Demain sera un autre jour !
Terrible semaine ! Le qualificatif n’est sans doute pas exagéré. De fait, c’est cette semaine que, une fois de plus, nous commémorons la destruction du Temple de Jérusalem. Jeûne du 9 Av à la tragédie sans pareille. Si le sentiment de drame historique et universel ne peut être écarté, dans ce cas également, un tel ressenti, aussi juste et légitime soit-il, ne peut résumer à lui-seul ce que doit être notre réaction. Ne commettons pas l’erreur d’oublier que nous ne sommes pas uniquement condamnés à subir les soubresauts de l’histoire, positifs ou négatifs, mais que nous en sommes, au sens le plus fort du terme, les acteurs. C’est dire que les événements, y compris du passé et a fortiori ceux qui se répercutent encore de nos jours, dépendent d’abord de chacun de nous.
Le Talmud rapporte une étrange anecdote. Le jour où le Temple fut détruit, le premier 9 Av, un paysan non-juif se tenait à côté de sa vache. Brutalement, celle-ci se mit à meugler. Il s’exclama alors : « Le Temple est détruit ! » Quelques instants passèrent et la vache fit entendre pour la seconde fois son meuglement. Le paysan interpréta alors : « Le sauveur d’Israël – entendons, le Messie – vient de naître ! » Qui qu’ait été ce paysan et quel qu’ait été son animal, la leçon traverse les siècles. Le jour du 9 Av, nous commémorons certes une destruction mais aussi affirmons et vivons de la manière la plus pleine un espoir en construction : la réapparition du Temple avec la venue du Messie. C’est justement de cette deuxième étape que, porteurs de la mémoire de la première, nous sommes les artisans.
Et comme cette semaine se termine par le premier des sept Chabbat dits « de consolation », nous en sommes encore davantage conscients. Il nous appartient d’aboutir enfin à ce point ultime, attente de tous les hommes depuis le début des temps : l’avènement de cette époque où la Royauté Divine se révèlera sur l’univers entier et y établira la paix et l’harmonie éternelles. Et si cela a l’apparence d’un rêve ancien, il faut garder en tête qu’il s’agit là d’un de ces rêves qui font la chair de la réalité. Au dehors le soleil brille, qu’il brille aussi spirituellement dans notre cœur et notre âme. A nous d’entreprendre !
Une révélation infinie
Quand le Machia’h arrivera, tous les justes, les patriarches et Moïse reviendront de là où ils se trouvent, au plus haut du Gan Eden. Ils ressusciteront alors dans des corps matériels. Pourtant, puisque, spirituellement, ils connaissent déjà les plus grandes élévations, à quoi bon tout cela ?
C’est que, à ce moment, la révélation de D.ieu dans le monde, sera infiniment supérieure à ce qu’il en apparaît au Gan Eden.
(D’après Likoutei Torah Bamidbar p. 49a)
Vaet’hanane
Moché dit aux Enfants d’Israël que D.ieu ne lui a pas permis d’entrer en Terre Sainte et qu’il ne pourra la contempler que du haut d’une montagne. Il poursuit la répétition de la Torah, évoquant les événements sans précédent qui se sont produits depuis la sortie d’Égypte. Il prédit que des générations futures se détourneront de D.ieu, pratiqueront l’idolâtrie, perdues parmi les nations, mais qu’elles reviendront à D.ieu et Ses commandements.
La Paracha inclut les Dix Commandements, le Chema Israël, les Mitsvot de l’amour du prochain, de l’étude de la Torah, des Tefiline et des Mezouzot.
La naissance du Machia’h
Des centaines de personnes s’unirent dans un cercle de danse, remplis d’enthousiasme. Des anciens, à la barbe blanche, des jeunes garçons, d’érudits rabbins et des travailleurs placèrent leurs mains sur les épaules de leur voisin et levèrent leur voix dans une célébration exubérante. Les passants sur le trottoir à l’extérieur de la synagogue s’arrêtaient et pénétraient dans le lieu, attirés par la force vibrante de la célébration.
Et pourtant, ce n’était pas Sim’hat Torah ni Pourim mais la nuit qui suivait la fin de Ticha BeAv, le jeûne du 9 Av.
Les Prophètes promettent qu’au temps de Machia’h, Ticha BeAv ainsi que les autres jeûnes commémoratifs seront transformés en jours de fête et de réjouissance. Un avant-goût de ces célébrations fut ressenti en 1991 au 770, le quartier général du mouvement Loubavitch.
Peu de temps après la fin du jeûne, le Rabbi pénétra, sans que l’on s’y soit attendu, dans la synagogue, et prononça un discours court mais très inspirant.
Il se reproduisit la même chose le lendemain.
Nous vous proposons un aperçu de ces deux discours. Tous ceux qui étaient présents ressentirent l’imminence de la Délivrance et leur impatience pour que cela se produise en fut ravivée.
L’idée que le Rabbi essayait d’imprimer en nous est que nous ne devons pas envisager la Délivrance comme une construction abstraite, théorique mais comme un sujet concret et tout à fait actuel. Nous nous tenons depuis un certain temps sur le seuil de cette nouvelle époque et il est temps de se préparer à le traverser le moment venu.
Ticha BeAv génère de la force
Nos Sages affirment que le Machia’h est né à Ticha BeAv. Il ne s’agit pas simplement de la description d’une histoire passée mais, bien au contraire, l’intention de cette déclaration est de nous dire que chaque année, Ticha BeAv entraîne un nouvel élan pour la venue de la Délivrance.
Expliquons cette idée : un anniversaire est, pour citer nos Sages (Talmud Yerouchalmi, Roch Hachanah 3 : 8) un moment où Mazalo Govèr, où la source spirituelle de l’âme de la personne brille avec profusion. C’est ainsi que l’anniversaire du Machia’h est un temps où lui et la Délivrance qui lui est associée reçoivent de nouvelles forces. Et cela précipite la venue du temps où se manifestera concrètement la Délivrance ultime.
L’on se réfère habituellement à la Délivrance comme « Hageoula Haémitite veHacheléma », « la Délivrance véritable et complète. » Le terme « complète » implique qu’elle embrasse tous les éléments de la création et inclut chaque Juif en particulier.
C’est là que réside la différence entre la Délivrance future et les libérations précédentes, dans notre histoire. Lors de la sortie d’Égypte, les Juifs qui ne méritaient pas d’être sauvés moururent au cours de la plaie de l’obscurité. De la même façon, lors du retour vers Sion, sous la conduite d’Ezra, la majorité du Peuple juif resta en Babylonie.
En revanche, la Délivrance future inclura tous les membres de notre peuple : chaque Juif quittera l’exil.
(Dans un sens plus large, elle concernera également les Juifs qui ne sont pas encore nés, car leur naissance sera précipitée et également les âmes des générations précédentes qui reviendront avec la résurrection des morts.)
Pour qui Moché pria-t-il ?
Ce concept éclaire un récit intéressant que nous lisons dans la Torah. Au début de la Paracha Vaét’hanane, Moché indique au Peuple juif comment il a imploré D.ieu pour lui permettre d’entrer en Israël. Même après que D.ieu eut refusé sa requête, il continua à prier jusqu’à ce que finalement D.ieu lui dise : « Cela suffit… Ne parle plus de ce sujet. » (Devarim, 3 :26).
(En outre, il est fort improbable que, même après ce commandement, Moché cessât de prier. Son désir, et en réalité, c’est le véritable désir de chaque Juif, d’entrer en Terre d’Israël, ne connaissait pas de limites et c’est pourquoi il le poursuivit avec abnégation. L’on peut assumer que même lorsqu’il se tenait sur le Mont Nébo, contemplant, avant sa mort, la Terre Promise, il continuait à prier pour y entrer.)
Pour qui Moché priait-il ? Si tout ce qui était ici impliqué s’était limité à sa propre personne, l’on peut imaginer que ses prières auraient dû être exaucées. Les prières de chaque Juif, et a fortiori celles d’un Tsaddik, ont un potentiel énorme. Nos Sages vont jusqu’à dire : « Un Tsaddik décrète et D.ieu accomplit. »
Le berger de Son peuple
Mais Moché ne se souciait pas de sa propre personne. Il est décrit par les Sages comme le « berger du Peuple juif ». Ainsi il n’aurait pu concevoir un futur pour lui-même sans inclure son troupeau. Puisqu’il avait été décrété que les membres de sa génération mourraient dans le désert, Moché ne pouvait ou ne voulait envisager d’entrer en Israël sans eux. Comment aurait-il pu laisser son troupeau derrière lui ?
En fait, ses prières concernaient également tout le Peuple juif. Il Implorait D.ieu de lui permettre de les guider vers la Terre d’Israël et avec cela, d’amorcer la Délivrance Ultime.
Une étincelle de Moché dans chaque Juif
Tout ce que l’on vient d’évoquer nous concerne aujourd’hui. Les prières de Moché pour la Délivrance ne font pas simplement partie de l’histoire passée mais elles sont des forces en activité aujourd’hui et nous rapprochent des temps messianiques.
Cela va encore plus loin : il y a une étincelle de Moché dans l’âme de chaque Juif (Tanya, ch. 12). Cette étincelle incite chacun à prier pour la venue de Machia’h, à crier à haute voix : Ad Mataï, « jusqu’à quand devons-nous rester en exil ? »
Cette prière sera certainement exaucée dans un avenir proche, et ensemble, avec Moché Rabbénou et le Peuple juif tout entier, nous entrerons sur la Terre d’Israël avec la Délivrance véritable et complète. Que cela ait lieu dans le futur immédiat !
Qu’est-ce que le 9 Av ?
Le 9 Av commémore de tristes dates de l’histoire juive, comme l’épisode des explorateurs, l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492, de nombreux pogromes mais surtout la destruction des deux Temples de Jérusalem.
Les garçons à partir de treize ans et les filles à partir de douze ans doivent jeûner depuis la veille (cette année mercredi 29 juillet 2020 à partir de 21h 33, horaire pour l’Ile-de-France) jusqu’au soir (cette année jeudi soir 30 juillet 2020 à 22h 18). En cas de maladie ou de faiblesse, on consultera un Rabbin compétent à propos du jeûne.
Le 9 Av, on ne se lave pas, sauf les mains le matin, ou pour des raisons d’hygiène.
Jeudi matin, on ne récite pas la bénédiction : « Chéassa Li Kol Tsorki » (« Qui veille pour moi à tous mes besoins ») car on ne porte pas de vraies chaussures en cuir.
Jeudi matin, on fait la prière sans Talit ni Téfilines, ni Ta’hanoun et on lit les « Kinot ».
On n’étudie pas la Torah, (sauf certains passages de Jérémie par exemple), et on assiste à un « Siyoum », à la conclusion du traité Talmudique Moèd Katane (que l’on peut aussi écouter sur Radio J - jeudi vers 14h 30).
Jusqu’au milieu de la journée de jeudi (environ 14h) on ne s’assoit pas sur une chaise mais seulement sur un petit tabouret, en signe de deuil. On évite de dire bonjour, sauf aux personnes qui ont oublié qu’on ne se salue pas le 9 Av.
Jeudi après-midi, on met Talit et Téfilines pour la prière de Min’ha et on rajoute les passages « Na’hem » (« Console les endeuillés de Sion ») et « Anénou » (« Réponds-nous »).
Jeudi soir, à l’issue du jeûne, on se lave les mains rituellement (sans bénédiction) et on se rince la bouche. On enlève les chaussures en toile et on remet les chaussures en cuir. On prononce la bénédiction de Kidouch Levana pour la lune.
On peut s’occuper du linge (lessive…) dès vendredi matin 31 juillet 2020. On ne mange la viande qu’à partir de vendredi après-midi 31 juillet.
L’entêtement d’un Chalia’h
Juste après la fête de Chavouot, fin mai 2020, Rav Chalom Greenberg de Shanghai reçut un coup de téléphone de Vicky, une femme habitant en Israël. Elle venait d’apprendre que son frère Michaël – qui vivait à Suzhou (à une demi-heure de route de Shanghai) avait été retrouvé mort dans son appartement une semaine plus tôt. Elle lui demandait son aide pour rapatrier le corps et le faire enterrer en Israël.
Or, la loi en Chine exige que les corps soient incinérés et seules les cendres peuvent être enterrées. L’unique exception concerne la minorité musulmane mais les étrangers non seulement sont incinérés mais même leurs cendres ne peuvent pas être enterrées sur place et doivent être envoyées dans leur pays d’origine.
Poliment, Rav Greenberg demanda à la femme pourquoi elle avait mis si longtemps avant de le contacter. Elle expliqua que son frère vivait seul en Chine : il était professeur de musique. Ses élèves prenaient parfois des cours chez lui et, un jour, avaient trouvé sa porte fermée. Ils étaient revenus le lendemain mais, encore une fois, il n’avait pas répondu à leurs coups de sonnette. Ils avaient compris qu’il s’était passé quelque chose, avaient alerté la police qui força la porte et retrouva le corps sans vie.
Originaire d’Union Soviétique, Michaël avait ensuite émigré en Allemagne et avait acquis la citoyenneté de ce pays. Les autorités chinoises avaient donc prévenu le consulat allemand qui avait mis une semaine à localiser cette sœur en Israël pour l’informer du décès. Il fallait de toute urgence contacter une compagnie spécialisée dans le transport funéraire qui s’occuperait de la paperasserie nécessaire pour permettre le départ pour Israël. Mais toutes les compagnies contactées exigeaient plus de 20 000 dollars pour un tel transfert sans compter qu’il faudrait aussi acheter le terrain pour la tombe en Israël puisque cet homme n’était pas citoyen israélien !
Vicky informa Rav Greenberg qu’évidemment, la famille ne disposait pas d’une somme pareille et qu’elle laisserait donc les autorités chinoises procéder à la crémation : elle ne paierait que pour l’envoi des cendres… Elle était prête à tout abandonner. Mais pas Rav Greenberg ! Pour un Chalia’h NON n’est pas une option !
Il protesta : la loi juive interdit formellement d’incinérer un corps et c’était justement un des innombrables crimes impardonnables que les Nazis avaient perpétrés. La sœur éclata en sanglots mais, financièrement parlant, elle ne pouvait pas assumer cette dépense. Rav Greenberg l’assura qu’il tenterait de trouver une solution.
Puis une autre difficulté surgit : depuis la crise du coronavirus, la loi chinoise interdisait de transporter un corps d’une ville à l’autre : il devenait obligatoire de l’incinérer sur place. Rav Greenberg suggéra alors d’effectuer un test sur le corps et, si l’examen était négatif, de permettre une exception à la loi. Mais cela faisait déjà presque deux semaines et le corps était dans un tel état qu’aucun médecin n’accepterait de procéder à un test.
Rav Greenberg téléphona alors à Rav Yehouda Teichtel, comme lui Chalia’h (émissaire) du Rabbi mais à Berlin. Celui-ci entretient d’excellentes relations avec le gouvernement allemand : en effet, depuis la Shoah, les Allemands sont particulièrement sensibles à tout ce qui touche la crémation. Rav Teichtel contacta le Ministre des Affaires Étrangères qui, à son tour, contacta le Consulat allemand à Shanghai en lui demandant d’insister pour que le corps soit transféré en Israël.
Après quelques pourparlers, les autorités chinoises acceptèrent de transférer le corps dans une autre ville. Mais la seule ville qui acceptait ce genre de démarche était Chengdou, à environ 1600 km de Shanghai soit un énorme détour de 21 heures de route… De là, on pourrait mettre le corps dans un avion pour Beijing et, de là, dans un avion d’El Al pour Israël. Tout ceci était fait en accord et avec l’aide du Consulat israélien de Shanghai qui entretenait des relations étroites avec Rav Greenberg.
Entretemps, le téléphone de Rav Greenberg ne chômait pas. Toute l’histoire fut partagée sur le groupe WhatsApp des Chlou’him du Rabbi en Extrême Orient. Un Juif australien (qui tint à rester anonyme tout au long de cette opération), sensible à cette situation, se proposa immédiatement pour couvrir toutes les dépenses : en tout, plus de 21 000 dollars, juste pour accomplir cette immense Mitsva appelée ‘Hessed Chel Emet, le bienfait véritable qui n’attend pas de récompense dans ce monde-ci.
Quand le corps arriva enfin à Chengdou, il s’avéra que le cercueil pesait trop lourd (170 kilos au lieu des 150 permis pour le transport de frêt dans ce petit avion). On dut encore procéder à des pressions auprès des autorités pour obtenir un permis spécial. Enfin, le corps arriva à Beijing : cependant, avant de charger le corps dans l’avion, l’employé exigea que l’on procède à un ultime test de la maladie.
Rav Greenberg contacta de toute urgence Rav Yehouda Meshi-Zahav, fondateur de l’organisation Zaka, spécialisée dans ces situations malheureuses d’enterrement dans des conditions extrêmes, après les attentats par exemple. Celui-ci comprit que, si on n’embarquait pas le corps, les autorités procéderaient à l’incinération. Rav Meshi-Zahav activa son réseau relationnel et finalement la direction d’El Al accorda un permis exceptionnel pour embarquer le cercueil. Malheureusement, toutes ces contrariétés avaient retardé la procédure et l’avion était déjà parti. Or, en cette période d’épidémie, il n’y a qu’un seul vol Beijing Tel-Aviv par semaine… Il n’y avait plus qu’à attendre encore une longue semaine.
La veille du départ tant attendu, Rav Greenberg apprit que les pilotes d’El Al entameraient une grève justement le lendemain ! La solution surgit de là où personne ne l’attendait : Rav Greenberg contacta la compagnie Turkish Airlines qui, contre toute attente, accepta de procéder au transport funèbre de Beijing à Tel-Aviv en passant par Istanbul.
Après avoir mobilisé dans six pays, sur trois continents, cinq rabbins, le Ministre allemand des Affaires Étrangères, le consul israélien, un philanthrope australien, deux compagnies aériennes et des centaines d’heures passées au téléphone pendant plus de quarante jours, le corps d’un Juif avait enfin pu être enseveli en Terre d’Israël selon les lois immuables de son peuple.
« C’est un gage de l’éternité d’Israël, résume Rav Greenberg : aucun de ceux qui s’est impliqué dans cette affaire n’a gagné quoi que ce soit à part des maux de têtes. Cependant, chacun d’entre eux s’est spontanément porté volontaire et a déclaré implicitement : Je suis prêt à tout pour aider un autre Juif ! ».
Rav Simon Jacobson
Ashira Weiss - Lubavitch.com
Traduit par Feiga Lubecki