Semaine 49

  • Vayétsé
Editorial
Deux siècles de lumière

C’était il y a deux cents deux ans. Le monde était en proie aux plus grands bouleversements. La révolution américaine avait chassé la monarchie britannique du nouveau continent en construction. La France proposait aux peuples d’Europe un nouveau modèle de société et les régimes absolutistes craignaient la contagion des idées révolutionnaires, le danger pour l’ordre établi. Certes, après cette époque, plus rien ne serait identique. Chacun le pressentait: ces changements étaient profonds, peut-être irrémédiables. Pourtant, le 19 Kislev de l’année 1798, un autre événement intervint dont tout le monde ne perçut pas la portée, sans doute parce qu’elle était bien éloignée des champs de bataille coutumiers des puissances du temps. Ce jour-là, en Russie, Rabbi Chnéor Zalman, l’auteur du Tanya, fut libéré de prison et le Tsar lui fit savoir que pleine autorisation lui était donnée de poursuivre son œuvre d’enseignement de la Hassidout. Force est d’observer que, si les livres d’histoire ont gardé la trace des premiers événements évoqués, bien peu ont préservé la mémoire de cette libération. Cependant, à l’analyse, ne peut-on se demander si celle- n’a pas été au moins aussi déterminante que ceux-là? En effet, en un temps où l’obscurité spirituelle grandit, si lien avec D.ieu paraît plus difficile, moins assuré, un homme se dresse, Rabbi Chnéor Zalman, et diffuse une sagesse jusque-là réservée à une petite élite d’érudits. Il entreprend de la rendre accessible à tous et personne ne se trompe sur le sens de son brutal emprisonnement. Si les autorités de l’époque choisissent une telle démarche, c’est que celle- est l’expression d’une opposition spirituelle qui les dépasse. La condamnation de Rabbi Chnéor Zalman serait un coup d’arrêt à cette expression nouvelle de la lumière. La victoire finale est la marque du contraire: la Hassidout, si nécessaire aux époques à venir, continuera son œuvre d’illumination. De fait, elle n’a pas cessé, depuis lors, de nous éclairer. Nous sommes les héritiers de cette histoire. C’est grâce elle que nous continuons d’être les porteurs de la flamme qui ne peut s’éteindre, poursuivant notre chemin vers l’accomplissement annoncé: la venue de Machia’h.
Etincelles de Machiah
Plus que l’observation directe

Le prophète Isaïe décrit (11 :9) le jugement que rendra Machia’h : “Il ne jugera pas selon la vue de ses yeux et ne fera pas de remontrances selon ce qu’entendent ses oreilles”.
Cette description fait référence au jugement destiné à déterminer qui se relèvera lors de la résurrection des morts. Or, le président de ce tribunal sera le Machia’h lui-même qui, contrairement à un juge ordinaire, ne se contentera pas de ce qu’il observera pour juger. Il verra et ressentira les facteurs qui ont conduit l’homme à commettre des fautes. Il saura peser le poids de la vie d’exil menée par les Juifs. Il intercèdera en leur faveur et recherchera leurs mérites, relevant qu’ils n’ont jamais fauté volontairement : ils ont seulement été incapables de maîtriser leur mauvais penchant.
(d’après Likouteï Dibourim, vol. II, p.644)
Vivre avec la Paracha
Vayétsé :Dormir dessus


La plupart des personnes qui ont un cerveau sont d'accord pour reconnaître que c'est un outil des plus utiles ! Mais il existe un très grand désaccord quant à savoir comment et quand l'utiliser.

Certains diront :"J'utilise mon cerveau pour ce qui concerne les défis physiques et matériels que lance la vie: pour diriger mon entreprise, écrire un CV, acheter une maison, construire un bateau, faire un programme pour mes élèves. Tous ces sujets nécessitent le guide indispensable de la raison et de la logique. Et puis vient ma vie intérieure, spirituelle: mes convictions religieuses, mon amour pour ma famille, mes moments de méditation et de prière, ces choses-là ne peuvent être rationalisées ou pesées avec les critères de la logique. Ce sont les domaines que je laisse aux aspects de ma personne subconscients et intuitifs".
D'autres empruntent une approche diamétralement opposée. "Au contraire, disent-ils, l'aspect spirituel de la vie est celui où l'on a le plus besoin de l'aide de l'esprit. Précisément parce qu'il est élevé et subtil, il est plus vulnérable et sujet à la corruption. En ce qui concerne mes entreprises matérielles, je peux me permettre de laisser agir le "pilote automatique"; en outre, pour moi, elles ne sont pas importantes, si elles ne réussissent pas aussi bien qu'elles le devraient, ce n'est pas la fin du monde. Mais dans ma vie spirituelle, ce qui est beaucoup plus sérieux pour moi, je ne veux pas me tromper. Dans ce domaine, je soumets chaque action, chaque pensée et chaque sentiment à l'instrument le plus précis que je possède: mon intellect".

Qui a raison et qui a tort? Selon le Midrach fascinant évoquant les habitudes de sommeil de Yaakov, les deux approches sont erronées.

Dans le 28ème chapitre de Béréchit, nous lisons que Yaakov, voyageant de la Terre Sainte vers 'Haran, passa une nuit au Mont Moriah (le Mont du Temple):
"Il arriva à l'endroit; il dormit là-bas, car le soleil s'était couché…et il s'allongea dans cet endroit."
Comme le soulignent nos Sages à maintes reprises, la Torah ne contient pas un mot ou une lettre en trop. Quel est donc le sens de la ligne apparemment superflue: "et il s'allongea dans cet endroit" (la Torah nous a déjà dit: "il dormit là-bas") ? Quel message se cache derrière ces mots?

Le Midrach dit: "Dans ce lieu il s'allongea, car pendant les quatorze années où il s'était caché dans la maison de Ever, il ne s'était pas allongé…dans cet endroit il s'allongea car pendant les vingt qu'il passerait dans la maison de Lavan, il ne s'allongerait pas".


"Cette nuit", la nuit que passa Yaakov dans le lieu le plus saint de la terre, était encadrée des périodes les plus intensément spirituelles et des plus intensément matérielles de sa vie. Pendant quatorze ans, avant cette nuit, Yaakov avait été reclus dans la maison de son maître Ever (l'arrière arrière-petit-fils de Noa'h), dévouant chaque instant de sa vie à la poursuite de la sagesse divine. Et pendant vingt ans, après cette nuit, il allait travailler comme employé de son oncle Lavan, veillant aux moutons de Lavan et amassant une fortune pour lui-même ; selon son propre témoignage, sa dévotion à cette tâche fut si absolue que "le sommeil quitta mes yeux" (Béréchit 31 :40).

Mais au court de cette nuit qui s'interposa entre ces deux périodes et les unit, Yaakov "s'allongea".

Une personne allongée met sa tête et le reste de son corps au même niveau. Ainsi, elle abandonne le plus grand avantage que possède un être humain sur les animaux, le fait que, dans l'être humain, la tête est positionnée en haut du corps.
Parce que, comme l'enseignent les Rabbis, la verticalité de l'homme est bien plus qu'un aspect de son anatomie physique. Elle reflète plutôt une vérité plus profonde: celle que dans l'être humain, l'esprit dirige le cœur, la tête est la maîtresse du moi corporel. Cela, écrit Rabbi Chnéour Zalman de Liadi dans son Tanya, constitue la " nature innée " de l'homme. Une personne qui se laisse diriger par ses émotions ou par ses instincts est quelqu'un qui renonce à la caractéristique la plus importante de son humanité, à la priorité la plus éclatante de l'homme sur l'animal.

Là, dit le Rabbi, est le sens profond de l'affirmation du Midrach selon laquelle Yaakov ne "s'allongea" pas pendant ses quatorze années dans la maison de Ever ni durant les vingt années de son séjour au service de Lavan. Yaakov nous indique par là que le principe selon lequel "l'esprit dirige le cœur" s'applique à tous les domaines de la vie, depuis l'engagement le plus spirituel jusqu'à l'occupation la plus matérielle.
Tous les domaines de la vie…sauf quand on est sur le Mont Moriah.

Parce qu'existe aussi une vérité plus élevée. Une vérité qui transcende la matérialité et la spiritualité. Une vérité qui embrasse à la fois l'intellect et l'instinct.

D.ieu n'est ni spirituel ni matériel. Il a créé les deux royaumes et Se trouve également présent dans les deux. Il nous pourvoit de moyens de nous connecter à Lui dans les deux domaines: la prière, par exemple, est le moyen de nous lier à Lui spirituellement alors que donner la charité en est la voie matérielle. Et Il nous donne un guide, notre esprit rationnel avec lequel nous pouvons naviguer dans les deux domaines de la vie.

Mais nous avons également besoin de nous attacher à une vérité divine supérieure qui transcende l'esprit et la matière. En fait, ce n'est que grâce à cette relation que nous pouvons habiter deux mondes si différents et même les incorporer tous deux dans nos vies.

C'est la raison pour laquelle Yaakov devait passer une nuit sur le Mont Moriah, lieu futur du Saint Temple, lieu de la manifestation la plus profonde de la révélation divine à l'homme et de l'engagement ultime de l'homme au service de D.ieu : le lieu où la vérité divine fondamentale est manifeste. Seule une rencontre avec le Mont Moriah peut construire un pont entre nos "années Ever" et "nos années Lavan". Seule une rencontre avec le Mont Moriah peut placer nos entreprises spirituelles et nos poursuites matérielles dans une même vie, peut leur permettre de vivre harmonieusement ensemble voire de se nourrir réciproquement et imposer aux deux les mêmes critères d'intégrité.

Mais sur le Mont Moriah, il n'y a ni lois ni outils. On ne peut le comprendre ou l'appréhender, on ne peut ni réfléchir ni expérimenter. On ne peut que s’y abandonner. On ne peut que s’allonger dessus.

Nos moments "Mont Moriah" sont extrêmement rares. Pour Yaakov, une nuit seule suffit pour 34 ans. Ce qui est important n'est pas qu'ils arrivent souvent ou qu'ils durent longtemps. Ce qui est important, c'est que leur influence se fasse sentir sur tout ce que nous faisons.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que le “Parvé” ?

Toute nourriture qui ne contient ni viande ni lait est considérée comme “parvé”, (neutre) et peut donc être consommée avec des aliments carnés ou lactés. C’est le cas par exemple des fruits, légumes, céréales, poissons, œufs etc…
Un aliment “parvé” cuit dans une casserole propre, normalement réservée à de la viande par exemple, reste neutre et peut donc être consommé après un repas lacté.
Cependant un aliment “parvé” considéré comme fort et piquant (par exemple un oignon ou un piment) et coupé avec un couteau réservé à la viande ne pourra être consommé pendant un repas lacté (ou inversement). Il pourra être consommé juste après, il ne sera pas nécessaire d’attendre une heure (après le lait) ou six heures (après la viande) comme il est de règle pour des aliments franchement “lait” ou “viande”.
D’une façon générale, il convient d’être très strict dans la séparation des aliments et des ustensiles de cuisine pour le lait et pour la viande. On réservera les ustensiles “parvé” pour la préparation des poissons et des pâtisseries ; on les lavera et on les rangera bien à part.

F. L. (d’après Rav Yossef Ginzburg)
De Recit de la Semaine
DE DESSOUS LA CHAISE

Ses yeux avaient vu ce que des yeux ne devraient jamais voir. Ses oreilles avaient entendu ce que des oreilles ne devraient jamais entendre. Il avait survécu aux horreurs de la Shoah.
Après la seconde Guerre Mondiale, il avait fui sa Hongrie natale pour traverser l’océan et recommencer sa vie aux Etats-Unis. Il se maria avec une survivante, comme lui et eut d’autres enfants. Il aida ses coreligionnaires à établir une nouvelle synagogue mais ce n’était pas comme “au vieux pays”. Même le jeune rabbin envoyé par le Rabbi de Loubavitch semblait différent des rabbins qu’il avait connus et respectés en Hongrie. Ce jeune homme était un érudit certes, énergique et plein d’imagination : il voyait déjà dans cette communauté la possibilité de créer une école juive, d’offrir des cours de Torah pour les adultes, de ramener des jeunes à la pratique du judaïsme…
Ses amis hongrois l’entendaient grogner avant la prière du matin : “Une Souccah sur un camion! Une Ménorah devant un centre commercial! Des Téfilines dans la rue! Et quoi encore?” On lui faisait gentiment remarquer que, grâce au rabbin, le nombre de fidèles avait doublé: de jeunes hippies entraient maintenant dans la synagogue. Certes ils portaient des bouches d’oreilles, des sacs à dos et de longues queues de cheval, une tenue peu habituelle dans un lieu de culte mais, au moins, ils venaient! Et tout cela grâce au nouveau rabbin. Puis l’école juive fut fondée pour de nombreux enfants souriants, de nouveaux magasins cachères apparurent et les colonies de vacances accueillirent de petits clients venus de toute la région.
Renfrogné, l’homme reconnaissait les faits depuis son siège, le dernier de la rangée du fond. C’était “son” siège, une place réservée que nul n’aurait osé occuper. Gare à l’enfant qui laisserait un papier de bonbon traîner sur ce siège. Il réagirait d’une voix si forte que toute la synagogue en tremblerait ! Tous seraient pris à partie: l’enfant, les parents et, bien sûr, le marchand de bonbons. Avec le temps, les membres de la synagogue apprirent à tolérer et même à respecter cet homme nostalgique du “vieux monde” et qui avait vécu tant d’épreuves.
Un Chabbat matin, alors que le rabbin donnait un cours de pensée juive avant la prière, l’homme entra dans la synagogue, marcha jusqu’au banc du fond et s’arrêta net: quelle horreur! Sur son siège, oui sur son siège, il y avait un livre, un livre avec des photos, l’album célébrant les trente ans de leadership du Rabbi! “Comment? Quelle honte! Un livre de photos dans une synagogue!” Il saisit le livre et le jeta rageusement sous un banc !
Le cours s’arrêta net: le silence emplit la salle. Le rabbin se leva, marcha calmement vers le fond de la synagogue et raconta une histoire :
“Quand Rabbi Chnéour Zalman, fondateur de la Hassidout ‘Habad, se trouvait en prison à la suite d’accusations mensongères, ses disciples sollicitèrent l’aide d’un Juif bien connu pour son opposition à l’enseignement ‘hassidique. L’homme accepta à condition que le Rabbi s’engage à rendre visite à trois érudits de la communauté non-‘hassidique. Rabbi Chnéour Zalman accepta et, après sa libération, se rendit chez ces érudits. Lors d’une de ses visites, il remarqua un livre que quelqu’un avait poussé d’un coup de pied sous une chaise. C’était le “Noam Eliméle’h”, une œuvre ‘hassidique écrite par le célèbre Rabbi Eliméle’h de Lyzensk. Ému et saisi, Rabbi Chnéour Zalman ramassa le livre, l’embrassa respectueusement et le posa soigneusement sur la table.
“Son hôte, l’érudit, le considéra avec dédain. “Connaissez-vous l’auteur de ce livre ? ” demanda-t-il sur le ton de la plaisanterie.
“Je vais vous avouer la vérité, répondit le Rabbi. Si vous saisissiez cet auteur, et que vous le poussiez sous une chaise et si vous vous asseyez sur cette chaise, il ne protesterait pas et accepterait son sort avec humilité. Telle est sa grandeur!”
Le jeune rabbin conclut: “Et moi, je dis la même chose! Si vous placiez le Rabbi lui-même sous un banc, il l’accepterait sereinement! Telle est sa grandeur!”
Le cours reprit, l’incident était clos. Du coin de l’œil, le rabbin remarqua qu’on avait ramassé le livre, on en avait secoué la poussière et on l’avait rangé sur une étagère.
Quelques mois passèrent. Un jour, l’homme s’approcha du rabbin: “Je me rends en Israël la semaine prochaine. Je ferai escale à New York et je veux voir votre Rabbi: je veux en avoir le cœur met et vérifier s’il est aussi humble que vous le prétendez. Vous voyez, je me souviens de votre histoire!”
Il arriva dans la synagogue, 770 Eastern Parkway à Brooklyn, juste au moment où le Rabbi entrait pour Min’ha, la prière de l’après-midi. L’homme se souvenait des maîtres ‘hassidiques qu’il avait connus dans la Hongrie d’avant la guerre: leur sainteté, leurs connaissances, leur bonté… Mais la remarque du jeune rabbin sur l’humilité absolue de son Rabbi l’avait surpris. Après tout, le Rabbi exerce une influence sur le monde entier, ses émissaires dirigent écoles et synagogues sur les cinq continents, comment pouvait-il néanmoins représenter l’humilité personnifiée?
Curieux, il observa le Rabbi qui entrait: il était vêtu d’une simple redingote noire, d’un chapeau en feutre comme le jeune rabbin de sa ville. Ses secrétaires le suivaient à distance respectueuse. Le Rabbi avançait, avançait et s’arrêta net devant lui. Il se baissa et ramassa un bout de papier qui traînait par terre. Puis il se releva, regarda fixement le visiteur et continua jusqu’à sa place.
L’assemblée entama la prière, mais le visiteur n’entendit rien. Stupéfait il avait réalisé que l’humilité du Rabbi était bien supérieure à ce que lui avait dit son rabbin. Nul n’avait forcé le Rabbi à se baisser pour nettoyer la synagogue, ni les secrétaires, ni les centaines de ‘Hassidim… C’était une véritable humilité, à un degré qu’il n’avait jamais rencontré “dans le vieux pays”…
Maintenant il se sentait rassuré. Il savait pourquoi le Rabbi lui avait lancé ce regard pénétrant. Il cesserait dorénavant de se montrer pointilleux sur des détails sans valeur, de toujours trouver des fautes chez ces gens qui se dévouaient corps et âme pour le bien de leur communauté. Maintenant il aiderait le rabbin, sponsoriserait sa Souccah mobile et contribuerait à la bonne marche de l’école juive. Le Rabbi lui avait enseigné qu’il fallait agir. Et c’est ce qu’il fit.

El’hanan Lesches
Traduit par Feiga Lubecki