 1984 au sujet de l’allumage par la fillette et la jeune fille : «Même si son père est un Juste parfait et sa mère une Juste parfaite, si la petite fille se demande : ‘Que puis-je ajouter aux bonnes actions de mes parents ?’, on lui expliquera que chaque bonne action que la petite fille effectuera dans le domaine de la Torah et des bonnes actions rajoute de la lumière dans le monde entier et peut (selon la loi tranchée par le Rambam, Maïmonide) : «Faire pencher la balance pour le monde entier du côté du mérite et amener la délivrance !»
Rabbi Chnéour Zalman (Choul’hane Arou’h Harav – Ora’h Haïm 263 – 1) écrit : «Plus il y aura, Chabbat, de lumière dans la maison, plus la paix et la joie régneront dans tous les coins» et donc dans le monde entier.
Le Tsaddik Rabbi Israël Abouhassira (affectueusement appelé «Baba Salé») s’attacha également avec enthousiasme à propager cette «ancienne» tradition remise à l’ordre du jour : «Je supplie chacun d’éduquer ses filles, dès leur plus jeune âge, à allumer leur bougie chaque veille de Chabbat. Cette Mitsva ‘protégera le peuple saint et la terre sainte’».
F. L. (d’après Rav Mordechaï Menaché Laufer)

De Recit de la Semaine

Mes bougies de Chabbat

Il y a vingt ans, j’ai reçu des bougies de Chabbat de quelqu’un que je ne connaissais pas. Des jeunes filles distribuaient des bougies à toutes les femmes juives qu’elles rencontraient et, bien qu’à l’époque je trouvai cela bizarre, je les acceptai.
A la maison, je lus le papier avec le mode d’emploi qui les accompagnait mais je décidai que ce rite n’était pas pour moi. Après tout, je n’avais jamais entendu le mot «Chabbat» et mon éducation juive s’était résumée en une phrase prononcée par ma grand-mère : «Tu es juive, et c’est tout ce que tu dois savoir !»
Les années passèrent, les bougies avaient été oubliées depuis longtemps quand la même scène se reproduisit : on m’offrit à nouveau des bougies un vendredi. Entre-temps j’avais eu l’occasion de rencontrer quelques Juifs pratiquants et je m’étais familiarisée avec cette coutume. Cette fois-ci, je trouvai que c’était une bonne idée ; je lus attentivement la brochure explicative qui soulignait la beauté, la signification profonde et l’importance de l’allumage des bougies. Ce fut ce vendredi soir que j’allumai les bougies de Chabbat pour la première fois.
Un an plus tard, naquit ma fille ‘Hanna. Pour elle, ce fut différent : dès le premier vendredi de sa vie, elle observa sa mère qui allumait les bougies de Chabbat. Quand elle fêta son troisième anniversaire, nous adoptâmes la coutume mentionnée dans la brochure : une petite fille de trois ans allume sa propre bougie de Chabbat avec la bénédiction, sous l’œil vigilant de sa maman bien sûr ! A cette occasion, je lui achetai un très beau chandelier.
Quand l’été arriva, ‘Hanna avait trois ans et demi et avait déjà une certaine expérience. Elle en parlait avec volubilité à son arrière grand-mère qui était venue de Floride pour quelques mois. ‘Hanna et moi aimions rendre visite à ma grand-mère dans le village de vacances le vendredi.
La brochure concernant l’allumage des bougies insistait sur l’importance de respecter les horaires afin d’honorer le Chabbat et de ne pas risquer de le désacraliser. C’est pourquoi nous quittions ma grand-mère bien avant l’heure de Chabbat afin d’avoir le temps de rentrer à la maison pour l’allumage.
Un vendredi après-midi, nous étions lancées toutes les trois dans une conversation animée quand je remarquai soudain qu’il était tard. Nous étions si bien ensemble que nous n’avions pas vraiment envie de nous quitter mais dans mon esprit, il ne pouvait en être autrement. Mais à ma grande surprise, ma grand-mère suggéra que nous allumions les bougies sur place dans son bungalow. J’acceptai volontiers et proposai même d’apporter sur place la nourriture que j’avais préparée afin que nous prenions ensemble le repas de Chabbat. Je fonçai en voiture chez moi et rapportai tout ce qui était nécessaire pour le repas. ‘Hanna était impatiente de montrer à sa grand-mère comment elle allumait la bougie en récitant par cœur la bénédiction. Son arrière grand-mère l’observa, fascinée et attendrie, tandis que l’enfant se couvrait le visage de ses petits doigts potelés et chantait la bénédiction avec une ferveur sincère.
Prise d’une inspiration soudaine, je proposai à ma grand-mère de l’imiter. Autant que je le sache, elle n’avait jamais allumé les bougies de Chabbat de sa vie. Je fus heureuse qu’elle acceptât. Je posai deux bougies supplémentaires sur le plateau : sans attendre mon aide, elle craqua une allumette, alluma ses bougies et, pleine d’assurance, récita d’elle-même la bénédiction.
J’étais stupéfaite : ma grand-mère connaissait donc la bénédiction ? Où avait-elle appris ? Comment se faisait-il que je ne l’avais jamais vue allumer les bougies de Chabbat ? Il était impossible qu’elle soit capable de répéter une phrase entendue pour la première fois de la bouche d’une enfant de trois ans !
Il n’y avait pas de temps à perdre, l’heure avançait. J’allumai mes bougies avec la bénédiction et mes prières silencieuses en faveur de ma famille, de mes amis, des malades, des jeunes gens à marier, des couples sans enfants et de tout le peuple juif. Puis j’interrogeai ma grand-mère. Elle raconta que sa propre mère allumait les bougies de Chabbat mais avait arrêté quand elle avait eu dix ans. Ma grand-mère se souvenait de la bénédiction si souvent entendue durant son enfance et l’avait reconnue quand ma fille l’avait prononcée.
Je n’en fus que plus étonnée : la dernière fois que ma grand-mère l’avait entendue, c’était il y a plus de 70 ans ! Ce souvenir était subitement revenu à sa mémoire. Elle-même n’avait jamais auparavant allumé les bougies de Chabbat et, ce vendredi après-midi, en compagnie de sa petite-fille et de son arrière petite-fille, elle les alluma pour la première fois de sa vie !
Tout au long de cet été, nous avons continué d’allumer toutes les trois ensemble les bougies de Chabbat. A la fin des vacances, ma grand-mère retourna en Floride : ‘Hanna et moi avons attendu avec impatience l’été suivant pour renouveler cette expérience mais ce bonheur nous fut refusé car ma grand-mère décéda quelques mois plus tard.
Après son décès, je me souvins subitement de ses mots : «Tu es juive, c’est tout ce que tu as besoin de savoir !» Je réalisai qu’avec cette connaissance de base, toute une vie de foi en D.ieu, d’étude de la Torah, de pratique des commandements et de réflexion m’attendait pour que je parte à sa découverte et que je m’en imprègne.
C’est à la mémoire de ma grand-mère que ‘Hanna et moi nous conformons justement à cet héritage identitaire.
Il est évident qu’il n’est jamais trop tard pour apprendre et pour accomplir.

Jill K. Lerner
L’Chaim n°1086
traduit par Feiga Lubecki

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