Samedi, 9 juin 2018

  • Chel’ah
Editorial

 S’ouvrir aux vacances

Cela semble une évidence tant l’idée a été répétée : le calendrier juif rythme littéralement notre vie. Il fait se succéder les jours comme autant de raisons de mieux vivre, les couronne du Chabbat comme d’un espace privilégié de sérénité et de sainteté, des fêtes comme de réceptacles nouveaux d’une lumière Divine précieuse. C’est bien ce calendrier qui est notre éternelle référence. Et pourtant, au long des âges, nous avons aussi appris à suivre les rythmes de la société, ceux que scandent d’autres mois dont les noms murmurent d’autres histoires. Ils sont pourtant également là, ancrés sinon dans notre conscience du moins dans notre appréhension du monde.

C’est ainsi que la période actuelle ne peut que nous rappeler la venue prochaine de l’été, de cette pause instaurée par l’usage qui voit se ralentir l’activité et enfin donner à tous cette liberté tant espérée. Cela s’appelle les vacances et le mot lui-même renvoie à la notion de vide à combler. Elles concernent petits et grands et contribuent largement à poser les bases de l’année qui continuera à leur suite.

C’est dire que les choisir dépasse largement la simple découverte d’un lieu et d’une activité aptes à satisfaire le plus grand nombre. Les choisir, c’est définir l’utilisation que l’on fera de ce temps où tout, ou presque, semble permis. Ainsi, comme souvent, le choix se résume finalement en deux termes : oublier ou garder conscience. L’oubli est toujours temporaire et ne porte pas en lui les réponses qui permettraient d’avancer. La conscience emmène aussi loin qu’on le désire. Alors, avant que tout cela commence vraiment, avant qu’on se laisse entraîner par la norme sociale, il faut sans doute prendre le temps d’y réfléchir.

Il n’est pas question ici de « sacrifice », simplement de retrouver ce que l’on est. La liberté permet tant de choses et apporte tant qu’il faut savoir ne pas s’en priver. Les enfants vont voir s’ouvrir des centres aérés au si beau nom : « Gan Israël ». Les adultes vont découvrir une offre qui s’élargit chaque année où « vacances » rime précisément avec « conscience ». Le temps de tous les possibles va bientôt commencer. Aujourd’hui, le meilleur est à notre portée. Il suffit de le choisir. Peut-être est-ce là le plus difficile mais l’être humain n’est-il pas capable de transformer et le monde et lui-même ? Incontestablement, l’œuvre en vaut la peine.

Etincelles de Machiah

 La valeur d’un homme simple

Dans la tradition juive, l’étude de la Torah est sans doute la valeur suprême, à telle enseigne que l’érudition est considérée comme une marque évidente d’élévation spirituelle. Cette idée, d’une légitimité incontournable, ne doit toutefois pas faire oublier la valeur de l’homme simple, de celui qui s’attache à D.ieu de tout son cœur avec la plus absolue sincérité.

A ce sujet, le Tséma’h Tsédek, le troisième Rabbi de Loubavitch, dit un jour que le Machia’h se réjouirait dans la compagnie de ces Juifs simples. Alors, précisa-t-il, une pièce leur sera réservée et les plus brillants érudits les envieront. Ainsi apparaîtra la vraie grandeur de ces Juifs qui servent D.ieu à l’infini.

 (d’après une lettre du précédent Rabbi de Loubavitch,

Iguerot Kodech, vol. IV, p. 148)

Vivre avec la Paracha

 Chela’h

Cette Paracha évoque l’épisode des douze explorateurs envoyés par Moché en Israël. Dix d’entre eux, à l’exception de Calev et Yehochoua font un compte-rendu qui décourage les Juifs de conquérir la terre. D.ieu décrète alors qu’ils resteront encore quarante ans dans le désert et que ce sera la génération suivante qui entrera en Israël.

Des lois pour les offrandes ainsi que la Mitsva de la ‘Hallah sont détaillées.

Un homme est mis a mort pour avoir publiquement profané le Chabbat.

Enfin la Mitsva des Tsitsit est donnée par D.ieu afin que nous nous souvenions d’accomplir Ses commandements.

 

Avant d’entrer en Erets Israël, les Juifs expriment le désir d’y envoyer des explorateurs. Moché en adresse la demande à D.ieu qui lui rétorque qu’Il ne lui dit pas d’envoyer des explorateurs mais s’il le fait qu’il en assume la responsabilité. Moché désigne alors les chefs des tribus et leur assigne la mission d’entrer sur cette terre, de voir si les villes sont fortifiées, les armées puissantes, etc., tout ce que l’on attend d’un espion. Ils reviennent et dix sur les douze envoyés donnent un rapport négatif : « nous ne pouvons nous y rendre, les villes sont fortifiées par des murs qui atteignent le ciel, trente-et-un rois règnent en Canaan, les habitants sont des géants qui nous font nous sentir comme des sauterelles. C’est impossible ».

Le peuple est déçu, pleure toute la nuit. D.ieu est contrarié et leur dit : « Maintenant vous pleurez pour rien, mais Je vous donnerai des raisons de pleurer ». C’était la nuit du 9 Av. Bien des années plus tard, c’est à cette même date que les deux Temples de Jérusalem furent détruits et que nous versons des larmes.

Mais cette première fois, il n’y avait pas de raison de pleurer.

D.ieu était en colère contre les explorateurs, Moché était en colère et cela constitue l’un des épisodes les plus tragiques de la Torah.

De nombreuses questions se posent. Nous nous attarderons sur l’une d’elles.

D.ieu dit à Moché qu’Il ne lui demande pas d’envoyer des explorateurs, c’est à lui d’en prendre la décision. Il est étonnant que Moché, dont la vie était dévouée à D.ieu, qui Le consultait toujours (comme ici), entendant la réponse de D.ieu, décide alors de le faire.

Mais une fois qu’il l’a fait, pourquoi tout le monde est-il en colère contre les explorateurs et non contre Moché ? Si c’était une erreur d’avoir envoyé les explorateurs, c’était bel et bien l’erreur de Moché.

En outre, ce que l’on cherche à obtenir, quand on envoie des explorateurs, c’est un rapport, une évaluation. Or c’est ce qu’ils firent et tout le monde est en colère contre eux ! Nulle part dans la Torah il n’est suggéré que leur rapport était erroné, qu’ils exagéraient et n’avaient pas vu ce qu’ils prétendaient avoir vu. Où est donc leur péché ?

L’explication simple est la suivante : quand une armée envoie des espions, dans un territoire ennemi, leur mission consiste à découvrir le moyen le plus efficace, le plus opérationnel pour gagner la guerre. Mais s’ils reviennent en affirmant que la victoire est impossible, ils démoralisent les troupes et freinent l’esprit de combativité. Ce n’est pas là leur mission. Leur mission consiste à découvrir la meilleure manière de mener l’offensive et ce n’est pas leur rôle de décider ou non du bien fondé de la bataille.

Il en va de même pour les Commandements. Quand D.ieu nous ordonne une Mitsva, c’est ce que nous devons faire. Il n’y a pas de place pour l’hésitation.

D.ieu dit : « Rendez-vous sur cette terre et faites-en la conquête ». Ce n’était pas négociable. L’accomplissement des Mitsvot n’est pas négociable.

Pourquoi alors des explorateurs ? Quand on fait une Mitsva, bien des manières, des sentiments, des intentions sont possibles. Quels sont les meilleurs ? A eux de nous l’indiquer.

Les mauvais explorateurs sont donc ceux qui décident si la conquête doit être menée ou non.

Les bons explorateurs sont ceux qui s’enquièrent de l’approche la plus favorable.

Chaque Mitsva doit être accomplie, sans aucun doute. Mais comment allons-nous le faire ? Nous allons donner de la charité, mais quelle sera la manière la plus bénéfique ? Nous allons observer le Chabbat. Mais comment allons-nous occuper le saint jour pour lui donner plus de sens ?

C’est là qu’interviennent les explorateurs.

Lorsque D.ieu dit à Moché : « Je ne te dis pas d’envoyer des explorateurs », ce dernier n’hésita pas car il avait compris le message de D.ieu : entrer sur la terre, accomplir une Mitsva ne se négocie pas. Mais par quels moyens, comment le faire ? C’est à toi de le trouver. Je veux que tu investisses quelque chose de ta personne dans le commandement.

En fait, D.ieu agit ainsi avec nous très souvent dans notre histoire et dans l’Histoire. Il nous conduit jusqu’à un certain point, une certaine frontière, un seuil, là où nous devons être puis, au moment où nous sommes prêts à passer à l’acte, à accomplir la Mitsva, D.ieu nous dit : « Je ne t’en dis pas plus. Maintenant, si tu veux continuer, que cela soit par un acte volontaire. C’est à toi de décider ».

Et cela est vrai pour tout dans la vie. Notre libre-arbitre intervient après que D.ieu ait déjà préparé un contexte, une situation (qui n’est pas le résultat de nos propres actions ou de notre propre choix, même si l’on pense le contraire), après une longue et compliquée suite d’événements, et là, nous attend une Mitsva à accomplir. D.ieu nous dit : « Maintenant tout dépend de toi. C’est ici qu’intervient ton libre-arbitre, ta propre décision. Moi, Je t’ai conduit là où tu dois être, à toi de faire ce que tu as à faire ».

D.ieu nous ordonne un commandement puis nous donne le libre-arbitre. Qu’est-ce que cela signifie-t-il ? Cela signifie qu’il n’y a pas d’alternative, un commandement est quelque chose que l’on se doit d’accomplir.

Prenons un exemple : « tu ne voleras pas ». C’est ce qui doit être fait, c’est ce qui est juste. Aucune discussion, aucune négociation ne sont possibles. Aucune justification, aucune excuse ne peut exempter de ne pas voler.

Mais intervient alors le libre-arbitre. On peut accomplir cette Mitsva ou la violer. Et ce choix, c’est nous qui le faisons. Et si nous choisissons le bon chemin, nous mettons notre moi profond dans ce qui est bon, saint et vrai.

Sans le libre-arbitre, le bien et la sainteté existeraient mais nous ne compterions pas, nous n’en ferions pas partie.

Mais quand D.ieu dit : « voici Mon commandement et vous avez le libre-arbitre », le message est double.

L’explorateur n’a rien à voir avec le commandement de D.ieu. D.ieu décrète, on ne discute pas. Mais lorsqu’on l’accomplit, on y investit notre être parce que nous avons le libre-arbitre.

Ainsi quand le moment fut venu de rentrer en Terre Promise, D.ieu déclara : « Ne me demande pas quoi faire, Je t’ai dit quoi faire. Maintenant, tu possèdes le libre-arbitre et c’est à toi de décider quoi faire ».

Les explorateurs firent une erreur en estimant que c’était à eux de décider s’il fallait conquérir la terre ou non.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que les Tsitsit ?

Tout homme (à partir de treize ans) qui porte un vêtement à quatre coins carrés doit y attacher des Tsitsit (franges composées de huit fils liés avec des nœuds particuliers). Pour cela, on porte sous la chemise (mais pas directement sur la peau) un Talit Katane, une étoffe rectangulaire en laine qu’on passe par la tête et à laquelle sont attachés ces fils tressés de la façon traditionnelle. On habituera les petits garçons dès l’âge de trois ans à porter le Talit Katane et à réciter la Bénédiction (« Barou’h… Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al Mitsvat Tsitsit »). Selon la tradition kabbalistique, on s’efforcera de porter aussi un Talit Katane réservé pour la nuit – mais on ne prononce la bénédiction que sur le Talit de jour.

Les hommes mariés (ou, dans certaines communautés, les jeunes gens dès la Bar Mitsva) portent aussi le Talit Gadol, un grand châle en laine avec les franges traditionnelles aux quatre coins dans lequel ils peuvent s’envelopper complètement pendant la prière du matin. Auparavant, ils vérifient que les franges sont restées cachères et ne se sont ni déchirées ni entremêlées. Même une fois que le Talit est devenu trop usé ou non-cachère, on ne le jette pas mais on l’enterre avec d’autres objets de culte ou des parchemins sacrés usés.

On veillera à ce que les manteaux et vestons ne possèdent pas quatre coins carrés, sinon on devrait y fixer des Tsitsit.

Quand on lave le Talit, on veille à ne pas abîmer les Tsitsit. Certains évitent de le laver en machine, à moins de le maintenir dans un filet spécial.

Porter le Talit Katane entretient la mémoire et la vue comme il est écrit : « Vous les verrez et vous vous souviendrez de tous les commandements de D.ieu » (Bamidbar – Nombres 15 : 39). Celui qui porte un Talit cachère est considéré comme s’il accomplissait tous les commandements. Le mot Tsitsit a la Guematria (valeur numérique) de 600. Si on ajoute les huit fils et les 5 nœuds, on obtient 613, le nombre des commandements de la Torah.

(d’après le Kitsour Choul’hane Arou’h)

Le Recit de la Semaine

 Quand le rabbin s’était trompé…

Dans les années 40, Rabbi Yossef Itshak Schneerson, le précédent Rabbi de Loubavitch envoyait des émissaires visiter les petites communautés dispersées dans tous les États-Unis pour transmettre la joie et l’enthousiasme du judaïsme autour d’eux.

Il confia un jour une mission particulière à Rav Chmouel Levitin, l’ancien Rav de Rakeshik en Lituanie. Il devait voyager de New York à Chicago (où j’habitais alors) pour y passer quelques jours et inspirer les Juifs locaux à s’investir davantage dans l’étude et la pratique religieuse.

Après maints cours et conférences, Rav Levitin demanda à Rav Perlstein (rabbin de la synagogue Tsema’h Tsedek) de lui obtenir un rendez-vous avec M. Charles (Yéhezkel) Lissner. Rabbi Yossef Itshak lui avait spécifiquement demandé de rencontrer ce fidèle de la synagogue, un homme d’affaires prospère dont l’ancêtre Arke de Lyozna avait été un fervent Hassid de Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, le fondateur du mouvement Loubavitch. Mais dans sa jeunesse, il avait émigré vers l’Amérique et avait quelque peu rejeté les traditions et pratiques religieuses du vieux continent. Le Rabbi précédent souhaitait donc que Rav Levitin aille lui parler, en espérant sans doute que M. Lissner serait favorablement impressionné par l’apparence hassidique de son émissaire et sa conversation d’un haut niveau intellectuel.

Ce rendez-vous ne fut pas aisé à obtenir car M. Lissner était fort occupé et n’avait pas de temps à perdre dans des mondanités. Mais finalement Rav Perlstein et d’autres notables accompagnèrent Rav Levitin ; je fis partie de la délégation.

  1. M. Lissner nous reçut chaleureusement et la conversation fut très intéressante. Rav Levitin rappela qu’il avait connu personnellement le grand-père de M. Lissner et celui-ci évoqua avec nostalgie le foyer de ses parents et de ses grands-parents, là où les coutumes et pratiques hassidiques étaient partie intégrante de la vie quotidienne et où le Chabbat et les fêtes se célébraient dans la joie.

A la fin de l’entretien, Rav Chmouel se leva et M. Lissner sortit son carnet de chèques en demandant à quel ordre le libeller.

« Mon cher ami, déclara ce fidèle émissaire du Rabbi, je ne suis pas venu solliciter une contribution financière et je sais que vous ne serez pas vexé si je refuse tout argent de votre part ! »

Cette réaction surprit M. Lissner : « Certainement le vénérable émissaire du Rabbi de Loubavitch n’a pas effectué tout ce déplacement depuis New York juste pour une visite de convention ou pour prendre chez moi une boisson fraîche ! »

  1. M. Perlstein intervint alors : « Vous savez que le rouleau de la Torah est écrit selon des règles très précises par un Sofer (scribe), avec de l’encre spéciale sur un parchemin spécial. Il arrive parfois – surtout quand le Sefer Torah n’est pas utilisé pendant longtemps – que les lettres pâlissent et cela rend le Sefer Torah non cachère. Dans le temps, la communauté faisait appel à un Sofer pour vérifier les parchemins et réécrire les lettres pâlies ou manquantes.

Le Rabbi nous a enseigné que chaque Juif est une Torah, remplie de lettres et de mots qui rythment sa vie quotidienne : cacherout, Chabbat, pureté familiale, éducation juive… Il peut arriver qu’une de ces « lettres » se ternisse donc le Rabbi nous envoie comme ses « examinateurs » pour « rafraîchir » les lettres et s’assurer que chacun d’entre nous est un Sefer Torah parfaitement cachère ! »

Ces paroles touchèrent à l’évidence une corde sensible chez M. Lissner qui remercia avec effusion la délégation.

Quand Rav Levitin retourna à New York, il donna au Rabbi un rapport détaillé de son voyage à Chicago, y compris la visite à M. Lissner.

« C’est une explication intéressante, remarqua le Rabbi mais, à vrai dire, l’analogie n’est pas tout à fait correcte. Il est vrai que chaque Juif est une Torah. Cependant il existe deux façons d’écrire. Il y a la méthode de l’encre et du parchemin et il y a la méthode de la gravure. Les Dix Commandements étaient gravés dans la pierre. Quelle est la différence ? L’encre et le parchemin sont deux éléments distincts que le scribe fait fusionner avec adresse. Cependant comme ce sont deux entités séparées, il est possible que l’encre pâlisse ou même s’efface. Par contre, la lettre gravée fait partie de la pierre même. Rien n’est ajouté au matériau qui fait un avec la lettre. De telles lettres ne peuvent pas être effacées ! Tant que le matériau existe, les lettres sont là. Il est néanmoins possible que la poussière s’amoncelle et recouvre toute la lettre. Alors tout ce qui est nécessaire, c’est d’enlever la poussière et les lettres réapparaîtront dans toute leur beauté originelle.

Un Juif est un Sefer Torah non pas écrit mais gravé. Il n’est pas nécessaire de « réécrire » un Juif. Il suffit de l’aider à épousseter les influences extérieures qui auraient pu momentanément recouvrir sa véritable personnalité, le « Pintelé Yid », l’étincelle juive gravée dans chaque âme. Et c’est pourquoi le cœur d’un Juif est toujours en éveil, toujours prêt à répondre à l’appel de la spiritualité ! »

Rav Yossef Wineberg – Chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki