Samedi, 19 juin 2021

  • Houkat
Editorial

 De degré en degré, pour la Vie

La fuite des heures fait qu’on pourrait ne pas le percevoir avec toute la hauteur voulue, emportés par le torrent impitoyable du quotidien. Alors, il faut savoir le regarder, ce jour du 3 Tamouz, le dimanche qui a ouvert la semaine que nous vivons à présent. Il faut savoir le regarder, encore à présent, autant avec les yeux qui balaient le calendrier qu’avec ceux de l’esprit. Il faut toujours savoir y réfléchir car ce jour, loin des commémorations, est d’abord celui de l’élévation pour chacun.

Il n’est sans doute pas utile de le dire encore : le 3 Tamouz est le jour où le Rabbi quitta matériellement ce monde. Il est ce jour aussi où il s’élève spirituellement de degré en degré. Mais il faut se garder de commettre une erreur : il n’est pas question ici de départ au sens de séparation ni d’élévation au sens d’éloignement. En sa forte formule, le Zohar l’enseigne avec une clarté absolue : « Le Juste qui s’en va se trouve dans tous les mondes plus que de son vivant » - car, enseigne Rabbi Chnéour Zalman de Liady, l’auteur du Tanya, « il est libéré de ses limites physiques. » Cela n’est pas qu’une manière positive de regarder l’événement. Cet enseignement entreprend de décrire une réalité objective : « le berger n’abandonne jamais son troupeau. » C’est dire que l’élévation incarnée par le 3 Tamouz est aussi la nôtre parce que nous accompagnons celle du Rabbi et qu’ainsi, nous la vivons avec lui.

Pourtant, chacun se connaissant, nous savons que notre niveau spirituel n’est pas d’une envergure suffisante. Comment prétendre connaître cette élévation qui dépasse tout ce que nous saurions formuler ? Là est justement la place de la liberté et de l’effort. Nous sommes capables, par ce jour, d’aller au-delà de nous-mêmes. Nous sommes capables d’un dépassement, possible parce que le jour du 3 Tamouz est pénétré de cette puissance spirituelle particulière, parce que le Rabbi ouvre le chemin à celui qui désire s’y engager. Parlant de Jacob que les textes qualifient de vivant après son décès, les Sages commentent : «Comme sa descendance est vivante, lui aussi est vivant.» N’est-ce pas aussi une manière de nous dire qu’il nous faut être vraiment « vivants », au plein sens du terme ? Etre vivant, c’est avancer dans la voie ouverte par le Rabbi, d’étude et de diffusion de la Torah, de pratique et de partage des Mitsvot. Etre vivant c’est s’attacher ainsi à l’Arbre de Vie, jusqu’à ce que la venue de Machia’h donne Vie à la vie.

Etincelles de Machiah

 La manière juive

Un jour, alors que le Tséma’h Tsédèk – le troisième Rabbi de Loubavitch – était encore un jeune homme, il s’assit parmi un groupe de ‘Hassidim qui discutaient de la question : « Qui sait quand Machia’h va venir ? »

Il commenta : « Ce type de discours rappelle la manière de Bilaam, le prophète non-Juif qui déclara à propos de Machia’h : ‘Je le vois mais il n’est pas proche ; je le perçois mais pas dans l’avenir immédiat’ – comme si la Délivrance était lointaine. Un Juif, lui, doit espérer et attendre chaque jour que Machia’h arrive ce jour même. »

(d’après la tradition orale)

Vivre avec la Paracha

 ‘Houkat

D.ieu enseigne à Moché les lois de la « Vache Rousse ».

Après quarante ans d’errance dans le désert, le Peuple juif arrive dans le désert de Tsin. Miryam quitte ce monde et le peuple, privé du puits de Miryam, réclame de l’eau. C’est alors que Moché va frapper le rocher pour qu’en jaillisse de l’eau (au lieu de lui parler comme D.ieu le lui avait ordonné). L’eau jaillit mais ni Moché ni Aharon ne pourront entrer en Terre Sainte.

Aharon meurt et lui succède alors son fils Eléazar. Le peuple parle encore une fois contre D.ieu et Moché et une épidémie frappe le Peuple juif, qui sera ensuite enrayée par un serpent d’airain brandi par Moché.

Moché mène des batailles contre les rois Si’hon et Og, conquiert leurs terres, à l’est du Jourdain.

Ce qui reste inaccessible à la connaissance humaine

Le terme ‘Houkim (pluriel de ‘Hok) se réfère aux Mitsvot dont la raison ne peut être accessible à l’intellect humain. Cependant, bien qu’appartenant à cette catégorie, les lois de la Vache Rousse s’en détachent. C’est ainsi que le Midrach cite le Roi Chlomo (à propos duquel il est dit : « Et Chlomo était plus sage que tout homme sur la surface de la terre ») en disant :

« J’ai été capable de comprendre tous les autres passages difficiles dans la Torah mais en ce qui concerne le passage de la Vache Rousse, j’ai demandé et j’ai cherché ; j’ai dit : « Je deviendrai sage », mais j’ai vu que c’était très éloigné de moi. » (Ecclésiaste 7 :23) ;

En fait, ce n’est que de Moché que le Midrach déclare : « Le Saint Béni soit-Il a dit à Moché : « A toi seul Je révélerai la raison de la Vache Rousse ».

D’une part, ces citations impliquent que les lois de la Vache Rousse ne transcendent pas totalement le domaine de l’intellect puisque Moché reçut le privilège de comprendre leur explication. Néanmoins, l’explication dépasse apparemment la compréhension ordinaire. C’est ainsi qu’elle ne put être saisie par Chlomo et Moché ne la transmit à personne.

(Nous pouvons également observer que le Pilpoul Déoraïta, c’est-à-dire le processus de raisonnement didactique par lequel est élucidée la loi orale, fut également transmis à Moché en tant que don de D.ieu. Pourtant, dans cette occurrence, Moché enseigna cette méthode à tout le Peuple juif (Nedarim 38a). Le fait qu’il n’enseignât pas les raisons de la Vache Rousse indique donc qu’il était impossible pour lui de le faire car cela représentait un niveau intellectuel inaccessible à autrui.)

En fait, l’aptitude de Moché à comprendre n’était pas le résultat de ses propres capacités de compréhension ; le Midrach déclare clairement : « C’est un ‘Hok, un décret que J’ai émis. Aucune créature n’est capable de comprendre Mes décrets ».

Comment donc Moché put-il, lui, en saisir la raison ? La raison en est qu’il lui fut attribué un don unique de D.ieu, Qui peut tout. Il peut infuser la transcendance dans des limites [comme celles d’un homme] et c’est grâce à cette omnipotence que Moché put comprendre l’explication.

Aller à la source de l’essence de la Torah

Toutefois, une question se pose : pourquoi la réponse fut-elle donnée à Moché ? Si accéder à la raison de la Vache Rousse pouvait faire progresser dans le service Divin, pourquoi D.ieu ou Moché ne la partagèrent-ils pas ?

La réponse dépend de l’éclairage qu’on donne à la nature de la Torah. La Torah forme un avec D.ieu. C’est l’expression de Sa volonté essentielle. C’est pourquoi tout comme Sa volonté est au-dessus de la compréhension intellectuelle, ainsi en va-t-il de la Torah. Cependant, D.ieu a donné la Torah à des mortels, non parce qu’Il désire leur obéissance mais parce qu’Il se soucie de leur bien-être. Il veut que l’homme développe une connexion avec Lui et pour que cette connexion pénètre la compréhension humaine, pour que Sa sagesse en fasse partie, Il a habillé la Torah dans un cadre intellectuel.

Cette dimension intellectuelle n’est, en revanche, qu’une simple extension de la Torah. L’essence de la Torah reste une Divinité transcendante et ne peut être contenue dans des limites, même des limites intellectuelles. Pour établir une relation avec cette essence, l’homme doit se connecter à la Torah avec un engagement qui dépasse la sagesse ou la logique.

Pour souligner cette dimension, il était nécessaire qu’au moins une partie de la Torah reste complètement insaisissable par l’intellect. Il s’agit du passage décrivant les lois de la Vache Rousse. Ces lois, qui transcendent notre compréhension, nous aident à apprécier que toute la Torah, dans son essence, est au-delà de notre entendement. Et cela aiguise notre sensibilité à son essence Divine.

Si la Torah toute entière avait été rationnelle, l’individu serait enclin à se reposer sur sa propre compréhension et éprouverait de la difficulté à relever un défi qui demande du Messirout Néfèch, le don de soi. En réalité, limiter notre engagement spirituel à la sphère intellectuelle irait même jusqu’à encourager notre inclination naturelle vers la matérialité. On aurait tendance à assouvir nos propres désirs, à rationnaliser notre conduite, même lorsqu’elle est déficiente. Sans un engagement illimité à la Torah, l’homme ne peut se lier à sa vérité infinie.

Ainsi, les lois de la Vache Rousse nous imprègnent-elles de la conscience de la nature illimitée de la Torah, nous poussant à nous consacrer totalement à son étude et à sa pratique. Prendre conscience de la nature Divine profonde de la Torah réveille la nature Divine profonde de notre âme et nous permet d’établir un lien absolu avec D.ieu.

Pour souligner cette contribution unique représentée par les lois de la Vache rousse, la Torah s’y réfère comme à ‘Houkat haTorah (« le décret de la Torah »), plutôt qu’à ‘Houkat haPara (« le décret de la vache [Rousse] ». L’utilisation de cette première expression met l’accent sur l’idée que notre lien avec toute la Torah dépend d’un engagement qui transcende l’intellect.

A l’Ère de la Rédemption, le Machia’h offrira la dixième Vache Rousse, purifiant d’abord les Cohanim, les prêtres, puis la nation entière. Nous entamerons alors notre service Divin à une époque où la purification du contact avec la mort, rendue possible par la cérémonie de la Vache Rousse, ne sera plus nécessaire. Car « Il avalera la mort, pour l’éternité »et la Divinité, source de toute vie, sera ouvertement révélée tout au long de l’existence.

Le Coin de la Halacha

 Comment convient-il de se conduire ?

Pour être honoré, le maître doit se montrer sous un jour honorable. Il doit se distinguer des autres par ses actions, sa façon de manger et de boire, de parler, de marcher, de s’habiller. Il ne se montrera pas glouton et ne mangera que pour se préserver en bonne santé. (Celui qui s’enivre est considéré comme un fauteur et il perd de son intelligence). Il se conduira avec Tsniout (de façon discrète) mais ne se rendra pas ridicule. Il n’élèvera pas la voix mais parlera calmement, de façon polie. Il s’empressera de saluer le premier chaque personne qu’il rencontre et jugera chacun favorablement. Il ne parlera pas pour gagner un argument et, s’il sent qu’il ne sera pas écouté, il n’engagera pas la polémique et ne s’y joindra pas. Il ne cherchera pas à dénigrer son prochain. Il ne marchera pas courbé mais se tiendra droit. Ses vêtements seront propres, corrects, sans aucune tache, élégants mais non ostentatoires.

Il sera honnête dans ses transactions, respectera la parole donnée, ne participera pas à des affaires frauduleuses. Il ne se livrera pas à de la concurrence déloyale. Il sera content de prêter de l’argent et n’exigera pas avec force d’être remboursé s’il sait que le débiteur n’est pas en mesure de s’acquitter de sa dette.

Telles sont quelques-unes des qualités du Sage.

(d’après Rambam – Hil’hot Déot)

Le Recit de la Semaine

 Une lettre en Sibérie

Alors que de nombreux ‘Hassidim avaient réussi à quitter l’Union Soviétique après la seconde guerre mondiale (en se faisant passer pour des citoyens polonais), Reb Mendel Futerfass n’avait pas eu cette chance. Il avait été repéré par les autorités russes qui l’avaient arrêté, jugé sommairement puis déporté en Sibérie. Son « crime » avait été rapidement défini comme une atteinte à la sécurité de l’empire soviétique : en effet, il n’avait cessé d’enseigner et de promouvoir la pratique du judaïsme parmi les Juifs. Pour cela, il fut condamné à travailler comme esclave durant huit ans dans cette région la plus froide du globe dans des conditions inhumaines – sans doute afin de réaliser la gravité de ses activités « contre-révolutionnaires » et anti-communistes.

Même en Sibérie, Reb Mendel continuait de se conduire comme un ‘Hassid, veillant à prier, respecter le Chabbat, manger cachère et garder un minimum de dignité humaine. Ce n’était vraiment pas facile car il était privé de tout environnement propice à l’étude : il n’avait ni compagnon d’infortune ni livres avec lesquelles stimuler son esprit pour s’élever au-dessus des contingences matérielles et se lier à son Créateur. Un jour, celui de son anniversaire hébraïque, il ressentit pourtant une très forte envie de célébrer ce jour particulier comme le font les ‘Hassidim : réunir ses amis, prendre des bonnes résolutions, partager des souvenirs, évoquer les discours sublimes de son Rabbi, remercier D.ieu « qui nous a fait vivre et exister jusqu’à ce jour » (comme on le mentionne dans la bénédiction traditionnelle de Chéhé’héyanou)… Il souhaitait surtout, entrer en Ye’hidout, audience privée avec le Rabbi pour établir le bilan spirituel de l’année écoulée et obtenir des directives claires pour l’année à venir !

Mais les seuls « amis » qu’il pouvait réunir étaient les criminels de droit commun ainsi que les paysans illettrés et grossiers condamnés comme lui aux travaux forcés. Non, il ne pouvait pas compter sur eux pour remercier le Créateur. Mais il pouvait s’unir à son Rabbi – en pensée. Il se prépara aussi bien que possible vu les conditions tragiques de son emprisonnement et s’imagina écrire une lettre puis la tendre en tremblant au Rabbi : certainement le Rabbi comprendrait sa situation et le bénirait pour une bonne année, une meilleure année, remplie de joies et de Mitsvot. Oui, cette pensée le réconforta, l’encouragea et le stimula pour garder espoir. Il sortirait certainement grandi de cette épouvantable épreuve.

Après sa libération, il dut rester encore quelques années, seul, en Union Soviétique où il reprit immédiatement ses activités clandestines au service du judaïsme.

Des années plus tard, il put enfin rejoindre sa femme et ses enfants qui s’étaient installés en Angleterre.

Un jour, alors qu’il parcourait les nombreuses lettres d’encouragement que son épouse avait reçues du Rabbi, il découvrit un télégramme. Celui-ci était daté du lendemain de ce fameux anniversaire « célébré » au Goulag sibérien, des années auparavant. Le Rabbi avait écrit à Mme Futerfass : « J’ai reçu la lettre de votre mari… ».

Aucune distance physique, spirituelle ou médicale ne peut séparer un Juif du Rabbi…

Yerachmiel Tills - chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki