Au matin du monde
En ce début de mois de Kislev, il est bon de revenir sur une idée essentielle. Cela a déjà été dit et sera sans doute redit : ce mois est celui de la lumière. Bien sûr, une telle phrase dans une telle période évoque immédiatement des images de ‘Hanoucca, de chandelier allumé et de joie rayonnante. Tout cela est juste et pertinent mais sans doute faut-il, à l’orée de la période, aller plus profondément dans l’idée. Car la notion de lumière va bien au-delà des moyens d’éclairement. Analysons-la. Liée à une source infinie, elle en exprime l’essence. Sublime par nature, elle est capable de descendre jusqu’au plus bas ou au plus obscur, éclairant sans obstacle les royaumes les plus éthérés comme les plus grossiers. Une telle lumière n’est pas qu’un phénomène physique, elle est aussi un rayonnement intérieur, lié à toute la grandeur de ce qu’est l’homme.
C’est dans ce sens que la pensée juive a de toujours associé le concept à la Torah et, en particulier, à sa partie la plus profonde. Cet héritage, transmis avec l’ensemble des textes, qui fut révélé peu à peu au travers de Rabbi Chimon Bar Yo’haï, du Ari zal puis du Baal Chem Tov, est devenu l’apanage de tous. Quand on entame le mois de Kislev, c’est tout cela qui apparaît avec encore plus d’éclat et avec une urgence encore plus pressante. De fait, nous vivons des temps où les idées qui servaient de base à la civilisation sont souvent, et avec une certaine désinvolture, remises en cause. Ce qui constituait le socle fiable d’un monde serein semble frappé d’une sorte de fragilité. La poursuite de l’immédiateté pousse à oublier que toute société possède des racines qui lui donnent à vivre et que nul avenir prometteur ne peut naître du choix de la table rase.
La partie profonde de la Torah, l’enseignement du Baal Chem Tov, la ‘Hassidout, redonnent du champ à la réflexion. Enfin, place est faite à la lumière. Kislev : que l’obscurité recule !
Un avant-goût du monde futur
L’occupation principale du temps de Machia’h sera la connaissance du Créateur comme l’écrit Maïmonide (Lois des rois 12, 5) : « Et toute l’occupation du monde ne sera que de connaître D.ieu. »
A la fin du temps de l’exil, en tant que préparation au temps de Machia’h, on nous donne un « avant-goût » de cette révélation des secrets de la Torah au travers de la ‘Hassidout.
(D’après Likoutei Si’hot vol. 15 p. 282)
Vayetsé
Yaakov fuit Béer Cheva et se dirige vers ‘Haran. En chemin, il se trouve face à « l’endroit », y dort et rêve d’une échelle qui relie le ciel et la terre, des anges y montent et y descendent. D.ieu lui apparaît et lui promet que la terre sur laquelle il se trouve sera sienne. Au matin, Yaakov fait de la pierre, sur laquelle il a reposé sa tête, un autel, priant pour qu’il devienne la Maison de D.ieu.
A ‘Haran, il va devenir le berger du troupeau de son oncle Lavan, afin de pouvoir épouser sa fille cadette, Ra’hel. Mais Lavan le trompe et le fait épouser sa fille aînée, Léa. Yaakov épouse Ra’hel une semaine plus tard en échange de sept années de travail supplémentaires.
Léa donne naissance à six garçons : Réouven, Chimone, Lévi, Yehouda, Issa’har et Zevouloun et à une fille, Dina. Ra’hel, quant à elle, reste stérile. Elle offre alors à Yaakov d’épouser sa servante Bilha et deux fils lui naissent : Dan et Naphtali. Léa en fait de même avec sa servante Zilpa qui donne naissance à Gad et à Acher. Finalement D.ieu répond aux prières de Ra’hel et elle met au monde Yossef.
Yaakov veut quitter ‘Haran, après ces quatorze années, mais Lavan le persuade de rester en échange de troupeaux. Malgré les efforts de Lavan pour le tromper, Yaakov s’enrichit et part subrepticement au bout de six ans. Menacé par D.ieu s’il le poursuit, Lavan abandonne son intention de nuire et conclut une alliance avec Yaakov.
Yaakov se dirige vers la Terre Sainte où il est accueilli par des anges.
La Paracha Vayetsé, la septième de la Torah, mentionne la naissance du septième fils de Yaakov. Quand l’enfant naquit chez sa servante Zilpa, Léa s’écria : « Ba Gad », « un bon signe est venu » et elle lui donna donc le nom de « Gad ». Rachi donne trois interprétations à l’expression « Ba Gad » : a) « Mazal Tov », b) « né circoncis » et c) « il a trahi », comme si Léa disait, par ce nom, à Yaakov : « Tu m’as trahie en donnant cet enfant à ma servante ».
Arrêtons-nous sur l’une des questions qui se posent : pourquoi Rachi juge-t-il nécessaire de donner trois interprétations différentes ? Une seule n’aurait-elle pas suffi ? Et que veut-il dire par la phrase « Mazal Tov » ? D’un côté, le Talmud déclare : « eïn mazal leyisraël », « la chance n’existe pas pour les Juifs ». Mais par ailleurs, chaque fois que nous entendons une bonne nouvelle, nous nous exclamons : « Mazal Tov ! »
La bonne étoile
« Mazal » signifie « étoile » ou « constellation ». Traditionnellement, les Juifs ne basent pas leurs décisions sur l’horoscope. Ils ne sont pas concernés par l’influence des constellations du zodiac car notre âme n’est limitée ni par le temps ni par l’espace ni par aucun autre phénomène. Tel est le sens de « la chance n’existe pas pour les Juifs ». Par essence, les Juifs sont au-dessus de la chance. La ‘Hassidout enseigne que nous ne devons pas lire « eïn (il n’y a pas) Mazal (de chance) » comme signifiant qu’il n’y a pas de chance mais comme « le Mazal du Juif est aïn », « aïn » étant le niveau divin transcendant le temps et l’espace.
« Aïn » représente également le niveau le plus profond de l’âme que l’on appelle en yiddich : « pintele yid » ce qui signifie à peu près « le petit point juif ». Ce « Mazal », cette bonne étoile est le point de l’âme qui forme un avec D.ieu. C’est la dimension supra rationnelle qui donne au Juif la possibilité de s’élever au-dessus de la raison dans le service de D.ieu. Dans son essence, un Juif est même prêt à mourir pour D.ieu, comme cela est montré de façon extraordinaire dans les histoires de ‘Hanouka et de Pourim, par exemple.
La première interprétation de Rachi : « Mazal Tov »
Si l’on s’en tient à l’explication que nous venons de voir, pourquoi les Juifs se souhaitent-ils mutuellement « Mazal Tov », comme s’ils signifiaient : « félicitations et bonne chance » ? Le mot « Mazal » est lié à « Nozel » qui signifie « eau courante ». « Mazal Tov » n’est donc pas un souhait superficiel mais une prière puissante : « Le bien coulera. Le ‘Tov’, le pur bien de ton ‘petit point juif’ jaillira et sera révélé par ton service de D.ieu actif. »
La seconde interprétation de Rachi : « né circoncis »
L’on pourrait rétorquer qu’aujourd’hui, ce niveau supra rationnel de « Mazal » sommeille chez bon nombre d’entre nous. Rachi anticipe cette réflexion en ajoutant que le mot « Gad » signifie également « né circoncis ».
La circoncision implique d’enlever une chair représentant les impuretés qui empêchent l’accès à ce « petit point Juif ». « Né circoncis » se réfère donc au fait que le Juif est né avec un accès tout à fait dégagé à son Mazal.
La troisième interprétation : « trahi »
L’on pourrait penser que le statut de « né circoncis » s’applique en priorité à ceux qui ont toujours vécu dans la Torah ou qui descendent d’une généalogie illustre et que donc, un Baal Techouvah (celui qui revient à D.ieu) ou un converti ne pourraient avoir un accès aussi aisé au Mazal de leur Nechamah (« âme »). C’est la raison pour laquelle Rachi conclut par cette troisième interprétation. « Ba Gad » signifie que Léa se sentit trahie quand elle constata que cet enfant était né chez sa servante. Elle ne se serait jamais attendue à ce qu’un dirigeant aussi puissant que le sera Gad puisse être né d’une mère qui n’était pas une Matriarche et a fortiori une simple servante.
Le Zohar explique que bien que Gad fût né d’une servante, sa tribu était la plus puissante. Quand le Peuple juif partit à la conquête d’Israël et des sept nations impies, c’est la tribu de Gad qui prit le leadership. Ils furent victorieux des ennemis du Peuple juif, comme le rapporte le texte : « Avec un coup de leur glaive, la tribu de Gad déchira la main et la tête de leurs ennemis ».
(Rabénou Be’hayé explique que la force de la tribu de Gad est attribuée aux Tefilines qu’ils portaient pendant les combats. Sur le Tefiline de la tête, il y a deux lettres « Chine » : l’une avec trois branches (3 est équivalent à la lettre « Guimel » en hébreu) et l’autre avec quatre branches (4 équivaut à la lettre « Dalèt »). Les deux épellent le nom GAD.)
Gad lui-même était un personnage si brillant qu’on le compare, par certains aspects, à Moché lui-même :1) Gad était le septième fils et la valeur numérique du mot Gad est de sept. Moché naquit et mourut le 7 Adar et appartenait à la septième génération après Avraham. 2) Tous deux naquirent circoncis.
Tout cela démontre que l’on peut être un grand Juif sans pour autant avoir une ascendance prestigieuse.
Le mois de la révélation mystique
La Paracha Vayetsé est toujours lue au cours du mois de Kislev. Le 19 Kislev, Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi fut libéré des prisons de la Russie tsariste. Ce jour fut appelé par la suite le « Roch Hachana de la ‘Hassidout » et dans ce sens « la révélation de la dimension mystique de la Torah ». L’une des fonctions essentielles de la ‘Hassidout est de révéler le « Mazal » ou « le petit point Juif » dans chaque Juif. C’est quand s’accomplit cette révélation que nous pouvons commencer à apprécier que tous les Juifs, quels que soient leur observance ou leur niveau spirituel, ne forment qu’une seule famille. Nous aimons donc assurément tous les juifs comme nos frères et nos sœurs.
Nous nous trouvons dans la septième génération depuis Rabbi Chnéor Zalman. Tout comme Moché, issu de la septième génération après Avraham, délivra les Juifs d’Égypte, nous aussi nous serons délivrés, très prochainement, avec la venue du Machia’h.
Quand dit-on Tal Oumatar ?
A partir de jeudi soir 5 décembre 2019, en dehors d’Erets Israël, on dit « Tal Oumatar » dans la prière de la Amida.
Cette prière pour « la rosée et la pluie » précise que ceci doit être « Livra’ha », pour la bénédiction.
Celui qui a oublié de dire « Tal Oumatar » et s’en souvient avant d’avoir commencé la bénédiction suivante (« Teka Bechofar ») le rajoute alors. S’il a commencé « Teka Bechofar », il rajoute dans la bénédiction « Choméa Tefila » : « Vetène Tal Oumatar Livra’ha Ki Ata Choméa Tefilat Kol Pé… »
S’il l’a encore oublié mais s’en souvient avant « Retsé », il le dit alors. S’il a commencé Retsé et s’en souvient avant d’avoir reculé de trois pas à la fin de la Amida, il reprend à partir de « Barè’h Alénou » et continue la suite de la Amida. S’il a oublié après avoir reculé de trois pas, il reprend toute la Amida.
Il convient de louer et remercier le Créateur « pour chaque goutte de pluie » bénéfique, en son temps, qui apporte la bénédiction pour les récoltes, en particulier en Erets Israël.
(d’après Séfer Hatodaah)
De Hershel à Batchéva
Nos fidèles lecteurs se souviennent certainement du récit (Hershel la chèvre) de la semaine dernière raconté par Rabbi Chalom Dov Ber de Loubavitch à son fils Rabbi Yossef Its’hak : comment le Baal Chem Tov put apercevoir une colonne de lumière sur la tête d’un simple gardien de chèvres qui, suivant l’exemple de sa défunte épouse, consacrait sa vie à aider les autres.
Il était 23 heures ce dimanche 28 avril 2013. Je venais de relire pour la énième fois l’histoire de Hershel la chèvre et je me disais que, si jamais on m’appelait pour compléter un Minyane pour un enterrement, je ferais tout pour accomplir cette grande Mitsva. En effet, comme on le voit dans cette histoire, qui sait quel terrible décret on peut éviter quand on honore un défunt – même inconnu et surtout abandonné, sans famille : qui connaît la qualité de l’âme qui habita dans ce corps ? Peut-être était-ce un Juste parfait ?
Le lendemain à 9 heures du matin, je vis une annonce de la part de mon ancien camarade de Yechiva, Sim’ha Kagan qui habite à Los Angeles. Il écrivait qu’un de ses amis, Allen (de la ville de Seattle) venait de perdre sa mère. « Allen est en route depuis Seattle et me demande de lui trouver un Minyane pour l’enterrement qui aura lieu aujourd’hui à 13 heures. Sa mère vivait depuis longtemps dans une maison de retraite à Los Angeles et sera enterrée au Eden Memorial. Les amis d’Allen habitent à Seattle, les amis de sa défunte mère ne sont plus de ce monde et Allen craint de ne pas parvenir à réunir un Minyane ».
Cela peut vous sembler curieux mais j’ai éprouvé un sentiment très spécial, j’étais presqu’heureux de pouvoir « valider » si vite ma bonne résolution. Je téléphonai à Sim’ha en lui annonçant que je souhaitais vraiment me rendre à cet enterrement pour compléter le Minyane avec quelques hommes que je connaissais. Sim’ha s’étonna : « Mendel ! Je sais que tu es très gentil mais comment vas-tu t’arranger pour bousculer tout ton emploi du temps ? ». Je lui racontai alors l’histoire d’Hershel la chèvre que j’avais lue la veille et il fut lui aussi très impressionné.
A 13 heures, nous arrivâmes au cimetière Eden Memorial. Sim’ha me présenta à Allen et proposa : « Puisqu’il n’y a pas de rabbin officiel ici, demandons à Mendel de raconter l’histoire qu’il a lue hier soir et qui pourrait sans doute aussi correspondre à la personnalité de ta maman ».
Tandis que deux jeunes gens de notre Minyane recouvraient de terre le cercueil et avant qu’Allen ne récite le Kaddich, je racontai l’histoire d’Hershel la chèvre. Allen et ses sœurs ne cessèrent de pleurer pendant que je parlais, avec tous les détails. J’insistai sur la puissance des bonnes actions d’Hershel et de son épouse Ra’hel Léa. Et j’ajoutai que, peut-être, la dame que nous enterrions maintenant était une réincarnation de Ra’hel Léa qui agissait avec discrétion et qui prodigua tant d’actes de bienveillance à des centaines de gens sans que personne, même dans sa propre famille, n’en ait rien su.
Je continuais : il existe peut-être des milliers d’âmes, de Tsadikim, d’anges qui ont été créés grâce aux bonnes actions de votre maman Batcheva Bat Avraham. Elles sourient car l’âme de cette grande dame (qui est peut-être une réincarnation de la Ra’hel Léa de notre histoire) rejoint finalement cette famille élargie qui était devenue sienne. J’ajoutais que le ciel lui-même devait être heureux qu’au cimetière de Los Angeles – contrairement à celui d’Ostropol – il y avait plus qu’un Minyane (nous étions douze hommes…). Je conclus en souhaitant que Batcheva, fille d’Avraham connaisse une immense élévation dans les sphères supérieures.
Très ému, Allen me remercia d’avoir réuni un Minyane pour honorer sa mère. Il m’embrassa et pleura sur mon épaule car cette histoire l’avait fortement impressionné lui aussi. Puis il me demanda mon nom :
- Mendel Schwartz.
- Votre père c’était bien Rav Schwartz qu’on appelait Schwartzie ?
- Absolument !
- C’est incroyable ! Le premier rabbin ‘hassidique que j’ai rencontré, il y a trente ans, c’était Schwartzie, bien avant que je ne devienne pratiquant. Je lui avais dit alors : J’estime que vous êtes quelqu’un de bien mais que jamais je ne vous ressemblerai ! Et pourtant, maintenant, moi aussi je porte la barbe et le chapeau et j’essaie de me conformer à toutes les lois de la Torah.
- Où aviez-vous rencontré mon père il y a trente ans ?
- C’était lors d’un Chabbat plein sur le campus de l’université Brandeis Bardin.
- Dites-moi : quand exactement votre mère est-elle décédée ?
- Ce samedi soir, juste après la cérémonie de la Havdala.
- A mon tour maintenant : savez-vous où je me trouvais samedi soir dernier ? J’ai récité la Havdala devant une cinquantaine d’étudiants lors d’un Chabbat plein. C’était la première fois que je me suis rendu là-bas – sur le campus de l’université Brandeis Bardin !
D’Ostropol à Los Angeles, en passant par l’université Brandeis Bardin, les bonnes actions de Ra’hel Léa, d’Hershel et de Schwartzie continuent de porter leurs fruits…
Rav Mendel Schwartz – L’Chaïm N° 1594
Traduit par Feiga Lubecki