Samedi, 3 décembre 2022

  • Vayétsé
Editorial

 Un mois ‘hassidique ?

Le mois qui commence, Kislev, possède de nombreuses connotations, toutes positives. Cela a été abondamment décrit, c’est un mois de lumière, celui de ‘Hanouccah. Cependant, il est aussi porteur d’un puissant message dont il nous appartient de nous saisir. Selon l’expression traditionnelle, il est un mois ‘hassidique. Bien sûr, une telle formule ne laisse pas que de soulever une interrogation : qu’est-ce donc qu’un mois ‘hassidique ? A nous de la mieux comprendre. Le ‘hassidisme est une véritable vision du monde. Il apporte joie, chaleur et profondeur au service de D.ieu. Par la démarche spirituelle qu’il ouvre à chacun, il fait de la notion de progrès, de l’idée d’élévation, des notions accessibles à tous. Ainsi, accomplir avec une sincérité absolue la volonté de D.ieu et Le connaître cessent d’être des vains espoirs pour devenir des réalités à conquérir. L’étude de la Torah, en particulier sa dimension profonde, n’est plus uniquement une acquisition de connaissances, elle devient le chemin privilégié de l’union avec D.ieu autant que la pratique des commandements prend tout son sens de passerelle entre le Divin et l’humain.

Cela dit, comment vivre ce temps particulier ? Car le risque existe que nous traversions ce mois comme une période de temps parmi les autres, sans en ressentir le relief ni en percevoir les potentiels. Pour prendre la pleine mesure de l’opportunité qui nous est donnée à présent, sans doute faut-il se souvenir du célèbre verset qui, faisant référence à la Torah, plus globalement au service de D.ieu, déclare : « Car cela est très proche de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, pour le faire. » Désignant ainsi tous les instruments dont l’homme dispose – la pensée, la parole et l’action – la phrase souligne comme tout est à leur portée. Mais, pour cela, il faut suivre ce « chemin long et court » que nous ouvre le Tanya : « long » car il demande un effort soutenu, « court » car il donne l’assurance de parvenir au but.

Et nous voici revenu à un fondement essentiel : la réussite spirituelle est liée à l’étude de cet enseignement. Ce mois en est peut-être un des moments de naissance, et, pour cela, il est porteur à la fois d’un enseignement de lumière et d’une force que rien ne peut amoindrir. Cette prise de conscience est d’autant plus urgente qu’une telle étude ne se limite jamais à une découverte intellectuelle. Elle est d’abord une clé : celle de l’action qui change soi-même et le monde, pour le meilleur.

Etincelles de Machiah

 « En son temps, Je le hâterai »

Le Talmud (Sanhédrin 98a) enseigne : « Il est écrit (Isaïe 60 : 22) ‘[le Machia’h viendra] en son temps, Je le hâterai’ ». Ces deux termes semblent contradictoires. Le Tséma’h Tsédèk, le troisième Rabbi de Loubavitch, y apporte une explication : ils font référence à deux modes de Délivrance possibles :

  • « Je le hâterai » : cela décrit une Délivrance dans laquelle les hommes quitteront l’exil brutalement, comme en un saut. Elle conduira ainsi immédiatement aux degrés les plus élevés ;
  • « En son temps » : c’est une Délivrance dans laquelle cette élévation progressera graduellement et, par conséquent, plus lentement.

(d’après Or Hatorah - Béréchit, p.86)

Vivre avec la Paracha

 Vayetsé

Yaakov fuit Béer Cheva et se dirige vers ‘Haran. En chemin, il se trouve face à « l’endroit », y dort et rêve d’une échelle qui relie le ciel et la terre, des anges y montent et y descendent. D.ieu lui apparaît et lui promet que la terre sur laquelle il se trouve sera sienne. Au matin, Yaakov fait de la pierre, sur laquelle il a reposé sa tête, un autel, priant pour qu’il devienne la Maison de D.ieu.

A ‘Haran, il va devenir le berger du troupeau de son oncle Lavan, pour obtenir de la main de sa fille cadette, Ra’hel. Mais Lavan le trompe et lui fait épouser sa fille aînée, Léa. Yaakov épouse Ra’hel une semaine plus tard en échange de sept années de travail supplémentaires.

Léa donne naissance à six garçons : Réouven, Chimone, Lévi, Yehouda, Issa’har et Zevouloun et à une fille, Dina. Ra’hel, quant à elle, reste stérile. Elle offre alors à Yaakov d’épouser sa servante Bilha et deux fils lui naissent : Dan et Naphtali. Léa en fait de même avec sa servante Zilpa qui donne naissance à Gad et à Acher. Finalement, D.ieu répond aux prières de Ra’hel et elle met au monde Yossef.

Yaakov veut quitter ‘Haran, après ces quatorze années, mais Lavan le persuade de rester en échange de troupeaux. Malgré les efforts de Lavan pour le tromper, Yaakov s’enrichit et part subrepticement au bout de six ans. Menacé par D.ieu s’il le poursuit, Lavan abandonne son intention de nuire et conclut une alliance avec Yaakov.

Yaakov se dirige vers la Terre Sainte où il est accueilli par des anges.

Les responsabilités d’un employé

Le Rambam (Maïmonide) statue : « Tout comme un employeur n’a pas le droit de retenir le salaire de son employé ou de retarder son paiement, ainsi un employé n’a pas le droit de subtiliser quoi que ce soit de ce qu’il doit fournir à son employeur, en perdant du temps, ça et là, et donc en passant la journée dans la tromperie… Il doit également travailler de toutes ses forces, à l’instar du Tsaddik Yaakov qui déclarait : ‘J’ai servi ton père de toutes mes forces’ (Beréchit, 31 : 6). C’est pourquoi il fut récompensé pour son travail dans ce monde, comme le statue le verset : ‘L’homme est devenu excessivement riche’ ».

Le Peuple juif est considéré comme les « employés » de D.ieu, ainsi que l’expriment nos Sages : « Ton employeur est digne de confiance pour te payer la récompense de ton travail » (Avot 2 :16).

Comment donc comprendre la loi, citée en préambule, en relation avec notre « emploi » divin ?

Si c’est du travail de Yaakov dans la maison de Lavan que nous comprenons l’obligation de servir son employeur, de toutes ses capacités, c’est parce que le travail d’un Juif pour D.ieu est semblable au travail de Yaakov pour Lavan.

Ce à quoi il s’adonnait, dans la maison de son beau-père, n’était en rien comparable à son travail spirituel lorsqu’il était dans la Maison d’étude de Chem et Ever (où il résida avant de se rendre chez Lavan), pas plus qu’au temps qu’il avait passé dans la maison de son père, en Erets Israël. Durant ces périodes de sa vie, Yaakov avait été complètement immergé dans un service spirituel. En revanche, son travail chez Lavan, quelque physique qu’il ait pu paraître, consistait à transformer le monde en une résidence adéquate pour D.ieu.

Il en va de même pour la mission de chaque Juif, en tant qu’employé de D.ieu. Il est sûr que le service d’une âme juive, dans les mondes spirituels, avant son incarnation, est d’une immense magnitude spirituelle. La compréhension de D.ieu est alors profonde et l’amour et la crainte pour Lui particulièrement intenses. Mais dans tout ce contexte, l’âme travaille pour son propre bénéfice.

Travailler dans l’intérêt de son Employeur ne peut être entrepris que lorsqu’une âme descend dans ce monde matériel et s’occupe de purifier et d’élever son environnement, de le transformer en une résidence pour D.ieu.

Pour une telle tâche, il est impératif que le travailleur « soit scrupuleux avec le temps… Et que lui aussi travaille donc de toutes ses forces. »

L’homme peut facilement venir à estimer qu’il n’est pas grave de grappiller un peu de temps, de ci, de là, et de se servir de ce temps à des fins qui servent exclusivement ses propres besoins spirituels. Il doit cependant être conscient que cette manière de passer « tout le jour » est erronée, c’est-à-dire qu’il n’accomplit pas la mission pour laquelle il est venu sur cette terre.

En outre, il lui faut être scrupuleux, non seulement avec le temps mais également avec les efforts déployés. Il lui faut investir toutes les forces de son âme dans ce service.

Un Juif peut aussi penser qu’il doit engager tout son intellect et toutes ses émotions, quand il s’immerge dans l’étude de la Torah ou dans la prière, mais quand il se plonge dans la tâche de transformer le monde matériel en sainteté, il ne lui est nécessaire que d’impliquer les aspects les plus bas de son âme : l’action dans l’acceptation du Joug Divin.

Et c’est là qu’intervient la leçon du Tsaddik Yaakov. Pour transformer le monde en résidence pour D.ieu, nous devons investir toutes nos capacités, toutes nos forces, notre intellect, nos émotions, notre volonté et notre plaisir.

Il n’existe aucune autre condition si ce n’est un investissement total dans le travail pour notre employeur. Car lorsqu’un Juif s’investit dans son travail, non pour lui-même mais pour son Employeur, il doit être pénétré du sentiment qu’il Le sert avec toutes les fibres de son être. Il est totalement dévoué à son Employeur et à sa tâche sainte de transformation du monde.

Lavan, le fourbe, ne s’est pas tu

« Lavan répondit à Yaakov : ‘Les filles sont mes filles, les fils sont mes fils, les moutons sont mes moutons…’ » (Beréchit 31 : 43)

L’un des enseignements fondamentaux du Baal Chem Tov est que la Torah est éternelle. Chaque événement, chaque mot dans la Torah parlent à chaque génération et dans chaque circonstance de l’Histoire.

Ce constat s’applique à l’argument du beau-père de Yaakov, Lavan : « Les filles sont mes filles, les fils sont mes fils, les moutons sont mes moutons ».

« Toi, Yaakov, argue le Lavan d’aujourd’hui, tu es bien tel que tu es. Un homme élevé dans ton pays d’origine, dont l’habitat naturel se situe dans les tentes de la Torah, dans l’étude et dans la prière. Mais qu’attends-tu de tes enfants ? Ils appartiennent à une autre génération, à un autre monde ! Ils doivent être élevés dans l’esprit du temps, armés pour pouvoir gagner leur subsistance et se forger une place dans la société. Espères-tu vraiment qu’ils pourront se frayer un chemin dans la vie moderne avec, pour toutes ressources, tes litanies anciennes ? Toi Yaakov, tu es bien tel que tu es. Mais laisse-moi tes enfants… »

« Yaakov, ajoute Lavan, Loin de moi l’idée d’interférer dans ta sainte vie. Je suis le premier à le reconnaître : je n’ai aucune autorité en matière de religion. Fais tout ce qui est en ta possibilité pour consulter les Livres sacrés, pour étudier comment observer le Chabbat ou comment allumer les lumières de ‘Hanouka.

Mais quand il s’agit du monde des affaires, est-ce que tu penses vraiment que les marchés commerciaux peuvent se conformer aux valeurs du Choul’han Arou’h (Code de Lois Juives) ? Que tu peux allier tout à la fois tes avantages concurrentiels et ton éthique talmudique ?

Tu seras avalé vivant, dans ce monde-là. Garde ta piété pour la synagogue et la maison d’étude, mais accorde-toi la faveur de me laisser le troupeau !!! »

Ainsi parle Lavan, le fourbe !

Le Coin de la Halacha

Quand dit-on Tal Oumatar ?

A partir de dimanche soir 4 décembre 2022 (en dehors d’Erets Israël), on ajoute « Tal Oumatar » dans la prière de la Amida.

Cette prière pour « la rosée et la pluie » précise que ceci doit être « Livra’ha » - « pour la bénédiction ».

Celui qui a oublié de dire « Tal Oumatar » et s’en souvient avant d’avoir commencé la bénédiction suivante (« Teka Bechofar ») le rajoute alors. S’il a commencé « Teka Bechofar », il rajoute dans la bénédiction « Choméa Tefila » : « Vetène Tal Oumatar Livra’ha Ki Ata Choméa Tefilat Kol Pé… »

S’il l’a encore oublié mais s’en souvient avant « Retsé », il le dit alors. S’il a commencé Retsé et s’en souvient avant d’avoir reculé de trois pas à la fin de la Amida, il reprend à partir de « Barè’h Alénou » et continue la suite de la Amida. S’il a oublié après avoir reculé de trois pas, il reprend toute la Amida.

Il convient de louer et remercier le Créateur « pour chaque goutte de pluie » bénéfique, en son temps, qui apporte la bénédiction pour les récoltes, en particulier en Erets Israël.

(d’après Séfer Hatodaa)

Le Recit de la Semaine

 Une Bar Mitsva mémorable

L’office du matin était terminé ce Chabbat 9 Kislev, en novembre 1974 dans la grande synagogue du 770 Eastern Parkway. Les fidèles attendaient les annonces communautaires : certainement le responsable officiel allait rappeler les horaires de ce Chabbat, les différentes actions charitables auxquelles chacun se devait de participer dans la mesure de ses moyens et même au-delà, les réjouissances familiales prévues etc. Mais surtout il confirmerait que le Rabbi allait tenir un Farbrenguen, une réunion ‘hassidique en l’honneur de ce jour si spécial, l’anniversaire de la naissance et de la Hilloula de Rabbi Dov Ber de Loubavitch et la veille de sa libération des prisons tsaristes. Il y avait donc toutes les raisons de se réjouir et de marquer ce Chabbat avec un Farbrenguen. Si le Rabbi sortait de la synagogue avant les annonces, c’était le signe qu’il y aurait cette réunion à 13h30. Mais si le Rabbi restait à sa place, cela signifierait qu’il n’y aurait rien.

Le responsable, comme d’ailleurs tous les fidèles, était persuadé que le Rabbi quitterait l’endroit pour donner aux fidèles le temps de préparer les tables. Mais les annonces et les recommandations habituelles se succédaient et le Rabbi écoutait attentivement en restant à sa place : il n’y aurait donc pas de Farbrenguen ce Chabbat-là. A regret, le responsable se résigna à annoncer l’heure de la prière de Min’ha et le Rabbi quitta sa place, suivi de son fidèle secrétaire, Rav Hodakov.

Au moment où les ‘Hassidim, déçus, quittaient eux aussi la synagogue, l’office se terminait dans un autre oratoire, plus loin dans le quartier. Là, les préparatifs du Kiddouch battaient leur plein et un jeune garçon s’assit à la tête de la table : c’était « son » jour, le grand jour de sa Bar Mitsva où il deviendrait responsable devant la loi de la Torah. Pour lui plus que pour tout autre enfant de son âge, cela prenait une signification particulière. Ce jeune garçon noir avait choisi, comme ses parents, de se convertir au judaïsme et l’étape de la Bar Mitsva était fondamentale. Autour de lui, les adultes ne cachaient pas qu’ils souhaitaient que le Kiddouch ne dure pas trop longtemps car ils devaient se rendre au 770 pour participer au Farbrenguen du Rabbi. Ils s’assirent néanmoins pour goûter au Kiddouch préparé pour la Bar Mitsva, adressèrent en toute hâte leurs félicitations au jeune héros de l’après-midi qui souriait, résigné à ce que cette fête qu’il attendait depuis longtemps s’achève en moins d’une heure.

Juste à ce moment-là, un voisin qui avait prié au 770 entra et annonça qu’il n’y aurait pas de Farbrenguen du Rabbi et que tous pouvaient donc rester dans cet oratoire et participer à la joie du jeune garçon. Un peu déçus de ce contretemps, les invités firent contre mauvaise fortune bon cœur et décidèrent de remplacer le Farbrenguen du Rabbi par une réunion ‘hassidique entre eux et ceci dura presque tout l’après-midi : après tout, on fêtait en ce jour non seulement l’anniversaire, la Hilloula et la libération de Rabbi Dov Ber plus de cent trente ans auparavant mais aussi une Bar Mitsva spéciale.

Rav Na’hman Yossef Twersky était à l’époque un jeune étudiant de Yechiva et il comprit que rien n’était simple dans cet épisode. Il contacta quelqu’un de particulièrement bien renseigné qui lui expliqua que ceci avait commencé quelques mois plus tôt. La mère de ce garçon qui fréquentait une école Loubavitch de New York avait écrit au Rabbi et s’était plainte que son fils était harcelé dans sa classe à cause de la couleur de sa peau. Le Rabbi avait alors conseillé à cette dame d’en parler avec le directeur de l’institution qui, certainement, interviendrait. Quelques semaines plus tard, la dame avait écrit à nouveau : apparemment les remarques du directeur n’avaient pas porté leurs fruits et le harcèlement continuait. Le Rabbi avait alors demandé à son secrétaire, Rav Hodakov de contacter la direction de cette école et de demander, au nom du Rabbi, pourquoi cette situation douloureuse persistait : « Qu’attendent-ils ? Que je vienne moi-même constater ce qui se passe dans cette école ? ». Après avoir entendu de la bouche du secrétaire cet avertissement, la direction prit les mesures nécessaires, convoqua les élèves un à un et la situation s’améliora considérablement.

Ce Chabbat 9 Kislev, après que le Rabbi eut prié Min’ha l’après-midi et fut retourné dans son bureau, il appela à nouveau Rav Hodakov et expliqua que la Bar Mitsva de cet enfant avait justement eu lieu ce Chabbat : « Il ne fallait pas que ce garçon se sente frustré que son Kiddouch se termine plus tôt à cause de mon Farbrenguen ! »

C’était donc pour cette raison que le Rabbi avait choisi de ne pas prononcer des paroles de Torah devant des centaines de ‘Hassidim afin de ne pas gâcher la joie d’un enfant qui avait déjà bien souffert de harcèlement et qui méritait d’être réconforté par la présence et la joie de ces mêmes ‘Hassidim !

Le Rabbi se souciait de chacun et, pour lui, la meilleure façon d’honorer son prédécesseur (Rabbi Dov Ber), avait été d’augmenter la joie d’un enfant un peu délaissé le jour de sa Bar Mitsva.

Rav Yisrael Shmotkin – Celebration - Wisconsin

Traduit par Feiga Lubecki