Samedi, 28 août 2021

  • Ki Tavo
Editorial

 Le grand retour

Nous avons vécu l’aller, le temps des départs et de cette étrange liberté retrouvée que l’on appelle les vacances. Il nous faut donc vivre à présent cette période non moins bouleversante qui est celle du retour. On dénomme cela « la rentrée » et ce seul nom a déjà valeur de programme. Dans l’esprit commun, il s’agit de recommencer, reprendre le fil là où il avait été interrompu. Pourtant, cette année, la rentrée revêt un caractère particulier ; et il faut s’en souvenir car peut-être est-ce toute notre année qui en dépend.

De fait, alors que le quotidien réclame sa place, le dernier mois du calendrier juif a bel et bien, et largement, commencé. Il s’appelle Elloul. Il est le prélude aux grandes fêtes de Tichri, à Roch Hachana et à Yom Kippour. Plus encore il en est l’indispensable préparation. Il est aussi – et justement – le mois du retour. Bien sûr, le sens du mot est ici bien différent de celui que la société lui assigne, bien éloigné aussi de la notion même de vacances. C’est du retour à soi, à ce que l’on est vraiment, sa source et sa racine et finalement de retour à D.ieu qu’il s’agit.

C’est alors que nous pouvons éprouver une sensation très réelle de décalage. Le monde alentour ne parle que de retour au rythme habituel alors que nous attendons et préparons le moment du passage sur un autre plan avec les rendez-vous spirituels qui arrivent, à présent si proches. Le monde n’envisage que la poursuite des mêmes objectifs alors que nous regardons en nous-mêmes pour affiner ce que nous sommes, poser des jalons pour un progrès profond et faire du monde un lieu d’harmonie. Quel Elloul voulons-nous donc vivre, et pour quel Tichri ? Faudrait-il faire abstraction du monde qui gronde ? Ce ne serait pas une attitude juive. Faudrait-il oublier notre calendrier de l’âme ? Ce le serait encore moins.

Chacun a l’obligation ardente d’aller à la rencontre d’Elloul, précisément au moment où la vie quotidienne invite à l’oublier, et sans négliger les impératifs de cette dernière. Impossible dira-t-on ? Mais c’est d’Elloul qu’il est question, le mois où le Ciel et la terre sont si proches.

Etincelles de Machiah

 La Techouva par choix

Maïmonide enseigne : « La Torah a promis que finalement le Peuple juif fera Techouva à la fin de son exil et il sera immédiatement libéré. » (Michné Torah, Hile’hot Techouva 7:5)

A la lecture de cet enseignement, il apparaît que le Peuple juif fera Techouva de sa propre initiative, sans que D.ieu l’y ait contraint. Ainsi, ce sera vraiment sa Techouva qui amènera la Délivrance. Pourquoi Maïmonide choisit-il cette approche ?

Dans les deux chapitres qui précèdent dans le Michné Torah, Maïmonide a abondamment souligné l’idée du libre arbitre. Puis il commence celui où se trouve la citation ci-dessus par les mots : « Puisque tout homme en a reçu la permission… il doit entreprendre de faire Techouva… » Il veut dire ainsi que l’homme doit s’efforcer à une Techouva sincère, qui procède de sa libre volonté et non d’une quelconque forme de coercition. Après avoir posé ce principe, Maïmonide poursuit : « finalement le Peuple juif fera Techouva » : son retour à D.ieu sera décidément le résultat d’un libre choix.

(D’après Likoutei Si’hot, vol. XXVII, p. 215)

Vivre avec la Paracha

 Ki Tavo

Moché instruit les Enfants d’Israël d’apporter au Saint Temple, une fois qu’ils se seront installés en Israël, les Bikourim, prémisses des fruits, pour déclarer ainsi leur gratitude à l’égard de D.ieu.

On lit également dans la Paracha les lois de la dîme donnée aux Lévites et aux pauvres.

Moché rappelle au peuple qu’il est « le Peuple Élu » de D.ieu et que lui a choisi D.ieu.

Après avoir énoncé les bénédictions que D.ieu enverra au peuple quand ils suivront les lois de la Torah, la dernière partie de la Paracha consiste en une To’ha’ha (« Réprimande »), le récit de ce qui arriverait si les Juifs en venaient à abandonner les Commandements.

En conclusion, Moché déclare que maintenant seulement, après quarante ans depuis leur naissance en tant que peuple, les Juifs ont atteint « un cœur pour savoir, des yeux pour voir et des oreilles pour entendre ».

A propos d’un verset de notre Paracha : « Aujourd’hui vous êtes devenus une nation pour l’Éternel votre D.ieu » (Devarim 27 : 9), Rachi commente :

« Aujourd’hui, vous êtes devenus une nation : chaque jour doit paraître à tes yeux comme si en ce jour, tu entrais dans une alliance avec Lui. »

Rachi est célèbre pour son choix de termes très minutieux. Nous sommes donc perplexes devant l’ajout de l’expression : « à tes yeux ». Le verset fait référence à l’alliance établie à Sinaï, et l’alliance conclue par Moché à ce moment.

L’engagement au respect d’une alliance s’applique à tous les membres du corps : les oreilles pour entendre la Torah, les mains pour accomplir les Mitsvot, les pieds pour courir faire des actes de bienfaisance, etc. Pourquoi donc Rachi met-il l’emphase sur notre sens de la vision par les mots : « à tes yeux » ? Il aurait été plus logique de dire : « chaque jour doit paraître devant toi comme si… tu entrais dans une alliance… »

Faisons un petit détour par le Talmud et voyons comment la Guemara se saisit de ce verset. Dans le traité Bera’hot, nous lisons : « Aujourd’hui vous êtes devenus une nation : Était-ce donc en ce jour que la Torah a été donnée au Peuple juif ? Ce jour n’était-il pas celui de la fin des quarante années d’errance dans le désert ? Cela vient toutefois t’enseigner que la Torah est chérie chaque jour par ceux qui l’étudient comme elle le fut le jour où elle fut donnée au Mont Sinaï (Bera’hot 63b). »

Pourquoi Rachi n’a-t-il pas expliqué le verset de la même manière que la Guemara ? Dire que « la Torah est chérie… comme au jour où elle a été donnée » aurait constitué une explication idéale de ce verset. Pourquoi dire « à tes yeux » ?

Il nous faut remarquer que ce n’est pas la première fois que Rachi utilise cette phraséologie. Plus tôt, dans cette même Paracha, à propos du verset « Aujourd’hui l’Éternel ton D.ieu t’ordonne… » (26 :16), Rachi offre le commentaire suivant :

« Chaque jour ils doivent paraître nouveaux à tes yeux comme si ce même jour tu en avais reçu le commandement. »

Et encore une fois, dans Vaét’hanane, commentant le verset : « Ces paroles Je te les ordonne en ce jour » (6 :6), Rachi avait précisé :

« Qu’ils ne soient pas à tes yeux comme une ordonnance ancienne à qui personne ne prête attention mais comme une récente pour laquelle chacun s’empresse. »

Il est donc clair que nous sommes interpelés par le fait que Rachi répète l’expression « à tes yeux », à trois reprises. Quel en est donc le sens ?

Quand l’élève de cinq ans, étudiant le ‘Houmach, lit le conseil de Rachi selon lequel la Torah doit être « fraîche et nouvelle » chaque jour, il se demande : « Comment peut-on exiger cela ? Cela va contre la nature d’une personne. » En temps normal, on ne peut comparer l’enthousiasme que l’on a pour quelque chose de neuf, pour sa préciosité, avec celui qu’on éprouve après une longue période de temps.

On peut en donner un exemple simple en observant l’excitation ressentie par un enfant devant un nouveau jouet, un aliment délicieux ou une friandise qu’il n’a jamais goûtés. Mais l’excitation et l’enthousiasme s’envoleront dès qu’il y sera habitué !

Rachi anticipant cet argumentaire présente un exemple emprunté à la vie réelle, à l’expérience quotidienne de chacun, pour servir d’analogie et nous permettre de comprendre comment quelque chose que l’on accomplit de façon répétitive peut néanmoins conserver toute sa saveur, la première fois comme la énième. Quel est ce phénomène commun ? La vue !

Quand vous regardez quelque chose, vous voyez l’objet qui se trouve dans votre champ de vision, instantanément et dans sa totalité. C’est une vision globalisante. Chaque fois que vous regardez le même objet ou la même scène et que vos yeux embrasent le même champ de vision, vous voyez la même chose. La première vision et la millième vous présentent la même image instantanée.

Entendre est différent. Le détail des sons prend du temps à se transmettre. Ainsi, lorsque vous entendez la même suite de sons pour la seconde fois, à chaque instant qui passe, vous vous souvenez de ce qui doit venir par la suite.

La conséquence en est que l’expérience de l’écoute est différente chaque fois.

Le petit élève de cinq ans qui étudie le ‘Houmach a demandé à juste titre comment l’enthousiasme pour la Torah peut être le même, jour après jour. Ce n’est pas naturel !

Rachi explique patiemment : ce n’est pas facile à accomplir mais cela peut et doit l’être et je vais suggérer une analogie pour vous aider à voir que c’est possible.

Prenez l’exemple de la vision. Chaque fois que vous regardez, vous voyez une scène entière tout comme vous l’avez fait lors de la première fois. De la même façon, la Torah peut être tout autant enthousiasmante, rafraîchissante et nouvelle, aujourd’hui, que le jour où elle a été donnée pour la première fois au Peuple juif, il y a des milliers d’années, sur le Mont Sinaï.

Le Coin de la Halacha

 Quelles sont les coutumes du mois d’Elloul ?

A partir du 1er jour de Roch ‘Hodech Elloul (cette année dimanche 8 août 2021) on ajoute après la prière du matin et de l’après-midi le Psaume 27, et ce jusqu’à Hochaana Rabba (cette année lundi 27 septembre 2021) inclus.

Le Baal Chem Tov a instauré la coutume de dire chaque jour du mois d’Elloul – cette année, à partir du lundi 9 août 2021 – 3 Tehilim (Psaumes), et ce, jusqu’à la veille de Yom Kippour. Puis le jour de Kippour, on en dit 9 avant la prière de Kol Nidré, 9 avant de dormir, 9 après la prière de Moussaf et 9 à la fin de Kippour, de façon à terminer les 150 Psaumes.

A partir du second jour de Roch ‘Hodech Elloul (cette année lundi 9 août 2021), on sonne chaque jour du Choffar, excepté Chabbat et la veille de Roch Hachana.

Dans un discours ‘hassidique, Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi explique que, durant tout le mois d’Elloul, « le Roi est dans les champs », c’est-à-dire que D.ieu est encore plus proche de chacun d’entre nous, accueille chacun avec un visage bienveillant et nous pouvons tout Lui demander. C’est pourquoi il est plus facile d’opérer un retour sincère à D.ieu en augmentant les dons à la Tsedaka (charité) et la ferveur dans la prière.

On a l’habitude de faire vérifier par un Sofer (scribe) expérimenté les Mezouzot et les Téfilines.

On écrit à ses amis et connaissances pour leur souhaiter d’être inscrits et scellés pour une bonne et douce année.

Le Recit de la Semaine

 A l’autre bout du monde

Peu avant Pessa’h 1969, alors que je n’avais que 19 ans, j’ai été envoyé avec cinq autres étudiants de Yechiva pour une mission de deux ans en Australie : là, nous devions étudier, enseigner et répandre le judaïsme dans la communauté naissante de Melbourne.

Actuellement, c’est encore une ville lointaine mais à l’époque, c’était vraiment le bout du monde, un monde isolé ; et deux ans, c’était toute une vie ! Mais nous avons considéré cette aventure comme un extraordinaire privilège.

Après avoir reçu les comptes-rendus de nos diverses activités sur le continent australien, le Rabbi fit remarquer qu’apparemment, nous n’avions pas inclus la ville de Perth et nous en demandait la raison. Bien entendu, nous avons compris l’allusion et nous nous sommes immédiatement rendus à Perth. Si Melbourne est au bout du monde, la ville de Perth l’est encore bien davantage, située à plus de 2500 km de toute autre ville ! Cependant, à notre grande surprise, nous y avons découvert une communauté juive florissante.

Le facteur principal de ce développement était une institution essentielle de la vie juive : l’école G. Gorunski Carmel, ainsi nommée d’après un philanthrope qui l’avait fondée et présidée. Lui-même avait fui la Russie lors de la Première Guerre mondiale, s’était installé à Perth et y avait fondé des affaires prospères. Il avait consacré toute sa fortune à la perpétuation de l’éducation juive des générations futures et son école était entièrement gratuite !

Quand nous sommes arrivés, le directeur était M. Singer, un éducateur hors pair tenu en haute estime par les parents comme les élèves car il avait grandement contribué à l’excellente réputation et au succès de l’école. Nous avons eu l’occasion de discuter avec lui et il nous avait confié qu’il envisageait de quitter la ville, sans doute pour prendre sa retraite. On lui avait pourtant proposé toutes sortes d’accommodations pour le retenir sur place mais il était déterminé : résultat, la communauté était désemparée. Sa décision avait été irrévocable, précisa-t-il, jusqu’au moment où il avait reçu une lettre de New York du Rabbi qui lui demandait de rester à Perth. Bien qu’il ne fût pas un ‘Hassid de Loubavitch, il éprouvait une admiration sincère pour le Rabbi et ressentait qu’il ne pouvait pas s’opposer à une requête que le Rabbi exprimait avec tant de passion. « Quand j’ai reçu la lettre, expliqua-t-il, j’ai réalisé qu’à Roch Hachana, quand le Rabbi versait des larmes pour les petites communautés juives du globe, il en versait une spéciale aussi pour Perth ! ».

C’est alors que nous avons compris pourquoi le Rabbi avait évoqué cette ville et pourquoi il nous y avait envoyés : c’était pour encourager et stimuler M. Singer et ainsi, pérenniser le développement de la communauté juive la plus isolée du monde.

Cinquante ans plus tard, alors que je suis moi-même devenu Chalia’h de l’état du Maryland, je suis encore tout aussi ému et fidèle à la mission et surtout à la vision à long terme du Rabbi. Et je prie, pas seulement à Roch Hachana, pour que nous puissions tous ressentir la même passion pour le judaïsme et pour son accomplissement ultime, la venue du Machia’h !

Rav Shmuel Kaplan - Chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki

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