Editorial
Quelle joie pour quelle victoire ?La violence ne fait pas partie de la tradition juive non plus que de sa vision du monde. Certes, dans son histoire, depuis la plus haute antiquité, le peuple juif a eu à soutenir des guerres, assumer des combats mais il ne l’a jamais fait comme un but en soi et n’y a jamais vu une valeur éminente. Aspirant avec constance à la paix, au cœur même de cet acte inhumain qu’est la guerre, il a toujours tenté d’introduire le souci d’humanité, obéissant aux prescriptions de la Torah. Se réjouir de la mort d’un ennemi ne fait donc pas partie de ses habitudes. Et, dans de telles circonstances, on n’assiste jamais, dans le monde juif, à ces déferlements de foules en liesse qui, dans certains pays, accompagnent des nouvelles de mort voire de massacres. Pourtant, si seule la paix constitue vraie raison de joie, la disparition du mal est déjà motif d’espoir.
Souvenons-nous. Il y a dix ans, le monde bascula dans l’ère des assassins, ceux qui, prêts à mourir, veulent tuer autour d’eux. Tout à coup, quelque chose parut avoir changé, l’atmosphère était devenue différente et chacun ressentit que ce développement nouveau méritait bien mal ce nom. Une forme du mal, peu connue jusqu’ici dans une telle mesure, venait de faire son apparition, comme un dérèglement de la pensée, comme une maladie brutalement surgie, à éradiquer d’urgence. Dix ans plus tard, l’origine de cette peste moderne, enfin isolée, est anéantie. La mise à mort d’un homme, même justifiée, est rarement réjouissante mais celle du mal l’est toujours, profondément.
D’une certaine façon, c’est d’un combat éternel qu’il s’agit ici. Et ce combat se déroule sur tous les champs de bataille : il commence en chacun avant de s’étendre à toute la planète. Car il ne faut pas s’y méprendre : en ces matières, la victoire acquise aujourd’hui n’est jamais qu’une étape. Elle est essentielle mais, justement pour cela, elle ouvre des domaines d’action nouveaux. Car il appartient à tout homme de lutter contre l’esprit de destruction, tout ce qui s’oppose à l’harmonie générale de la création Divine. Chacun est un acteur de cette lutte. Chacun, par son attachement aux commandements de D.ieu y participe. Chacun assure ainsi la victoire du Bien contre toutes les forces de l’ombre. Les événements récents nous le rappellent : la victoire viendra et elle sera éternelle car l’avènement messianique effacera le mal. Sachons-le : c’est en nous qu’elle commence et c’est par nous qu’elle passe.
Etincelles de Machiah
Ceux qui sont perdusLe prophète Jérémie (27:13) décrit la venue de Machia’h en ces termes : «Il arrivera en ce jour qu’il sera sonné du grand Choffar. Et ceux qui sont perdus en terre d’Assyrie viendront ainsi que ceux qui sont repoussés en terre d’Egypte et ils se prosterneront devant D.ieu sur la montagne sainte à Jérusalem».
Chacun des termes employés ici correspond à une situation précise. «Ceux qui sont perdus en terre d’Assyrie» fait référence aux hommes qui sont plongés dans les plaisirs et le luxe matériel car le mot «Assyrie» en hébreu – «Achour» – renvoie étymologiquement à la notion de plaisir qui apparaît, par exemple, dans le mot «Achrei». «Ceux qui sont repoussés en terre d’Egypte» désigne les hommes dont ni le cœur ni l’esprit ne sont ouverts à la connaissance de D.ieu du fait des difficultés de l’exil, comme ce fut le cas en Egypte pour nos ancêtres.
Lorsque Machia’h viendra, tous sortiront de ces situations et viendront se prosterner devant D.ieu.
(d’après Likoutei Torah, Roch Hachana, p.60a) H.N.
Vivre avec la Paracha
Be’houkotaï : La force de révélerLa Paracha de cette semaine propose une merveilleuse image d’une vie de plénitude dans laquelle chaque individu et le Peuple Juif dans son ensemble se consacrent à D.ieu, à Sa Torah et à Ses enseignements. En réponse, D.ieu pourvoit en abondance à leurs besoins.
«Si tu suis Mes statuts et que tu observes Mes enseignements, Je te donnerai la pluie en temps voulu. La terre donnera ses produits et les arbres des champs donneront leurs fruits… J’accorderai la paix sur la Terre et tu dormiras sans peur… Mais si tu ne M’écoutes pas et que tu ne gardes pas ces lois… tu planteras tes semailles en vain parce que tes ennemis les mangeront… tu fuiras même quand personne ne te poursuivra… »
Le problème est que, pour le Peuple Juif sur la Terre d’Israël, cet état idyllique ne dura pas. L’âge d’or de l’histoire juive eut lieu à l’époque du Roi Chlomo (Salomon), il y a trois millénaires, quand la paix régnait en Israël et que le premier Temple se tenait à Yérouchalaïm. Mais après la mort de Chlomo, débuta une terrible période de luttes et l’idolâtrie commença à se répandre culminant avec une longue période d’exil et de souffrances. Ces tristes événements sont également prédits dans la Paracha, dans une partie que le ‘hazan lit dans la Torah à voix basse. Cependant, cette Paracha porte aussi en elle la promesse que viendra un temps où cette harmonie sera rétablie, avec la venue du Machia’h.
Nous est présentée une évocation harmonieuse et pacifique qui est la réalité intérieure et la destinée du Peuple Juif. Hélas, cette réalité profonde est souvent cachée par des événements atroces et des périodes sombres de l’histoire.
L’effet de l’enseignement juif dans la vie de chaque individu est de lui révéler cette beauté profonde et de révéler cette réalité cachée dans l’ici et le maintenant. En observant le Chabbat et les autres aspects de la vie juive, par la prière et l’étude de la Torah, nous accédons à cette intériorité et nous la rendons sensible dans notre quotidienneté.
Cette force est également exprimée par le célèbre Sage, auteur du Zohar, Rabbi Chimon bar Yo’haï. L’anniversaire de sa disparition, le trente-troisième jour du Omer tombe toujours à proximité de notre Paracha. Il est célébré par les enfants et les jeunes, partout dans le monde, par des parades, des feux de camp et des sorties.
Le mot Zohar signifie «radiance» et il est un fait que les enseignements du Zohar illuminent la Torah. Le Zohar, en relation avec cette Paracha, enseigne les principaux concepts de la Cabbale qui seront plus tard transmis, de façon plus accessible, sous forme d’ouvrages comme le Tanya de Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi.
Rabbi Chimon se distinguait par sa force extraordinaire de révélation. Les enseignements de la ‘Hassidout nous disent que, pour lui personnellement, l’exil et la destruction n’avaient pas de réalité. Il voyait clairement leur véritable essence. Mais il possédait également la force de la révéler à autrui. Le Midrach relate un incident lors duquel il révéla à ses élèves la récompense qu’ils obtiendraient dans le Monde Futur. Pour nous aussi, l’héritage de ses enseignements traduit la vision lumineuse qui se trouve au cœur du Judaïsme et de la vie.
Le sens et le chaos
Quelle est la relation entre la bonté, la générosité, la bienfaisance et le succès matériel ? La bonté conduit-elle à la santé et à la prospérité ? Cette question qui se trouve au cœur de la quête de sens de chacun est souvent discutée dans les enseignements du Judaïsme.
Le passage de la Paracha que nous avons préalablement cité souligne deux images : celle de la «Rédemption», c’est-à-dire d’une plénitude nationale et individuelle et celle du Galout (exil), le morcellement et le conflit.
La première représentation, celle de la Rédemption, dépeint un état où l’union règne entre les aspects matériel et spirituel de la vie. Une bonne action engendre un effet positif dans le monde matériel. Le corps et l’âme sont en harmonie, à chaque niveau de l’être. Les gens servent D.ieu et donc les semailles poussent et la paix règne. La vie a un sens.
La seconde représentation, celle du Galout, vient en punition. Et pourtant, l’état de Galout n’est pas simplement cela pas plus qu’il n’est seulement des souffrances et du chaos. Le Galout est une séparation de l’esprit avec la matière.
Dans une situation d’exil, la bonté de l’individu peut ne pas être immédiatement rétribuée en termes matériels. Parfois, les semences pousseront, parfois non. Et même si elles poussent, il se peut que l’ennemi s’en empare. Une incertitude constante règne. Le Galout est la dislocation entre la matière et l’esprit, entre le corps et l’âme. Les gens bons peuvent être frappés de maladies horribles et de douleurs ; les mauvais semblent souvent jouir de paix et de prospérité.
A un niveau plus profond, même en Galout existe une relation entre nos actes et les événements qui s’ensuivent. Mais tout cela est régi par une logique divine infinie qui n’est pas complètement accessible à notre intellect. Pour la comprendre il nous faudrait être capable de prendre en compte les royaumes spirituels, le monde des âmes. Nous pourrions alors apprécier certains processus de l’existence qui doivent se déployer. Si le panorama spirituel entier nous était accessible, nous verrions véritablement la récompense précise pour chaque action individuelle. Mais cela n’est pas visible dans le monde matériel qui se déploie devant nous.
Cependant le fait-même que nous sachions qu’il existe une réalité plus profonde constitue en soi un pas en avant. Bien que nous vivions dans le monde du Galout si cruel décrit dans les «remontrances» de la Paracha, nous pouvons être conscients qu’attendre derrière l’ombre le monde de la Rédemption peut être une approche alternative pour vivre.
Et dans les versets qui ferment ces remontrances, la Torah promet que la Rédemption est l’état dans lequel nous vivrons et celui auquel nous reviendrons.
C’est la raison pour laquelle nous devons faire tout ce qui est possible pour permettre à notre monde actuel et quotidien d’atteindre ce but ultime dans lequel le corps et l’âme, l’esprit et la matière, D.ieu et l’existence sont unifiés. Chaque avancée dans l’observance de la Torah rapproche la venue de Machia’h.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que Lag Baomer ?Lag Baomer est le 33e jour de l’Omer («Lag» est une abréviation qui indique les chiffres trente et trois en hébreu), c’est-à-dire le 33e jour depuis qu’on a commencé le compte des jours entre les fêtes de Pessa’h et de Chavouot.
Dans toutes les communautés juives, ce jour est particulièrement joyeux : on ne récite pas la prière de Ta’hanoun (supplications), on peut célébrer des mariages et autres manifestations joyeuses, on peut écouter de la musique etc…
Ce jour marque : 1) la fin de l’épidémie qui avait provoqué la mort de 24 000 disciples de Rabbi Aquiba à l’époque de l’occupation romaine.
2) la «Hiloula» (le décès) de Rabbi Chimon Bar Yo’haï, un des cinq disciples restants de Rabbi Akiba, auteur du Zohar, livre de base de la mystique juive. Le jour du décès d’un Tsadik (juste) est celui où il a atteint le degré le plus haut de perfection, un peu comme son mariage avec D.ieu.
On a l’habitude de faire sortir les enfants des écoles et de les emmener admirer les merveilles de la nature ce jour-là en l’honneur de Rabbi Chimon.
F. L. (d’après le Kitsour Choul’han Arou’h)
De Recit de la Semaine
Les jumeaux de Lag BaomerChez Rabbi Dov Ber, le fils de Rabbi Chneour Zalman, Lag Baomer était un jour particulier… on y observait de nombreux miracles… surtout en ce qui concerne les enfants et, toute l’année, les ‘Hassidim attendaient Lag Baomer avec impatience… » (Hayom Yom)
Lag Baomer 1984 : c’était un dimanche et une gigantesque parade se préparait devant le 770 Eastern Parkway à Brooklyn, devant la grande synagogue du mouvement Loubavitch. Comme on évaluait que la foule y serait très nombreuse, Rav Zalman Shimon Dworkin avait décidé que les couples qui désiraient recevoir en ce jour spécial une bénédiction pour mettre au monde des enfants attendraient devant la maison personnelle du Rabbi, au 1304 President Street. Il fallait donc y assurer également un «service d’ordre» : il fut décidé que les jeunes gens mariés étudiant au Kollel s’en chargeraient.
«Par nature, je n’étais pas du genre à pousser les gens pour les forcer à bouger » explique Reb Alter Bukiat. « On me nomma donc «responsable de la portière» de la voiture : dès que le Rabbi aurait béni tous les couples qui se pressaient devant sa maison, je devrais ouvrir la portière de la voiture et la refermer immédiatement dès que le Rabbi se serait installé en veillant à n’écraser les doigts de personne, afin que le conducteur puisse démarrer en trombe et ne pas faire perdre de temps au Rabbi.
Jamais je n’oublierai cet instant. Il y avait là de très nombreux couples : Loubavitch certes mais aussi d’autres communautés, ‘hassidiques ou non et certains qui n’avaient pas du tout le «look» pratiquant.
Le Rabbi sortit de sa maison à 10h. Mais il ne parvint à sa voiture – pourtant garée exactement devant son domicile – qu’à 10h 20. Entretemps, on entendit des cris et des pleurs. A certains couples, le Rabbi accorda sa bénédiction, quant à d’autres… il semblait que le Rabbi ne les avait pas entendus et ceci était à l’évidence un signe amer.
C’est alors qu’arriva mon tour. Le Rabbi s’approcha de la voiture, j’ouvris prestement et largement la portière malgré la pression de la foule autour de moi. Je tenais la portière de toutes mes forces afin qu’elle ne retombe pas brusquement sur le Rabbi, que D.ieu préserve !
Le Rabbi entra, s’assit à sa place habituelle et je m’apprêtais à refermer la portière. C’est alors qu’un ‘Hassid de Satmar se poussa de toutes ses forces, m’empêchant de refermer la portière : il expliquait au Rabbi qu’il était marié depuis déjà de longues années, qu’il n’avait pas d’enfants… Il donna son prénom et celui de sa mère, celui de son épouse et de la mère de celle-ci… Autour de nous, la pression de la foule était si intense que j’avais peur de l’écraser et que j’étais obligé de retenir la porte d’un effort surhumain.
Le Rabbi lui accorda sa bénédiction puis, soudain, continua en le regardant avec un grand sourire : «L’enfant aura besoin de quelqu’un avec qui jouer…»
Le ‘Hassid de Satmar ne comprit pas tout de suite ce que cela signifiait et le Rabbi continua alors : «Dites Amen !» A ce moment, le jeune homme comprit, se reprit et s’empressa de répondre, de crier même «Amen !» Il «sortit» enfin de la voiture et je pus refermer la portière.
Jamais je n’avais entendu le Rabbi s’exprimer de la sorte !
Le temps passa, je partis en «Chli’hout», en mission de la part du Rabbi, à Boston.
24 Mena’hem Av 5759 (1999)
C’était le jour anniversaire de mon père, Reb Haïm Meir de mémoire bénie. Il est enterré au cimetière Montefiore à Queens, non loin du «Ohel» du Rabbi.
J’avais décidé de quitter Boston le soir, d’arriver à New York vers 5h du matin, de me rendre au Ohel puis sur la tombe de mon père et de repartir pour reprendre mon travail à Boston à 9 h du matin.
Effectivement, je parvins à réciter les prières traditionnelles au Ohel du Rabbi. J’étais tout seul, vu l’heure étrange. Soudain, on frappa à la porte – comme le demande la tradition – et un ‘Hassid de Satmar entra avec deux jeunes garçons. A une heure pareille ? Ma curiosité augmenta : tous trois lurent les lettres qu’ils avaient préparées puis le père demanda à ses enfants de lire le «Maamar : Ita Bemidrach Thilim», le discours ‘hassidique qu’on récite chez Loubavitch le jour de la Bar Mitsva. Je les regardai, étonné ; ils me regardèrent eux aussi.
Nous nous rencontrâmes de nouveau devant la machine à café, dans le bâtiment qui jouxte le cimetière. Je ne pus me retenir de leur poser des questions sur leur venue à cette heure peu habituelle. Le père me répondit : «Ces enfants sont les enfants que j’ai eus grâce à la bénédiction du Rabbi… J’étais marié depuis de nombreuses années ; un jour – malgré les disputes qui existaient à cette époque entre Satmar et Loubavitch – je décidai de demander la bénédiction du Rabbi. Je réussis à m’approcher, demandai une bénédiction pour un enfant et le Rabbi ajouta : «L’enfant aura besoin de quelqu’un avec qui jouer ! Dites Amen !» Et grâce à cette bénédiction, mon épouse a mis au monde ces jumeaux !»
Je me rappelai distinctement tous les détails de cette scène : «N’est-ce pas que c’était à Lag Baomer ? N’était-ce pas pratiquement à l’intérieur de la voiture, devant le domicile du Rabbi ? En 1984 ?»
Incrédule, le ‘Hassid de Satmar me dévisagea encore plus attentivement : «Effectivement ! Mais comment le savez-vous ?»
- C’est moi qui tenais la portière de toutes mes forces ! Et j’ai entendu distinctement les paroles du Rabbi !
- Maintenant je comprends ! Votre visage ne m’était pas inconnu ! Mais je ne parvenais pas à me rappeler… Comme vous le voyez, j’ai eu des jumeaux qui sont nés environ deux ans après ce fameux Lag Baomer. Et aujourd’hui, c’est le jour de leur Bar Mitsva ! Je n’ai pas eu d’autres enfants. Ce sont les enfants du Rabbi !
Rav Hirshel Raskin – Montréal (Canada)
Kfar Chabad n°1407
traduit par Feiga Lubecki