Semaine 25

  • Chel’ah
Editorial

Quel monde ?

Comment regardons-nous le monde à présent ? C’est sans doute là une grande question ; ne conditionne-t-elle pas tout le rapport que nous avons avec le cadre même de notre existence et donc toute notre vie ? Elle est pourtant profondément légitime. Nous venons de vivre la fête de Chavouot et, avec elle, le Don de la Torah. Certes, ce jour a été, comme d’année en année, d’une importance qu’il n’est pas nécessaire de souligner : la Torah qui nous est donnée, c’est la Loi qui descend sur ce monde, créant ainsi un véritable espace de civilisation dont le passage des siècles a largement démontré la pérennité. Mais, au-delà de cette révolution et après que nous l’ayons revécue, quelles en sont les conséquences ? Aujourd’hui, comment vivons-nous ?
De la réponse à une telle question dépendent, en effet, bien des choses. La facilité nous conduit parfois à penser que nous n’avons pas de prise ni d’influence réelle possibles sur notre environnement. Elle nous conduit à prendre pour une vérité d’évidence cette rapide constatation : le monde avance sans que nous y puissions grand chose et l’homme n’est jamais qu’une faible créature qui vit à sa surface. Et pourtant, en une phrase fameuse, les Sages mettent en pièces une telle conception. «Il a mis le monde dans leur cœur» disent-ils, soulignant ainsi que chaque homme possède, en lui-même, l’univers tout entier. C’est dire que celui-ci existe d’abord parce que nous y vivons. Il vit de nos actions et, sans notre présence, disparaîtrait faute de sens. Ancienne et nouvelle idée : l’homme, couronnement de la création, en est l’acteur majeur.
Alors que la Torah vient de nous être donnée, le monde est décidément différent. Il brille d’un éclat neuf et semble pénétré d’une sagesse retrouvée. Tout cela n’est pas un rêve, juste l’effet de la volonté que nous avons, avec Chavouot, raffermie, peut-être redécouverte. A présent, si nous le voulons, nous sommes conscients de ne pas être le jouet des événements, des conventions ou des contraintes sociales. Nous savons que nous sommes des êtres pleinement libres et que cette liberté s’identifie à ce que nous sommes profondément, à notre essence, à notre âme. A présent, s’ouvre devant nous la voie d’êtres humains qui assument leur condition et toutes ses grandeurs. Il ne reste plus qu’à nous y engager. La Torah nous a été donnée, elle y est notre guide. Quant au but ? Il a pour nom la venue de Machia’h et nous en voyons la lumière monter à l’horizon.

Etincelles de Machiah

L’attendre sans cesse
Maïmonide souligne, dans son Michné Torah (Hil’hot Mela’him, chap. 11), la nécessité de « croire en Machia’h et d’attendre sa venue ». Apparaissent donc ici deux obligations parallèles. Elles sont certes complémentaires mais elles ne peuvent pas se confondre. En fait, leur juxtaposition a une raison d’être : elle nous enseigne que, de même que l’obligation de croire en Machia’h est constante, ainsi celle d’attendre sa venue imminente est d’application continue.
(d’après Likoutei Si’hot, vol. XXVIII, p. 131)

Vivre avec la Paracha

Chela’h : Penser au possible

Chaque individu doit affronter des tâches et des défis. La dimension juive de la vie nous aide à y faire face et parfois se présente elle-même comme une partie du défi. Les devoirs d’étudier, de trouver un emploi, de se marier, de faire naître une famille, d’aider sa communauté, d’épauler ceux qui sont dans le besoin, sans parler des problèmes qu’affronte le peuple juif en tant qu’entité, tout cela est guidé par les enseignements juifs. On y trouve à la fois des «fais» et des «ne fais pas». Ils apportent tous une stabilité et pourtant quelquefois, ils paraissent rendre les choses plus compliquées.
Pouvons-nous équilibrer toutes les demandes auxquelles nous devons faire face ? Comment les envisager ? Dans la Paracha de cette semaine, Chela’h, la Torah nous donne le récit du Peuple Juif placé devant le défi de pénétrer en Terre d’Israël, la terre qui leur avait été promise par D.ieu depuis des générations. Leur tâche consistait à transformer le Canaan impur en la Terre sacrée d’Israël, le centre spirituel du Peuple Juif et en dernier ressort du monde entier. Une immense tâche les attendait. Cependant cette péripétie sert également de métaphore à la tâche qui attend chaque Juif dans sa vie de tous les jours. Nous devons changer les voies ordinaires du monde en quelque chose de saint.
Au commencement de la Paracha, D.ieu demande d’«envoyer des gens pour explorer la Terre». Nos Sages expliquent que cette injonction venait en réponse au fait que le Peuple Juif lui-même désirait cette exploration. Il leur semblait naturel de vouloir explorer la terre et D.ieu répondit : «Envoyez [des explorateurs] !»
En d’autres termes, explique le Rabbi, si vous avez une tâche qui vous attend, mettez tous vos efforts et votre énergie dans la recherche de la manière de l’accomplir le mieux possible. Parfois, les gens se laissent porter par le courant sans réfléchir, sans se poser de questions. Par contraste, la Paracha nous dit ici de rechercher et de penser par nous-mêmes. Alors, que se passa-t-il donc ? Pourquoi la mission des douze explorateurs se solda-t-elle par un désastre ?
Parce qu’au lieu de rechercher la meilleure manière de pénétrer en Terre d ‘Israël, les explorateurs déclarèrent que cette entreprise était impossible. Le message qu’ils rapportèrent était : «mission impossible…» Au lieu de dire : «nous aurons à faire face à tel ou tel problème», ils affirmèrent : «abandonnez tout le projet !»
C’était là leur erreur. Mais elle ne doit pas être la nôtre. Nos enquêtes sur les tenants et les aboutissants de l’entreprise qui nous attend, basées sur les enseignements de la Torah, ne doivent pas aboutir à la déclaration : «mission impossible» et à l’abandon de la tâche. Si nous y portons un regard positif, sachant que D.ieu nous aide, nous verrons devant nous se dérouler le chemin qui nous mènera au succès optimal.
Il est vrai que nous devons réfléchir attentivement pour trouver l’approche qui correspond le mieux à une situation spécifique et prendre en compte chaque facteur. Mais les éléments qui nous guident à la base dans l’implication dans l’action sont les instructions que nous donne D.ieu par l’intermédiaire de la chaîne des enseignements de la Torah. C’est seulement ainsi que nous pouvons affronter et surmonter, avec sagesse et ténacité chaque défi, de la façon la plus réussie et finalement, avec la venue de Machia’h, la sainteté latente dans le monde entier se révélera.

Pour commencer : la force du commencement
C’est une caractéristique de la vie universelle : «le commencement». Le commencement de la vie constitue le thème qui ouvre toute la Torah. Mais la Torah met également l’accent sur un «commencement» d’un genre différent. Elle évoque le fait d’établir un «commencement» durant le processus de la fabrication du pain.
Après avoir pétri la pâte, et d’habitude avant de la former en pains, une portion de la pâte en est séparée. Il s’agit du prélèvement de la ‘Halla. Cette opération nous apporte un enseignement à propos du commencement, pas seulement celui de la confection du pain mais de tout dans la vie ;
A l’époque du Temple, une quantité significative de la pâte de la ‘Halla était donnée au Cohen (prêtre). Aujourd’hui, l’on n’en prélève qu’un petit morceau (30 grammes) que l’on brûle. Les lois du prélèvement de la ‘Halla figurent dans notre Paracha : «les prémices du bol de pétrissage, vous les donnerez à D.ieu comme offrande : cela s’applique à toutes vos générations».
Les enseignements de la ‘Hassidout révèlent une interprétation plus profonde de cette loi, basée sur une subtilité de la langue. Le terme hébraïque pour «bol de pétrissage» est Arissa. Mais Arissa possède deux sens. Cela signifie à la fois «bol de pétrissage» et «lit» ou «berceau».
Selon nos Sages, ce double sens n’est pas dû au hasard. Comme tout dans la Torah, il nous apporte un enseignement. La loi du prélèvement de la ‘Halla signifie qu’au tout début de l’activité de la confection du pain, nous faisons un acte qui exprime une reconnaissance de D.ieu. Prélever la ‘Halla signifie dédier quelque chose au Divin ; et cette étape a lieu dès le commencement.
La signification double cachée dans les mots de la Torah n’évoque pas seulement le bol de pétrissage mais également le berceau, le lieu du commencement de la vie humaine. Le tout début doit se marquer par l’acte d’«offrande à D.ieu». Comment parvenir à dédier un enfant juif à D.ieu ? Par l’éducation juive. Chaque moment passé à enseigner à un enfant sa proximité avec D.ieu, à lui parler de la beauté de la Torah et de la vie juive tisse un lien précieux avec le passé et le futur. Ces moments passés au début de la vie aident à assurer que les années futures, les «générations» mentionnées dans le verset, seront remplies de réussite, conduisant vers un réel accomplissement. C’est là le sens général.
Une autre leçon concerne une autre sorte de «commencement» : le début de chaque jour. Les enseignements de la Torah recommandent que là aussi, nous devrions commencer par un moment où l’on se dédie à D.ieu : la prière du «Modé Ani», du Chéma, les Tefilines. C’est là la ‘Halla, donnée à D.ieu. Alors, le reste du jour , les «générations», sera heureux, sain et rempli, semblable à la chaleur du pain fraîchement cuit.

Le Coin de la Halacha

Question : sachant que sa marchandise est abîmée, un commerçant peut-il cacher le défaut à son client ?
Réponse : Le commerçant n’a pas le droit de cacher un défaut et il doit le signaler au client, juif ou non. Ne pas en informer le client est considéré comme si on lui volait son argent. Cela constitue une infraction à un interdit de la Torah.

Question : A-t-on le droit d’inviter quelqu’un quand on sait pertinemment qu’il ne viendra pas ? A-t-on le droit de lui proposer une assiette garnie quand on sait qu’il ne mangera pas ?
Réponse : On a le droit de lui dire : «Viens manger avec moi» car c’est l’honorer que de lui proposer à manger. Mais il est interdit d’insister – même si de fait, on n’a rien à lui donner, car on fait croire à «l’invité» qu’il est redevable d’une grande bonté d’âme.
Cependant, si l’hôte souhaite vraiment le bien de son invité et qu’il a de quoi lui offrir à manger, il est permis d’insister.

Question : Est-il permis de remplir une bouteille de vodka vide avec de l’eau et de «l’offrir» à son ami comme si on lui offrait vraiment de la vodka ?
Réponse : Non. En effet, il pourrait croire que c’est vraiment de la vodka et inviter des amis à trinquer «Le’haïm», «à la vie» et il aurait évidemment honte de ne leur offrir que de l’eau !
Il en va de même pour tous les cas similaires.

Question : Est-il permis de vendre un terrain, une maison ou toute autre propriété dont la possession est contestée au tribunal (par exemple un litige à propos d’un héritage, d’une créance etc.) sans en informer l’acquéreur potentiel ?
Réponse : Non. Il est interdit de proposer un achat sans informer le client qu’il fait l’objet d’un litige devant les tribunaux. Et ceci, même si on a l’intention de dédommager éventuellement le client si l’objet lui est retiré. En effet, nul ne veut débourser de l’argent pour subir par la suite un procès.

Question : Peut-on entrer dans un magasin, s’intéresser au prix d’un objet alors qu’on n’a pas l’intention de l’acheter ?
Réponse : Si on a l’intention d’acheter plus tard ou si on s’informe pour le compte d’un ami par exemple, c’est permis. Mais il est interdit de s’enquérir du prix juste pour faire croire au vendeur qu’on va l’acheter et pour lui causer de la peine.

F. L. (d’après Rav Ehoud HaCohen Kavine – Brésil - Michpa’ha ‘Hassidit)

De Recit de la Semaine

«Normal» ou… joyeux ?

Cela fait vingt ans que je voyage de par le monde. Et, avec l’aide de D.ieu, j’utilise chacun des vols de ou vers Tel Aviv, pour proposer aux autres passagers de mettre mes Téfiline avec les bénédictions appropriées : cela ne leur prend que quelques minutes et il se trouve toujours certains d’entre eux qui acceptent ; souvent je plie et déplie mes Téfiline jusqu’à trente fois !
Mais la semaine dernière, alors que je me rendais à Johannesburg (Afrique du sud), je ne pensais vraiment pas demander quoi que ce soit à qui que ce soit. La raison ? Tout simplement parce que la dernière fois que j’avais effectué ce trajet – aussi bien à l’aller qu’au retour – tous les passagers que j’avais abordés m’avaient affirmé qu’ils n’étaient pas juifs ! Cela avait été une expérience si frustrante que j’avais décidé que cette fois-ci, je serai normal, comme les autres et que je ne m’occuperai que de moi-même. Après tout, de quel droit intervenir dans la vie des autres, faire irruption dans leurs moments de détente et «perdre» du temps que j’aurais pu consacrer à l’étude de la Torah ! De plus, s’ils étaient déjà pratiquants, ils n’avaient pas besoin de moi. Et s’ils ne l’étaient pas, ils n’allaient sans doute pas accueillir avec plaisir mon intrusion, en public en plus !
Et puis… j’étais fatigué. Et il y avait de fortes turbulences toutes les demi-heures. Et les passagers dormaient ou mangeaient ou regardaient le film… Pourquoi les déranger ?
Soudain je me suis ressaisi. Je réalisai que, de fait, je me considérai comme «mort» ! «Bolton ! me dis-je, tu as certainement raison de considérer tous ces problèmes ! Mais ce sont des obstacles à surmonter ! Pas des arguments valables ! Non ! Pas d’excuse !
Et que doit faire un ‘Hassid quand il est confronté à des obstacles ? Les surmonter bien sûr, et dans la joie !»
Je ne sais pas comment, mais j’y suis parvenu. Je me levai, ouvris le compartiment réservé aux bagages à main, pris mes Téfiline et demandai au premier passager que je rencontrais s’il souhaitait les mettre.
Sa réponse fut claire et nette : «Certainement pas !»
- Ah ! me dis-je. Un obstacle supplémentaire ? Donc pas de panique ! Simplement… plus de joie !
Imperturbable, je m’adressai au passager assis derrière lui, un homme qui avait, bien entendu, observé toute la scène. Dès que j’ouvris la bouche, en lui montrant les Téfiline, il leva les deux mains en les croisant et décroisant devant lui comme un signal : Stop ! et il déclara : «Je ne suis pas juif ! Pas juif, vous comprenez ? »
Galvanisé par ces deux échecs mineurs, je me dirigeai vers un autre passager, au gabarit impressionnant, à la tête rasée ; il avait à peu près quarante ans et semblait être un boxeur professionnel. Je lui montrai les Téfiline et lui proposai de l’aider à les mettre. Mais il ne répondit pas, se contentant de me regarder fixement. Peut-être n’était-il pas juif, ce que je le lui demandai poliment mais il continuait à me fixer du regard. Il ne clignait même pas des yeux. Alors je me suis demandé si, peut-être, il ne comprenait pas l’anglais. Je lui parlai alors en hébreu : «Téfiline ? Yehoudi?» Toujours aucune réponse et ce regard presque effrayant…
En temps normal, j’aurais haussé les épaules et j’aurais repris ma quête d’éventuels «clients» pour mes Téfiline. Mais j’avais pris une bonne décision et j’étais résolu à surmonter tous les obstacles. Je me forçai à sourire, me persuadai que cet homme à l’air redoutable était mon meilleur ami, rapprochai mes Téfiline de lui, pris sa main, la levai avec précaution (une main de catcheur…) et, lentement, je me mis à enrouler les lanières autour de son bras.
Puisqu’il n’opposait aucune résistance, je m’enhardis et procédai un peu plus vite jusqu’à ce qu’il prenne le relais de lui-même : il prononça la bénédiction - qu’il connaissait donc - ; je lui tendis une page plastifiée portant le texte du «Chema Israël» et le laissai prier seul.
Je fis un tour vers l’arrière de l’appareil pour un instant afin de le laisser seul avec ses réflexions et, quand je revins vers lui, je l’aidai à enlever les Téfiline ; c’est alors qu’il me dit calmement : «Nous parlerons ensemble tout à l’heure».
De l’autre côté du couloir se trouvait un jeune homme, très souriant : «A mon tour ! s’exclama-t-il sans que je lui demande quoi que ce soit. C’est formidable, continua-t-il. La dernière fois que j’ai mis les Téfiline, c’était lors de ma Bar Mitsva ! »
Une fois qu’il eut terminé, un homme plus âgé admit que cela faisait bien cinquante ans qu’il n’avait plus mis les Téfiline (son épouse n’arrêtait pas de le corriger : «Cinquante ? Dis plutôt soixante !») Il me remercia chaleureusement puis je remarquai que le «boxeur» me faisait signe qu’il désirait me parler. Quand je m’approchai, je remarquai qu’il se frottait constamment l’œil avec sa main… de fait… il pleurait !
«Vous devez m’excuser si je pleure, murmura-t-il tout en me serrant la main. Mais quand je vois combien vous vous souciez du bien d’autrui au lieu de ne vous occuper que de vous-même… Et, de plus, vous le faites avec une telle joie, un tel enthousiasme ! Cela me force à réfléchir et à me poser des questions sur le sens de ma vie…» Il se moucha plusieurs fois puis continua : «Au fait, vous savez… ça y est ! C’est décidé ! Je vais m’acheter une nouvelle paire de Téfiline et je vais les mettre régulièrement ! Je le faisais il y a dix ou vingt ans mais j’ai arrêté… Oh oui, je vais les acheter dès que j’arrive en Israël !»
Il me serra chaleureusement la main et je continuai ma tournée pour mettre encore les Téfiline à quatre autres personnes.
Et dire que si je n’avais pas pris la décision de ne pas être «normal», de ne pas me laisser entraîner par l’apathie, cela aurait été un voyage «normal» qui ne m’aurait donné aucune satisfaction…

Rav Touvia Bolton
www.chabad.org
traduit par Feiga Lubecki

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