Samedi, 4 juin 2016

  • Be’houkotaï
Editorial

 Juste avant l’heure

Nous sommes à présent comme rattrapés par le calendrier. La sortie d’Egypte s’est déroulée quasiment hier, lors de la fête de Pessa’h. Certes, dès notre libération, nous attendions avec impatience le moment du Don de la Torah, avec la fête de Chavouot, mais nous doutions-nous vraiment qu’il se présenterait aussi rapidement ? Pourtant, c’est presque sur la voie d’aboutissement que nous nous trouvons aujourd’hui. Les semaines sont passées, nous avons compté les jours et nous nous sommes efforcés, de toute la puissance de notre âme, de nous élever au-delà du contingent pour rejoindre l’essentiel. Alors que, dès la semaine prochaine, nous verrons se lever l’aube de la révélation Divine, il est temps de nous interroger : où en sommes-nous ?

Bien sûr, dans la chronologie des événements, les choses peuvent encore attendre : le peuple juif n’arriva au pied du mont Sinaï que le 1er Sivan. Mais, dans notre datation intérieure, celle de notre spiritualité active, nous sentons bien que ce rendez-vous là qui changea la nature même du monde, et sans doute la nôtre, doit être anticipé. C’est la raison de cette sorte de fébrilité qui saisit chacun. La Torah va nous être donnée et nous devons être prêts à la recevoir. Car, si la fête de Chavouot nous donne à revivre ce don de D.ieu, il faut se garder d’oublier que tout don, pour avoir un sens, doit aboutir à un bénéficiaire qui en soit digne. Recevoir la Torah avec toute la profondeur requise est donc bien l’enjeu du moment. Et les jours que nous vivons nous en donnent une conscience accentuée avant que vienne l’ultime instant de l’indispensable préparation.

Il est vrai que nous vivons une époque où, si les commémorations sont à la mode, elles se limitent souvent au souvenir et à l’invitation à réfléchir. Les fêtes juives appartiennent à un autre ordre : elles sont une réalité vivante et demandent que chacun y trouve sa pleine place. Peut-être est-ce là la démarche qu’il est nécessaire d’entreprendre. Voir au-delà des faux semblants. Décider d’être partie prenante de ce qui va bientôt advenir. Un petit pas ? Pour un monde de Bien. 

Etincelles de Machiah

 Une justification pour l’exil ?

 Trouver une explication raisonnée à l’existence de l’exil et, en particulier, à sa longueur est impossible.

En fait, la notion même d’exil n’a pas de lien avec le peuple juif car l’endroit naturel de chacun se trouve à «la table de son Père».

Ce lieu-là est désigné comme «devant l’Eternel ton Dieu» - dans le troisième Temple.

(D’après un commentaire du Rabbi – 21 Elloul 5751) 

Vivre avec la Paracha

 Be’houkotaï

Résumé

D.ieu promet que si le Peuple d’Israël observe Ses commandements, il jouira de la prospérité matérielle et résidera en paix sur sa terre. Mais Il donne également un avertissement sévère et le menace de l’exil, de la persécution et d’autres maux qui s’abattront sur lui s’il abandonne son alliance avec Lui.

Toutefois, «même quand ils seront sur la terre de leurs ennemis, Je ne les rejetterai pas, pas plus que Je ne les haïrai, ne les détruirai ou briserai Mon alliance avec eux. Car Je suis l’Eternel, leur D.ieu».

La Paracha se conclut avec les lois concernant la manière de calculer la valeur des différents types d’engagements pris pour D.ieu et la mitsva de prélever un dixième des produits agricoles et du bétail.

 

Le prodige sous le lit

Rabbi Hillel de Paritch (1795-1864) fut l’un des nombreux érudits de son temps à se joindre au mouvement ‘hassidique ‘Habad. Pendant de longues années, il fut un disciple dévoué des second et troisième Rabbis ‘Habad, Rabbi DovBer et Rabbi Mena’hem Mendel.

Alors qu’il était encore un tout jeune homme, Rabbi Hillel entendit parler du fondateur de ‘Habad, Rabbi Chnéor Zalman de la ville de Lyadi, et chercha à le rencontrer. Mais l’occasion semblait sans cesse échapper au jeune prodige. A peine arrivait-il dans une ville que le Rabbi visitait, qu’on l’informait que le Rabbi venait de partir. Finalement, il réussit à localiser l’endroit où résiderait le Rabbi avant qu’il n’arrive. Pour être sûr qu’il ne raterait pas, une fois de plus, l’occasion, Rabbi Hillel se faufila dans la chambre où devait séjourner le Rabbi et se dissimula sous son lit, déterminé à faire la connaissance du grand Rabbi.

Pour se préparer à sa rencontre avec Rabbi Chnéor Zalman, Rabbi Hillel s’était «armé» de certains de ses accomplissements dans l’étude du Talmud. A cette époque, le jeune érudit étudiait le traité Era’hin ou «évaluations», la partie du Talmud qui a trait aux lois concernant la manière d’évaluer ses engagements pour le Temple. Rabbi Hillel avait une question très savante sur le sujet, question qu’il se répétait avec application, afin d’en discuter avec le Rabbi.

De sa cachette, Rabbi Hillel entendit le Rabbi entrer dans la pièce. Mais avant même qu’il ne puisse faire un mouvement, il entendit Rabbi Chnéor Zalman s’exclamer : «Si un jeune homme a une question concernant Era’hin , il ferait mieux de commencer par s’évaluer lui-même !».

Le «prodige sous le lit» s’évanouit sur place. Quand il revint à lui, Rabbi Chnéor Zalman était parti…

***

A près avoir relaté cette histoire, le Rabbi demanda : «Comment appliquer ce récit à notre vie ?»

Le traité Era’hin discute des lois présentées dans le chapitre 27 de Vayikra : si une personne s’engage à faire un don au Temple mais qu’au lieu d’indiquer une somme, elle dise : «Je promets de donner la valeur de cet individu», nous devons nous conformer à une table de taux, fixée par la Torah, dans laquelle est assignée une certaine «valeur» à chaque groupe d’âge et de genre.

Mais pourquoi employer un taux fixe qui rassemble tant d’individus divers ? Un érudit accompli ne devrait-il pas être considéré comme ayant plus de valeur qu’un simple travailleur ?

Il est vrai que la Torah statue que nous nous tenons tous, égaux, devant D.ieu, «de vos têtes, les chefs de vos tribus, vos anciens… jusqu’à vos coupeurs de bois et vos porteurs d’eau». Mais une personne peut-elle réellement considérer son prochain comme son égal quand, de toute évidence, il lui est supérieur en talents et en réalisations ?

Tel est le sens de la remarque de Rabbi Chnéor Zalman à Rabbi Hillel : si tu as une question concernant Era’hin, «les évaluations», si tu trouves difficile de te connecter avec les évaluations que fait la Torah de la valeur humaine, tu ferais mieux de jeter sur toi-même un long regard. Un examen honnête de ton propre caractère et de ton comportement te montrera tout ce que tu peux apprendre de chaque individu. Tu y observeras tout ce que tu dois imiter chez ceux qui te semblent apparemment «inférieurs» à toi.

Le Coin de la Halacha

 Peut-on mettre un terme à son contrat si on trouve un travail mieux payé ?

«Car les Enfants d’Israël sont Mes serviteurs» (Vayikra – Lévitique 25 : 55). Les Sages expliquent qu’un Juif ne peut être asservi que par D.ieu.

On ne peut quitter un patron si cet abandon va lui causer une grosse perte financière (par exemple : un projet en cours ne pourra être mené à terme à cause de cette défection). Dans ce cas, l’employé pourrait être condamné à indemniser l’employeur. Cependant, si d’autres personnes sont tout aussi capables que lui d’effectuer le travail, le patron en serait réduit à se plaindre – sans pouvoir réclamer d’indemnités.

Il est interdit de reprendre sa parole dans les transactions financières de peur d’être considéré comme «indigne de confiance». Cependant, si un employé décide de quitter son travail après plusieurs années pour gagner davantage dans une autre place, il n’est pas considéré comme «indigne de confiance».

En conclusion : un employé ne devrait pas abandonner son travail au milieu d’un projet, même s’il peut obtenir une meilleure paie ailleurs. Mais si d’autres personnes peuvent le remplacer, le patron ne peut pas lui en tenir rigueur (ou demander des indemnités pour rupture du contrat).

(d’après Rav Chaim Hillel Raskin – Re’hovot - Collive)

Le Recit de la Semaine

 Qui est le chef ?

Chaque année, ce sont près de cent Juifs qui participent au repas du Séder de Pessa’h dans la ville de Cairns, au nord de l’Australie. Nombre d’entre eux s’inscrivent à l’avance mais, comme ailleurs, d’autres personnes se contentent de venir sur place, sans penser à s’annoncer. Or cette année, plus de cent personnes avaient déjà annoncé leur participation, ce qui laissait présager un nombre record de convives. Bien entendu, ceci nous causait un peu de soucis car nous étions loin d’être des chefs cuisiniers accomplis : après tout, nous ne sommes tous les deux que des étudiants de Yechiva, peu au courant des quantités à prévoir et des efforts à fournir pour nourrir tant de personnes. Une semaine avant Pessa’h, nous avions déjà plus de cent vingt participants !

Un de nos contacts sur place travaillait comme cuisinier et nous lui avons téléphoné pour qu’il vienne à notre rescousse. Mais il était justement très occupé cette semaine et ne pourrait nous consacrer qu’une heure de son temps !

Mercredi, soit trois jours avant le début de la fête, nous devenions de plus en plus nerveux. Nous avons procédé aux derniers achats dans un supermarché puis nous avions prévu de nous rendre à une demi-heure de là chez une famille pour prendre contact et, éventuellement, l’inviter au Séder. Nous pourrions commencer à cuisiner dès le lendemain. Mais juste avant de reprendre la route, je me rappelai d’un dernier ingrédient que nous avions oublié : Chmouli courut le chercher puis fit la queue à la caisse. C’est alors qu’il entendit distinctement, derrière lui, deux hommes qui se parlaient en hébreu ! Il se retourna, les regarda mais eux firent semblant de parler dans une autre langue. Chmouli se dirigea vers eux avec un immense sourire aux lèvres et leur adressa la formule traditionnelle : « Chalom Alé’hem ! ». Étonnés, ceux-ci ne purent que répondre : « Alé’hem Chalom ! ». Puis Chmouli leur demanda leurs noms, s’ils habitaient à Cairns…

Il faut savoir que la plupart des Juifs ici habitent le même quartier, tous se connaissent et, surtout pour les Israéliens, aiment à se rencontrer de temps en temps. C’est pourquoi Chmouli était étonné quand le plus jeune des deux - qui s’appelait Ra’hamim et qui était âgé de quarante ans environ - répondit : « Cela fait presque deux ans que j’habite dans un de ces quartiers (justement le plus fréquenté par les Juifs…) mais je n’ai jamais rencontré un seul Juif ! Mais vous, apparemment, vous êtes un rabbin orthodoxe : que faites-vous dans un endroit aussi perdu que Cairns ? ».

Chmouli répondit qu’il était venu organiser le Séder pour la communauté, plus d’une centaine de personnes et qu’il l’invitait personnellement.

- Incroyable ! s’écria Ra’hamim. C’est certainement D.ieu Lui-même qui vous a envoyé ici et justement dans cet endroit précis du magasin ! Il y a à peine une minute j’ai demandé à mon père (l’homme qui se tenait à côté de lui) comment nous allions préparer le Séder cette année ! Je ne connais aucun Juif dans cette ville, je n’ai ni Matsa ni vin ni rien de tout ce qui est nécessaire pour le Séder ! Et vous surgissez comme cela de nulle part…

Chmouli essaya de ravaler sa salive tant il était lui aussi surpris de ce qui arrivait mais Ra’hamim continua :

- D’où avez-vous obtenu les aliments cachères ? Et qui va cuisiner pour vous ?

- Nous avons tout fait venir de Melbourne et c’est nous qui allons cuisiner !

- Mais savez-vous comment cuisiner pour tant de personnes ? s’inquiéta Ra’hamim.

- Euh… Pas vraiment, répondit Chmouli, peu rassuré. Mais nous avons confiance, D.ieu nous aidera !

Maintenant c’est au tour de Ra’hamim d’arborer un grand sourire :

- Moi, je suis chef-cuisinier ! C’est pour cela que mon père est venu me rendre visite pour quelques mois parce que je vais ouvrir un restaurant ici à Cairns !

C’en était trop pour Chmouli ! Mais Ra’hamim traçait déjà le programme :

- J’ai tout le temps de libre ! Je veux vous aider et je viendrai avec mon père, il ne sera pas de trop !

Chmouli se retint de les embrasser et de se mettre à danser de joie en plein milieu du magasin : « Quel miracle ! Vraiment devant nos yeux ! ».

Ils échangèrent les numéros de téléphone et Chmouli courut dans la voiture, en oubliant complètement pourquoi il était revenu dans le supermarché. De fait, maintenant nous, les deux étudiants de Yechiva, nous savions pourquoi Chmouli avait dû retourner dans le supermarché…

Effectivement, le lendemain, Ra’hamim et son père se présentèrent dans la cuisine et ne cessèrent de s’activer, d’organiser, de préparer, de donner des conseils plus judicieux les uns que les autres. Bien entendu, nous avons saisi l’occasion pour leur mettre les Téfilines. Le père de Ra’hamim, âgé de plus de soixante ans, ne pouvait pas se rappeler la dernière fois qu’il les avait mis…

Ils se présentèrent les premiers pour le Séder, mirent au point les derniers préparatifs, s’assurèrent que rien ne manquait. Ils participèrent activement, vérifièrent tous les détails, s’activaient autour des convives en véritables professionnels de la restauration. A un moment, Ra’hamim nous confia : « Je n’en crois pas mes yeux (et, pour tout dire, nous non plus, nous n’avions pas encore réalisé tout ce qui nous était arrivé…) : mon père est le Juif le plus antireligieux qui existe. De ma vie, je ne l’ai jamais vu pratiquer aucune Mitsvah ou participer à une prière en commun ou une fête juive. Mais aujourd’hui, je l’ai vu mettre les Téfilines et il participe avec attention au Séder ! Vous ne pouvez pas imaginer tout ce que cela signifie pour moi, je m’en souviendrai toute ma vie ! ».

Il respira profondément et affirma :

- L’année prochaine, contactez-moi un mois avant Pessa’h, je vous préparerai un menu correct, je me procurerai les ingrédients cachères nécessaires et, ensemble, nous préparerons un Séder gastronomique pour tous les Juifs de Cairns !

D.ieu soit loué, nous avons effectivement nourri royalement plus de cent vingt personnes et tous nous félicitèrent pour ce merveilleux repas, si bien préparé.

Tout cela grâce à notre rencontre inopinée, miraculeuse avec ce chef envoyé au supermarché en même temps que nous par le Créateur du monde Lui-même.

Si seulement nous avions su ce qui se passerait au supermarché, nous y aurions passé la journée entière !

Mendel Weinberg et Chmouli Lezak - Kfar Chabad N° 1656

Traduit par Feiga Lubecki