Semaine 49

  • Vayétsé
Editorial
Un choix lumineux

Cette période de l’année a toujours des accents bien mélancoliques : l’obscurité paraît toute puissante et les jours n’en finissent pas de raccourcir. L’horizon semble bouché par une grisaille presque omniprésente et, quand, enfin, le soleil paraît, il ne diffuse qu’un froid cruel. Tout cela n’est certes que réalité physique, simple constatation météorologique liée aux rythmes climatiques que l’homme connaît d’aussi loin que porte sa mémoire. Cependant, c’est une idée classique : le monde matériel est aussi – voire d’abord – l’expression d’une réalité spirituelle qui le sous-tend. C’est dire que, lorsque le froid et la nuit dominent, le risque existe de laisser glisser notre cœur et notre esprit sur cette pente facile. Le risque existe de laisser l’engourdissement de l’attente envahir notre âme.

C’est justement dans cette épaisseur de la nuit que la lumière naît et c’est le mois qui commence qui en est le porteur ; il s’appelle Kislev. Ce nom résonne déjà comme un cri de victoire : ne nous rappelle-t-il pas ‘Hanouccah, fête des lumières, et le 19 Kislev, Roch Hachana de la ‘Hassidout ? Mais surtout, il est cette période où le jour démontre qu’il est, par nature, l’inévitable vainqueur des forces de l’ombre. Plus encore, parce qu’elle surgit de la nuit, la lumière est plus puissante qu’à l’accoutumée. Elle est ainsi à même de briser toutes les limites, de chasser jusqu’à l’obscurité la plus profonde. Chacun est, à présent, comme le témoin d’un prodige. Chacun voit poindre ce surprenant éclat, annonciateur de renouveau.

Comme toutes les créatures, l’homme vit dans l’espace et dans le temps. Ces deux éléments définissent tant son existence qu’il ne peut pas ne pas en ressentir l’influence. Mais aussi, parce qu’il est le couronnement de la création, il ne peut pas ne pas choisir d’être l’acteur du changement plutôt que son spectateur ou sa victime. Si l’obscurité et le froid sont grands alentour, si une lumière apparaît, c’est aussi parce que l’homme possède tout cela en lui. Il est cet être qui peut susciter froideur ou enthousiasme, lumière ou obscurité, en lui-même, dans son entourage et, plus largement, dans l’ensemble du monde. En ces matières, pouvoir c’est déjà devoir. C’est ainsi que, jour après jour, nous construisons un monde de lumière jusqu’à ce que la venue du Machia’h nous introduise à la Lumière éternelle.
Etincelles de Machiah
« En son temps, Je le hâterai »

Le Talmud (Sanhédrin 98a) enseigne : «Il est écrit (Isaïe 60 : 22) ‘le Machia’h viendra en son temps, Je le hâterai’». Ces deux termes semblent contradictoires. Le Tséma’h Tsédèk, le troisième Rabbi de Loubavitch, y apporte une explication : ils font référence à deux modes de Délivrance possibles :
- «Je le hâterai» : cela décrit une Délivrance dans laquelle les hommes quitteront l’exil brutalement, comme en un saut. Elle conduira ainsi immédiatement aux degrés les plus élevés ;
- «En son temps» : c’est une Délivrance dans laquelle cette élévation progressera graduellement et, par conséquent, plus lentement.
(d’après Or Hatorah - Béréchit, p.86) H.N.
Vivre avec la Paracha
Vayetsé : La nuit appartient à Yaacov

Nos Patriarches, Avraham, Its’hak et Yaacov ont établi le rite des prières que l’on observe toujours aujourd’hui. Avraham composa la prière du matin, Cha’harit, Its’hak, celle de l’après-midi, Min’ha et Yaacov celle, Maariv ou Arvit.
Par la prière, nous attirons l’énergie divine dans notre environnement et dans nous-mêmes. Puisque chaque jour progresse par l’intermédiaire de trois étapes : le matin, l’après-midi et le soir, il est nécessaire de prier trois fois chaque jour. Chaque prière est un peu différente des autres afin d’attirer l’énergie spécifique requise à ce moment de la journée et chacune a été instituée spécifiquement par le Patriarche dont le caractère spirituel correspondait au besoin précis du moment.

Trois étapes
Le premier stade du jour a lieu au moment où l’aube apparaît. C’est un moment rempli de promesses, l’excitation devant tout ce qui est possible remplit l’air. L’énergie divine requise alors est celle de l’optimisme. Avraham, un homme à l’esprit positif et à l’optimisme infini a donc composé la prière de Cha’harit.
Le jour avance, l’enthousiasme du matin s’envole et nous nous engageons dans la tâche difficile mais gratifiante des accomplissements. Nous affrontons des défis, les surmontons avec l’intention d’être arrivés à notre but à la fin de la journée. Il nous faut alors de la résolution. Its’hak, un homme de dévouement, d’engagement et de résolution à toute épreuve a donc composé la prière de Min’ha.
Le jour décline, nous achevons nos activités et prenons du recul pour réfléchir. Bien que nous ayons rencontré du succès au cours de la journée, nous réalisons qu’il y a encore beaucoup à faire. Nous voulions achever notre travail mais l’obscurité est tombée.
La nuit s’accompagne de mélancolie. Nous ressentons les limites de la condition humaine et nous réalisons que la lumière du jour et la chaleur ne durent pas éternellement. L’enthousiasme du matin et l’élan de l’après-midi se sont estompés et la nuit nous enveloppe dans un sombre et menaçant désespoir. Pourrons-nous surmonter la froideur de la nuit et être tirés vers la chaleur de D.ieu ?
La réponse est un «oui» retentissant et notre Patriarche Yaacov est l’auteur d’une prière pour y parvenir. Pourquoi Yaacov ? Parce qu’il personnifiait l’engagement inébranlable pour la vérité divine qui ne s’émoussait jamais malgré des conditions difficiles. Sa vie est un enchaînement de moments sombres, d’épreuves difficiles et de défis apparemment insurmontables. Mais jamais il ne désespéra.

L’espace intérieur
Lisons ce que dit la Torah à propos de Yaacov. Il fut forcé de quitter le giron familial, l’enseignement et la direction de ses Maîtres, le soutien de ses amis. Il se dirigea vers une terre inconnue et pénétra dans une culture étrangère. Il plongea dans sa nuit avec ce qui aurait dû être un cœur lourd.
La Torah rapporte : Vayetsé Yaacov… - «Et Yaacov partit…». Dans son for intérieur, il sentait que c’était un départ total et complet. Il partait pensant qu’il ne reviendrait jamais, convaincu qu’il n’aurait pas à reconstruire une nouvelle vie dans un pays étrange et étranger, qu’il se mettait en route pour un exil qui durerait sa vie entière.
Alors que le soleil se couchait, au premier jour de son voyage, la Torah nous dit que «il rencontra l’endroit» où le Temple serait plus tard érigé. Que faisait-il là ? Il composait la prière du soir.
Considérons la situation. Il est banni de chez lui, éloigné de sa famille, seul dans l’obscurité… et il n’a pas peur. Bien au contraire, il est inspiré. D’où lui vient cette incroyable force de caractère ?
La réponse réside dans le choix de la terminologie employée par la Torah : «vayifga bamakom ki ba hachéméch…» que l’on traduit habituellement par «il rencontra l’endroit alors que le soleil se couchait». Néanmoins, une traduction littérale de ces mots révèle un sens différent : «il rencontra l’intérieur de l’endroit parce que le soleil se couchait». Quand il vit que la nuit tombait au moment précis où il arriva sur le futur mont du Temple, il comprit le rythme intérieur, le cœur et l’âme de ce lieu saint.

De la lumière dans l’obscurité
Nos Sages enseignent que le mont du Temple est pénétré d’une lumière spirituelle qui dépasse la lumière conventionnelle. En fait, elle en est la source. Quand Yaacov s’approcha et fit l’expérience de cette lumière spirituelle, le soleil se coucha immédiatement, parce que la lumière conventionnelle s’obscurcit quand elle rencontre la lumière du Temple.
Un homme ordinaire n’aurait pu qu’observer la diminution de la lumière naturelle. Mais Yaacov était attentif à l’ «intériorité», au sens profond de ce lieu. Il comprit que l’essence de cette obscurité était enveloppée dans une lumière raréfiée, si Divine qu’elle était au-delà de la perception de l’œil humain.
La nuit tomba mais Yaacov ne fut pas saisi par une mélancolie effrayante. L’inspiration et la joie l’envahirent. Il vit là un moment parfait pour composer une prière de gratitude à D.ieu pour lui avoir donné, et par lui, à nous-mêmes, un don appelé la nuit.
(Il pria à ce moment comme il ne l’avait jamais fait auparavant. La Torah nous dit qu’il rassembla des pierres autour de lui. La Cabbale enseigne que les pierres sont comme des lettres. Tout comme les pierres construisent des murs et des maisons, les lettres construisent des mots et des phrases. En fait, D.ieu utilisa des lettres et des mots pour créer le monde. La ‘Hassidout explique que Yaacov utilisa les lettres par lesquelles D.ieu avait créé ce moment particulier dans le temps et l’espace et les réorganisa pour former les mots de sa prière. En d’autres termes, il utilisa l’obscurité même qui aurait effrayé un homme ordinaire pour écrire une prière d’inspiration, de force et d’espoir.)
Il perça le voile de l’obscurité et découvrit une lumière transcendante. Il révéla que la nuit n’est pas la fin du jour mais le commencement du lendemain. En fait, le repos et la détente de la nuit nous rafraîchissent et nous permettent de faire face à la lumière du matin.
Avec cette prière, Yaacov nous permet d’apporter de l’énergie divine dans la nuit sombre et attristante. Avec cette prière, nous empêchons la nuit d’obscurcir le glorieux rêve d’hier. Avec cette prière, nous accueillons l’aube de demain parce qu’elle nous donne le courage d’affronter l’obscurité de ce soir.
Le Coin de la Halacha
Quand dit-on « Tal Oumatar Livrakha » ?

A partir de lundi soir 5 décembre 2011, on ajoute «Tal Oumatar Livrakha» dans la prière de la Amida.
Cette prière pour «la rosée et la pluie» précise que ceci doit être «Livra’ha», pour la bénédiction.
Celui qui a oublié «Tal Oumatar » et s’en souvient avant d’avoir commencé la bénédiction suivante («Teka Bechofar») le rajoute alors. S’il a commencé «Teka Bechofar», il rajoute dans la bénédiction «Choméa Tefila» : «Vetène Tal Oumatar Livra’ha Ki Ata Choméa Tefilat Kol Pé…»
S’il l’a encore oublié mais s’en souvient avant «Retsé», il le dit alors. S’il a commencé Retsé et s’en souvient avant d’avoir reculé de trois pas à la fin de la Amida, il reprend à partir de «Barè’h Alénou» et continue la suite de la Amida. S’il a oublié après avoir reculé de trois pas, il reprend toute la Amida.
Il convient de louer et remercier le Créateur «pour chaque goutte de pluie» bénéfique, en son temps, qui apporte la bénédiction pour les récoltes, en particulier en Erets Israël.

F. L. (d’après Séfer Hatodaah)
De Recit de la Semaine
Le meilleur avocat

Rav Yaakov Levkefker, avant qu’il ne devienne le Chalia’h, l’émissaire du Rabbi, à Elizabeth, dans le New Jersey, s’établit aux Etats-Unis il y a plus de vingt-cinq ans. Il avait besoin de toute urgence d’obtenir la fameuse «Green Card» qui lui permettrait d’habiter et de travailler dans ce pays. Pour cela, il s’adressa à un bon avocat, Me Ring, qui avait aidé plusieurs autres ‘Hassidim dans ce domaine pendant des années.
Quelques jours plus tard, Me Ring téléphona à Rav Levkefker pour lui annoncer une bonne nouvelle : l’affaire était presque conclue, il fallait donc se présenter devant le tribunal dans une semaine.
A sa grande surprise, son client n’était pas satisfait. Cette date correspondait aux «neuf jours», la période du 1er au 9 Av, période qui est réputée n’être pas favorable au jugement pour un Juif. Furieux, Me Ring s’apprêtait à expliquer d’un ton péremptoire à son client qu’on ne jouait pas avec ce genre d’opportunités quand il se souvint de ce qui lui était arrivé trente ans plus tôt – et qui le fit se radoucir...
Un jeune Juif ‘hassidique, âgé de dix-huit ans, s’était présenté à son bureau : «Je m’appelle Leibel Raskin (qui plus tard devint le «Chalia’h» du Rabbi au Maroc) et c’est le Rabbi de Loubavitch qui m’a envoyé vers vous».
M. Ring était flatté : il venait de s’inscrire au barreau et était surpris (et honoré) qu’une personnalité de l’envergure du Rabbi connaisse même son nom. Mais quand il entendit le motif de cette requête, il se refroidit : ce jeune homme avait déjà essuyé un refus de la part du bureau de l’immigration et on exigeait qu’il quittât le pays au plus vite ! La raison principale était qu’il se décrivait comme «le directeur de toutes les activités ‘Habad en Europe !» Me Ring lui expliqua patiemment que cela semblait bien présomptueux et qu’il vaudrait mieux qu’il dise la vérité, par exemple qu’il s’apprêtait à diriger une école et qu’il n’avait pas bien compris la question sur le document officiel.
Mais Rav Raskin refusa, pour deux raisons. D’abord il maintenait qu’il avait dit la vérité et qu’il était responsable de toute l’Europe. D’autre part, le Rabbi l’avait envoyé chez Me Ring, non pas pour entendre des arguments négatifs mais bien pour obtenir la «Green Card». Il n’y avait pas lieu d’être «réaliste», ce n’était que du pessimisme qui ne pouvait en aucune manière résister à la volonté du Rabbi.
Impressionné par la force de conviction de ce jeune homme et sa confiance totale en la parole du Rabbi, Me Ring accepta de plaider sa cause mais, sentant l’affaire peu jouable, il exigea d’être payé après chaque étape et non pas à la conclusion du processus comme le veut l’usage aux Etats-Unis.
« Bref », raconta-t-il à Rav Levkefker, « au bout de quelques semaines, je reçus enfin une convocation et informai Rav Raskin de la bonne nouvelle. Mais pouvez-vous imaginer sa réponse ? Comme vous, il déclara que la date ne lui convenait pas parce que jour-là, le Rabbi prononcerait un discours public et il ne voulait pas le rater ! Je devais me rendre au tribunal sans lui !
J’en suis devenu hystérique ! C’était lui qui avait désespérément besoin de ce papier mais que penseraient les juges s’il ne prenait même pas la peine de se présenter en personne ?
Certain que le résultat serait négatif, je me suis donc rendu tout seul à la convocation. Je n’étais pas au bout de mes surprises.
Tout d’abord, les juges ne firent aucun commentaire sur l’absence de mon client. Ils se contentèrent de me demander pourquoi j’estimais que leur décision était regrettable. D’abord je ne sus pas quoi répondre puis soudain, j’eus une idée, les mots sortirent de ma bouche sans que je les ai préparés : «Votre Honneur ! Nous ici, aux Etats-Unis, avons l’habitude de voir des jeunes de dix-huit, vingt ans qui reçoivent tout de la vie sur un plateau d’argent. Leurs parents paient leurs études, ils regardent la télévision en grignotant à longueur de journée et sont incapables de mettre sur pied une organisation internationale d’envergure. Mais mon client est né et a été élevé en Union Soviétique où la vie est un enfer ! Vous ne pouvez pas imaginer quelle force de caractère il faut à un jeune Juif orthodoxe pour résister aux pressions et oppressions d’un gouvernement communiste. Probablement, depuis l’âge de la maternelle, il a dû prendre des décisions cruciales pour lui et son entourage. Ce sont ces expériences qui lui ont donné la maturité nécessaire pour prendre en main les activités du mouvement Loubavitch en Europe quand il a quitté la Russie. Bien sûr, vous avez eu du mal à le croire mais je peux vous assurer que mon client n’exagérait pas quand il décrivait sa situation !»
Les juges m’écoutèrent avec attention, se tournèrent l’un vers l’autre pour délibérer et, unanimement, déclarèrent que Rav Raskin recevrait la «Green Card».
Mais écoutez la suite : quand j’annonçai la nouvelle à Rav Raskin – qui, bien sûr, était très heureux – je lui fis remarquer qu’il avait un Rabbi très intelligent, qui avait su l’adresser au meilleur avocat de tous les Etats-Unis, quelqu’un capable de redresser un cas aussi désespéré que le sien !
Rav Raskin me regarda alors comme si j’étais un enfant un peu retardé et rétorqua d’un ton qui n’admettait aucune réplique : «Croyez-vous vraiment, Me Ring, que ce que vous avez déclaré aux juges venait de votre propre intelligence ? Vous avez remarqué vous-même que vous n’y aviez pas pensé ! C’est le Rabbi qui a mis ces mots dans votre bouche ! Et c’est pourquoi le Rabbi vous a choisi !»
Je me suis senti ridicule mais j’ai compris qu’il avait raison. Toute cette affaire était miraculeuse et j’entends encore sa voix péremptoire… »
Bien entendu, Me Ring prit en charge le dossier de Rav Levkefker et, bien entendu, le débloqua à la perfection.

Rav Tuvia Bolton (Hagueoula 105)
traduit par Feiga Lubecki
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