Samedi, 13 septembre 2014

  • Ki Tavo

 

 

Editorial

 Quand le monde change

Depuis deux semaines, la vie n’a pas cessé de dérouler son cours habituel. Les grands cycles naturels ou sociaux sont tous à leur place et leur stabilité n’est pas faite pour nous surprendre.  Même les grands bouleversements que la planète semble traverser aujourd’hui ne parviennent pas à remettre en cause de tels fondamentaux. Pourtant, le monde a changé. Il est possible que nous n’en ayons pas pris conscience ; la pensée aime à suivre ses rails familiers. Mais peut-être les évolutions au-dehors viennent-elles aussi le souligner pour nous : ce que nous voyons est porteur d’un nouveau message. Décidément, Elloul est entré dans le monde.

Elloul ou le dernier mois de l’année juive. Mais, bien plus encore, voici venu le temps de la préparation à Roch Hachana, celui de l’introspection et du bilan. C’est le temps où chaque acte pèse d’un poids qui le dépasse car c’est l’instant précieux où D.ieu est plus proche de Sa création, où Ses treize attributs de miséricorde rayonnent sur l’univers. En une parabole fameuse, on a coutume de dire qu’en ce mois “le Roi est dans les champs”, à la portée de chacun et prêt à recevoir avec bienveillance ceux qui viennent à Lui.

Le monde autour de nous a donc changé, profondément et durablement. Un vent nouveau s’est levé, comme si l’air, la lumière avaient une texture différente. Tout cela, chacun peut le voir et, mieux, le ressentir mais sans doute un effort est-il nécessaire. C’est alors qu’un jour particulier y contribue. Il est daté 18 Elloul et, en hébreu, porte le beau nom de « Haï Elloul » ou « Elloul vivant ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit. L’œuvre décrite est ambitieuse. La chaleur, l’enthousiasme, la vie en sont la clé. C’est là le rôle du 18 Elloul. D’un point de vue factuel, c’est en ce jour que sont nés le Baal Chem Tov, qui fonda le ‘hassidisme, et Rabbi Chnéor Zalman de Liady, qui fonda le ‘hassidisme Habad. Ce sont deux immenses lumières qui apparurent alors dans le monde. Elles modifièrent la vision que les hommes pouvaient en avoir. Elles donnèrent à chacun le vrai sens d’un mot à la fois si simple et si difficile à comprendre pleinement : la vie.

Le 18 Elloul transmet sa force à tous. Il permet à chacun de vivre le mois de la manière la plus intense. Il faut se garder de l’oublier : la nouvelle année est à présent plus qu’en perspective. Elle est l’horizon de nos consciences. Le 18 Elloul nous permet de continuer la route avec le cœur et l’enthousiasme indispensables pour parvenir à ce grand rendez-vous et faire en sorte que l’année qui vient soit enfin celle de toutes les bénédictions.

 

Etincelles de Machiah

 

Juste un bouton à presser

Maïmonide nous enseigne qu’un seul homme, par un seul acte, a le pouvoir d’amener «le salut et la délivrance» au monde entier.

En notre temps, nous le voyons concrètement : n’importe qui, même un enfant, par une petite action, peut presser un bouton et causer un changement considérable dans le monde. Combien plus est-il donc vrai que, par une seule action – presser le bon bouton – pour accomplir la volonté de D.ieu, nous pouvons changer le monde et y amener la Délivrance !

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch – 10 Chevat 5746)

Vivre avec la Paracha

 Ki Tavo: Tout pour le bien

C’est en préparation à la fête de Roch Hachana que nous lisons La Remontrance, la To’ha’ha, de la Paracha Ki Tavo. Après cela, nous lirons Nitsavim et Vayélè’h, pour insérer au moins une Sidra entre la To’ha’ha et la fête.

La raison pour laquelle nous lisons Ki Tavo avant Roch Hachana est que cette Remontrance n’a pas, à D.ieu ne plaise, le but de servir de punition. Mais elle sert plutôt à nous purifier. Avant que quelque chose de précieux ne soit placé dans un récipient, l’ustensile doit être soigneusement nettoyé.

Roch Hachana attire dans le monde, comme entité, et dans le Peuple Juif, en particulier, un degré de sainteté qui n’apparaît jamais précédemment. Il est donc nécessaire au préalable de «purifier le récipient». Cette ablution, bien que ponctuellement douloureuse, est, comme tout ce qui vient d’En Haut, pour le bien.

Dans la Guemara, deux expressions expriment cette idée que tout ce qui vient d’En Haut est pour le bien :

  1.                  «Tout ce que fait D.ieu, Il le fait pour le bien» (Bra’hot 60b).
  2.                  «Cela également est pour le bien » (Taanit 21a).

La première expression est mentionnée dans la Guemara en Araméen alors que la seconde est citée en Lachone Hakodèch, en Langue Sainte.

Le Lachone Hakodèch, l’hébreu, est une langue à la fois sainte et raffinée. Tout ce qui y est dit est clair, c’est-à-dire que nous pouvons y voir comment tout est pour le bien.

Cependant l’expression «Tout ce que fait D.ieu, Il le fait pour le bien» est énoncée en Araméen : le bien n’est pas clairement visible.

On comprendra mieux en s’attachant à la description des circonstances qui donnèrent lieu à ces deux propos.

Un jour, Rabbi Akiva partit en voyage et emporta une bougie, un âne et un coq. Par Providence Divine, il ne put trouver où loger en ville, il décida donc de dormir dans un champ proche. Un vent éteignit sa bougie, un lion dévora son âne un chat mangea son coq. Rabbi Akiva dit : «Tout ce que D.ieu fait, Il le fait pour le bien».

Un peu plus tard, il s’avéra que tout avait réellement été pour le bien. Car cette nuit-là, une bande de brigands avait pillé la ville voisine. S’il y avait dormi, il en aurait également été la victime. Si la bougie n’avait pas été éteinte, il aurait été aperçu par eux. Si l’âne et le coq n’avaient pas été consommés, leurs cris auraient attiré les voleurs. C’est en perdant tout qu’il fut sauvé.

«Cela également est pour le bien » est cité par la Guemara en relation avec le Tana Na’houm Ich Gamzou qui portait ce nom car il disait toujours : «gamzou le tovah», «Cela également est pour le bien».

Rabbi Gamzou fut dépêché pour apporter à Rome, à l’empereur, un coffre contenant un trésor afin d’empêcher que ne s’abatte un mauvais décret sur les Juifs. Des voleurs s’emparèrent de tous les joyaux du coffre et les remplacèrent par du sable. Rabbi Gamzou dit : «Cela également est pour le bien».

Quand il présenta au roi le coffre de sable, il fut sur le point d’être sommairement exécuté. D.ieu envoya Elyahou Hanavi, sous l’apparence d’un des ministres du roi, et il suggéra que cela pouvait être «du sable juif magique», semblable au sable qu’avait utilisé Avraham (pour emporter une bataille). La terre fut immédiatement utilisée dans une bataille.

La différence entre ces anecdotes est que Rabbi Akiva subit une véritable perte et en fut angoissé. Cela servit à un but propice mais les événements eux-mêmes le firent souffrir. Rabbi Na’houm, quant à lui, ne souffrit d’aucune perte. Bien au contraire, s’il avait apporté les joyaux, qui sait s’ils auraient plu au roi qui ne manquait pas de pierres précieuses. Mais le sable magique, c’était bien autre chose !

Ainsi Rabbi Akiva souffrit-il véritablement de sa perte, bien qu’elle lui sauvât la vie. Mais pour Rabbi Gamzou, le vol lui-même était un acte de bienfait.

Rabbi Gamzou était le maître de Rabbi Akiva. Ce dernier vécut donc une génération plus tard, à un temps où l’obscurité s’était faite plus grande, puisqu’à chaque génération qui s’éloigne de l’époque du Saint Temple, l’obscurité va grandissant. Il ne pouvait donc voir de façon révélée combien chaque événement est bon en lui-même. Il s’exclama donc : «Tout ce que D.ieu fait, Il le fait pour le bien !».

Mais Rabbi Na’houm vivait une génération plus tôt, alors que régnait une plus grande lumière divine et il put percevoir le véritable bien inhérent à un événement apparemment fâcheux.

Il disait donc : «Cela également (c’est-à-dire l’événement lui-même) est clairement un acte de bienfait».

(Basé sur Likouteï Si’hot, Vol. II, pp. 392-395)

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce qu’une promesse ?

Celui qui promet de donner ou de prêter quelque chose à un autre doit le faire en pleine conscience, avec l’absolue conviction qu’il va tenir sa promesse. Il ne doit pas avoir l’intention de changer la teneur de ses paroles.

Il est écrit : «Vous aurez un Hine (une certaine mesure utilisée à l’époque biblique) juste» (Vayikra – Lévitique 19 : 36) : les Sages ont commenté : «Que tes affirmations (Hène) soient justes».

Celui qui a promis de rendre un service – quel qu’il soit – à son ami et qu’il a effectivement la capacité de le faire, doit fournir tous les efforts possibles pour honorer sa promesse. Celui qui a la crainte de D.ieu tiendra sa promesse même s’il ne l’a pas formulée oralement mais a seulement pris la décision dans son cœur.

Celui qui promet de donner un cadeau de peu d’importance mais ne le fait pas est appelé : «Quelqu’un en qui on ne peut pas avoir confiance». Cependant, si c’est un cadeau trop important – sans aucune mesure avec sa richesse supposée – la personne ne perd pas sa réputation tant qu’il n’y a pas eu de contrat par exemple.

Celui qui promet de l’argent ou un cadeau à un pauvre ne doit pas revenir sur sa promesse (et doit s’en acquitter) : en effet, même s’il ne l’a pas exprimé oralement mais a simplement décidé ainsi dans son cœur, c’est considéré comme un Néder (un vœu) et il faudrait procéder à «l’annulation des vœux» auprès d’un tribunal rabbinique. Même après cela, il faudrait encore s’efforcer de tenir sa parole. (On peut se montrer moins strict si le pauvre ne sait pas qu’on a promis quelque chose).

Celui qui a promis de prêter ne doit pas revenir sur sa parole (surtout qu’il existe une Mitsva de prêter aussi au riche). Cependant, s’il s’avère que l’emprunteur a la réputation de ne pas rembourser ses emprunts, on peut annuler cette promesse.

(d’après Rav Yossef Ginsburgh – Sichat Hachavoua N° 1441)

Le Recit de la Semaine

Indésirable dans cette ville

En 2013, peu avant notre arrivée en tant qu’émissaires du Rabbi dans le village de Tzur Yitshak, quelqu’un nous a suggéré d’aller faire connaissance d’amis à lui qui habitaient dans ce village. Nous avons contacté cette famille en nous présentant comme des résidents potentiels et avons demandé à les rencontrer pour mieux nous renseigner sur cet endroit.

Nous avons été agréablement accueillis et la conversation dura près de deux heures. Alors que nous bavardions, la dame reçut un texto de la direction du village lui demandant d’organiser une commémoration pour les soldats tombés au combat.

Ce village n’avait été fondé que quelques années auparavant, ce qui signifie qu’il ne possédait pas encore de «tradition» quant à la tenue d’un tel événement. De plus, cette dame avait toujours vécu dans une grande ville et n’avait aucune idée de comment cela devait se passer dans un village comme Tzur Yitshak. Je lui expliquai que moi-même j’avais grandi dans une implantation (Ma’alé Efraïm) et que, d’ordinaire, lors de ces célébrations, le rabbin local était invité à réciter la prière Kel Malé Ra’hamim.

Quelque temps plus tard, elle me téléphona pour me demander de bien vouloir réciter la prière. Une semaine avant l’événement, une répétition fut organisée et je fus invité à participer. Quand j’entrai dans la pièce, j’aperçus un groupe de gens murmurant en me regardant et je pouvais facilement deviner qu’ils n’étaient pas très contents de me voir, avec ma barbe et mon chapeau. A la fin de la répétition, un homme s’approcha de moi et se présenta comme s’appelant Alex : c’était un des membres influents de la direction du village et il déclara de façon hautaine :

- Vous avez l’intention de vous établir ici comme émissaire du mouvement Loubavitch ? Je vous préviens : je ne laisserai pas pareille chose se produire dans cette implantation ! Je vous connais et je sais ce que vous avez l’intention de faire ici ! J’ai regardé votre site Internet et je connais vos sources de financement !

(Je dois dire qu’en entendant cela, je me suis demandé s’il n’était pas prophète car moi-même j’ignorais complètement d’où viendrait l’argent et il devait avoir plus de renseignements que moi à ce sujet ! Peut-être devais-je penser à l’engager…)

- Ecoutez, continua-t-il. Je ne peux pas vous empêcher de vous installer ici. N’importe qui est libre d’acquérir une maison ici et personne ne peut l’en empêcher. Mais vous devez savoir qu’à partir du moment où vous commencerez des activités, je me ferai un devoir de vous harceler jusqu’à ce que vous regrettiez le jour où vous vous êtes installé ici !

Durant tout ce monologue, toutes les têtes pensantes de l’implantation s’étaient massées autour de nous et semblaient approuver la diatribe d’Alex.

Décidément, ce n’était pas le genre d’accueil dont j’avais rêvé…

Deux jours plus tard, je reçus un coup de téléphone d’Ofrah, la femme qui m’avait invité à l’origine pour officier en tant que rabbin :

- Personnellement, je vous apprécie beaucoup, j’étais contente de votre visite et je serais très heureuse que vous restiez dans notre communauté. Cependant, vous avez vous-même constaté qu’il se développe une grande opposition à votre arrivée et je pense qu’il est inutile de continuer car personne ne vous laissera réaliser quoi que ce soit. De plus, on me critique pour vous avoir invité à participer à la commémoration.

- Je comprends votre problème, répondis-je. Je ne me sentirais pas vexé si vous deviez reprendre votre invitation.

Plus je tentais de repousser les sentiments négatifs qui me hantaient et plus je me forçais à imaginer que tout irait bien, plus je comprenais que je devais être «réaliste». Je ne m’étais même pas encore installé et la guerre avait déjà commencé !

A chaque étape, nous écrivions des comptes rendus détaillés que nous envoyions par fax au Ohel du Rabbi. Cependant, après ce dernier appel, je me sentis particulièrement découragé et incertain quant à notre avenir à Tzur Yitshak. De tout cœur, je souhaitais recevoir une bénédiction du Rabbi et j’écrivis une lettre chargée d’émotion pour décrire ce que je ressentais.

Le vendredi, je reçus un autre coup de fil d’Ofrah. Elle raconta qu’il semblait s’être produit des changements inexpliqués et que je pourrais présider l’événement ! Quand je lui demandai ce qui s’était passé, elle me conseilla de téléphoner au président de l’implantation. Ce que je fis et il me déclara que, puisque j’avais l’intention de m’installer dans le village, il pensait qu’il serait normal que je récite la prière et que je préside l’événement. Je fis remarquer que oui j’aurais aimé m’installer à Tzur Yitshak mais que je ne désirais pas créer des problèmes. Si mon discours devait hérisser certaines mentalités, je ne désirais pas entamer une polémique.

- Actuellement, l’implantation compte quatre cent familles, répondit-il. Nous pensons que vous serez une grande aide pour notre communauté et particulièrement pour les enfants ; nous serons très heureux que vous vous installiez chez nous. Même s’il y a quelques personnes qui ne souhaitent pas vous voir habiter ici, il ne s’agit que d’une minorité et ils ne reflètent pas l’opinion générale !

Quel changement !

Il est difficile de décrire mon soulagement après cette conversation. Après m’être senti rejeté et indésirable, je me retrouvais soudain attendu par la communauté, même s’il y avait encore quelques exceptions !

Par la suite, une fois que je me suis effectivement installé, j’ai décidé qu’il était temps de parler directement avec Alex : je ne voulais pas me heurter à son opposition farouche et je préférais mettre les choses au clair avec lui. Je lui téléphonai :

- Je ne vous connais pas et vous ne me connaissez pas. Rencontrons-nous pour faire connaissance !

A ma grande surprise, il accepta de venir chez nous et nous avons discuté pendant une heure et demie. Dans un long monologue, il exposa ses griefs contre la religion et je l’écoutais respectueusement en hochant la tête. Nous nous sommes quittés avec une chaude poignée de main et je sentis que l’atmosphère avait changé entre nous.

Par la suite, je mis un point d’honneur à lui téléphoner de temps en temps pour lui demander conseil sur certains sujets et, progressivement, son attitude envers nous évolua. Cette année, il fut l’un des quatre cents fidèles qui fréquentèrent notre office de Yom Kippour.

Qui aurait pu imaginer pareil tournant à cent quatre-vingts degrés ? Il n’y avait aucune explication rationnelle. Très certainement, c’était le Rabbi qui avait résolu le problème auquel je faisais face, de la manière la plus bénéfique – pour nous tous !


Rav Shmuel Glitzenstein – Chassidisher Derher

Traduit par Feiga Lubecki